ANNEXE 4 -
EXTRAITS DE L'AUDITION DE M. JACQUES TOUBON, GARDE DES
SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, PAR LA MISSION D'INFORMATION
LE 1ER OCTOBRE
1996
M. le Garde des Sceaux
- Monsieur le
Président de la mission d'information, Mesdames et Messieurs les
sénateurs, Monsieur le Président de la commission des lois, je
suis très heureux de me retrouver une nouvelle fois ici ce matin, pour
participer aux travaux que le Sénat a engagés, suivant une longue
tradition, sur le fonctionnement de la justice et ses moyens.
Vous avez, depuis des années, sous diverses formes, beaucoup
travaillé sur ces sujets, et je rappellerai simplement le fameux rapport
Haenel-Arthuis. Je me suis beaucoup réjoui de la création de
cette mission au printemps.(...)
Pour ma part, alors que la presse ne traite que des réformes
législatives, la priorité de mon action porte sur le
fonctionnement de la justice et sur les moyens de l'améliorer.
Bien que j'aie beaucoup moins d'ancienneté professionnelle que vous,
Monsieur le Président, cela a été aussi pour moi une
révélation et un très grand encouragement que de voir
comment fonctionne notre système judiciaire et quel potentiel il
recèle.
Voilà pourquoi je vais essayer de tenir devant vous des propos
extrêmement concrets, sans me perdre dans des déclarations d'ordre
général et liminaire...
En premier lieu, sans bien entendu prétendre étudier le budget
1997, je voudrais donner rapidement ici quelques chiffres qui me paraissent
caractériser la situation.
La loi de finances 1996 a été saluée comme un budget de
progrès pour le ministère de la justice. S'agissant des services
judiciaires, nous avons inscrit 526 emplois supplémentaires au budget
1996, et 1,134 milliard de francs d'autorisations de programme. Ainsi, nous
avons décidé de consacrer plus de 11 millions de francs à
la mise en place des assistants de justice, des conciliateurs et des magistrats
recrutés à titre temporaire, toutes propositions qui viennent
d'ailleurs des travaux du Sénat depuis quelques années. De la
même façon, nous avons inscrit 14 millions de francs pour la
sécurité et l'entretien des bâtiments judiciaires. C'est un
sujet, lorsqu'on visite les cours d'appel et les tribunaux, dont on voit bien
l'urgence...
Par rapport aux engagements du programme prévisionnel de la justice,
nous avons inscrit sur les années 1995 et 1996, pour les seuls services
judiciaires, environ 2,4 milliards de francs. En ce qui concerne les effectifs,
nous arrivons en gros à la moitié de la réalisation du
PPJ. Je crois donc que nous avons déjà fait des efforts
considérables.
Bien entendu, il ne suffit pas de voter le budget : encore faut-il
l'exécuter... De ce point de vue, j'ai réussi à obtenir le
dégel de 109 millions de crédits gelés depuis le
printemps, soit environ le quart de ces derniers. J'ai également
réussi à obtenir le dégel de 150 emplois, ce qui
représente à peu près deux-cinquième des emplois
qui avaient été gelés.
C'est un effort considérable qui a été fait par le
Gouvernement en faveur de la justice, par rapport à d'autres
départements ministériels. En effet, vous le savez, le
Gouvernement, pour pouvoir tenir l'exécution du budget 1996, est
amené à des annulations et à un collectif de fin
d'année qui sera extrêmement important. (...) J'ai obtenu que le
budget de la justice soit en partie préservé.
Le budget 1997 se présente dans le même contexte, puisque la
progression de l'ensemble des dotations en francs courants est inexistante.
Trois départements ministériels échappent cependant
à cette absence de progression, dont le ministère de la justice.
Son budget progresse de 1,8 % en franc courant. Notre budget, dans une
politique de baisse des dépenses publiques, continue donc à
progresser, faiblement certes, mais continue à progresser.
Ceci donne, pour les services judiciaires et les juridictions, 96
créations nettes d'emplois, dont 147 emplois de catégorie C, qui
viennent ainsi renforcer les 491 créations nettes d'emplois de
fonctionnaires de greffe que j'ai obtenues entre 1995 et 1996. J'insiste sur ce
point, car je sais que le Sénat a toujours insisté sur le fait
que les personnels d'exécution sont absolument indispensables si l'on
veut que les tribunaux fonctionnent !
Je rappelle que j'ai obtenu au budget 1996 des créations d'emplois
considérables hors PPJ dans ce domaine. Au total, on comptera donc sur
les années 1995, 1996, 1997 plus de 600 emplois de catégorie
C, ce qui est à mon avis de nature à débloquer certaines
juridictions.
Cette progression continue. Je pourrai aussi recruter dans le budget 1997 cent
assistants de justice supplémentaires. Cela répond
également aux préoccupations du Sénat depuis l'origine.
Ces assistants de justice vont nous permettre d'aider notamment les magistrats
des cours d'appel...
J'aurai également, en équipement, 884 millions de francs
d'autorisations de programme et 897 millions de francs en crédits de
paiement, ce qui représente 22 % de plus et nous permettra de
continuer toute une série d'opérations ou d'en financer de
nouvelles.
Nous allons naturellement faire un effort considérable sur le
fonctionnement et essayer de mieux utiliser les moyens disponibles, comme
toutes les autres administrations. Je vais donner la priorité, d'une
part, aux crédits d'entretien et de fonctionnement des juridictions
-notamment pour essayer de continuer le travail de mise aux normes de
sécurité- d'autre part au développement de l'informatique
déconcentrée, une des clefs du meilleur fonctionnement des
juridictions.
Comment mesurer le respect des engagements pris dans le programme
prévisionnel de la justice à partir des budgets 1995, 1996 et
1997 ? Suivant une décision générale, l'application de la
loi de programme de 1995, dite loi Méhaignerie, est étalée
sur 6 ans au lieu de 5. C'est la règle posée par le Gouvernement,
pour réussir son opération de blocage de l'évolution des
dépenses publiques, pour l'ensemble des lois de programme, la plus
importante d'entre elle, qui fait l'objet de discussions spéciales,
étant bien entendu la loi de programmation militaire.
Pour 1995, 1996 et 1997, il aurait idéalement fallu -si je
défalque les emplois du programme pénitentiaire 4000- mettre en
place 1.852 emplois. Nous en mettrons en place 1.775, ce qui ne me paraît
pas une différence très importante. Globalement, on peut donc
dire que nous tenons nos engagements.
En ce qui concerne les juridictions, nous aurons mis en place 40 % des emplois
prévus au PPJ, mais créé hors PPJ 300 emplois de
catégorie C. Au total, nous sommes donc au-dessus, et je pense que
l'inflexion que j'ai donnée dans le budget 1996 était
indispensable par rapport au PPJ. Nous tenons donc les engagements qui ont
été pris. Il en est de même pour l'AP -53 %- et pour la PJJ
-49 %.
En équipements, nous sommes pour 1995, 1996 et 1997 à 44 % du
PPJ. C'est parfaitement normal, puisque, dans ce type d'exécution, c'est
toujours sur les dernières années que l'on met les crédits
les plus importants. En effet, ce n'est pas nécessairement à ce
moment que l'on a besoin de plus de crédits de paiement. Dans un PPJ
étalé sur 6 ans, nous tenons l'engagement d'avoir
exécuté en 1995, 1996 et 1997 la moitié du PPJ, en emplois
comme en équipements.
Dans quelle direction développer les moyens ? Tout d'abord, selon moi,
il faut continuer à se pencher sur le cas des fonctionnaires de
catégorie B et C chargés d'assister les magistrats et
d'éditer les décisions de justice. Il faudra recruter bien
entendu aussi des magistrats supplémentaires, mais en nombre
limité et, à mon sens, pour faire face aux réformes, dans
la mesure où je pense qu'il y aura lieu par ailleurs de décharger
les magistrats de certaines des tâches auxquelles ils se consacrent
aujourd'hui.
Il faudra en outre insister sur les moyens de fonctionnement des juridictions
: équipement informatique, télécommunications, parc
automobile. En 1997, chaque chef de cour ou de juridiction aura une voiture
à sa disposition.
Je veux par ailleurs mettre l'accent sur l'action sociale et les subventions
du budget pour l'aide sociale à nos agents et le logement.
La cinquième priorité est le développement de la
qualité et de la capacité du parc pénitentiaire, afin de
ne pas atteindre les nombres que l'on prédit dans la
démographique pénitentiaire.
Enfin, il convient de développer le milieu ouvert et les structures
éducatives spécialisées dans la protection judiciaire de
la jeunesse, dans le sens de la diversification des modes de prise en charge
que Michel Rufin propose dans son rapport.
Bien entendu, il n'est pas question de mener une réforme qui
créerait de nouvelles charges de travail pour les magistrats ou les
fonctionnaires de justice sans créer les moyens nouveaux correspondants.
Comme vous le constatez, je m'attache essentiellement à ce qui peut
avoir un effet réel sur le terrain, et notamment à la
création de postes correspondant à des tâches qui peuvent
réellement produire une accélération ou un
allégement du processus judiciaire. Les postes pour les postes ne sont
pas possibles ; même si c'était le cas, je crois que ce n'est pas
ce qu'il convient de promouvoir en priorité. Je sais d'ailleurs fort
bien que ce n'est pas ce que souhaite le Sénat !
Il faut donc mieux utiliser les moyens dont on dispose. C'est pourquoi j'ai
engagé un plan de modernisation de la justice, qui est un plan de
réforme interne, qui consiste, dans l'institution, à transformer
les états d'esprit, les méthodes, l'organisation.
Ce plan, je l'ai mis au point début 1996 et annoncé en juillet
(...). Je remettrai donc au Sénat -car je pense que cela peut être
utile à votre rapporteur- un document d'une trentaine de pages, dans
lequel vous trouverez ces mesures et leur calendrier d'application.(...)
Le meilleur emploi des moyens existants pour la justice s'inscrit
naturellement dans le plan général de réforme de l'Etat.
Même si la justice a bien sûr sa totale spécificité,
et notamment son indépendance statutaire, elle prend part aussi à
la réforme de l'Etat. Cette modernisation s'inscrit donc dans ce cadre.
Ceci me conduit à définir quatre directions principales d'action
: réorganiser les structures de l'administration centrale, faire
évoluer les méthodes de travail des juridictions, revaloriser la
situation des magistrats et des fonctionnaires des greffes et mieux
gérer et utiliser les moyens existants.
S'agissant de la réorganisation des structures de l'administration
centrale, (...) dans le cadre de la réforme de l'Etat, un magistrat de
la Cour des comptes a effectué un très intéressant
travail, dont nous sommes en train de tirer parti.
D'une manière générale, la constitution d'un service de
contrôle financier et budgétaire des juridictions nous a
amenés à affecter au sein des services judiciaires un certain
nombre de personnels venant d'autres services, de manière à ce
que le contrôle budgétaire et financier des juridictions soit
beaucoup plus important.
En outre, grâce à mes circulaires du 9 octobre 1995 et du 8
juillet 1996, nous mettons en place les services administratifs
régionaux qui, je pense, dans chaque cour d'appel, vont vraiment changer
beaucoup de choses. Ils comportent des fonctionnaires formés aux
problèmes de gestion, qui vont animer et encadrer, sous la
responsabilité des chefs de cour, tout le travail de gestion des cours
et des tribunaux du ressort. On peut en attendre beaucoup, et c'est pour moi
une véritable priorité, surtout quand il s'agit d'affecter les
personnels correspondants.
En second lieu, afin de faire évoluer les méthodes de travail,
je voudrais tout d'abord instaurer des contrats entre l'administration centrale
et les juridictions, que nous passerons à chaque fois que nous nommerons
un chef de juridiction. Ces contrats permettront de définir les
objectifs et les engagement réciproques pour la mise en oeuvre des
politiques judiciaires nationales -traitement en temps réel des
procédures pénales, réduction des délais de
traitement, politique judiciaire des mineurs et autres.
D'une certaine façon, c'est l'extension de ce que certains parquets ont
déjà commencé à faire. Il faut maintenant
établir cet esprit d'objectifs. Il ne s'agit pas de mener la justice au
jour le jour, comme viennent les affaires et comme le permettent les
procédures : il faut aussi se donner un certain nombre d'objectifs de
politique judiciaire, d'un commun accord entre l'échelon central, les
parquets et les juges qui, sur place, la mettent en oeuvre.
Il faut aussi faire évoluer les méthodes de travail en les
renouvelant, d'une part grâce aux assistants de justice et, d'autre part,
en recourant au télé-travail. Dans les deux cas, cela va
permettre de rationaliser la charge de travail de certaines juridictions, de
participer à l'aménagement du territoire et de faire en sorte que
les tâches soient exécutées là où elles
doivent l'être, afin que certains magistrats de cours d'appel
n'exécutent pas un travail qui n'est pas de leur ressort !
Je vais lancer, fin 1996-début 1997, une étude de
faisabilité relative au télé-travail. La réforme de
l'Etat a accepté de payer sur le fond une partie des dépenses.
Quelques expériences sont menées dans le ressort du tribunal de
grande instance du Havre. Il existe là une piste très riche pour
la répartition de la charge de travail entre juridictions. En outre, le
télé-travail peut permettre aux justiciables d'obtenir le
document qu'ils réclament sans se déplacer.
Faire évoluer les méthodes de travail ne concerne pas seulement
les contrats de juridictions, ni le renouvellement des méthodes de
travail. Cela consiste aussi à développer la justice de
proximité, selon les voeux que le Sénat a émis depuis
longtemps.
Je vais adresser une circulaire aux chefs de cour pour le développement
des audiences foraines. Nous allons créer sur trois ans trente nouvelles
maisons de justice. Neuf devraient voir le jour avant la fin de cette
année. La question s'était posée de savoir si on allait
arrêter les maisons de justice : au contraire, il faut les
développer !
Nous sommes en train de sortir deux décrets "conciliateurs", deux
textes relatifs aux magistrats recrutés à titre temporaire, en
application de la loi de 1995, ainsi que le texte sur la médiation
pénale. Lorsque je suis arrivé au ministère, les textes
d'application de la loi de 1995 n'était pas prêts. Nous avons donc
réalisé depuis l'automne dernier un très gros travail avec
le Conseil d'Etat, car la discussion de ce type de texte n'est pas toujours
extrêmement facile.
Quant à la justice de proximité, nous voulons mettre
progressivement en place un guichet universel de greffe. Cela rejoint ce que je
disais à propos du télé-travail.
La troisième orientation du plan de modernisation est la revalorisation
de la situation des magistrats et des fonctionnaires : rénovation de
leur statut, réaménagement de leur carrière, mais aussi,
pour les magistrats, assouplissement des règles de gestion de
carrière, diversification des modes de recrutement.
C'est pourquoi j'ai préparé une modification du statut de la
magistrature, qui comporte de nouvelles règles de mobilité, un
cadre beaucoup plus général et précis sur les recrutements
extérieurs à l'ENM, de manière à ce qu'on ne soit
pas obligé à chaque fois de faire une loi particulière. Je
précise les types de recrutement latéraux, les concours
exceptionnels ou temporaires, etc. En outre, un certain nombre de dispositions
prévoient des conditions d'ancienneté pour accéder
à certaines fonctions.
Nous travaillons aussi sur l'amélioration du statut des greffiers.
Certaines de leurs revendications sont tout à fait justifiées,
qu'il s'agisse des greffiers en chef ou des greffiers. J'ai encore
récemment reçu les syndicats, et nous commençons à
travailler sur ce sujet avec eux, tout en respectant scrupuleusement les
exigences du "protocole Durafour". Fin 1997, nous aurons intégralement
mis ce protocole en oeuvre (...). Le "protocole Durafour" a été
une grande avancée pour la fonction publique -et aussi pour le budget,
car cela coûte cher - et il est très important que l'on tienne nos
engagements sur ce point.
Enfin, la quatrième direction est une meilleure gestion et une
meilleure utilisation des moyens. Il est clair que cela passe par une politique
de redéploiement. Les postes de magistrats ou de fonctionnaires
commencent à être redéployés. Il faut que, sur deux
ou trois ans, on fasse bouger une proportion relativement importante de ces
postes. Dans un premier temps, cela se fait par des surnombres ; dans un second
temps, cela se fera par le changement d'affectation des postes
budgétaires eux-mêmes. C'est à mon avis la méthode
la plus efficace, bien plus que la carte judiciaire en tout cas !
La seconde façon de mieux utiliser les moyens est d'améliorer
les conditions de travail, d'attribuer aux juridictions des instruments
modernes de travail. J'ai parlé des véhicules, je peux
également parler de téléphones portables, de logement de
fonction, etc.
Le budget 1997 (...) va permettre à ce plan d'entrer dans la
réalité dès maintenant.
Je suis pour ma part en opposition avec les thèses qui
considèrent qu'on ne peut rien faire pour moderniser la justice si,
conformément au rapport Carrez, on ne supprime pas une centaine de
juridictions. Je n'y suis pas favorable pour deux raisons. En effet, c'est une
mécanique théoriquement impeccable mais qui, dans la
réalité, me paraît pour ma part assez
éloignée de ce qui se passe sur le terrain !
En second lieu, l'économie représente 74 millions de francs,
soit le montant approximatif des travaux qu'on ne fait pas dans les
juridictions. Le coût budgétaire du déménagement
représente 43 millions. L'économie nette est donc de 30 millions
: le résultat me semble bien fragile pour une telle somme !
Je ne tiens pas compte de considérations politiques, mais de
considérations historiques, culturelles, économiques,
professionnelles. Pour toutes ces raisons, je pense que, dans un premier temps,
il faut mener cet exercice d'accroissement des moyens et de modernisation de la
justice dans une carte judiciaire pour l'essentiel inchangée, même
si je n'hésite pas à opérer certaines fusions de tribunaux
de commerce, etc., de manière naturellement très limitée.
Par ailleurs, la modernisation de la justice et l'accroissement de ses moyens
ne peuvent être réalisés de manière
réellement efficace à long terme si l'on ne redéfinit pas
à froid ce que sont les missions, le périmètre du droit,
du juge et de la justice, d'où la mission que j'ai confiée
à Alain Lancelot, puis au professeur Jean-Claude Casanova, qui me
remettra en fin d'année son rapport à ce sujet.
Je pense que nous devrons, dans le cadre de la réforme de l'Etat,
à partir de ces réflexions de nature globale, étudier
comment enlever un certain nombre de charges indues de la justice et
déterminer exactement l'office du juge à l'intérieur d'un
système de droit où il est fait de plus en plus appel à
lui, le législateur lui ayant confié de plus en plus de
responsabilité, sans que, depuis trente ou quarante ans, il y ait
réellement eu une réflexion sur la cohérence de ce qu'on
lui faisait faire.
Je crois qu'on devrait, à terme, obtenir des résultats
intéressants. Cela me paraît en tout cas consubstantiel à
l'exercice d'accroissement des moyens et de modernisation du fonctionnement de
la justice.
Enfin, il faut que nous nous préoccupions d'améliorer
l'accès de tous nos concitoyens à la justice. Ceci n'est pas du
tout contradictoire avec ce que je viens de dire à propos d'une justice
recentrée et d'un juge remplissant son office essentiel. En effet,
contrairement à ce que proposent certains, réduire les charges de
la justice ne consiste pas à mettre de nouvelles barrières
à l'accès du justiciable à la justice ! Il faut que nous
sachions ce qu'est le périmètre de la justice et faire en sorte
que les citoyens puissent y accéder.
Bien entendu, lors de la réforme de la procédure civile dont
nous parlerons l'année prochaine, certaines aberrations seront à
corriger, mais l'exercice consistant à penser que c'est la demande de
justice qu'il faut réduire pour permettre au système de bien
fonctionner me paraît socialement injuste et totalement vain, car la
demande de justice triomphera de toutes les barrières que l'on voudra
placer devant elle !
Il faut d'autre part absolument reprendre l'aide juridique de la loi de 1992,
qui a échoué. Le Parlement est actuellement saisi du rapport
d'exécution de la loi sur l'aide juridictionnelle, et nous allons
réfléchir à ce que nous pouvons faire...
Par ailleurs, une information beaucoup plus large sur la justice est
nécessaire. En ce domaine, notre pouvoir est un peu limité, car
cela dépend très largement des médias. Je m'y efforce
à travers les journées de la justice.
Enfin, je suis en train de travailler l'idée d'un service central
d'accès au droit qui, utilisant les méthodes modernes de
télécommunications, permettrait de répondre à
toutes les questions que nos concitoyens peuvent se poser sur la manière
de cheminer à travers la justice, sans se retrouver dans la situation du
héros du procès de Kafka !
Je pense que, dans le contexte qui est le nôtre, à partir de
travaux comme les vôtres et de ce que je viens d'essayer d'expliquer,
à partir du formidable dévouement et de l'extraordinaire
compétence des gens qui travaillent dans la justice, nous pouvons
augmenter les moyens, moderniser le fonctionnement, changer les états
d'esprit et faire en sorte de ne pas atteindre l'embolie dont j'ai parlé
dans une déclaration publique mais, au contraire, au début du
troisième millénaire, marquer un net progrès dans le
service public que la justice rend à nos concitoyens.
J'y crois vraiment. C'est pour moi -et pour tous ceux qui me
succéderont- la tâche première. Beaucoup hésitent
toujours à considérer ou à traiter la justice comme un
service public comme les autres. Bien entendu, ses spécificités
sont réelles et doivent être préservées, ne
serait-ce que parce que cela fait partie de nos principes constitutionnels,
mais il faut concevoir la justice comme un service public rendu à nos
concitoyens et y appliquer les réformes que nous appliquerions si nous
étions à la tête d'un autre service public !