IV. CONCLUSION ET SYNTHÈSE DES TRAVAUX
M. Jean François-Poncet
- Monsieur le
Ministre, Messieurs les Ambassadeurs, M. le président Mentré,
nous arrivons à la fin de cette journée, que le ministre a
conclue avec les accents d'un volontarisme qui aura fait sûrement plaisir
à tous !
En effet, nous avons débattu très librement des problèmes
qui se posent. Nous avons, au cours des vingt dernières années,
gagné et perdu du terrain par rapport à un certain nombre
d'autres pays. Ainsi, l'époque du dirigisme indien, de la planification
économique, à l'époque où les contrats
étaient des contrats d'Etat, nous occupions la cinquième position.
Or, depuis que la politique indienne a basculé vers le
libéralisme et l'ouverture, nous n'avons pas perdu de positions en
chiffres absolus, mais nous avons été rattrapés et
dépassés par un certain nombre d'autres pays.
Vous avez bien fait de rappeler à nos amis indiens que ceci ne
reflète en rien la situation de l'économie et de l'industrie
française dans le monde, ni sur le plan des exportations, ni sur celui
des investissements, car nous nous plaçons parmi les quatre ou cinq
premiers dans le monde occupant, parfois la troisième, voire la
deuxième place.
Il existe par conséquent un déficit spécifique aux
relations franco-indiennes.
Nous avons passé en revue les différents aspects, dans la mesure
où on peut le faire dans une journée. Avec M. Amado, nous avons
exploré les spécificités de la civilisation indienne et
constaté que, si ces spécificités sont fortes, elles ne
constituent en rien un obstacle au développement, à
l'évolution, aux changements économiques.
A l'inverse, elles constituent peut-être un élément de
stabilité du corps social indien et, à ce titre, elles doivent
nous encourager et non nous rebuter, contrairement à ce que certaines
représentations un peu simplistes de la situation en Inde voudraient
nous faire croire.
Nous avons aussi examiné le marché. Vous avez pu observer
quelques sourire tout à l'heure dans la salle, et je vais vous dire
pourquoi : en effet, nous savons que les 950 millions d'Indiens ne constituent
pas le marché. Seule une fraction le compose. Le débat est ouvert
sur ce point...
Selon les interlocuteurs -mais aussi selon les produits- ce marché est
comme un accordéon. Les plus optimistes estiment qu'un tiers environ des
Indiens forment ce marché. C'est l'avis de l'ambassadeur, mais il est au
moins autant le représentant de l'Inde à Paris que le
représentant de Paris à Delhi ! Ayant été
moi-même diplomate -et de surcroît ministre des affaires
étrangères- je sais qu'il doit en être ainsi...
Cependant, le chiffre de 300 millions constitue la fourchette la plus large. M.
Gastaut, qui représente Renault, du point de vue des besoins en voitures
particulières, a cité le chiffre de 10 millions, espérant
être, en l'an 2010, à 40 millions ! C'est dire que l'objectif des
300 millions n'est pas pour le très proche avenir !
En Inde également, selon les interlocuteurs, les évaluations
varient, mais elles diffèrent aussi en fonction des produits qu'on veut
vendre.
Lors de notre mission, nous avons rencontré un certain nombre
d'industriels français à Bombay, qui nous ont donné des
évaluations variables. Bien que nous n'ayons pas de raisons de les
mettre en doute, si le chiffre de 80 millions est le chiffre du ministre
français du commerce extérieur, c'est évidemment celui que
nous retiendrons dans l'immédiat.
L'autre observation, très importante, à propos de laquelle on a
aussi entendu des jugements contradictoires -bien que je croie qu'il n'y a pas
de doute quant à la réponse- concerne la continuité de la
nouvelle politique économique en Inde.
Ainsi, à la lumière des dernières élections
indiennes, les collaborateurs d'Antoine Riboud s'interrogent sur la
pérennité de la nouvelle politique économique qui a
démarré en 1991. C'est un point de vue que je ne partage pas
personnellement ! Comme MM. les ambassadeurs, mais aussi comme le
président de la chambre de commerce et d'industrie franco-indienne, M.
Francis Doré, je crois que la politique économique indienne
connaît un virage définitif et que l'on peut miser dessus.
Bien entendu, il peut exister des interrogations -et nous en avons entendues-
de mauvaises informations, un mauvais jugement politique de la part des uns ou
des autres...
Quant aux relations franco-indiennes, dont le président Doré a
parlé de façon fort juste, elles ont sûrement un grand
potentiel, mais il est sûrement nécessaire de s'en occuper. Vous
avez dit que c'était l'une de vos priorités : c'est ce que nous
souhaitions entendre de votre part !
Nous avons également été heureux d'entendre M. de Ricaud.
Il existe à l'ambassade de France non seulement un ambassadeur, mais
aussi tout un service commercial, à Bombay. Vous nous avez laissé
espérer -et je pense que le ministre saura tenir les promesses du
conseiller commercial à Delhi- une antenne à Bangalore, où
nous avons sûrement besoin d'une représentation, car c'est un Etat
qui est doté de technologies de pointe.
N'oublions pas le conseil du représentant d'Elf : dans les entreprises
qu'on lance, la qualité des hommes et des partenaires constitue une
donnée essentielle. C'est ce que nous avons entendu durant notre visite,
et c'est par là que je terminerai...
Nous avons rencontré un grand nombre de chefs d'entreprise
français, et nous avons tenu à Bombay, avant de partir, une table
ronde avec une dizaine de chefs d'entreprises français.
Ils nous ont parlé des perspectives, des difficultés, des
obstacles et des problèmes que l'on peut rencontrer avec cette admirable
administration indienne à laquelle il faut tirer notre chapeau, car elle
est d'une qualité supérieure ! Mais, s'agissant des
administrations, j'observe depuis longtemps que les chefs d'entreprise
préfèrent qu'il n'y ait pas d'administration du tout plutôt
qu'une excellente administration ! C'est ce qu'ils pensent de l'administration
française, et nous avons entendu autant de compliments sur
l'administration indienne que j'en entends souvent à propos de
l'administration française -dont nous nous plaisons à penser que
c'est la première du monde : c'est pourquoi nous pestons contre elle !
Lors de cette table ronde, tous les industriels nous ont dit en conclusion que
si c'était à refaire, ils le referaient, qu'ils étaient
tous très heureux d'être installés en Inde. Une comparaison
m'a frappé -et j'en reviens au marché : en effet, ils nous ont
dit que le marché indien est comme un buvard. Il absorbe tout ce qu'on
lui donne. Je crois que c'est cette image qu'il faut retenir, car l'Inde
d'aujourd'hui, et plus encore celle de demain, constitue un immense
marché.
Si l'on s'y installe -et nos amis indiens le souhaitent- c'est
évidemment pour exporter à partir de l'Inde, mais c'est avant
tout pour satisfaire un immense marché intérieur qui, soyez-en
assurés, pèsera très lourd dans l'Asie et l'Europe de
demain !
On peut se demander si c'est le lièvre chinois ou la tortue hindoue qui
parviendra au but en premier. L'avenir nous le dira... Est-ce cette combinaison
de dictature et de liberté d'entreprise qui caractérise la Chine,
ou au contraire cette véritable démocratie qui, désormais,
s'appuiera aussi sur une économie de marché, qui l'emportera ?
... Ceux d'entre vous qui seront encore parmi nous dans une trentaine
d'années -Mesdames, je n'en doute pas, ainsi que la plupart des
messieurs que je vois ici, à l'exception de moi-même- en
décideront !