N° 318
SÉNAT
PREMIERE SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe auprocès-verbal de la séance du 22 avril 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la mission d'information effectuée au Bruneï et en Indonésie, du 23 au 30 mars 1996
Par M. Jacques CHAUMONT
sénateur
(1) Cette commission est composée de
: MM.
Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard,
Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe
Marini,
vice-présidents
; Emmanuel Hamel, René
Régnault, Alain Richard ; François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Denis Badré,
René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin,
Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin,
Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude
Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel
Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel Sergent,
Henri Torre, René Trégouët.
Indonésie -
Bruneï -
Rapports d'information.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Premier pays musulman de la planète, troisième puissance
démographique d'Asie après la Chine et l'Inde, l'Indonésie
cumule les records mondiaux en termes de ressources naturelles. Après
avoir longtemps bénéficié d'une véritable rente
pétrolière dont les rentes lui assurent la
treizième position au soin de l'OPEP, elle est aujourd'hui premier
exportateur de gaz naturel, 2ème extracteur d'or et d'étain,
deuxième producteur de caoutchouc naturel et d'huile de palme,
troisième récoltant pour le riz et le café,
quatrième pour le cacao et le thé. Elle contrôle un espace
maritime de 7,9 millions de km
2
- un des plus importants du globe -
et sa forêt est la troisième forêt tropicale du monde.
Résolument engagé à partir de 1983 dans la voie de
l'industrialisation, le pays connait depuis 1989 des taux de croissance moyens
supérieurs à 8 % et est devenu l'an dernier une des
premières destinations de l'investissement international. Selon
certaines projections économétriques, il devrait entrer dans les
rangs des nouveaux pays industriels en l'an 2000, pourrait faire partie des
sept pays les plus industrialisés en 2010 et être la
cinquième puissance économique mondiale en 2020.
Il n'est donc pas surprenant, au vu de tels éléments, que
d'aucuns fassent de l'Indonésie le premier dragon musulman du monde.
Cependant, en dépit et parfois à cause de ses brillants
résultats actuels, l'économie indonésienne connait
certaines difficultés conjoncturelles et des handicaps structurels qui
amènent à nuancer ses atouts. Surtout, le pays traverse une phase
délicate de sa vie politique : la question de la succession du
Président Surharto, l'homme qui a fondé le régime en
place, tend à se poser avec une acuité croissante.
L'avenir de l'Indonésie apparaît donc à la fois
extrêmement prometteur et relativement fragile.
Ce sont de tels éléments et le fait que les actions de
coopération avec l'Indonésie comptent actuellement parmi les plus
importantes menées par le Gouvernement français, qui ont conduit
votre rapporteur à juger utile d'effectuer une mission d'information
dans ce pays. Cette démarche s'inscrit d'ailleurs logiquement dans le
cadre du vaste programme d'investigation qu'il a entrepris depuis deux ans en
Asie du sud-est, en sa double qualité de rapporteur spécial du
budget des affaires étrangères et de représentant du
Sénat au sein du conseil de surveillance de la Caisse française
de développement.
L'objet de cette mission qui s'est déroulée du 22 au 30 mars
1996 était double. Il s'agissait, d'une part, de mieux cerner les atouts
et les handicaps de l'Indonésie dans le contexte de mutation
accélérée que connaît le continent asiatique et,
d'autre part, d'évaluer, sur pièces et sur place, les
modalités et l'impact des diverses formes de coopération que la
France entretient avec ce partenaire privilégié.
Ladite mission a conduit votre rapporteur à faire une brève
étape à Bruneï, le sultanat pétrolier de l'île
de Bornéo, où les similitudes et les différences existant
entre ce pays et l'Indonésie lui ont permis de mieux percevoir la
spécificité de cette dernière.
I. DES ATOUTS IMPORTANTS MAIS CONTRASTÉS
L'Indonésie dispose d'atouts indéniables mais son immense potentiel économique comporte quelques faiblesses dont la connaissance est nécessaire.
A. LA SITUATION POLITIQUE
Avec
1,9 million de km²
, le territoire
indonésien représente plus de la moitié de la superficie
totale des pays de l'ASEAN (Association des Nations du Sud-Est asiatique) mais
il est fragmenté en quelques 13.000 îles
1(
*
)
.
Ces deux chiffres résument l'image que l'Indonésie donne le plus
souvent d'elle-même : celle d'un
"géant en
pointillés"
.
1. Une diversité, source de dynamisme mais aussi de complexité
Que l'Indonésie soit "une terre de contrastes",
bien
peu sauraient en douter. Si cette formule galvaudée peut encore
conserver de la pertinence, c'est bien quand elle s'applique à ce
gigantesque cordon d'îles qui, commençant par côtoyer les
rivages occidentaux de la Thaïlande, s'étend sur près du
tiers de l'océan Pacifique jusqu'à la hauteur des côtes
septentrionales de l'Australie orientale.
La diversité indonésienne est une évidence qui s'impose
à tous ceux qui abordent ce pays. Elle est le fruit de la
géographie et de l'histoire. Elle constitue une richesse car la
conjonction au sein d'une même communauté humaine d'apports
différents est un capital inestimable, dès lors que ces apports
sont harmonisés et canalisés. Cependant une telle
variété d'îles et de traditions aussi récemment
rassemblées -à peine cinquante ans- en une seule Nation jaillie
du cadre de l'Ancien Empire hollandais peut favoriser le développement
de ferments de dispersion préjudiciables à l'unité de
l'ensemble et à son dynamisme.
a) La bigarrure géographique
L'archipel
indonésien est
le plus vaste de la
planète
. Il s'étend sur 5.000 km d'est en ouest et sur
environ 2.000 km du nord au sud.
Lors de l'entretien que votre rapporteur a eu avec lui, le Docteur Bacharuddin
Jussuf Habibie, ministre d'Etat à la recherche et à la
technologie, s'est plu à démontrer sur une mappemonde que cet
immense chapelet d'îles couvrait l'espace qui sépare Brest de
Bakou et Amsterdam de Naples et qu'il avait une largeur supérieure
à celle des Etats-Unis.
Cette comparaison permet de mieux saisir son
importance
géostratégique
: au coeur de l'Océan Indien,
l'Indonésie est un trait d'union entre l'Extrême-Orient et le
Moyen-Orient. Elle contrôle trois détroits permettant de passer de
l'Océan Indien à la mer de Chine et au Pacifique (détroits
de Malacca, Karimata et Macassar).
L'étendue du pays contribue à sa variété physique.
Bien que les conditions climatiques soient assez homogènes
2(
*
)
et que, à l'exception de
Kalimantan (Bornéo) et de l'Irian Jaya (Nouvelle-Guinée), les
volcans forment presque partout la toile de fond des paysages, les contrastes
sont d'importance entre les baies profondes du Sulawesi
(Célèbes), les vallées forestières quasi
impénétrables de l'Irian Jaya et la jungle urbaine de Jakarta.
Tout comme les sites, le peuplement est d'une grande
hétérogénéité.
b) La mosaïque humaine
Forte d'une population de plus de 190 millions
d'habitants -la quatrième du monde-, l'Indonésie compte quelques
360 groupes ethniques. La diversité du peuplement doit toutefois
être nuancée par l'importance du groupe javanais (45 % de la
population). Par ailleurs, les effets de cette pluralité -ainsi
d'ailleurs que ceux du morcellement archipelagique- se trouvent
atténués par le fait que près des deux tiers de la
population et six des dix villes les plus importantes du pays sont
concentrés sur la seule île de Java, c'est-à-dire sur
1/15è du territoire. Facteur indéniable de
déséquilibres, cette dernière situation -qui est pour
l'essentiel le résultat de la politique menée
délibérément par l'ancien colonisateur- est aussi par
certains aspects un puissant élément fédérateur.
Il n'en demeure pas moins que la "mosaïque ethnique" de l'Indonésie
s'est révélée dans le passé la source de tensions
sociales parfois violentes. Celles-ci se sont tout particulièrement
exercées à l'encontre de la minorité chinoise qui occupe
une place à part en raison de sa prépondérance
économique. Ainsi, J. Chailley-Bert, dans l'ouvrage consacré
à "
Java et ses habitants
" qu'il a publié en 1900,
décrit l'âpreté au travail et l'importance du rôle
économique de cette catégorie de la population en des termes qui
n'ont pas toujours perdu de leur actualité. Il témoigne aussi des
réactions peu amènes que la réussite de ses membres
pouvait entraîner au sein des communautés autochtones et ce
témoignage rappelle que derrière une tradition de consensus le
pays peut être une terre de violences extrêmes.
Encore durement frappée en 1965-66, la minorité chinoise n'a,
depuis cette date, été que très rarement et à une
faible échelle l'exutoire des frustrations.
Aujourd'hui, on estime habituellement que les
Chinois d'Indonésie
qui représentent environ
à 4 % de la population
,
détiennent
près des trois quarts de la richesse nationale.
c) La richesse culturelle et religieuse
Presque chacune des îles de l'Indonésie
possède son histoire et ses traditions propres. Les destinées de
plusieurs d'entre elles se sont entrecroisées dans le passé et
beaucoup ont connu avec une certaine synchronicité les grands mouvements
de civilisation qui ont successivement imprimé leur empreinte dans la
région : l'hindouisme, le bouddhisme, l'Islam, la colonisation
hollandaise... Mais, l'histoire collective de l'archipel ne commence vraiment
qu'avec l'indépendance arrachée au colonisateur hollandais en
1949, au terme d'une guerre de libération qui aura duré quatre
ans.
On trouve un reflet de ce passé fragmenté dans le domaine
linguistique. Quelque
300 langues et dialectes
sont couramment
parlés en Indonésie. La langue commune, le "bahasa indonesa"
proche du malais et dont la pratique est désormais
généralisée, n'a été imposée que
depuis l'indépendance.
La religion est le dernier élément majeur de la diversité
indonésienne. L'Indonésie est le plus grand pays musulman du
monde par le nombre de pratiquants. Cependant, si 88 % des habitants
embrassent la foi mahométane, l'Islam n'est pas une religion d'Etat et
le pays compte 9 % de chrétiens, principalement protestants, mais
aussi des hindouistes (2 %) qui composent la grande majorité de la
population de Bali, ainsi que des bouddhistes qui sont en grand nombre dans la
communauté d'origine chinoise.
Dans ce contexte, ce n'est pas la mosquée mais l'armée qui est le
creuset de l'identité nationale et c'est l'Etat qui est le garant de
l'unité du pays.