LES OBSERVATIONS DE VOTRE DÉLÉGATION
- Première observation : les prochaines élections, municipales puis générales, conditionneront largement la suite du processus de paix.
Les 14 et 15 septembre prochain doivent avoir lieu les élections municipales en Bosnie-Herzégovine. Pour reprendre une expression de M. Carl Bildt, alors Haut-Représentant, il s'agira de " transformer 110 dictatures locales monoethniques en 110 démocraties locales pluriethniques". La possibilité d'un débat démocratique en amont de cette consultation est essentielle si l'on souhaite voir émerger une nouvelle classe de responsables bosniaques -qu'ils soient serbes, croates ou musulmans- plus soucieux de reconstruire leur pays, de porter un projet pour le nouvel Etat que de tenter d'obtenir par la paix ce qu'ils n'ont pu acquérir par la guerre. Il existe dans chaque communauté des individualités démocrates, considérant que l'heure de la revanche ou de l'hégémonie est passée. La population elle-même, lassée des combats et d'une économie de guerre n'est souvent incitée à désigner aux responsabilités les plus nationalistes des siens que parce qu'elle craint que la, ou les autres communautés, n'agisse de même. C'est bien plus la peur de l'autre qui génère l'intolérance que la volonté de voir la guerre reprendre. D'où l'importance pour la communauté internationale d'aider à la naissance et surtout au développement d'une presse pluraliste, déconnectée des slogans revanchistes. Des progrès en ce sens peuvent être constatés en Fédération pour la presse écrite. Il reste beaucoup à faire en Republika Srpska et, globalement, pour les médias audiovisuels.
- La deuxième observation est liée à la date de juin 1998 au delà de laquelle, normalement, la présence de la SFOR prendra fin, au moins dans son positionnement actuel. Une course de vitesse est ainsi engagée entre le volet civil et le volet militaire, chacun ayant été, par principe, déconnecté de l'autre. Une échéance définitive a été imposée à l'un sans qu'aucune garantie de déblocage ou d'avancée soit perceptible pour l'autre. En d'autres termes, le volet civil est affaire de générations, alors que le calendrier de la SFOR est essentiellement américain.
Tous les interlocuteurs de votre délégation ont fait part de leur inquiétude quant au départ programmé de la SFOR en juin 1998 qui, après un passage éventuel, six mois avant, à un dispositif allégé de dissuasion, interviendrait trois mois après l'échéance très sensible sur le statut de Brcko, et trois mois avant des élections générales dont les résultats, selon qu'ils permettront ou non de porter aux responsabilités des personnels politiques nouveaux, seront essentiels à la poursuite de la paix.
Le calendrier SFOR est donc à double tranchant : il peut signifier aux parties l'obligation de coopérer, sachant que la SFOR ne serait plus là pour garantir la stabilité militaire en cas de blocage et de querelles persistantes. Il peut également signifier, à ces mêmes parties, que tout redeviendrait militairement possible pour elles après juin 1998.
La communauté internationale est donc placée devant le dilemme suivant : cautionner par sa présence sécurisante au-delà de juin 1998 la persistance du blocage institutionnel et conforter ainsi les partisans de la partition, ou précipiter, par un départ prématuré et définitif, une éventuelle reprise des combats.
- La troisième observation concerne les missions de police .
Entre les missions de guerre assumées par l'OTAN à travers l'IFOR puis la SFOR et la mission limitée d'assistance et de formation policière confiée par l'ONU à un groupe international de police quelque peu démuni en moyens et en effectifs, la place reste vacante pour une force crédible de maintien de l'ordre et de la sécurité, capable sinon d'appliquer elle-même au moins de faire appliquer des décisions de justice, qu'elles concernent les criminels de guerre, les agissements des mafias qui prolifèrent dans certaines parties du territoire, ou le simple droit des citoyens de Bosnie-Herzégovine de se déplacer en sécurité à travers la ligne inter-entités. Il existe en Europe une expérience suffisante de forces de gendarmerie pour combler cette lacune que l'on constate aujourd'hui dans le domaine militaro-policier ; ce pourrait être l'une des configurations d'une force adaptée pour l'après juin 1998.
- La quatrième observation concerne l'aspect militaire. Il semble que l'outil mis en oeuvre par l'OTAN pourrait consacrer, pour des missions d'imposition de la paix de cette ampleur, la fin des opérations extérieures type ONU telles qu'elles se sont développées ces dernières années . La clarté du mandat, l'unicité du commandement, la capacité à combattre, la cohérence des états-majors, le principe de nation pilote, sont autant de notions pertinentes et efficaces qui devront être, le cas échéant, reprises pour d'autres actions du même type. Cela donnerait, le moment venu, à la démarche française à l'égard de l'OTAN un éclairage nouveau et important qu'il convient de prendre en compte.
- La dernière observation porte sur l'importance d'un redémarrage rapide de l'activité économique comme facteur de coopération entre parties et d'intégration progressive dans le nouvel Etat. La conditionnalité de l'aide extérieure à la mise en oeuvre des dispositions centrales de Dayton, opportune comme légitime pression de la communauté internationale, n'est pas, vos rapporteurs l'ont souligné, sans difficulté d'application. Ainsi l'actuel quota de répartition de l'aide entre la Fédération et la Republika Srpska (98,2 % contre 2 %), ne devrait pas perdurer et un rééquilibrage s'impose à cet égard. Il permettrait d'accréditer l'idée, auprès de la population serbe, que Dayton peut aussi signifier une chance de redressement économique et de prospérité. Cela pourrait contribuer, au sein de l'entité serbe, à soutenir le camp des réalistes, voire des démocrates, encore minoritaires et marginalisés.