2. La persistance des tendances antérieures
a) La Commission
La portée de la
" décrue
réglementaire "
évoquée par la Commission ne doit
pas être surestimée : non seulement, comme on l'a vu, son
importance exacte peut prêter à discussion, mais encore quelques
exemples, empruntés à divers secteurs, suffisent à montrer
que le principe de subsidiarité semble demeurer une
référence abstraite plus qu'une véritable règle
pour l'action : en réalité, la Commission continue à
proposer des interventions communautaires poursuivant des buts que la
Communauté n'est pas mieux placée que les Etats membres pour
atteindre.
La culture
Peut-on considérer que des objectifs tels que la protection du
patrimoine culturel, l'encouragement à la lecture, le
" perfectionnement des artistes "
et le soutien à la
" création artistique de dimension européenne "
peuvent être
" mieux réalisés au niveau
communautaire "
? Telle est cependant la raison d'être de divers
programmes communautaires qui, certes, procèdent d'intentions que nul ne
contestera, mais reviennent à permettre des interventions de la
Communauté, financées par prélèvement sur les
budgets des Etats membres, dans des domaines où ces derniers (ou leurs
collectivités territoriales) peuvent tout aussi bien que la
Communauté réaliser les objectifs poursuivis (dans la mesure,
d'ailleurs, où ces derniers relèvent de l'action publique).
On fera certes valoir que, dans ces programmes, la Communauté ne cherche
pas à se substituer aux Etats membres, que leurs dotations sont
relativement modestes, et que de telles actions contribuent à
" rapprocher l'Europe des citoyens ".
En
réalité, en prenant l'initiative de telles actions, la Commission
n'entend-elle pas avant tout améliorer l'image de la construction
européenne, en montrant la Communauté sous un autre angle que l'
" Europe des marchands "
si souvent critiquée ?
Mais, outre qu'il est permis de douter que de telles dépenses
d' " affichage " entrent bien dans la vocation du
budget
européen, on peut se demander si leur principal effet n'est pas, en
suscitant la création de structures de décision et de gestion
à l'échelon communautaire, de brouiller un peu plus la perception
de la répartition des responsabilités, alors que la clarté
de cette perception est un élément de vitalité
démocratique. Tocqueville admirait la facilité des
Américains de son temps à identifier l'échelon de
décision responsable ; pourrait-on en dire autant des citoyens de
l'Union européenne d'aujourd'hui ?
Votre rapporteur ne cherchera pas à donner ici un aperçu,
même sommaire, de l'action culturelle de la Communauté, dont il a
découvert non sans étonnement la variété et
l'ampleur.
· Le
" vademecum des aides culturelles en Europe "
édité par l'Arts Council of Great Britain consacre 323 pages
à énumérer les programmes communautaires susceptibles de
donner lieu à des subventions aux activités culturelles. Le
Conseil de l'Europe, institution plus ancienne et à la vocation
culturelle en principe plus affirmée, voit ses activités
recensées en 31 pages ; pour celles de l'UNESCO, 16 pages suffisent. Il
s'agit là d'un indicateur certes très imparfait, mais qui montre
l'étendue de la capacité d'intervention de l'Union dans le
domaine culturel, en s'appuyant soit sur l'article 128 du Traité, soit
sur les fonds structurels communautaires.
Un récent document de travail de la Commission européenne donne
des exemples d'aides communautaires à la culture destinées
à contribuer au développement régional :
Exemples d'aides régionales
-
" En vertu du " Document unique de
programmation " destiné au nord-ouest de l'Angleterre, quelque 700
entreprises bénéficieront d'une aide dans le contexte d'un
programme orienté sur les industries des media et de la culture.
- " Entre 1986 et 1992, le " Programme intégré
méditerranéen ", destiné à la Crète, a
permis de rénover les centres historiques de Chania et Rethimnon, tandis
qu'un programme séparé financé par l'UE a permis de
restaurer le château italien de Lagopesole.
- " En vertu de l'initiative communautaire RECHAR II, visant la
reconversion des régions houillères allemandes, le
" Zechenbahn Ruhrgebiet " a permis de préserver d'une part
le
patrimoine industriel de la région et de rénover d'autre part les
anciennes stations de chemins de fer.
- " Le projet " Cité de la Musique " de Marseille
a
reçu des fonds de l'UE en guise de projet pilote.
- " Plus de 120 millions d'écus financés par des aides
publiques et des fonds européens ont contribué au projet
" Temple Bar " à Dublin, pour la création de foyers
culturels, tels que l' " Irish Film Centre ", les studios
d'artistes,
les musées (notamment le musée des Vikings) et galeries d'art, et
les centres de joaillerie. "
Dans le cadre des aides régionales,
" plus de 400 millions
d'écus auraient été affectés, entre 1989 et 1993,
au secteur culturel. "
(
Europolitique
, 1
er
mai
1996).
Les actions ainsi présentées ont sans doute un grand
intérêt, mais peut-on considérer qu'il s'agit là
d'actions dont les objectifs "
ne peuvent être
réalisés de manière suffisante par les Etats membres et
peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action
envisagée, être mieux réalisés au niveau
communautaire ",
pour reprendre les termes de l'article
3 B ?
La même question pourrait être posée à propos du
programme KALÉIDOSCOPE, adopté par le Conseil en mars dernier,
pour une période de cinq ans à partir de 1996.
Les objectifs du programme KALÉIDOSCOPE :
-
" encourager la création artistique et
culturelle en Europe dans les domaines des arts du spectacle, arts plastiques
ou arts de l'espace, arts multimédias et arts appliqués en
permettant à cette création de se rapprocher des
différents publics en Europe ;
- " soutenir les projets culturels, de nature novatrice, de qualité
professionnelle et d'intérêt européen qui impliquent une
réelle coopération européenne ;
- " promouvoir les échanges culturels, afin de contribuer à
une meilleure connaissance mutuelle et favoriser ainsi l'accès à
la culture des catégories défavorisées ;
- " favoriser la valorisation et le rayonnement de la culture en
Europe ;
- " valoriser le domaine des arts et de la culture afin de contribuer
à maximiser le potentiel de création d'emplois de ce type
d'activités, notamment en faveur des jeunes. "
On peut également s'interroger, dans le même sens, sur le
programme ARIANE, dont l'examen n'est pas terminé, mais qui a fait
l'objet d'un accord de principe unanime au sein du Conseil.
Les objectifs du programme ARIANE (1996-2000) :
-
" encourager une plus large diffusion
d'oeuvres de
littérature contemporaine représentatives de la culture des Etats
membres, en accordant la priorité aux traductions des oeuvres
écrites dans les langues moins répandues de la Communauté,
et en assurant leur mise en valeur notamment par le biais d'actions
emblématiques ;
- " contribuer, par le biais de la traduction, à la diffusion
d'oeuvres dramatiques contemporaines afin de présenter au public
européen un répertoire diversifié et représentatif
des cultures des Etats membres ;
- " favoriser la diffusion d'ouvrages de référence afin de
permettre une meilleure connaissance de la culture et de l'histoire des peuples
européens, notamment dans les domaines indiqués aux paragraphes 2
et 4 de l'article 128 du Traité ;
- " accompagner et compléter les efforts entrepris aux niveaux
national et régional par une série d'actions au plan
communautaire portant notamment sur la coopération sous forme de
réseaux et le partenariat, la formation et le perfectionnement, et la
recherche et les études. "
Le programme RAPHAËL, dont l'état d'examen est identique à
celui du programme ARIANE, et qui porte sur la même période,
pourrait appeler les mêmes interrogations.
Les objectifs du programme RAPHAËL :
-
" contribuer à la valorisation et au
rayonnement du patrimoine culturel ;
- " encourager la coopération et la mise en commun, au niveau
européen, des connaissances, savoir-faire et pratiques en matière
de préservation du patrimoine ;
- " améliorer l'accès au patrimoine, et améliorer la
provision de l'information y afférent, pour tous les citoyens et
contribuer ainsi à l'affirmation d'une citoyenneté
européenne en s'appuyant sur une meilleure connaissance du patrimoine ;
- " soutenir l'enrichissement des connaissances et pratiques
mutuelles et
valoriser le potentiel européen ;
- " favoriser la coopération avec les pays tiers et les
organisations internationales compétentes, et en particulier avec le
Conseil de l'Europe. "
Il est bien difficile, malgré le large usage du mot
" européen "
dans la définition des objectifs de
ces différents programmes, de voir là des domaines où
l'intervention de la Communauté se justifie au regard de l'article 3 B
du traité. Au demeurant, malgré l'engagement de la Commission
européenne de motiver ses propositions au regard du principe de
subsidiarité, on cherche en vain les considérants requis dans
l'exposé des motifs de ces actes.
En réalité, non seulement les Etats membres,
séparément ou en coopération, ne paraissent pas moins bien
placés que la Communauté pour poursuivre les objectifs en cause,
mais, dans certains cas, d'autres niveaux d'organisation internationale que
l'Union, en particulier le Conseil de l'Europe, paraissent pouvoir intervenir
de manière au moins aussi pertinente que celle-ci, pour autant qu'une
intervention européenne soit nécessaire.
Par ailleurs, il est permis de douter que les instances communautaires
constituent un échelon de gestion optimal pour conduire de telles
actions, compte tenu des risques de " saupoudrage "
inhérents à la nécessité de s'assurer l'appui
de quinze Etats membres.
On peut également se demander si la volonté de promouvoir la
" dimension européenne "
de la culture ne correspond
pas à une vision quelque peu " technocratique "
de
celle-ci. Faut-il souligner que les oeuvres d'art ne sont pas
nécessairement fonction des subdivisions territoriales ? Que la
" dimension européenne "
d'une oeuvre, pour autant
que
cette formule ait un sens, ne tient pas à la riche variété
de ses modes de financement ? Que, d'ailleurs, on ne saurait
caractériser le meilleur de la " culture
européenne "
par la recherche de cette prétendue
" dimension européenne " ?
La santé
Les interventions de la Communauté sous forme de programmes d'action
dans le domaine de la santé publique peuvent parfois paraître
d'une compatibilité tout aussi incertaine avec le principe de
subsidiarité. On dira à fort juste titre que, dans un tel
domaine, seule compte l'efficacité ; mais le principe de
subsidiarité est précisément un principe
d'efficacité : c'est notamment au nom de celle-ci qu'il donne
priorité à l'échelon communautaire lorsque celui-ci
paraît en mesure de " mieux réaliser " un objectif, et
lui refuse cette même priorité dans les autres cas. Or, il peut
être contraire à l'efficacité de définir et de
gérer à l'échelon le plus éloigné du
" terrain " des programmes d'action dans ce domaine.
Votre rapporteur prendra à cet égard les exemples des programmes
de prévention lancés au sujet respectivement du SIDA et de la
toxicomanie.
Le programme de prévention du SIDA
Dans le rapport d'information qu'il avait
présenté à la délégation en avril 1995 sur
" le programme d'action communautaire concernant la prévention
du SIDA et de certaines autres maladies transmissibles dans le cadre de
l'action dans le domaine de la santé publique ",
(rapport
n° 246, 1994-1995), votre rapporteur avait ainsi fait état de
sa perplexité de voir la Communauté s'engager dans un programme
d'éducation et de sensibilisation destiné à la
prévention du SIDA. En quoi était-elle mieux placée que
les Etats membres pour conduire de telles actions ? Le doute se
renforçait devant la nature parfois déroutante des actions mises
en oeuvre, telles que la mise en place de
" programmes
d'éducation sanitaire et sexuelle impliquant des jeunes issus de
différents Etats membres (...) ainsi que des jeunes infectés par
le VIH ou malades du SIDA ",
ou encore le lancement de
l'opération
" flying condom "
consistant à faire
voler un préservatif géant le long des plages belges.
Votre rapporteur s'était également étonné que la
Commission européenne ait prévu d'attribuer à de telles
actions de sensibilisation, domaine dans lequel on pouvait douter qu'un
surcroît d'efficacité résultât d'un transfert de
compétence vers l'échelon communautaire, des moyens financiers
près de deux fois plus importants que ceux attribués par la
Communauté, dans le programme BIOMED, au soutien à la recherche
médicale sur les maladies en cause.
S'agissant de la gestion du programme, votre rapporteur observait que la
création d'une "
cellule spécialisée
"au
sein de la Commission était prévue, tandis que les actions
proprement dites devaient être mises en oeuvre par des organismes que la
Commission choisirait sur appel d'offres. Ce type de gestion pouvait-il
être un gage d'efficacité et de bon emploi des fonds publics ?
Finalement, on peut se demander si, en lançant un projet de ce type, la
Communauté n'a pas eu, plutôt qu'un souci d'efficacité, un
souci d'image -ne pas être absente de la lutte contre le SIDA- quitte
à se lancer dans des dépenses d'une utilité
aléatoire qui sont autant de perdu pour des actions plus
appropriées, notamment le développement de la recherche.
On peut avoir les mêmes interrogations au sujet du
" programme
d'action communautaire concernant la prévention de la
toxicomanie ",
présenté en 1995 par la Commission.
Le programme de prévention de la toxicomanie
Ce programme a pour objectifs :
- d'une part, " d'
améliorer les connaissances sur le
phénomène des drogues et des toxicomanies et sur les moyens et
méthodes de prévention de la toxicomanie et des risques
liés à celle-ci, notamment en utilisant les informations fournies
par l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies et les
possibilités offertes par les programmes et instruments communautaires
existants ; "
- d'autre part, de "
contribuer à l'amélioration de
l'information, de l'éducation et de la formation en vue de la
prévention de la toxicomanie et des risques associés, en
particulier en direction des jeunes et des groupes particulièrement
vulnérables. "
Votre rapporteur approuve naturellement la volonté de prévenir la
toxicomanie, mais craint que, loin d'apporter un surcroît
d'efficacité, l'intervention de la Communauté dans ce domaine
n'ait plutôt pour effet d'éloigner les décisions du
" terrain " et d'employer une partie des moyens disponibles
à
des dépenses d'une faible utilité pour les progrès de la
prévention.
Que l'Union européenne soit un échelon approprié pour la
lutte contre le trafic de drogue, phénomène typiquement
transfrontalier, est une évidence, et l'on pourrait d'ailleurs souhaiter
qu'elle se montre plus efficace dans ce domaine. Que, loin de se concentrer sur
cette mission qu'elle n'accomplit pas aujourd'hui de manière
satisfaisante, elle se préoccupe au contraire d'actions de
prévention qu'elle n'est manifestement pas mieux placée que les
Etats membres pour mettre en oeuvre, va à l'encontre des objectifs
d'efficacité et de proximité qui sont au coeur de l'exigence de
subsidiarité.
Il est à noter qu'en guise de justification de cette dernière
action au regard du principe de subsidiarité, la Commission se borne
à une pure pétition de principe :
" Considérant qu'une action communautaire d'encouragement
destinée à soutenir la prévention de la toxicomanie
permet, en raison des dimensions et des effets de cette action, de mieux
contribuer à la réalisation des objectifs envisagés, qui
se situent dans le cadre de l'article 129 du Traité... "
Bref, en guise de " justification ", la Commission se borne
à
recopier l'énoncé du principe de subsidiarité, ce qui
paraît tout de même une interprétation quelque peu
minimaliste de l'engagement de motivation des propositions pris lors des
Conseils européens de Lisbonne et d'Edimbourg.
L'environnement
· Etait-il nécessaire de fixer à l'échelon
communautaire les règles concernant la conservation des oiseaux
sauvages, en particulier celles concernant les espèces susceptibles
d'être chassées dans certaines régions et les dates
d'ouverture et de fermeture de la chasse ?
Le transfert de la décision à l'échelon communautaire a
donné lieu à un contentieux abondant : la Cour de justice des
Communautés a statué à deux reprises au sujet de
l'application par la France de la réglementation communautaire, et une
nouvelle procédure est actuellement en cours à l'initiative de la
Commission européenne. Notre pays n'est d'ailleurs pas
isolé : en juin dernier, la Commission européenne a
présenté une communication sur la non-application de la
législation environnementale européenne par les Etats membres,
qui permet de constater que, quinze ans après l'entrée en vigueur
de la directive " conservation des oiseaux sauvages ", des
procédures sont également en cours concernant l'Allemagne, la
Belgique, l'Espagne et l'Italie. Si l'on tient compte du fait que le
contentieux à l'échelon communautaire s'est accompagné
d'un contentieux persistant à l'échelon national (voir le rapport
de la délégation n° 402 du 6 mai 1994, dû à
notre collègue Philippe François), il ne semble pas que la mise
en place d'une législation communautaire, dans ce cas, ait
été un facteur de simplification.
Par ailleurs, la lourdeur des procédures communautaires s'est
révélée un obstacle à l'adaptation des
réglementations. Comme il s'avérait que les mesures de protection
avaient favorisé, dans certaines zones, la multiplication de certaines
espèces menaçant les récoltes, la Commission
européenne, répondant à la demande de plusieurs Etats
membres, a proposé en mars 1991 un assouplissement de la directive, de
manière à permettre de chasser les corbeaux ou les corneilles
dans certaines zones. Il a cependant fallu trois ans et trois mois pour que
cette modification soit adoptée, les travaux du Conseil ayant, il est
vrai, permis d'élargir la réforme à l'étourneau
sansonnet
(sturnus vulgaris).
Permanence des controverses juridiques, insuffisante capacité
d'adaptation de la gestion communautaire : la Commission européenne
aurait pu en conclure que la Communauté n'était pas un meilleur
échelon que les Etats membres pour réglementer la chasse.
Difficile d'admettre, cependant, la possibilité d'un retour aux temps
obscurs où un arrêté préfectoral réglait ce
qui mobilise aujourd'hui quinze ministres. La Commission européenne a
donc préféré présenter, le 1
er
mars
1994, une proposition de directive destinée à mettre fin aux
contentieux en clarifiant la législation communautaire ; cette nouvelle
proposition mentionne, il est vrai, la nécessité de prendre en
compte le principe de subsidiarité et prévoit en ce sens
d'accorder aux Etats membres une marge d'appréciation, en fonction de
critères préétablis, quant à la durée de la
période de chasse et quant au degré de protection à
appliquer aux espèces migratoires pendant le trajet de retour vers leur
lieu de nidification.
Cependant, bien que le Conseil des ministres ait invité le 24 mars
1994 le Parlement européen à se prononcer en urgence sur la
nouvelle proposition de directive, l'Assemblée de Strasbourg a
refusé cette demande et ne s'est prononcée que près de
deux ans plus tard, le 15 février 1996, d'ailleurs pour s'opposer
aux assouplissements proposés par la Commission européenne et
pour souligner au contraire la nécessité d'une date de
clôture unique de la chasse dans la Communauté. Les travaux du
Conseil n'ont au demeurant pas permis, depuis lors, de progresser vers
l'adoption de la nouvelle directive : les Etats membres restent très
divisés sur la question, nombre d'entre eux approuvant l'optique
adoptée par le Parlement européen.
Cette situation montre la difficulté de faire prendre en compte le
principe de subsidiarité dès lors que la Communauté est
déjà intervenue dans un domaine sans tenir compte, au
départ, de ce principe
. L'exemple de la directive " oiseaux
sauvages " est d'autant plus probant que la rigidité de la
législation européenne et la faible capacité de
réaction des institutions communautaires sont en train d'aboutir,
à nouveau, à une multiplication excessive de certaines
espèces protégées, notamment le cormoran, avec des
conséquences dommageables pour la pêche et la pisciculture.
Votre rapporteur aurait également pu citer, dans le même sens, le
cas de la directive "
habitats naturels
", destinée
à créer le "
réseau écologique
européen Natura 2000
", et dont on peut penser qu'un
réexamen à la lumière du principe de subsidiarité
permettrait au minimum de déboucher sur un dispositif communautaire plus
léger. Preuve des inconvénients du non-respect de l'exigence de
subsidiarité, le plan "
Natura 2000
" s'est
révélé si mal adapté aux contraintes du
" terrain " que le Gouvernement a dû, au mois de juillet
dernier, en suspendre l'application.
· Non seulement il paraît extrêmement difficile, en
matière d'environnement, de faire jouer le principe de
subsidiarité vis-à-vis d'une réglementation existante qui
l'a manifestement ignoré, mais encore la Commission européenne
continue à prendre dans ce domaine des initiatives dont on
perçoit mal la justification au regard de l'article 3 B du
Traité.
Ainsi, le Sénat a-t-il été récemment amené
à demander au Gouvernement de s'opposer à un programme d'action
communautaire
" pour la promotion des organisations non
gouvernementales ayant pour but principal la défense de
l'environnement ".
La résolution adoptée par le
Sénat (n° 469, 26 juin 1996) souligne à cet égard que
" l'octroi de subventions de fonctionnement aux associations ayant
pour
but la défense de l'environnement n'entre pas dans les
compétences de la Communauté européenne telles qu'elles
sont définies par le Traité instituant celle-ci et n'est pas
conforme à l'application du principe de subsidiarité ".
Sans évoquer explicitement le principe de subsidiarité, le
Sénat a été également conduit à s'interroger
sur la pertinence du "
programme pluriannuel en vue de la
promotion de
l'efficacité énergétique dans l'Union européenne
SAVE II
". Par celui-ci, la Communauté doit apporter son
" soutien "
à
" une série de mesures et
d'actions couvrant une période de cinq ans, en vue d'améliorer
l'efficacité énergétique dans l'Union ".
LE PROGRAMME SAVE II
Il est prévu, à l'article 3 de ce texte, de
financer neuf catégories de mesures et d'actions :
a)
" des études et d'autres actions destinées à
mettre en oeuvre et à compléter la législation et les
normes de performance communautaires relatives à l'efficacité
énergétique ;
b) " des actions pilotes sectorielles visant à
accélérer les investissements dans le domaine de
l'efficacité énergétique et/ou à améliorer
les habitudes de consommation d'énergie, dont la mise en oeuvre incombe
principalement aux réseaux couvrant l'ensemble de la Communauté ;
c) " des actions pilotes sectorielles ciblées visant à
accélérer les investissements dans le domaine de
l'efficacité énergétique et/ou à améliorer
les habitudes de consommation d'énergie, dont la réalisation
incombe essentiellement aux entreprises publiques et privées ;
d1)
" des mesures proposées par la Commission pour
encourager les échanges d'expérience, principalement par le biais
de réseaux d'information visant à améliorer la
coordination entre les activités communautaires, internationales,
régionales et locales grâce à la mise en place de moyens
appropriés d'échange des informations ;
d2)
" des mesures proposées par des tiers pour encourager
les échanges d'expérience, principalement par le biais de
réseaux d'information visant à améliorer la coordination
entre les activités communautaires, internationales, nationales,
régionales et locales grâce à la mise en place de moyens
appropriés d'échange des informations ;
a)
" une action de surveillance des progrès de
l'efficacité énergétique dans la Communauté
européenne, dans chacun des Etats membres et dans le cadre du programme
SAVE lui-même ;
b) " des actions spécifiques visant à une plus grande
cohésion dans le domaine de l'efficacité
énergétique entre les Etats membres et entre les régions
en soutenant la création d'infrastructures en matière
d'efficacité énergétique dans les Etats membres et dans
les régions dont les politiques dans ce secteur ne sont pas encore
suffisamment développées ;
c) " des actions spécifiques favorisant la gestion
énergétique au niveau régional et urbain ;
d) " des études et autres actions visant à ériger
l'efficacité énergétique en critère dans les
programmes stratégiques de l'Union ;
e) " l'évaluation et la surveillance des actions entreprises au
titre de l'article 3 points (a), (b), (c), (d), (e), (f), (g) et
(h). "
En guise de justification de ce programme au regard du principe de
subsidiarité, la Commission européenne indique que
l'
" action proposée complète les actions entreprises par
les Etats membres et par la Communauté ",
et précise que
" lors de sa session des 15 et 16 décembre 1994, le Conseil
des ministres de l'environnement a souligné la nécessité
d'efforts tant au niveau de la Communauté qu'à celui des Etats
membres en vue de la réduction des émissions de
CO
2
"
; enfin, elle souligne que
" les
actions
proposées dans le programme constitueraient une véritable valeur
ajoutée, dans la mesure où elles contribueraient à
l'élaboration de solutions transnationales aux impasses en
matière d'efficacité énergétique,
développeraient, autant que possible, l'expérience acquise par
certains Etats membres pour mettre en place des solutions de gestion
énergétique, en transposant cette expérience dans d'autres
régions et en aidant les réseaux existants à créer
un environnement favorable à la gestion énergétique dans
l'Union européenne. "
Comme c'est souvent le cas lorsque la Commission européenne
présente une justification au regard de l'article 3 B du
Traité, la mention d'une possible
" valeur ajoutée "
communautaire semble considérée comme suffisante, alors qu'un
tel argument ne répond pas aux exigences posées par cet article.
On se doute bien en effet que, si la Commission présente un programme,
c'est qu'elle suppose qu'il apportera une
" valeur
ajoutée "
: dans le cas contraire, on voit mal au nom de quoi
elle demanderait aux Etats membres de lui affecter quelque 150 millions d'Ecus.
Le problème est ailleurs : il est de savoir si, en l'occurrence, la
promotion de l'efficacité énergétique, telle qu'elle est
envisagée par le programme, fait partie des objectifs qui
" ne
peuvent pas être réalisés de manière suffisante par
les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de
l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau
communautaire ".
En d'autres termes, il ne suffit pas d'assurer
que
les 150 millions d'Ecus demandés ne seront pas
dépensés en pure perte pour que le programme proposé soit
conforme au principe de subsidiarité
: il faut que ce programme,
par sa nature, réalise un objectif hors de portée des Etats
membres, agissant séparément ou coopérant de
manière flexible.
Or, si l'on considère la nature des
" actions "
proposées : études, colloques,
subventions ponctuelles, échanges d'information, on ne voit rien
là qui soit au-delà des possibilités des Etats membres,
lesquels ne sont pas
" sans portes ni fenêtres ".
Le tourisme
Les initiatives de la Commission européenne dans le domaine du tourisme
peuvent paraître doublement critiquables au regard du principe de
subsidiarité : d'une part, on peut douter que le
développement du tourisme fasse partie des objectifs qui peuvent
être "
mieux réalisés au niveau
communautaire
", et d'autre part, le traité ne reconnaît
pas à la Communauté de pouvoir d'action dans ce domaine.
L'absence de compétence communautaire n'a pas empêché le
lancement de certaines initiatives et la création d'une unité
" tourisme " au sein de la Commission. Les résultats obtenus
ne semblent pas, cependant, avoir établi qu'une intervention
communautaire était un gage de " meilleure
réalisation ".
Ainsi, l'" année européenne du tourisme ", en 1990,
a-t-elle donné lieu à des dépenses dépassant de
54 % le budget alloué par le Conseil, sans pour autant aboutir
à un résultat tangible. Dans un rapport publié en novembre
1992, la Cour des Comptes des Communautés a fait à cet
égard les observations suivantes :
-
" la Commission s'est limitée à participer à
des manifestations organisées par des tiers. Aucun
événement significatif n'a été organisé
à sa propre initiative ;
- " aucune enquête objective n'a été organisée
pour vérifier l'impact de l'" année européenne du
tourisme " tant sur l'opinion publique que sur les professionnels du
secteur du tourisme ;
- " la décision de confier la gestion du programme
" année européenne du tourisme " à une firme
externe ne s'est pas révélée appropriée. Cette
firme a dû résilier son contrat pendant le déroulement de
l'" année européenne du tourisme " ;
- les moyens consentis ont été majorés par rapport au
montant estimé nécessaire par le Conseil. Des questions se posent
sur de nombreuses faiblesses afférentes à la
légalité, la régularité et la bonne gestion des
dépenses ("
Europe
",
n 5866) ".
Si ce bilan mitigé semble avoir freiné le développement
des initiatives communautaires pendant quelques années, l'unité
" tourisme " de la Commission européenne a maintenu ses
activités durant cette période, sans que des progrès
très nets dans sa gestion aient d'ailleurs été
observés, puisque ses responsables ont été
incarcérés en janvier 1996 après avoir été
licenciés quelques mois plus tôt.
Cet épisode n'a cependant pas altéré le dynamisme de la
Commission, qui a présenté en avril 1996 le programme
" PHILOXENIA ", pour lequel 25 millions d'écus sont
demandés, et dont les objectifs sont les suivants :
-
" améliorer la connaissance dans le domaine du tourisme ,
- " améliorer l'environnement législatif et financier du
tourisme ;
- " améliorer la qualité du tourisme européen ;
- " accroître le nombre de touristes par pays tiers ".
Il est à noter que, parmi les nombreux considérants de la
proposition, auxquels Joseph Prud'homme semble avoir prêté la main
("
Considérant que la promotion de l'Europe comme destination
touristique devrait contribuer à accroître le nombre de visiteurs
de pays tiers ")
, le considérant sur la subsidiarité
fait défaut, malgré les engagements pris lors des Conseils
européens de Lisbonne et d'Edimbourg et confirmés par
l'" accord interinstitutionnel " de novembre 1993.
Le sport
Malgré, là également, l'absence de compétence
communautaire, et bien que le sport ne semble pas constituer le parent pauvre
de l'action publique locale et nationale, la Commission européenne
accordera cette année des subventions à quelque 175 projets
sportifs dans le cadre du programme " EURATHLON ", destiné
à "
encourager et soutenir "
des
" projets
sportifs de dimension européenne "
, des
"
événements sportifs "
, ou des
"
initiatives de formation et d'information "
. Selon
Europolitique
(22 mai 1996), "
les projets
présentés pour 1996 concernent 50 sports différents,
qui vont de l'athlétisme au parachutisme en passant par le patinage
à roulettes, l'escrime, le volley-ball et l'aviron. Le sport le plus
représenté est le football ".
La procédure d'attribution de ces subventions mérite d'être
indiquée :
"
Dans chaque Etat membre, un comité indépendant
(comité national) composé de représentants gouvernementaux
et du secteur sportif a procédé à une première
évaluation des projets. Ensuite, un jury européen -composé
de deux représentants de la Commission européenne et de trois
représentants des Etats membres ainsi que de représentants du COE
(Comité olympique européen), de l'ENGSO (European Non-Govemmental
Sports Organisations) et du mouvement " sport pour tous "- a
proposé un certain nombre de projets à la Commission, en tenant
compte des recommandations des comités nationaux. ".
" La Commission avait reçu au titre de ce programme pilote
742 demandes d'aide financière, dont 46 % concernaient des
projets purement sportifs, 19 % des projets de formation et 35 % des
projets mixtes d'activités sportives et des activités de
formation. Pour le financement des projets, la commission s'efforce de
maintenir un équilibre entre les événements sportifs et
les actions de formation et d'information. La contribution de la Commission aux
projets sélectionnés ne peut excéder 50 % du budget
présenté et doit être comprise entre un minimum de
5.000 écus et un maximum de 50.000 écus par
projet ".
On pourrait croire qu'un mécanisme aussi complexe est destiné
à gérer un budget de grande ampleur. Il n'en est rien : le
total des subventions allouées, tous sports confondus, pour l'ensemble
des Etats membres, s'élève à 2 millions d'écus
(12,8 millions de francs), soigneusement répartis entre les pays de
manière suivante :
Nombre et pourcentage des projets et financements par pays |
|||
Pays |
Nombre de projets arrivés |
Nombre de projets sélectionnés |
Financement max. (ECU) |
Autriche |
40 5,39 % |
11 6,29 % |
98.000 4,90 % |
Belgique |
66 8, 89 % |
16 9,14 % |
175.500 8,78 % |
Danemark |
16 2,16 % |
6 3,43 % |
111.300 5,57 % |
Finlande |
33 4,45 % |
10 5,71 % |
113.500 5,68 % |
France |
131 17,65 % |
34 19,43 % |
353.100 17,66 % |
Allemagne |
94 12,67 % |
25 14,29 % |
259.600 12,98 % |
Grèce |
43 5,80 % |
10 5,71 % |
160.400 8,02 % |
Irlande |
23 3,10 % |
8 4,57 % |
94.100 4,71 % |
Italie |
101 13,61 % |
15 8,57 % |
199.500 9,99 % |
Luxembourg |
13 1,75 % |
3 1,71 % |
17.000 0,85 % |
Pays-Bas |
29 3,91 % |
8 4,57 % |
89.100 4,46 % |
Portugal |
13 1,75 % |
5 2,86 % |
54.200 2,71 % |
Espagne |
57 7,68 % |
10 5,71 % |
139.900 7,00 % |
Suède |
11 1,48 % |
5 2,86 % |
48.900 2,45 % |
Angleterre |
56 7,55 % |
9 5,14 % |
85.700 4,29 % |
Autres |
16 2,16 % |
|
|
|
742 100,00 % |
175 1 00,00 % |
2.000.000 100,00 % |
On peut légitimement s'interroger sur le coût de
fonctionnement d'un tel système de soutien public au regard des montants
distribués, inférieurs pour l'ensemble de la Communauté au
budget sportif d'une ville moyenne.
En réalité, ou bien la Communauté est un échelon
pertinent pour le soutien aux activités sportives, et elle devrait alors
être dotée d'un budget correspondant à sa vocation, ce qui
supposerait que celle-ci soit reconnue par le Traité ; ou bien tel
n'est pas le cas, et elle ne doit pas intervenir dans ce domaine.
Mais le
" saupoudrage " de 2 millions d'Ecus -soit le budget
de certains
clubs de football de Nationale 2 (ex. 3
ème
division)- sur quinze Etats rassemblant 370 millions d'habitants n'est pas
justifiable au regard du principe de subsidiarité.
Il n'entre pas dans le propos de votre rapporteur de dresser on ne sait quel
catalogue des manquements au principe de subsidiarité, dont
l'intérêt serait d'ailleurs limité. Les quelques exemples
qui viennent d'être mentionnés suffisent à montrer que
l'inscription de ce principe dans le traité sur l'Union
européenne n'a pas conduit la Commission européenne à
modifier substantiellement ses pratiques.
D'autres interventions communautaires auraient pu être examinées
sous l'angle du principe de subsidiarité. Ainsi, bien que la
Communauté n'ait pas de compétence dans le domaine de la
protection civile -ce point figure d'ailleurs à l'ordre du jour de la
Conférence intergouvernementale- la Commission s'est dotée depuis
plusieurs années d'une unité " protection civile " et a
soumis au Conseil, au début de l'année, un "
programme
d'action en faveur de la protection civile "
. La justification au
regard du principe de subsidiarité des initiatives de la Commission
européenne concernant la jeunesse, voire l'éducation peut
également paraître sujette à caution : la
coopération entre Etats, par sa souplesse, n'est-elle pas une formule
mieux adaptée à de tels domaines ?
Le problème de l'intervention communautaire dans le domaine des services
publics, qui ne peut être abordé ici compte tenu de ses
dimensions, pourrait également être évoqué :
est-il conforme au principe de subsidiarité que la définition des
missions de service public soit peu à peu transférée, au
fil des différentes directives, à l'échelon
européen, alors que la nature de ces missions est parfois fortement
liée à des spécificités nationales ?
De même, la question des fonds structurels, compte tenu de son importance
propre, ne peut être examinée dans le présent rapport. Mais
il est clair que, par le biais des actions structurelles, la Commission est en
mesure d'étendre les interventions communautaires à un grand
nombre de domaines où la Communauté n'est normalement pas
compétente, sans qu'il soit certain qu'il en résulte un gain
d'efficacité dans la politique d'aménagement du territoire. Au
demeurant,
on peut se demander si, dans le cas des pays contributeurs nets
au budget communautaire, dont la France, l'intervention même de la
Communauté dans la politique d'aménagement du territoire est
conforme au principe de subsidiarité
. Dans l'esprit de celui-ci,
l'action de la Communauté ne devrait-elle pas se limiter à
l'effort de cohésion au bénéfice des pays membres les
moins prospères, et au soutien à de grands projets structurants,
d'intérêt européen ?
Les exemples cités plus haut ne sont donc pas des cas isolés,
exceptionnels et permettent d'avancer que
la consécration juridique
du principe de subsidiarité par le traité sur l'Union
européenne, dès lors que les conséquences à en
tirer étaient laissées à l'appréciation de la
Commission européenne, n'a nullement empêché celle-ci de
prendre des initiatives contraires à ce principe.
b) Le Parlement européen
Si l'inscription du principe de subsidiarité dans le
Traité ne paraît pas avoir transformé le comportement de la
Commission, le changement paraît encore moins perceptible dans le cas du
Parlement européen. Non seulement celui-ci n'a pas jusqu'à
présent donné suite aux règles (pourtant introduites
à son initiative) le concernant dans l' " accord
interinstitutionnel " de 1993 sur la subsidiarité -organisation
d'un débat annuel, motivation des amendements au regard de
l'article 3 B- mais surtout l'Assemblée de Strasbourg continue
à s'abstenir, en pratique, de prendre en compte le principe de
subsidiarité.
Ainsi, alors que le premier alinéa de l'article 3 B dispose
que
" la Communauté agit dans les limites des compétences
qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont
assignés "
par les Traités, le Parlement européen
se prononce périodiquement sur des sujets pour lesquels la
compétence de la Communauté paraît des plus
incertaines :
" la pornographie ",
" l'égalité des droits des homosexuels et des
lesbiennes ", " la petite délinquance dans les
agglomérations urbaines ", " la protection des droits des
journalistes dans le cadre de missions dangereuses ", " le
secret des
sources d'information des journalistes ", " le
rétablissement
de la peine de mort dans l'Etat de New-York ",
" l'enlèvement
d'enfants "...
Les prises de position du Parlement européen ne semblent pas davantage
attentives au deuxième alinéa de l'article 3 B ;
même si elles font parfois formellement référence au
principe de subsidiarité, elles ne respectent pas la règle selon
laquelle avant de préconiser une intervention communautaire, il convient
d'établir qu'il n'est pas possible aux Etats membres d'atteindre le but
recherché et que la Communauté est mieux placée pour le
faire. Le principe de subsidiarité ne signifie pas simplement, comme
paraît le supposer le Parlement européen, que la Communauté
doit veiller, dans ses interventions, à laisser un rôle aux Etats
membres : il signifie au contraire que, sauf si l'on est en
présence d'une compétence exclusive de la Communauté,
celle-ci doit considérer jusqu'à preuve du contraire qu'elle n'a
pas à intervenir.
Un rapport de la commission des transports et du tourisme du Parlement
européen présenté au début de l'année
(n° PE 215.091 déf) :
- " déplore qu'en dépit des exhortations du Parlement
européen les Etats membres européens n'aient pas inclus de
dispositions relatives à une politique communautaire du tourisme dans le
traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le
7 février 1992 ;
- " invite la Commission à se prononcer, dans le rapport qu'elle
soumettra au Conseil conformément à la déclaration
n° 1 annexée au traité sur l'Union européenne,
en faveur de l'adjonction d'un titre instaurant une politique communautaire du
tourisme, dotée d'une base juridique distincte, dans le traité
instituant l'Union européenne, lors de sa révision dans le cadre
de la Conférence intergouvernementale de 1996, et demande que, dans le
respect du principe de subsidiarité, cette base juridique couvre
certains domaines d'action limités mais importants ;
- " affirme que l'on ne saurait concevoir de politique communautaire
du
tourisme sans ajouter au traité, en ce qui concerne le secteur de
l'industrie touristique, secteur important et autonome et l'une des industries
européennes les plus importantes, des dispositions analogues à
celles qui ont déjà été instaurées au niveau
communautaire pour d'autres secteurs de l'économie, souvent moins
considérables ".
La démarche qui sous-tend une telle prise de position est assez
claire : le tourisme est une activité importante, donc elle doit
être, au moins en partie, traitée au niveau communautaire ;
toutefois, conformément au principe de subsidiarité, certaines
compétences doivent être laissées aux Etats membres. Or,
une telle démarche n'est pas conforme à l'article 3 B
du traité, qui demande (quelle que soit l'importance économique
du domaine concerné) que l'on fasse la preuve qu'il existe une carence
des Etats membres, et que cette carence pourra être palliée par la
mise en place d'une politique commune. En l'occurrence, comme on l'a
souligné plus haut, il paraît difficile de conclure à une
défaillance des Etats membres et à l'assurance d'une meilleure
efficacité par un transfert de compétences à
l'échelon communautaire.
En mai dernier, le Parlement européen a adopté une
résolution qui :
- invite la Commission européenne à élaborer des
conditions équitables d'accès à un logement décent
pour tous dans le cadre du principe de subsidiarité, de façon
à déterminer les objectifs à atteindre dans les Etats
membres, tout en tenant compte des réalités locales ;
- invite l'Union à incorporer le droit au logement dans tous les
Traités et demande au Conseil et à la Commission d'engager un
programme visant à renforcer la coopération entre les acteurs
locaux concernés par l'établissement de projets-pilotes
(comprenant le logement, l'emploi, la formation et les services) pour
l'intégration globale de groupes marginalisés, en y associant
pleinement les femmes qui sont un puissant facteur de lutte contre l'exclusion
et jouent un rôle déterminant dans le maintien et la restauration
du lien social et des solidarités " (voir
Europe
,
1
er
juin 1996).
Dans une autre résolution adoptée la même semaine, le
Parlement européen :
- " invite la Commission à créer en son sein une
unité opérationnelle de lutte contre la pauvreté, à
rétablir l'Observatoire européen des politiques nationales contre
l'exclusion, à publier un indice de pauvreté au sein de l'Union,
à poursuivre le financement du réseau européen contre la
pauvreté, et à présenter un rapport sur les coûts
économiques de la pauvreté et de l'exclusion sociale " ;
- " demande au Conseil d'adopter au plus tôt le programme de lutte
contre l'exclusion et le programme d'aides à l'intégration des
personnes âgées, et réclame l'intégration de
l'objectif de prévention de l'exclusion dans l'ensemble des politiques
communautaires " (ibid)
.
L'élu de Paris qu'est votre rapporteur n'est pas porté à
sous-estimer l'importance du problème du logement des personnes
défavorisées, et la nécessité de lutter contre
l'exclusion. Mais avant de préconiser le développement des
interventions de la Communauté dans de tels domaines, ne serait-il pas
nécessaire de s'assurer préalablement qu'il en résultera
un surcroît d'efficacité dans l'utilisation des fonds publics,
dans la mesure où l'augmentation des dépenses à
l'échelon communautaire signifie à due concurrence une
réduction des crédits disponibles aux autres
échelons ?
La résolution adoptée en mars dernier par le Parlement
européen "
relative à la proposition de la Commission
concernant une directive du Conseil relative à l'accord-cadre (...) sur
le congé parental "
illustre assez bien la présomption
de carence des Etats membres qui paraît sous-tendre ses démarches,
lui faisant considérer tout développement des interventions
communautaires
a priori
comme un progrès.
Dans sa résolution relative à la première
convention-cadre conclue entre partenaires sociaux à l'échelon
européen, le Parlement européen :
- " note que cet accord fixe des exigences et contient des
dispositions minimales pour le congé parental et doit de ce fait
être considéré comme un premier pas vers l'introduction de
nouvelles modalités souples d'organisation du travail, répondant
aux besoins des travailleurs et tenant compte des exigences des
entreprises :
- " note cependant que les questions suivantes ne sont pas, ou ne
sont
qu'insuffisamment traitées dans le texte actuel de l'accord-cadre :
*
octroi d'une aide financière suffisante, pendant la durée
du congé parental,
* extension des droit en entreprise à la durée de jouissance du
congé parental,
* développement de programmes encourageant la suppléance des
travailleurs en congé, créant ainsi de nouvelles
opportunités d'emplois, même temporaires,
* droit aux prestations de la sécurité sociale pendant la
durée du congé parental ;
- " estime que ces questions appellent une réglementation au
moyen d'actes juridiques complémentaires de l'Union ;
- " estime urgent, pour garantir l'égalité des chances et
permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, d'adopter
une directive relative aux institutions de garde des enfants
(...) ".
On peut constater que, à partir d'un texte de portée
relativement limitée, le Parlement européen propose une extension
des compétences communautaires à l'ensemble du domaine
concerné, sans apporter la moindre justification en termes de
subsidiarité.
L'exigence de subsidiarité paraît si peu prioritaire pour le
Parlement européen que celui-ci intervient parfois pour dénoncer
l'importance excessive que lui accorderait la Commission européenne.
Ainsi, dans un rapport approuvé en mars 1994, l'Assemblée de
Strasbourg a-t-elle dénoncé la "
rage de la
subsidiarité
" paralysant les initiatives de la Commission en
matière de sécurité routière, et demandé une
harmonisation concernant la formation des conducteurs, la limitation de
vitesse, le taux maximal d'alcoolémie, le système du permis
à points et la réglementation de la publicité. Cependant,
pour autant qu'une harmonisation soit nécessaire dans de telles
matières, n'est-il pas préférable qu'elle se produise
spontanément, à partir du constat de l'efficacité des
solutions adaptées par tel ou tel Etat membre ?
De même, le Parlement européen est intervenu en mars 1995 pour
demander le maintien de la proposition de directive sur les conditions de
détention des animaux dans les zoos. Cette proposition avait
été présentée par la Commission en août
1991 ; dans le contexte du sommet d'Edimbourg, la Commission a cité
ce texte comme un de ceux devant être retirés en fonction du
principe de subsidiarité : en juin 1994, elle a
décidé de le remplacer par une proposition de recommandation. Le
Parlement européen s'est alors opposé à cette
transformation, son rapporteur, M. Kenneth Collins, exprimant sans ambages
son point de vue sur la subsidiarité :
" La Commission a subi des pressions de la part de certains Etats
membres, qui voudraient ramener cette directive à une simple
recommandation. Elle s'y est prêtée parce que certains Etats
membres ont invoqué la subsidiarité. Or, la subsidiarité
n'a rien à voir en la matière et ne saurait être
invoquée. Cette manoeuvre minable visait à créer le
trouble dans les esprits ; elle venait de politiciens de l'âge de
néerdenthal qui voulaient tout simplement sacrifier au nationalisme...
Ils voulaient seulement faire plaisir à certains de leurs supporters et,
comme dans toutes les sociétés primitives, ils ont donc
décidé de faire des sacrifices d'animaux " (débats du
PE, 17 mars 1995).