ANNEXE 6 -
COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA MISSION DU 23
OCTOBRE 1996
M. Charles Jolibois, président,
a rappelé
que la réunion avait pour objet l'adoption du rapport
présenté par
M. Pierre Fauchon, rapporteur
,
conformément aux orientations décidées lors de la
précédente réunion.
M. Pierre Fauchon, rapporteur,
a tout d'abord fait état des
conclusions de l'enquête menée par la Conférence des
bâtonniers auprès de l'ensemble des barreaux. Il a indiqué
que leur constat recoupait celui de la mission en faisant état d'un
manque de moyens caractérisé par l'insuffisance des effectifs de
magistrats, de greffiers et de fonctionnaires, quelques juridictions
étant qualifiées de " totalement sinistrées ".
Des délais très variables sont observés selon les
ressorts, le délibéré pouvant atteindre jusqu'à
sept ou huit mois, voire exceptionnellement un an. En revanche, le
mécanisme de la mise en état est jugé plutôt
efficace.
Les délais leur apparaissent particulièrement longs en appel avec
des conséquences irréversibles lorsque l'exécution
provisoire a été ordonnée. Enfin, l'exécution
connaît des dysfonctionnements généralisés pour
l'obtention de la copie de la décision (jusqu'à deux à
trois mois), ou la délivrance des jugements de divorce ou d'adjudication
-à tel point que certains barreaux ont dû mettre à
disposition des juridictions des dactylographes pour taper les jugements.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur
, a ensuite indiqué que ses
propositions pouvaient être regroupées en trois thèmes:
l'évolution nécessaire de la carte judiciaire, l'actualisation
des moyens et de la gestion des juridictions et la rénovation du
traitement du contentieux de masse.
Il a tout d'abord présenté sept propositions tendant à
l'élaboration d'une nouvelle carte judiciaire qui prenne acte des
évolutions durables du flux et permette d'établir un plan de
transition de la carte actuelle à une carte réaliste, en
intégrant d'éventuels regroupements susceptibles de permettre une
spécialisation effective au sein des TGI ainsi que des
redéploiements des effectifs favorisés par l'aide à la
mobilité des magistrats et l'instauration d'une durée maximale
d'affectation.
M. Charles Jolibois, président,
a indiqué qu'il lui
apparaissait nécessaire que soit rendu public le schéma
général qui permettrait sur plusieurs années de
prévoir l'évolution de la carte judiciaire et de
réfléchir localement en prévision de cette
évolution. Il s'est dit particulièrement préoccupé
du blocage de certaines juridictions en raison de l'immobilité de
quelques chefs de juridiction favorisée par l'inamovibilité et a
rappelé la proposition du Garde des Sceaux de plafonner à 7 ans
l'exercice de ces fonctions.
M. Robert Badinter
s'est félicité de cette première
orientation sur la carte judiciaire basée sur les nombreux travaux
permettant de la concrétiser rapidement mais a rappelé l'absence
de volonté politique constatée jusqu'alors pour la faire aboutir.
MM. Pierre Fauchon
et
Charles Jolibois
ont estimé
particulièrement utile dans ces conditions que la mission se prononce en
ce sens.
En réponse à
M. Guy Allouche
,
M. Pierre Fauchon
a
indiqué que la spécialisation des juges devrait également
être intégrée dans cette prévision.
Après s'être déclaré défavorable aux
audiences foraines,
M. Robert Badinter
s'est inquiété des
modalités de mise en oeuvre d'une durée maximale d'affectation
des magistrats, difficile à imaginer sans réforme
constitutionnelle en raison du principe d'inamovibilité des magistrats
du siège.
M. Pierre Fauchon
a partagé cette préoccupation et
indiqué qu'il s'agissait d'exprimer une orientation
générale, laquelle pourrait s'appliquer dans un premier temps aux
chefs de juridiction ou aux présidents de chambre, dans l'esprit du
dispositif proposé par le plan de modernisation du Garde des Sceaux.
S'agissant des mesures d'actualisation et d'amélioration de la gestion,
après l'adoption d'une proposition sur le développement du
télétravail,
M. Robert Badinter
a estimée
essentielle la proposition du rapporteur tendant à affirmer la
nécessité de procéder aux recutements de magistrats
programmés en 1995, à l'exclusion de tout
prélèvement pour une nouvelle réforme.
MM. Charles Jolibois, président
et
Pierre Fauchon
,
rapporteur
, ont confirmé leur attachement à ce principe
basé sur la volonté exprimée par les chefs de juridiction
de chiffrer l'incidence de toute nouvelle réforme sur leurs effectifs.
M. Germain Authié
, rapporteur pour avis des crédits des
services judiciaires, a confirmé l'expression de cette volonté
lors des entretiens préparatoires à l'examen du budget.
Sur l'augmentation des effectifs de greffe,
M. Pierre Fauchon,
rapporteur
, a rappelé, en accord avec
MM. Robert Badinter et
Germain Authié
qu'il s'agissait de faire face aux difficultés
d'obtention des décisions, ce dernier se préoccupant
particulièrement du respect des tâches respectives de chaque
catégorie.
Sur la diversification des modes de recrutement des magistrats,
MM. Pierre
Fauchon et Robert Badinter
ont regretté la
sévérité de la commission d'intégration laquelle
tarit une source utile de recrutement.
A suite d'une intervention de
M. Robert Badinter
, la mission a
adopté une proposition de
M. Jean-Jacques Hyest
sur la
nécessité de réguler le concours d'accès à
l'ENM en vue d'une gestion prospective des effectifs de magistrats.
La mission s'est prononcée pour un mouvement annuel unique de
magistrats, souhaité par les chefs de juridiction, après que
M. Jean-Jacques Hyest
se fut interrogé sur les difficultés
entrainées par les vacances imprévues en cours d'année.
Ont été ensuite adoptées plusieurs propositions tendant
à éviter ou faciliter la résorption des vacances:
compensation intégrale des temps partiels, accroissement du nombre des
magistrats et greffiers placés, extension du mécanisme du
placement aux autres catégories et mise en place effective des
magistrats à titre temporaire et des conseillers de cour d'appel en
service extraordinaire.
La mission a unanimement souhaité l'augmentation sensible du nombre des
assistants de justice au vu des expériences rencontrées sur le
terrain.
M. Germain Authié
a cependant rappelé les
réticences des greffiers en chef à l'égard de cette
extension tandis que
M. Robert Badinter
marquait l'intérêt
de ces fonctions pour les étudiants du troisième cycle.
A été ensuite adoptée la proposition du rapporteur
relative à la création de postes de gestion au sein des
juridictions, pourvus par l'affectation d'un administrateur placé sous
l'autorité du chef de juridiction, approuvée par
M. Robert
Badinter
.
En matière d'équipements informatiques, la mission a
souhaité que l'effort d'harmonisation des matériels soit
poursuivi, que la maintenance locale soit développée et que les
juridictions du premier degré retrouvent la faculté d'utiliser
des crédits de leur budget de fonctionnement pour remplacer les petits
équipements défaillants.
M. Germain Authié
a
confirmé le souhait des juridictions, relayé par
M. Pierre
Fauchon,
d'une plus grande décentralisation en la matière.
La mission a également adopté une proposition tendant à
l'amélioration de la documentation mise à la disposition des
magistrats (législation, réglementation, jurisprudence et
doctrine actualisées, le cas échéant sous forme de bases
documentaires informatisées).
Après que
M. Jean-Jacques Hyest
eut rappelé que dans les
grandes juridictions ou celles dispersées sur plusieurs sites les
greffiers en chef ne pouvaient prendre en charge directement les transferts
opérés par la loi du 8 février 1995, la mission a
adopté la proposition du rapporteur tendant à étendre ces
transferts aux greffiers.
Sur la participation des magistrats à des commissions
extrajuridictionnelles, après les interventions de
MM. Robert
Badinter
et
Jean-Jacques Hyest,
la mission a souhaité que
soit repensée cette participation, utile dans certains cas (commission
électorale, comité de prévention de la délinquance)
moins adaptée dans d'autres.
Sur la composition des formations de jugement, la mission a estimé que
la volonté de réduire les délais ne pouvait justifier une
extension du domaine du juge unique, au-delà de simples ajustements de
cohérence, et, qu'en tout état de cause, une véritable
collégialité devait être maintenue en appel.
Elle a ensuite souhaité qu'en concertation avec les auxiliaires de
justice et pour accélérer la lecture des dossiers, les
formalités de saisine et la présentation des conclusions
écrites puissent être normalisées.
La mission a ensuite adopté une proposition de
généralisation du traitement direct en insistant sur la
nécessité de coordonner celle-ci avec l'organisation des
audiences.
En réponse à
M. Michel Rufin
qui s'enquérait de la
possibilité de généraliser les
délégués des procureurs effectuant des médiations
pénales,
M. Pierre Fauchon
a indiqué que cette pratique,
mise en oeuvre sous des appellations variées par de nombreux parquets
notamment au sein des maisons de justice, trouverait sa traduction dans sa
dernière proposition relative au traitement des contentieux de masse.
La mission a ensuite prôné l'automatisation de l'exécution
pour réduire les délais constatés, au civil et au
pénal entre, d'une part, le prononcé du jugement et, d'autre
part, l'obtention des décisions et leur exécution.
Répondant au souhait des magistrats qui constatent l'encombrement des
greffes généré par l'accès direct (absence de
filtre et demandes de mise en forme) ainsi que le ralentissement notable de
l'examen des dossiers en raison de leur présentation
hétérogène, la mission a souhaité, comme la
conférence des Présidents de la Cour d'appel, l'extension de la
représentation obligatoire par un avocat.
M. Charles Jolibois,
président,
a indiqué qu'il la souhaitait
particulièrement pour la saisine du juge de l'exécution dont
l'instauration sans moyens nouveaux avait submergé les juridictions.
M. Robert Badinter
a souhaité que la Chambre sociale de la Cour
de cassation en bénéficie également.
La mission a également souhaité que soit améliorée
l'information des justiciables, notamment demandeurs de l'aide
juridictionnelle, sur les conséquences du rejet de leur demande et que
soit assuré un meilleur contrôle des demandes d'aide
juridictionnelle pour éviter les abus.
M. Robert Badinter
a
insisté sur l'importance de l'aide juridictionnelle en période de
crise économique et la nécessité de ne pas étendre
les motifs de rejet des demandes.
Après que
M. Robert Badinter
eut estimé que
l'exécution provisoire permettait de limiter l'abus de recours à
l'appel et à la cassation, la mission n'a pas adopté une
proposition du rapporteur tendant à l'application plus effective des
sanctions pour recours abusif.
La mission a ensuite adopté une proposition ayant pour objet, selon les
conclusions de la conférence des Premiers présidents de cour
d'appel, d'interdire les demandes nouvelles en appel, hors actualisation du
dossier.
M. Robert Badinter
a estimé que cette proposition
n'accélèrerait que peu le traitement des affaires et qu'il eut
pû être souhaitable de retenir l'exception prévue par les
premiers présidents pour la demande autorisée par le juge de la
mise en état.
Après l'intervention de
M. Charles Jolibois, président,
pour rappeler l'état d'avancement de la navette parlementaire sur le
projet de loi portant réforme de l'organisation de la cour de cassation,
adopté par le Sénat sur son rapport, ainsi que sur la proposition
de loi de M. Pierre Mazeaud portant sur le même sujet, la mission a
marqué sa volonté d'instauration d'un mécanisme
d'admission des pourvois en cassation.
M. Pierre Fauchon, rapporteur,
a enfin présenté sa
dernière proposition destinée à favoriser le traitement du
contentieux de masse par des procédures spécifiques
nécessitant la redéfinition des compétences des tribunaux
d'instance. Il a souhaité que soit mise à l'étude une
réforme des tribunaux d'instance et des tribunaux de police s'inspirant
de la conception originelle des juges de paix, des actuelles maisons de justice
et de la spécificité du contentieux de masse : abondant,
répétitif, peu juridique et appelant une approche
personnalisée. Il a souhaité que cette procédure s'appuie
largement sur les magistrats à titre temporaire et permette la
généralisation des tentatives de conciliation au civil et au
pénal; à défaut le litige serait tranché au fond
par le même juge, condition essentielle de l'efficacité du
dispositif. Il pourrait statuer en amiable compositeur; l'appel pouvant soit
être réservé au-delà d'un certain seuil, soit
être limité à l'appel-nullité, dans l'esprit des
propositions de la conférence des Premiers présidents.
M. Robert Badinter,
après avoir rejoint le diagnostic du
rapporteur sur la nécessité d'une approche radicalement
différente pour le traitement du contentieux de masse et sur l'impulsion
à donner à la conciliation, s'est séparé de sa
proposition en estimant que le " tout judiciaire " n'était
plus viable face à l'afflux du contentieux. Citant l'exemple des
Etats-Unis où sont multipliés les modes de traitement alternatifs
face à la " folie judiciarisante ", il s'est prononcé
pour des médiations extrajuridictionnelles.
M. Charles Jolibois, président
, se référant aux
propositions des Premiers présidents, a souhaité que ces
procédures demeurent sous l'égide d'un magistrat.
M. Robert Badinter
n'a envisagé cette hypothèse que dans
la mesure où des véritables équipes de conciliateurs
seraient constituées et confirmé qu'il lui apparaissait
préférable, en l'état de ses réflexions, de mettre
fin au " tout judiciaire ", par exemple en matière
d'assurance, de copropriété ou de consommation, compte tenu des
blocages de la voie juridictionnelle.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a précisé qu'il ne
s'agissait ni d'une procédure préalable ni d'une voie
parallèle mais bien d'un dispositif spécifique avec garantie des
droits des parties.
M. Robert Badinter
a estimé qu'en tout état de cause le
juge devrait pouvoir choisir lui-même ses conciliateurs sur une liste
préétablie et s'est interrogé sur la limitation de la
proposition au seul niveau du tribunal d'instance.
M. Jean-Jacques Hyest
, rejoignant le rapporteur sur la
nécessité d'adapter les procédures à la
civilisation urbaine, a estimé que l'échec relatif des
conciliateurs devait être attribué à leur absence
d'autorité sur les parties. Il a souhaité que la nouvelle
procédure prévoie une telle autorité, sans qu'il soit
indispensable de se prononcer immédiatement sur les conditions d'appel
ni sur les fondements de la décision au fond.
A l'issue de ces interventions et de celle de
M. Germain
Authié
,
approuvant M. Robert Badinter,
la mission
a adopté la proposition du rapporteur ainsi amendée par
M. Hyest, puis l'ensemble du rapport.