II. LE SYSTÈME JUDICIAIRE NE S'EST QUE TRÈS PARTIELLEMENT ADAPTÉ
Face à cette profonde transformation de la demande de justice, les efforts d'adaptation du système judiciaire n'ont pas été à la hauteur des besoins, tant en ce qui concerne l'importance des moyens humains ou matériels que leur répartition.
1. Les moyens humains n'ont pas répondu aux besoins
L'évolution des moyens humains n'a pas été en proportion de celle du contentieux, en dépit de la progression globale des effectifs, de tentatives d'assouplissement de leur gestion et d'un recours accru à des procédures plus rapides.
a) Des effectifs de magistrats et de greffiers insuffisants malgré leur lente progression globale, notamment en raison des nombreuses vacances de postes
La période récente a certes été
marquée par un effort budgétaire appréciable en faveur du
renforcement des effectifs
des services judiciaires.
En effet, la loi de programme quinquennale du 6 janvier 1995 relative à
la justice a prévu la création de 300 postes
supplémentaires de magistrats professionnels, ainsi que de 835 emplois
de greffe (auxquels il convient d'ajouter la levée de mise en
réserve de 185 emplois),
soit une augmentation de l'ordre de 5 %
des effectifs sur cinq ans, alors que 118 emplois de magistrats et 403 emplois
de greffe avaient été créés de 1989 à
1993.
Le début d'application de cette loi de programme a ainsi
été caractérisé, en 1995, par la création de
60 emplois de magistrats et de 23 emplois de fonctionnaires, ainsi que par
le " dégel " de 185 postes de fonctionnaires. La loi de
finances pour 1996 a en outre prévu la création de
60 nouveaux emplois de magistrats et de 190 nouveaux emplois d'agents des
greffes. En revanche, le projet de loi de finances pour 1997 annonce
l'étalement sur une année supplémentaire du plan
quinquennal qui s'achèverait en 2001 au lieu de l'an 2000.
S'agissant des seuls magistrats, ce sont au total six à sept cents
postes qui ont été créés au cours des quinze
dernières années en tenant compte des deux premières
années du plan, selon les déclarations de M. Marc Moinard,
à l'époque directeur des services judiciaires, lors de son
audition devant la mission d'information, soit environ + 10 % des effectifs,
chiffre à rapprocher de l'augmentation des contentieux allant
jusqu'à son triplement (cf graphique ci-dessous) pendant la même
période.
Source : Mission Moyens de
la justice Sénat
On comprend dès lors que la quasi-totalité des responsables de
juridictions ayant répondu à l'enquête de la mission ait
fait état d'une insuffisance de leurs effectifs, tant en magistrats
qu'en fonctionnaires.
Si le niveau global des effectifs budgétaires est mis en cause, c'est
plus encore le
nombre élevé de vacances de postes
qui est
essentiellement déploré par les chefs de juridictions.
Il s'agit tout d'abord des vacances de postes
" officielles ",
résultant du décalage (de plusieurs mois au minimum),
régulièrement constaté entre les départs et les
arrivées lors des mutations, de difficultés à pourvoir
certains postes de magistrats
17(
*
)
, des délais de formation des
personnels recrutés pour les postes nouvellement créés,
des détachements, mises à disposition ou disponibilités....
De fait, les statistiques de la Chancellerie elles-mêmes font
apparaître un important décalage entre effectifs
budgétaires et effectifs réels :
|
|||
|
Effectif budgétaire |
Effectif réel |
Taux de vacance |
Magistrats |
6.029 |
5.807 |
3,7 % |
Fonctionnaires |
18.639 |
18.358 |
1,5 % |
A ces vacances de postes au sens strict viennent s'ajouter de
fréquentes vacances temporaires causées par le non-remplacement
des magistrats ou des fonctionnaires lorsqu'ils sont momentanément
absents (par exemple au cours d'un congé de maternité, d'un
congé de maladie ou d'un stage de formation...).
En particulier, la féminisation croissante des corps (qui atteint
globalement 46 % chez les magistrats et, chez les fonctionnaires,
47 % pour la catégorie A, 68 % pour la catégorie B et
42 % pour la catégorie C et peut aller, dans certaines
juridictions, jusqu'à 70 % chez les magistrats et 95 % chez
les fonctionnaires) a entraîné une multiplication des
congés de maternité, source de fréquentes vacances
temporaires mal anticipées.
En outre, les magistrats formés par l'Ecole nationale de la magistrature
n'exercent pas tous dans les juridictions. Actuellement, 213 sont en
détachement, 73 en disponibilité et 171 en administration
centrale.
Enfin, les difficultés liées aux vacances de postes sont accrues,
dans les greffes, par l'absence de compensation intégrale du
travail
à temps partiel
, particulièrement développé
parmi les fonctionnaires judiciaires (le temps partiel concerne, dans certaines
juridictions, jusqu'à 80 % des effectifs des greffes). Ce
problème a été très fréquemment
dénoncé par les responsables de juridictions dans leurs
réponses à l'enquête de la mission.
Au total, les greffes se trouvent fréquemment en situation de
sous-effectif critique. A titre d'exemple, dans un tribunal de grande instance
d'une grande ville de province, avec un effectif budgétaire de 112
fonctionnaires, "
l'effectif utile s'est situé au cours des
trois dernières années entre 75 et
90 fonctionnaires
" ; dans un autre tribunal de grande
instance,
c'est un tiers de l'effectif du greffe qui manque sur le terrain.
La situation n'est pas toujours plus satisfaisante pour les magistrats, les
effectifs n'étant que très rarement au complet. Ainsi, un
président de tribunal de grande instance fait état d'un effectif
de magistrats complet pendant neuf mois seulement en huit ans...