4. La naissance du réseau financier, réponse au besoin d'une collecte de proximité
Comme le rappelle l'affaire du courrier de Lyon, le service
postal a longtemps transporté des sommes en numéraires, avant que
ne soit institué, en 1817, un bulletin de dépôt. Cette
innovation permet de faciliter la circulation monétaire dans une
société où les banques sont peu nombreuses et ne disposent
que de peu de comptoirs.
Cependant, l'essor des premiers services financiers de la Poste remonte
aux
débuts de la Troisième République
. L'Etat confie alors
à la Poste la réalisation d'opérations de banque,
d'assurance et de perception, dans les zones les plus reculées du
territoire, qui ne sont pas desservies par les banques privées.
Les mandats postaux (et notamment les mandats télégraphiques)
enregistrent alors une forte croissance. Le recouvrement des valeurs
commerciales, celui des valeurs protestables ainsi que les envois contre
remboursement sont confiés à La Poste sur tout le territoire,
entre 1879 et 1892. A cette époque, La Poste prend également en
charge le système de l'abonnement aux journaux.
Sous le Second Empire, de nombreuses pétitions sont adressées
aux pouvoirs publics pour demander la création d'un réseau
national d'épargne, les réseaux financiers privés ne
permettant pas aux plus modestes de placer leurs économies alors
même que l'épargne populaire pourrait utilement contribuer au
financement du développement du pays.
C'est le gouvernement républicain qui crée, en 1881, pour
remédier à ces insuffisances de l'initiative privée, la
Caisse Nationale d'Épargne
(CNE) qui, pour distribuer ses
produits et collecter les fonds, est autorisée à utiliser le
réseau de La Poste.
Sur 34.736 communes, seules 1.320 sont alors pourvues d'une Caisse
d'Épargne municipale, dotée d'une clientèle locale et
d'une surface financière nécessairement réduite, hormis
dans les grandes cités. Pourtant, l'un des orateurs ne craint pas, lors
de l'examen du projet de loi relatif à la Caisse Nationale
d'Épargne, au Sénat, d'estimer que la pente sur laquelle ce
projet s'engageait est celle "
du socialisme d'État,
maître de tout, l'Etat disposant de tout, l'Etat se chargeant de tout,
l'Etat étouffant autour de lui toute initiative, toute volonté,
toute liberté "
14(
*
)
. La poste cristallise, dès
cette époque, les appréhensions et les enjeux d'une
société en pleine évolution.
Comme le souligne le rapporteur de la loi, La Poste se trouve ainsi en quelque
sorte chargée "
d'aller chercher l'épargne de l'ouvrier,
du paysan, jusque dans les hameaux les plus reculés, d'aller la saisir,
(...), entre les mains de celui qui hésiterait entre une dépense
inutile et un placement profitable "
15(
*
)
. Grâce à
l'efficacité du réseau postal dans cette recherche de
l'épargne, la CNE va rapidement être amenée à
gérer une épargne jusque là non bancarisée, pour
des montants très importants puisque le nombre de livrets passe de 1
million et demi en 1890 à 6 millions en 1914. Dans le même temps,
l'essentiel des transactions financières de faible importance
s'effectue, compte tenu de l'étroitesse du réseau bancaire, par
mandat-poste
. La progression du nombre de ces mandats de 9 millions
en 1881 à 789 millions en 1898, pour un montant unitaire le plus
souvent inférieur à 20 francs de l'époque, frappe les
esprits et atteste de l'utilité collective de ce service.
La Poste assure même l'encaissement des créances commerciales et
des effets de commerce. Les banques refusent par exemple "
les
effets
tirés sur des villages, ou des bourgades, ou payables dans les foires ou
à la suite des régiments
" alors que "
La Poste
se chargeait des encaissements dans les petites localités
retirées (...) où les banquiers manquaient de
correspondants "
16(
*
)
.
Malgré des tentatives en 1901 et 1909, en raison d'une opposition des
banques, analogue à celle observée en Allemagne au même
moment, La Poste ne dispose d'un
service de comptes-chèques
,
qu'à
compter de 1918
. Le succès des CCP, qui passent de
9.000 comptes la première année à 900.000 en 1940,
est en effet immense et nécessite la création de centres de
traitement spécifiques.
A compter de cette création, les services financiers de La Poste
apporteront à l'Etat une ressource financière abondante, puisque
les sommes importantes ainsi collectées sont centralisées
auprès du Trésor et que les frais de gestion versés
à la Poste n'étant pas calculés selon des critères
commerciaux, le solde des avoirs de trésorerie assure à l'Etat
d'appréciables revenus.
Jusqu'en 1966, La Poste a géré à elle seule plus de
comptes chèques que l'ensemble des institutions bancaires ou
financières.