II. LES TRAVAUX DE LA CIG
A. LE RAPPORT DU GROUPE " WESTENDORP "
Le " groupe Westendorp ", chargé de
préparer le lancement de la CIG, a achevé ses travaux en
décembre 1995. Au sujet des coopérations renforcées, ses
principales conclusions étaient les suivantes :
" Le groupe rejette toute formule qui puisse conduire à une
" Europe à la carte ". Quant au cadre général
dans lequel pourrait s'inscrire la flexibilité, une large
marjorité se rallie aux critères suivants :
- " il ne faut accepter la flexibilité que lorsqu'elle sert les
objectifs de l'Union et que toutes les autres possibilités sont
épuisées, et ce cas par cas ;
- " les différences dans le niveau d'intégration devraient
être temporaires ;
- " aucun Etat qui le souhaite et qui remplit des conditions
nécessaires, fixées à l'avance par tous, ne peut
être empêché de participer pleinement à une action
déterminée ou à une politique commune ;
- " il faut prévoir des mesures
ad hoc
pour aider les
Etats qui, tout en le souhaitant, ne peuvent momentanément participer
à telle ou telle politique ;
- " en permettant la flexibilité, il faut réaliser les
adaptations nécessaires pour préserver l'acquis et maintenir une
base commune pour éviter tout recul par rapport aux principes et
objectifs communs ;
- " sans préjuger ce que sera la structure du traité, il
faut conserver un cadre institutionnel unique.
" Plusieurs membres, tout en marquant leur accord sur l'essentiel de
ce
qui précède, souligent que des modalités faisant appel
à une telle flexibilité au sein de l'Union ne devraient
être possibles qu'avec l'accord de tous, comme par le passé.
Certains membres pensent que, bien qu'en principe de telles modalités
devraient être temporaires, cela ne doit pas être
nécessairement toujours le cas, notamment lorsqu'elles ne portent pas
sur des domaines essentiels de l'activité communautaire.
" Il convient de faire observer, par ailleurs, que les degrés de
flexibilité admissibles sont différents, d'une part, pour chacun
des trois " piliers " et, d'autre part, selon qu'il s'agit
des Etats
membres actuels ou des Etats qui adhéreront lors du prochain
élargissement ".
On peut observer que ces conclusions, d'une grande
généralité, exprimaient plus les réticences de la
majorité des Etats membres que la recherche effective d'une formule
institutionnelle permettant la mise en oeuvre des coopérations
renforcées.
Néanmoins, ce texte avait l'intérêt de faire
apparaître des questions essentielles pour la mise en place des
coopérations renforcées :
- la flexibilité doit-elle être conçue uniquement comme
un expédient temporaire ?
- la mise en oeuvre d'une coopération renforcée doit-elle
être autorisée par le Conseil statuant à
l'unanimité ?
- la flexibilité peut-elle s'appliquer de la même manière
aux trois piliers de l'Union ?
B. LE DOCUMENT DE LA PRÉSIDENCE IRLANDAISE
Le " cadre général pour un projet de révision des traités " présenté par la présidence irlandaise en vue du Conseil européen de Dublin (décembre 1996) ne proposait pas de texte au sujet des coopérations renforcées ; les commentaires de la présidence permettaient de constater que, au cours des six premiers mois de la CIG, les négociations n'avaient pas sensiblement progressé sur ce point, même si la présidence soulignait " l'esprit constructif " des discussions.
C. LE " DOCUMENT OFFICIEUX " DE LA PRÉSIDENCE NÉERLANDAISE
La présidence néerlandaise a
présenté en mars 1997 un " document officieux " sur les
coopérations renforcées.
Dans une note liminaire, ce document distinguait trois formes de
flexibilité :
- la flexibilité " au cas par cas ", envisagée
notamment pour la PESC, qui permet à certains Etats membres de ne pas
participer à une action précise qu'ils ne souhaitent cependant
pas empêcher (" abstention constructive ") :
- la flexibilité " prédéterminée ", qui
consiste à préciser dans le traité la liste des Etats
membres qui s'engagent à mettre en oeuvre une politique commune
précise, et à définir les modalités de
celle-ci ;
- enfin, la flexibilité globale, qui consiste à insérer
dans le traité une clause générale permettant la mise en
oeuvre de coopérations renforcées, cette mise en oeuvre
étant toutefois subordonnée à certaines conditions qui
peuvent varier selon les différents piliers.
C'est cette dernière formule qu'examinait principalement le
" document officieux ".
Ce texte s'efforçait de faire apparaître quelques points d'accord
de portée générale :
- les coopérations renforcées doivent préserver le cadre
institutionnel unique de l'Union, et respecter l'acquis communautaire ;
- elles ne doivent être mises en oeuvre qu'en dernier recours,
c'est-à-dire s'il n'a pas été possible d'avancer dans le
cadre des procédures prévues par le traité ;
- les Etats membres qui choisissent de ne pas participer à une
coopération renforcée ne doivent pas entraver sa mise en oeuvre
par les autres Etats membres ; en contrepartie, ils peuvent à tout
moment se joindre à cette coopération, à la seule
condition d'accepter les décisions déjà prises ;
- les dépenses doivent être imputées sur des budgets
spécifiques, dont les recettes doivent être fournies par les seuls
Etats participant aux coopérations renforcées.
En revanche, le document faisait ressortir que, sur un certain nombre de
sujets, un accord restait à trouver :
- quel doit être le nombre minimum d'Etats membres pour lancer une
coopération renforcée ?
- sur quels domaines doivent pouvoir porter les coopérations
renforcées ?
- quelle doit être la procédure budgétaire applicable aux
budgets spécifiques des coopérations renforcées ?
- faut-il que, lors des délibérations du Parlement
européen liées à la mise en oeuvre des coopérations
renforcées, seuls participent les députés européens
élus dans les Etats participant à ces coopérations ?
- l'autorisation de recourir à une coopération renforcée
doit-elle être accordée par le Conseil à la majorité
qualifiée ou bien à l'unanimité ?
D. L' " ADDENDUM " DE LA PRÉSIDENCE NÉERLANDAISE
A la fin du mois de mars, la présidence
néerlandaise a présenté, cette fois officiellement, un
" addendum " au document ("cadre général pour un projet
de révision des traités ") présenté par la
présidence irlandaise lors du Conseil européen de Dublin.
Cet " addendum " s'inscrit dans la démarche
" d'affinement progressif " qui doit conduire à un projet de
traité susceptible de servir de base aux travaux du Conseil
européen.
Il aborde donc en priorité les sujets sur lesquels le document de la
présidence irlandaise, qu'il est censé compléter, ne
contient pas de projet de texte : il traite donc, en particulier, des
" coopérations renforcées ".
Lors des sessions ministérielles du 25 mars, puis du 13 mai, il s'est
avéré que la partie de " l'addendum " relative aux
coopérations renforcées constituait une base de travail
acceptable aux yeux de l'ensemble des délégations, quelles que
soient par ailleurs les divergences d'appréciation subsistant sur
certains aspects des conditions de mise en oeuvre de la flexibilité.
1. Les conditions générales
" L'addendum " propose tout d'abord
l'insertion, au
sein des dispositions communes du traité sur l'Union européenne,
de trois articles de portée générale concernant les
coopérations renforcées.
Le
premier article
pose tout d'abord le
principe
de la
flexibilité :
" Les Etats membres qui se proposent
d'instaurer entre eux une coopération renforcée peuvent recourir
aux institutions, procédures et mécanismes prévus par les
traités ".
Puis il énumère les
conditions générales
à remplir pour qu'une coopération renforcée puisse
être autorisée, à savoir que celle-ci :
a) " tende à renforcer l'intégration
européenne ainsi qu'à préserver et à servir les
intérêts de l'Union ;
b) " respecte les principes des traités et s'inscrive dans le cadre
de leurs objectifs ;
c) " ne soit utilisée qu'en dernier ressort, lorsque les objectifs
ne pourraient être atteints en appliquant les procédures
pertinentes prévues par les traités ;
d) " concerne au moins une majorité d'Etats membres ;
e) " préserve le cadre institutionnel unique de l'Union ;
f) " respecte l'acquis communautaire et toutes les mesures prises au
titre
des autres dispositions des traités ;
g) " ne porte pas atteinte aux intérêts des Etats membres qui
n'y participent pas ;
h) " permette aux Etats membres qui ne participent pas de se joindre
à tout moment à une telle coopération sous réserve
de respecter les décisions déjà prises dans ce
cadre ".
Deux conditions paraissent particulièrement importantes
: tout d'abord, l'obligation de concerner une majorité d'Etats membres ;
ensuite, la faculté pour les non-participants de se joindre
" à tout moment " à la coopération
renforcée.
Elles suggèrent que la flexibilité reste
conçue avant tout comme une formule temporaire, l'horizon restant celui
de la participation de tous les Etats membres
.
Enfin, le même article précise que les coopérations
renforcées doivent remplir des
conditions additionnelles
propres
à chaque pilier, qui sont définies dans des textes distincts. Ces
textes doivent notamment préciser, pour chaque pilier, les
modalités de l'autorisation par le Conseil qui est en tout état
de cause nécessaire.
Le
deuxième article
définit les modalités de
fonctionnement des institutions dans le cadre des coopérations
renforcées ; il précise que, en règle
générale, les dispositions des traités s'appliquent sauf
dans le cas du Conseil.
Ainsi, il est prévu que non seulement la Commission européenne,
mais aussi le Parlement européen, remplissent leur rôle dans le
fonctionnement des coopérations renforcées sans qu'il soit fait
de distinction entre leurs membres selon la liste des Etats participants.
Cette optique a toujours été retenue dans le cas de la
Commission, qui est, d'après le traité, un collège
indépendant ; en revanche, dans le cas du Parlement européen, il
avait été longtemps envisagé que seuls les parlementaires
élus dans le cadre des Etats participant à la coopération
renforcée puissent participer aux votes concernant celle-ci : cette
conception a donc été finalement abandonnée, à la
demande notamment du Parlement européen lui-même, qui
considère que ses membres représentent l'ensemble des peuples de
l'Union.
Dans le cas du Conseil, il est prévu que les représentants de
tous les Etats membres participent aux délibérations, seuls les
représentants des Etats participant à la coopération
prennent part aux votes. Pour ces derniers, la majorité qualifiée
est fixée aux deux tiers des voix, les règles de
pondération n'étant pas modifiées.
Le même article précise que les dépenses résultant
des coopérations renforcées sont à la charge des seuls
Etats qui y participent, à l'exception des coûts administratifs
liés à l'utilisation des institutions de l'Union.
Enfin, le
troisième article
précise que le Conseil et la
Commission informent régulièrement le Parlement européen
de l'évolution des coopérations renforcées. On peut
s'interroger sur la raison d'être de cet article, le Parlement
européen étant de toute manière associé à la
mise en oeuvre des coopérations renforcées puisque son rôle
est le même que dans la procédure de décision ordinaire,
telle qu'elle résulte du traité pour le domaine
considéré.
2. Les conditions propres au premier pilier
L'" addendum " enferme les coopérations
renforcées concernant le premier pilier dans des conditions rigoureuses.
Tout d'abord, ce texte précise que les coopérations
renforcées ne peuvent porter sur des domaines relevant de la
compétence exclusive de la Communauté. Il est difficile de
définir la portée exacte de cette condition, dans la mesure
où la notion de compétence exclusive est entourée de
nombreuses incertitudes, que votre rapporteur a déjà eu
l'occasion de souligner (voir le rapport n° 46, 1996-1997, sur
" l'application du principe de subsidiarité ", pp. 17-20).
Mais les indications apportées ensuite tendent clairement à
restreindre le domaine possible des coopérations renforcées.
Celle-ci ne doivent porter atteinte ni à la libre circulation des
marchandises, des personnes, des services et des capitaux, ni à la
politique commerciale commune, à la politique commune dans les domaines
de l'agriculture et de la pêche, à la politique commune dans le
domaine des transports, aux règles communes de concurrence ou à
la politique relative à la cohésion économique et sociale
; par ailleurs, elles ne doivent constituer ni une discrimination, ni une
entrave aux échanges entre les Etats membres et ne doivent provoquer
aucune distorsion des conditions de concurrence entre ces derniers.
Outre ces conditions de fond, les coopérations renforcées dans le
premier pilier sont soumises à une procédure très
contraignante :
- les Etats souhaitant mettre en oeuvre une coopération renforcée
doivent adresser une demande à la Commission européenne, qui peut
ou non y donner suite ;
- l'autorisation doit ensuite être accordée par le Conseil ;
- la Cour de justice des Communautés peut être saisie pour
contrôler que la coopération renforcée envisagée
respecte bien l'ensemble des conditions posées.
Par ailleurs, un mécanisme de consentement tacite est prévu pour
faciliter la participation à une coopération renforcée
d'un Etat membre qui n'aurait pas eu initialement la volonté ou la
capacité de s'y joindre. L'Etat non participant doit adresser une
demande en ce sens au Conseil et à la Commission : si l'avis de celle-ci
est positif, cette demande est réputée approuvée sauf si
le Conseil s'y oppose à la majorité qualifiée dans un
délai de quatre mois.
3. Les clauses propres au deuxième pilier
Le problème de la coopération renforcée
se pose d'une manière très différente dans le cas du
deuxième pilier. Le fonctionnement de celui-ci est
caractérisé par le rôle limité qu'y jouent la
Commission européenne, le Parlement européen et la Cour de
justice des Communautés. Le recours aux institutions de l'Union n'a donc
pas la même portée que dans le premier pilier.
Par ailleurs, la flexibilité peut prendre, dans le cas du
deuxième pilier, des formes très diverses.
L'" addendum " mentionne ainsi :
- l'"
abstention constructive
", permettant à un Etat
membre de se dissocier d'une décision sans empêcher son adoption ;
- la "
flexibilité
prédéterminée
", consistant à
préciser dans le traité lui-même, sous la forme d'un
protocole annexé, le champ d'application et les modalités d'une
coopération renforcée, ainsi que la liste des Etats qui y
participent au départ. (L'" addendum " précise qu'une
telle solution pourrait être adaptée à des questions telle
que la coopération en matière d'armement ou la défense
mutuelle) ;
- l'"
attribution de tâches à un ou plusieurs Etats
membres dans le cadre d'une action commune
" ;
- la mise en oeuvre d'une clause spécifique de coopération
renforcée. La rédaction prévue pour cette dernière
par l'" addendum " diffère profondément de celle
retenue pour le premier pilier : l'autorisation est accordée sous la
seule responsabilité du Conseil, qui peut l'assortir de conditions
spécifiques ; la Commission européenne et la Cour de justice
n'ont aucun rôle.
4. Les conditions propres au troisième pilier
La situation se présente encore différemment
dans le cas du troisième pilier de l'Union ; les formulations retenues
par " l'addendum " suggèrent que l'on se tient ici à
mi-chemin entre les premier et deuxième piliers, ou plus exactement
entre le communautaire et l'intergouvernemental (sous réserve de la
communautarisation prévue pour une partie des questions relatives
à la libre circulation des personnes) :
- les conditions de fond sont peu restrictives : la coopération
renforcée doit respecter les compétences de la Communauté
européenne et avoir pour but "
de permettre à l'Union de
devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité
et de justice
" ;
- pour l'autorisation de recourir à la coopération
renforcée, la Commission est obligatoirement saisie pour avis (ce qui
n'est pas le cas pour le deuxième pilier), mais n'a pas le pouvoir de
refuser l'autorisation (contrairement à ce qui est prévu pour le
premier pilier) ;
- pour l'élargissement d'une coopération renforcée
à des Etats n'ayant voulu ou pu y prendre part initialement, le
mécanisme est celui de l'approbation tacite prévue pour le
premier pilier.
A côté de la clause de coopération renforcée
proprement dite, " l'addendum " suggère d'introduire un
autre
élément de flexibilité dans le troisième pilier,
concernant les
conventions
conclues dans le cadre de celui-ci. Tout en
restant établies à l'unanimité, ces conventions,
dès lors qu'elles auraient été ratifiées par au
moins la moitié des Etats membres, entreraient en vigueur dans ces
mêmes Etats, sauf disposition contraire expresse.
Enfin, " l'addendum " suggère des dispositions
particulières pour permettre l'incorporation de "
l'acquis de
Schengen
" dans le troisième pilier de l'Union, tout en
préservant les droits des Etats qui ne sont pas parties à
l'accord de Schengen. Le dispositif proposé comporterait :
- " une disposition aux termes de laquelle toute la législation
pertinente de Schengen serait intégrée telle quelle dès
l'entrée en vigueur du traité, et non réadoptée
dans le cadre des dispositions correspondantes du nouveau traité (ce qui
exclurait donc toute possibilité de renégocier la
législation Schengen dans le cadre du nouveau traité) ; il
faudrait définir l'acquis de Schengen qui devrait être
annexé au traité et constituerait des dispositions de droit de la
Communauté de l'Union applicables aux Etats membres parties à
Schengen ;
- " une disposition aux termes de laquelle les Etats membres qui ne
sont
pas parties à l'accord de Schengen peuvent participer à l'acquis
Schengen ainsi intégré dans des conditions convenues avec les
pays Schengen ; une période transitoire pourrait être
envisagée afin que ces Etats puissent arrêter les modalités
d'exécution nécessaires ;
- " en ce qui concerne la nouvelle législation à adopter sur
la base des dispositions du nouveau traité, une disposition aux termes
de laquelle les Etats membres qui ne sont pas parties à l'accord de
Schengen seraient explicitement autorisés, eu égard à leur
situation particulière, à rester " constructivement "
à l'écart, et cela au cas par cas ".