b) De graves inégalités dans la répartition des moyens entre les juridictions
Ces inégalités de volume d'activité entre
les juridictions s'accompagnent
d'incohérences dans la
répartition des moyens humains entre juridictions d'activité
comparable
, fréquemment dénoncées dans les
réponses à l'enquête de la mission.
Ainsi, les
inégalités en matière de charge de
travail
par magistrat ou par fonctionnaire apparaissent
considérables. D'après le rapport établi par
M. Jean-François Carrez, l'écart moyen de charge de travail
par magistrat serait de l'ordre
19(
*
)
:
- de 1 à 2 entre les cours d'appel les plus chargées et les cours
les moins chargées ;
- de 1 à 3 entre les tribunaux de grande instance les plus
chargés et les tribunaux de grande instance les moins chargés ;
- de 1 à 5 entre les juges d'instance.
Les
déséquilibres
sont très marqués.
En effet, on constate que les juridictions parisiennes, d'une part, et les plus
petites juridictions de province, d'autre part, sont beaucoup plus largement
pourvues que la moyenne en magistrats et en fonctionnaires, eu égard
à leur charge de travail.
A l'inverse, certaines cours d'appel de grandes villes de province, ainsi que
beaucoup de tribunaux de grande instance dans les zones urbaines ou en voie
d'urbanisation, sont manifestement sous-dotés en magistrats et en
fonctionnaires.
A titre d'exemple, le tribunal de grande instance de Meaux, juridiction
à trois chambres, a un volume d'activité comparable à
celui du tribunal de grande instance de Nancy qui est pourvu de quatre chambres.
A Lyon, il faudrait augmenter les effectifs de plus de 10 % pour atteindre
un niveau de moyens comparable à ceux dont disposent les juridictions
parisiennes.
Ces déséquilibres atteignent des records dans les ressorts des
cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Douai, avec des niveaux de charge de
travail extrêmement élevés.
Dès lors, force est de constater que la justice n'est pas rendue dans
des conditions égales sur l'ensemble du territoire français.
c) Des distorsions accrues par les difficultés particulières inhérentes à la gestion du corps des magistrats
Les incohérences de la répartition
géographique des postes de magistrats entre les juridictions se trouvent
accentuées par le fait que le corps de la magistrature ne peut
être géré comme un corps de fonctionnaires ordinaire.
En effet, en application du principe de
l'inamovibilité
, il est
impossible de contraindre un magistrat du siège à quitter le
poste qu'il occupe ou à combler une vacance.
Ce principe a pour conséquence de " geler " les postes de
magistrats. Ainsi, selon les propos mêmes de M. Jacques Toubon, Garde des
Sceaux, tenus le 8 juin 1996 dans le cadre d'un entretien accordé
à un hebdomadaire : "
quand un poste budgétaire est
créé quelque part, il perdure
"
20(
*
)
.
D'autre part, alors même que la mobilité peut être
considérée comme insuffisante dans les postes les plus
recherchés, elle est à l'inverse, probablement trop rapide dans
des régions peu attractives.
Faute de candidats, certains postes restent longtemps vacants et ne peuvent en
définitive être pourvus que par des magistrats débutants
issus de l'École nationale de la magistrature. C'est par exemple le cas
en Corse.
Pour des postes qui, compte tenu de leur niveau hiérarchique, ne peuvent
être attribués à des débutants, les
difficultés pour combler les vacances de postes sont encore accrues. A
cet égard, le
repyramidage
de nombreux
postes
, intervenu
au cours des dernières années, s'il a permis une
amélioration globale des perspectives de carrière des magistrats,
a également eu des effets pervers.
En effet, on constate une insuffisance de candidatures pour ces postes
" repyramidés ", dans la mesure où ils ne permettent
pas toujours d'accéder à une réelle promotion dans
l'exercice des responsabilités. Ainsi, un certain nombre de postes
repyramidés sont actuellement " structurellement " vacants,
notamment dans les régions du Nord et de l'Est.
D'une manière générale, la
mobilité
géographique des magistrats tend aujourd'hui à se réduire,
ce qui ne facilite pas la résorption des vacances de postes. Nombreux
sont ceux qui, en raison des frais de déménagement ou de leur
ancrage familial, souhaitent effectuer l'essentiel de leur carrière dans
une seule région ; certains acceptent pour un temps une nomination
éloignée mais conservent leur domicile et effectuent des navettes
qui ne facilitent pas l'organisation de la tenue des audiences et des
permanences et affectent la capacité de concentration qu'on est en droit
d'attendre d'un magistrat.
Au terme de ce bilan, l'insuffisance globale et l'inadéquation de la
répartition des moyens humains face à l'évolution de la
demande de justice apparaissent donc patents.