III. ENJEUX ET RISQUES POUR LES INVESTISSEMENTS FRANÇAIS EN INDE
A. EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES DES RESPONSABLES D'ENTREPRISES, TABLE RONDE PRÉSIDÉE PAR M. JEAN FRANÇOIS-PONCET
M. le Président
. -
Mesdames, Messieurs,
nous allons, si vous le voulez bien, démarrer notre table ronde. C'est
une table ronde qui, comme vous le savez, est consacrée aux
expériences et aux opinions des industriels français
installés en Inde.
J'ai à mes côtés M. Beffa, Président de
Saint-Gobain, à sa droite, M. Riboud, Président de Danone, et
à ma gauche, M. Ailleret, Directeur Général d'EDF. Je les
remercie d'être venus.
Je n'ai pas besoin de vous dire qu'ils sont tous très pris et qu'ils
nous font un sacrifice de leur temps, dont je voudrais leur dire qu'il est
hautement apprécié. Mais nous avons absolument besoin, pour nous
éclairer, de savoir comment, concrètement, ces grands industriels
vivent leur implantation en Inde. Quels sont les projets qu'ils peuvent avoir
sur l'Inde. Quelles conclusions tirent-ils ? Comment voient-ils
l'Inde ? Je crois pouvoir dire qu'ils sont tous les trois installés
aussi en Chine. Ce n'est pas sans intérêt car cela a
été le thème de notre propre rapport, dont le fil
conducteur était de chercher à comparer l'Inde et la Chine.
Comment peut-on réagir à l'égard de ces deux pays.
Naturellement, M. Banker, Président de la Fédération des
chambres de commerce d'Inde prendra part à nos travaux. Nous formons ce
que les Anglais appellent un " high powered comity " réuni
ici, qui, je l'espère, va nous éclairer. Nous avons d'autres
hôtes indiens extrêmement distingués qui sont ici et je
voudrais à nouveau les saluer, ainsi que les ambassadeurs, sous
l'égide desquels nous délibérons.
Nous allons commencer par M. Beffa qui je crois part en Asie. Il nous quitte
pour sauter dans un avion, ou presque. Nous continuerons ensuite avec M. Riboud
et M. Ailleret. Nous pourrons ensuite écouter les commentaires de M.
Banker et ouvrir le dialogue. Vous avez la parole.
1. Intervention de M. Jean-Louis
Beffa,
président-directeur général de Saint-Gobain
M. Jean-Louis Beffa
. -
Monsieur le
Président, merci de me donner l'occasion de présenter, non pas
l'histoire d'un groupe présent depuis longtemps, de façon
importante, en Inde, mais l'évolution d'un groupe qui a, si les
circonstances s'y prêtent, et si tel est le souhait du gouvernement
indien, la volonté de s'y installer sérieusement.
Voilà ce que je vais expliquer, en indiquant pourquoi nous ne l'avons
pas fait jusqu'à présent, ce que nous avons tout de même
déjà fait, et ce que nous souhaiterions faire si le climat
politique, économique, réglementaire, s'y prête, et la
façon dont nous souhaitons le faire, si ceci convient également
à l'Inde.
Je dirai tout d'abord que Saint-Gobain, aujourd'hui, n'est présent que
de façon modeste en Inde, mais tout de même réelle. Ce qui
a l'immense avantage, par rapport à qui ignore tout de l'Inde, de
pouvoir disposer d'une certaine base de connaissance, de compréhension,
et d'un noyau de responsables indiens qui peuvent guider l'action d'un groupe
comme le nôtre. Ma première recommandation serait qu'il est
très important d'avoir cette base, même si au départ, elle
est petite, car il est évident que pour comprendre ce qui se passe en
Inde, et pour un groupe comme le nôtre pour s'y implanter, le fait de ne
pas avoir que l'expérience de non Indiens et, surtout, à la
limite, l'expérience de Français connaissant parfois moins
certaines réalités internationales comme l'Asie, au sens large,
et l'Inde, en particulier, est bien utile.
Je voudrais rappeler rapidement pourquoi nous ne sommes pas, au fond, encore
suffisamment présents en Inde. La première raison tient au
contexte général. Pendant un temps, l'Inde a été
moins que, me semble-t-il maintenant, ouverte à des implantations sur
son territoire pour servir son marché et, pour une part, pour exporter
à partir de l'Inde, à une implantation de capital
étranger, ce capital étranger jouant véritablement le
rôle d'opérateur industriel. Un groupe comme Saint-Gobain n'a pas
pour stratégie de transférer des technologies ou de vendre des
licences. Nous ne l'avons pas fait, mais nous sommes disposés à
investir dans ce pays, si un certain nombre de conditions sont remplies. Nous
pensons qu'il y a de plus en plus de pays sur la planète qui remplissent
ou cherchent à remplir ces conditions : une économie de
marché, une propriété privée des entreprises, et la
possibilité, pour des entreprises étrangères, de disposer
et d'apporter de façon transparente leur meilleure technologie, tout en
étant majoritaire, au moins, dans le capital des entreprises.
Pendant tout un temps, ce contexte n'existait pas autant, nous semble-t-il, que
maintenant, en Inde, et c'est une des raisons pour lesquelles notre groupe ne
s'y était pas encore implanté, de la même façon dont
il est, le cas échéant, prêt à le faire maintenant.
La deuxième raison ressortit à notre groupe. Dans le cadre de son
internationalisation, nous avions placé deux priorités avant, non
seulement l'Inde, mais même l'Asie au sens général. Les
Etats-Unis, d'abord. Il nous paraît fondamental d'être très
présents aux Etats-Unis parce que, pour être en Inde, il est
important pour un groupe d'avoir une expérience américaine. Nous
réalisons aujourd'hui 25 % de notre chiffre d'affaires sur le
territoire américain.
Deuxièmement, nous étions pour des raisons historiques, en
Amérique Latine, au Brésil notamment, et nous avons donné
une certaine priorité au développement de cette activité
brésilienne qui représente aujourd'hui 10 % du chiffre
d'affaires de notre groupe, soit 1,5 milliard de dollars. Ces priorités
ont inscrit historiquement, l'Asie, et en particulier l'Inde, dans un certain
calendrier, avec un poids qui pour l'instant n'était que faible.
Comment avons-nous abordé l'Inde ? Cela a été la
conjonction d'un changement de volonté politique et de stratégie
de développement qui relèvent des autorités politiques
indiennes, mais également d'une nouvelle attitude de la
communauté des affaires indiennes, qui est prête, aujourd'hui,
à un partenariat d'une nature un peu différente de ce qu'elle
envisageait auparavant ; et enfin, de la volonté de profiter du
développement des zones dans lesquelles nos types de marchés se
développent. Il y avait la détermination, pour notre entreprise
d'être désormais aussi globale que possible dans un certain nombre
de ses métiers.
Il ne s'agit pas d'une stratégie de la délocalisation, mais d'une
démarche qui consiste à être présents en Inde avec
les meilleures technologies pour les besoins du marché indien et, pour
une part raisonnable, pour l'exportation qui, de facto, se trouvera en
concurrence avec la même politique que nous mènerons en Chine,
mais qui ne sera peut-être pas, vis-à-vis des exportations, vers
les mêmes zones géographiques. Nous voyons une implantation
chinoise, non pas comme opposée à une implantation indienne, mais
comme totalement complémentaire. Il ne nous paraît pas raisonnable
de mettre tous nos investissements de développement dans la zone
asiatique, de façon excessive, dans un seul pays comme la Chine. Il
s'agit de répartir nos investissements au sein de pays qui offriront des
opportunités différentes. Nous avons donc une stratégie
qui souhaite distribuer nos investissements en paquets raisonnablement
équilibrés entre la Chine, la Thaïlande, l'Indonésie,
la Corée, et bien entendu, l'Inde.
A l'inverse, l'Inde, si elle le souhaite, nous paraît devoir être
une partie indispensable de notre dispositif. Nous avons obtenu cette
expérience indienne, réelle, de terrain, d'une façon
indirecte quand nous avons acquis la société Norton en 1990.
Celle-ci, contrairement à nous-mêmes, avait eu la sagesse de
s'implanter en Inde, depuis de nombreuses années, au sein de la
société Grindwell Norton, cotée en bourse, et dans
laquelle la société Norton, c'est-à-dire Saint-Gobain, se
partageait le capital avec un famille d'industriels indiens.
Notre première démarche a été de développer
cette société. Nous avons étendu ses activités,
nous avons investi, nous avons apporté au sein de cette
société de nouvelles technologies. En même temps, nous
avons acquis, en accord avec la famille partenaire industrielle indienne, une
partie importante du capital en pleine amitié.
Cette société avait l'immense avantage d'avoir une équipe
de gestion de nationalité indienne qui nous est apparue comme
particulièrement compétente. Nous avons renforcé notre
relation avec le leader de cette équipe en lui donnant une
responsabilité pour l'ensemble de notre groupe, car nous pensions qu'il
pouvait nous éviter beaucoup d'erreurs, de bêtises, et
d'incompréhensions. Nous avons fait ensuite une étude des
marchés qui se développaient en Inde et qui correspondaient
à nos technologies.
Nous avons donc cette implantation qui est aujourd'hui modeste : cette
société réalise environ 200 millions de francs de chiffre
d'affaires avec une rentabilité très acceptable. Grâce
à l'appui que nous a donné ce management indien, nous avons pris
une deuxième participation dans une unité de transformation, avec
une autre famille, pour développer du verre automobile. Nous venons
maintenant de franchir une troisième étape : nous sommes
prêts, si le gouvernement indien en est d'accord, à investir
120 millions de dollars pour réaliser une grande usine de verre
" float ", à destination du marché indien et de
l'exportation, dans les Etats du sud de l'Inde, puisque cette région ne
dispose pas aujourd'hui d'une telle unité, alors que deux usines,
américaine et japonaise, existent dans d'autres zones
géographiques.
Nous sommes en train de bâtir un partenariat au capital, pour cela, en
souhaitant une majorité. Nous associerons les intérêts
familiaux indiens, déjà présents dans la
société que nous avons en commun avec eux. Nous sommes
prêts à jouer notre rôle d'industriel en transférant
nos meilleures technologies. Nous regardons aujourd'hui d'autres projets, dans
d'autres métiers du groupe, qui nous permettraient de bâtir
progressivement un pôle de Saint-Gobain, apportant les meilleures
technologies disponibles au service du développement de l'emploi indien,
de la production indienne, avec une volonté exportatrice, si l'on nous
accueille positivement. Nous sommes prêt à nous engager et, en
tout cas, à risquer 120 millions de dollars sous la
responsabilité totale de notre groupe, dans ce pari, si,
concrètement, nous sommes les bienvenus. Il est certain que nous
regardons ces projets en complément avec des projets de
développement en Chine, en Thaïlande, au Mexique, en Pologne, et
dans d'autres pays.
Notre vocation est d'être global et d'aller dans les pays
émergeants. Nous le ferons en Inde avec un management indien. Le
responsable, M. Anand Mahajan vient d'être nommé
délégué du groupe pour l'ensemble de l'Inde et c'est lui
qui va gérer nos affaires dans ce pays. Nous pensons qu'un Indien est
beaucoup plus qualifié pour cela que nous-mêmes.
Voilà, Monsieur le Président, une expérience courte avec
une ambition importante, à la hauteur de cet immense pays, qui a
commencé petit, et qui, je l'espère, fera boule de neige, comme
nous l'avons fait dans d'autres parties de la planète.
M. le Président
. -
C'est récent, mais c'est
prometteur et très encourageant.
Monsieur Riboud, je vous donne la parole.