N° 9
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 1er octobre 1997
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) , à la suite d'une mission d'information chargée d'étudier le fonctionnement de la justice civile en Angleterre et au Pays de Galles ,
Par MM. Charles JOLIBOIS, Pierre FAUCHON,
Robert BADINTER et Patrice GÉLARD,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès,
vice-présidents
; Michel Rufin,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt,
Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel
Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud
,
Georges
Othily, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Justice - Rapports d'information. |
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a examiné le rapport de la mission
d'information le mercredi 1er octobre 1997.
A titre liminaire, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a souligné le
professionnalisme, la disponibilité et la pédagogie des juristes
anglais rencontrés dans le cadre de cette mission les 16 et 17 avril
1997 à Londres.
Après avoir rappelé le calendrier de ces entretiens, il a mis
l'accent sur plusieurs enseignements ponctuels en matière de
médiation, d'informatisation et de gestion du contentieux de masse. Il a
rappelé que le système judiciaire anglais et gallois, issu d'un
passé ancien se révélait aujourd'hui, faute de
rationalisation, particulièrement coûteux et imprévisible.
Il a précisé que ces graves dysfonctionnements conduisaient les
plaideurs à transiger avant l'audience dans plus des trois quarts des
litiges civils.
Après avoir souligné l'absence de mise en état et le
niveau important de rémunération des professions juridiques, il a
décrit la procédure particulière du " payment
in ", qu'il a qualifiée de " quitte ou double "
judiciaire.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que la réforme
proposée par Lord Woolf, Président de la Chambre civile de la
Cour d'appel, aurait pour objet de rationaliser la procédure civile
devant les juridictions en instaurant une mise en état et en facilitant
l'accès à la justice, sans toucher aux
" magistrates'courts ".
A propos des " magistrates' courts " composées de 30.000
juges
bénévoles et traitant 98 % du contentieux pénal ainsi que
quelques affaires civiles, il a évoqué la proposition de
rénovation des tribunaux d'instance français, formulée par
la mission d'information de la commission des lois sur les moyens de la justice.
Il a estimé que, sous réserve d'une formation juridique
appropriée, le recrutement de ce type de juge permettrait, tout en
respectant les contraintes budgétaires, d'améliorer le traitement
des contentieux de masse, soit au travers d'une magistrature à titre
temporaire qui avait sa préférence, soit au travers de la
médiation.
M. Charles Jolibois, président de la mission, a mis en exergue le
contraste entre le développement des techniques de négociation,
les méthodes de travail et l'envergure internationale des cabinets
britanniques en matière commerciale, d'une part, et, d'autre part, la
lenteur, le coût de la justice anglaise et
l'imprévisibilité des solutions. Il s'est félicité
du pragmatisme des propositions de Lord Woolf et s'est intéressé
particulièrement à l'éventualité de la mise en
place de trois filières de traitement du contentieux civil ainsi
qu'à la transposition possible en France des méthodes
alternatives de résolution des conflits, ADR (Alternative Dispute
Resolution), expérimentées dans les pays anglo-saxons.
M. Robert Badinter s'est félicité de la richesse des entretiens
organisés à Londres et de la clarté du rapport. Il a
insisté sur l'impossibilité de détacher un système
judiciaire de la culture historique d'un pays, si bien qu'il lui est apparu
vain de vouloir " plaquer " en France des éléments du
système britannique. S'agissant de la Grande-Bretagne, il a
constaté que son système judiciaire n'avait pu faire face
à l'inflation du contentieux et que la " Rolls Royce "
décrite par Lord Woolf se trouvait donc en panne. Il a notamment
remarqué que le montant des frais à la charge du perdant, trop
souvent supérieur à l'enjeu du litige, rendait la justice
inaccessible aux classes moyennes, à la différence des
catégories plus aisées ou, grâce à l'aide
judiciaire, des plus pauvres. Il a marqué sa satisfaction de voir
l'Angleterre envisager d'infléchir son système accusatoire pour y
introduire la mise en état. Il a indiqué que la mission
d'information l'avait confirmé dans l'idée que le système
judiciaire français ne pourrait faire face à la croissance
exponentielle du contentieux civil ou commercial par la seule augmentation du
budget ou du nombre des magistrats qui, en tout état de cause, ne serait
jamais à la hauteur de l'augmentation exponentielle de la demande de
justice.
Il a marqué la nécessité d'explorer des voies nouvelles en
constatant l'avance prise par les pays anglo-saxons en la matière.
M. Robert Badinter s'est prononcé pour le retour à des
méthodes anciennes permettant au corps social de sécréter
des lieux de résolution des conflits n'impliquant pas
nécessairement le recours au juge et correspondant aux besoins de chaque
milieu. Il a pris l'exemple des référés arbitraux à
la Bourse de Londres, du contentieux familial et de l'instance d'arbitrage de
la presse anglaise.
Il a en revanche estimé peu transposables dans la culture
française les " magistrates'courts ".
Il a souhaité voir la commission poursuivre sa réflexion sur les
expériences européennes.
M. Patrice Gélard a souligné l'extrême professionnalisme et
la modernité des " sollicitors " qui constituaient de
véritables cabinets d'ingénierie juridique comportant plusieurs
centaines de membres avec de nombreuses succursales à travers le monde.
Il a insisté sur la souplesse du dispositif proposé par Lord
Woolf et souhaité qu'il permette d'améliorer l'accès des
classes moyennes aux juridictions civiles. Il a suggéré la
poursuite d'études comparées dans d'autres pays européens,
notamment l'Allemagne.
M. Jacques Larché, président, a rappelé que la mission
d'information dépêchée à Londres avait eu pour
origine les entretiens auxquels il avait procédé à Paris
avec des praticiens français et anglais sur la réforme
proposée par Lord Woolf et sur les méthodes alternatives de
résolution des conflits.
Après que la commission eut évoqué la poursuite de
missions d'information ponctuelles en Allemagne, en Italie et en Espagne, M.
Michel Dreyfus-Schmidt a suggéré la désignation de deux
sénateurs pour chaque pays.
La commission a autorisé la publication du rapport de la mission
d'information de MM. Charles Jolibois, Pierre Fauchon, Robert Badinter et
Patrice Gélard.
REMERCIEMENTS
La mission d'information de la commission des Lois tient
à remercier tous ceux qui ont contribué au bon déroulement
de sa visite, tout particulièrement, en respectant la chronologie des
entretiens :
- M. James Burnett-Hitchcock, senior litigation partner, et Me Antoine
Adeline, avocat, ainsi que leurs confrères du cabinet Cameron Markby
Hewitt ;
- Lord Woolf, Master of the Rolls ;
- Sir Richard Scott, vice-chancellor ;
- M. Michaël Napier, Law Society ;
- Mmes Leanne Hedden et Margaret Hodgson, Chancellerie ;
- Me Monique Fauchon et Me Michel Levy, avocats à la Cour d'Appel de
Paris ;
- M. Richard Freeman, City Dispute Panel Limited ;
- M. Nicolas Pryor, Centre for dispute Resolution ;
- Son excellence M. l'Ambassadeur Jean Gueguinou ;
- Judge Butter et Judge White, Central London County court.