DEUXIÈME PARTIE: ASSUMER LA MODERNITE
CHAPITRE PREMIER :

AGIR

Plutôt que de dresser une liste de propositions ponctuelles, les rapports publiés par ailleurs s'y sont employés et certaines suggestions particulièrement pertinentes sont reprises dans le corps de cette étude, la mission d'information a souhaité définir quelques orientations et principes d'actions susceptibles d'éclairer le rôle et les stratégies des initiateurs potentiels de la société de l'information, au premier rang desquels apparaissent l'Etat et les collectivités locales.

I. LE RÔLE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

A. UNE IMPLICATION NÉCESSAIRE

La plupart des propositions sectorielles présentées ou rappelées dans les développements qui précèdent confient à l'Etat et aux collectivités publiques un rôle moteur dans l'avancée de la société de l'information. La démarche adoptée implicitement dans la plupart des études et rapports élaborés en France sur cette question semble ainsi assez largement contradictoire avec la conception largement répandue, spécialement aux Etats-Unis, selon laquelle l'essentiel de l'initiative devait venir du secteur privé, spécialement en ce qui concerne la construction des autoroutes de l'information. Le vice-président Gore a situé ce principe au premier rang des cinq axes stratégiques du développement de la société de l'information aux Etats-Unis, les quatre suivants étant la compétition entre opérateurs, l'accès universel aux réseaux, l'égalité de tous les citoyens en matière d'accès à l'information et de capacité de traiter celle-ci, le maintien d'une réglementation souple et adaptable.

La même conception du rôle moteur du secteur privé explique en France l'accueil mitigé réservé en octobre 1994 aux propositions, présentées dans le rapport Théry, de lancer une politique d'équipement du territoire en fibre optique en une quinzaine d'années. Ce programme aurait représenté un investissement global de 150 à 200 milliards de francs, du même ordre que le budget spatial français mais avec des effets économiques très supérieurs. En effet, de l'avis de M. Gérard Théry, l'équipement généralisé en fibre optique de la " boucle locale ", c'est-à-dire de la partie du réseau de distribution situé entre le commutateur et l'abonné, joint à l'utilisation de la technique de l'ATM qui permet de commuter des images vidéo, aurait permis l'enclenchement d'une dynamique de création de services multimédias permettant l'apparition d'un marché grand public.

La réticence à confier à l'Etat, dont l'opérateur public aurait en l'occurrence été l'instrument, le lancement d'une grande politique industrielle d'équipement en fibre optique susceptible de favoriser l'apparition d'un marché des contenus multimédias s'explique, en France, par deux facteurs.

D'une part, l'échec du plan câble a laissé des traces. Il reposait sur un pari technologique assez comparable à celui des autoroutes de l'information, puisque l'objectif était de câbler en cinq ans l'ensemble des grandes villes, les retombées attendues étant multiples : création massive d'emplois, émergence d'une communication locale, bouleversement des modes traditionnels de transmission du savoir grâce à l'interactivité autorisée par la fibre optique.

D'autre part, comme le rapport du commissariat général du plan sur les réseaux de la société de l'information l'a souligné, le succès du grand projet industriel proposé par M. Gérard Théry reposait sur le postulat d'une protection réglementaire favorisant la rentabilisation à terme de l'investissement en hauts débits.

Il aurait pu s'agir de l'octroi d'une exclusivité pour l'offre de certains services. Mais toute forme de protection réglementaire d'un investisseur privilégié serait mise en échec par l'internationalisation de la demande et des marchés de la communication en raison de la substituabilité croissante des technologies de transport de l'information. En effet, comme il a été indiqué dans la première partie du présent rapport, les réseaux filaires, hertziens terrestres et hertziens satellitaires permettront de diffuser indifféremment des contenus identiques, sur lesquels les autorités nationales exerceront un contrôle de moins en moins efficace. Outre les problèmes juridiques et éthiques évoqués au chapitre II suivant, cette donnée de fait provoque l'impossibilité de bâtir une politique industrielle inspirée des modèles monopolistiques du passé. Au demeurant, l'ouverture croissante du marché des télécommunications sur le plan européen comme sur le plan international oppose un obstacle juridique incontournable à toute stratégie industrielle à connotation dirigiste. L'Etat ne sera donc pas l'initiateur direct des infrastructures des réseaux grands débits. Toutefois, comme nous l'avons souligné, il peut considérer que l'accès à des réseaux grands débits fait partie des obligations de service universel à des pris très bas pour certaines catégories d'utilisateurs publics ou d'intérêt général.

L'ensemble des développements qui ont mis ci-dessus l'accent sur les enjeux économiques sociaux et culturels de la société de l'information justifient un engagement de sa part dans cette voie.

Les organismes régulateurs peuvent veiller à ce que les autorisations données à des organismes tiennent compte de ces obligations.

On observera au demeurant, toujours à propos de la question de l'implication de l'Etat dans la mise en place des autoroutes de l'information, que les axes stratégiques définis en février 1994 par le vice-président Gore, contenaient en germe des contradictions que les exposés ultérieurs de la politique fédérale ont mis en lumière. En septembre 1994, le vice-président américain indiquait à une réunion de l'Union internationale des télécommunications tenue à Tokyo : " Nous utiliserons l'infrastructure globale de l'information afin de promouvoir nos économies respectives, ainsi que la santé, l'éducation, la protection de l'environnement et la démocratie ". Cet aspect de la mise en place de la société de l'information aux Etats-Unis est depuis resté constamment au premier plan des préoccupations de l'Administration et a donné lieu, avec le concours de certains opérateurs privés, à des initiatives significatives, comme le rappelle le paragraphe consacré ci-dessus à l'utilisation des nouvelles technologies dans l'enseignement. Les pouvoirs publics sont ainsi au premier rang des responsables de la mise en place de la société de l'information aux Etats-Unis, et plus encore en France où l'Etat et les collectivités publiques conservent un rôle essentiel dans l'évolution de la société.

Ajoutons qu'il paraît de plus en plus probable que les acteurs privés ne sauraient lancer par le simple jeu des forces du marché les initiatives nécessaires à l'entrée dans la société de l'information. Les aspects du développement des marchés impliquant les technologies nouvelles sont en effet mal connus.

On a pensé un moment que la télévision interactive et à la carte, en particulier les services de paiement à la séance de spectacles sportifs et de cinéma, de même que le télé-achat, permettraient de rentabiliser les très lourds investissements nécessaires pour installer les réseaux à grand débit, nécessaires à la distribution de contenus multimédias. Les expériences menées ces dernières années aux Etats-Unis, en particulier par Time Warner à Orlando en Floride, ont démontré que les Américains n'étaient pas disposés à consacrer à ces services un budget excédant un montant de 50 à 60 francs par mois. La capacité des abonnés de participer au financement des infrastructures est donc limitée.

La " killer application " sur laquelle comptaient nombre d'observateurs pour qu'un marché de masse émerge est un mythe ; il est peu probable que les services aux particuliers tireront une demande susceptible de porter une industrie des contenus assez puissante pour assurer un retour sur les investissements en infrastructures. De fait, on discerne derrière le foisonnement d'alliances et de désalliances dont la presse se fait presque quotidiennement l'écho, le pragmatisme et la prudence des opérateurs privés : aucun foisonnement d'infrastructures à haut débit n'est signalé et les services nouveaux proposés au public sont, pour l'essentiel, des développements des services traditionnels de télévision. Le passage à des services de consultation de bases de données plus interactifs (tels que la consultation de la météo) sera progressif et tiendra compte des réactions du marché à l'offre actuellement disponible.

Cette démarche progressive est en particulier celle des opérateurs publics et privés de bouquets satellitaires numériques, principal créneau de développement grand public des nouvelles technologies à l'heure actuelle.

Les exemples d'une prudence qui confine à l'atonie abondent. Des voies prometteuses comme la numérisation de la diffusion hertzienne terrestre qui libérerait des fréquences pour la diffusion de nouveaux services mais aussi pour des usages à fort potentiel de croissance tels que la téléphonie mobile, ne sont guère explorées. Des solutions techniques telles que la diffusion par micro-ondes, qui permettraient de distribuer en zone rurale des services équivalents à ceux du câble moyennant des investissements d'ampleur moyenne, restent au stade expérimental. Dans ces conditions, il est incontestable que l'entrée de la France dans la société de l'information passe par une forte implication de l'Etat. S'il n'est pas question de lancer la grande politique industrielle dont on a évoqué ci-dessus la difficulté en matière de construction de réseaux, il est tout à fait possible de mettre en place une stratégie diversifiée et efficace de promotion de la société de l'information. Quels peuvent en être les principaux axes ?

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