Rapport n° 315 : Perspectives de l'économie mondiale à l'horizon 2005
M. Bernard BARBIER, Sénateur
Rapport d'information 315 - 1996 / 1997 - Délégation du Sénat pour la planification
Table des matières
- INTRODUCTION
- I - ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. René MONORY, Président du Sénat.
- I. UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE MONDIALE À L'HORIZON 2005, réalisée l'aide du modèle multinational MIMOSA, commun au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
- III. Point de vue sur le potentiel de croissance de l'économie française
- IV. DÉBAT
- V. Mondialisation et progrès social
N° 315
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès verbal de la séance du 22 avril 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour la planification (1) sur le Colloque organisé le 20 mars 1997, sur les perspectives de l'économie mondiale à l'horizon 2005,
Par M.Bernard BARBIER,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Bernard Barbier,
président
; Bernard Hugo, Marcel
Lesbros, Georges Mouly, René Régnault,
vice-présidents
; Jacques Braconnier, Louis Minetti,
secrétaires
; Mme Janine Bardou, MM. Michel Charzat, Roger
Husson, Henri Le Breton, Daniel Percheron, Jean-Marie Poirier, Roger
Rinchet, Jean-Jacques Robert.
Économie internationale.
INTRODUCTION
Depuis 1984, la Délégation pour la
planification propose chaque année aux membres de la Haute
Assemblée de consacrer quelques heures à la présentation
et la discussion de travaux réalisés par les organismes d'analyse
et de prévision avec lesquels le Service des Etudes du Sénat
collabore régulièrement.
Cette réunion veut être un lieu d'information et de
réflexion. En prenant ainsi l'initiative d'une rencontre entre
experts
et
sénateurs
, la Délégation pour la
planification s'attache à tenir le rôle d'information qui lui est
confié et à contribuer, dans le domaine économique,
à la mission prospective du Sénat.
Un Colloque consacré aux
perspectives de l'économie mondiale
à l'horizon 2005
s'est ainsi tenu le 20 mars 1997, sous le haut
patronage de M. René MONORY, Président du Sénat.
La présidence des travaux a été assurée par M.
Bernard BARBIER, Président de la Délégation pour la
planification.
Les débats ont essentiellement porté sur la présentation
et la discussion d'une projection de l'économie mondiale
réalisée à l'aide du modèle multinational MIMOSA,
commun au Centre d'études prospectives et d'informations internationales
(CEPII) et à l'Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE). (La version finale de cette étude figure en
annexe
à ce rapport).
Ils constituent la première phase des travaux de projections
macroéconomiques conduits en 1997 par la Délégation pour
la planification, dont la visée est à la fois
mondiale
et
à
long terme
. En conséquence, il était
demandé aux intervenants de se concentrer sur ce double horizon et
d'éviter de se focaliser sur le court terme.
Compte tenu des enseignements qu'elle retirera de ce Colloque, la
Délégation fera en effet procéder dans les prochains mois
à de nouveaux cadrages dans le but de présenter à
l'
automne
, comme à l'habitude, des perspectives davantage
centrées sur l'économie française et décrivant de
façon plus précise le profil des prochaines années.
I - ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. René MONORY, Président du Sénat.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je suis
très heureux d'ouvrir vos travaux parce que, pour nous, c'est une
fierté d'avoir cette Délégation pour la Planification.
Vous savez combien j'ai dit et répété en accédant
à la Présidence de cette Maison, que je souhaitais l'ouvrir
à toutes les formes de réflexion, sur les pays étrangers
et sur la prospective. Le message a été entendu, car la plupart
des colloques qui se déroulent ici, qu'ils soient ou non d'inspiration
sénatoriale, sont en général très près de la
prospective. Et même parfois, ceux qui se défendent de faire de la
prospective, en font naturellement sans s'en rendre compte, car c'est une
activité irremplaçable.
C'est pourquoi je suis très fier de cette Délégation et je
souhaite même peut-être dans l'avenir - on en a déjà
parlé au Bureau : il y aura certainement une évolution dans
nos structures - la renforcer encore sous certaines formes, en l'ouvrant
peut-être un peu plus à toutes les tendances... C'est un outil
précieux qu'il faudra protéger, conserver, développer.
D'ailleurs, nous sommes un peu uniques en notre genre puisque
l'Assemblée Nationale n'a pas, à ma connaissance, une
Délégation aussi active que la nôtre.
Le terme de "mondialisation" qui est maintenant très souvent
utilisé, paraît susciter parfois quelques inquiétudes. Pour
ma part, je n'ai aucune inquiétude car la mondialisation est
inéluctable. On n'arrête pas la recherche, la création, la
dynamique des pays. Il faut s'adapter et ne pas se demander comment
arrêter le cours des choses. Il faut au contraire se demander comment les
suivre et même les dépasser.
Certes, cette mondialisation n'est pas favorable à toutes les
catégories d'activités ou de production. Certaines vont en
souffrir alors que d'autres vont se développer. Quand on regarde les
chiffres actuels, on constate que l'excédent de notre balance
commerciale, dont nous sommes fiers aujourd'hui, se fait beaucoup plus avec les
pays émergents qu'avec les pays développés. Cela ne veut
pas dire qu'il faille sous-estimer ou négliger les pays
développés, mais il est vrai qu'il y a une place à
prendre. J'entends souvent le Président de la République dire que
l'on doit aller chercher la croissance là où elle se fait. Or,
aujourd'hui, ces pays émergents vont prendre de plus en plus
d'importance dans le développement mondial. La croissance du monde a
approché les 3 % en 1996, et devrait rester, d'après les
prévisions du CEPII et de l'OFCE, de cet ordre dans les années
à venir.
A cela, s'ajoute le fait que nous ne sommes plus uniquement quelques pays
à nous partager cette croissance mondiale. Par conséquent, il est
impératif de nous adapter, sinon nous ne ferons pas assez de croissance.
C'est malheureusement ce qui nous est arrivé. En effet, depuis 1980, les
chiffres révèlent que l'on a oscillé entre 1,4 et
1,5 % de croissance, c'est-à-dire la moitié de celle
réalisée par nos voisins, qui ont connu, eux, une croissance de
2,5 ou 3 %. La seule vraie croissance que nous ayons connue, a eu lieu sur
une période très courte, entre 1988 et 1989, à la suite
des privatisations assez bien réussies en France et au moment de la
réunification allemande.
Ne nous faisons pas d'illusions, si nous nous en tenons à ce rythme de
croissance, nous rencontrerons des problèmes.
A cet égard, une petite anecdote. Une personne avec laquelle
j'évoquais ce sujet récemment, m'a livré cette
réflexion toute simple : "Vous avez invité dix personnes à
votre table. Vous avez un gâteau pour dix. Ils arrivent à treize.
Il y a deux solutions : ou vous partagez le gâteau en treize ou vous
faites rapidement un gâteau supplémentaire de trois parts".
C'est une piste de réflexion : la croissance du monde est
régulière et de plus en plus forte, mais si, pour notre part,
nous continuons à ne pas faire d'effort pour avoir notre part de
richesse supplémentaire, nous aurons moins à nous partager. On
nous taxe de vouloir réduire les déficits, certes, mais c'est une
bonne chose, à mon avis. On nous dit que le pouvoir d'achat n'augmente
pas, mais il ne peut pas augmenter sans créer au préalable de la
richesse.
Sans vouloir interférer dans vos travaux, je dirai que la
première question à poser est la suivante : comment faire de la
richesse ? Si l'on ne crée pas davantage de richesse sur le plan mondial
et en France, on ne réussira pas à donner satisfaction à
ceux qui, légitimement, souhaitent accroître leurs revenus.
Aujourd'hui, les réactions des uns et des autres sont plutôt
keynésiennes : augmentation des salaires, réduction du temps
de travail, etc. Cela ne me paraît pas être la bonne
méthode.
A l'heure actuelle, notre pays souffre du manque d'investissement. Comment
peut-on relancer l'investissement, alors que la situation économique le
permet, alors que les entreprises ont l'argent pour le faire ? Aujourd'hui,
même si la France est endettée, elle ne l'est pas plus que les
autres. Il faut trouver le moyen de faire redémarrer cet investissement.
Pardonnez-moi une comparaison qui n'est pas mondiale, mais je dis toujours que
la décentralisation doit amener les collectivités à
oeuvrer pour la croissance. Il n'y a aucune raison que les collectivité
locales, qui jouent un rôle important dans le financement des
investissements, ne mènent pas une politique axée sur le
développement de la richesse. Il ne s'agit pas simplement d'administrer
ou d'aider les plus malheureux, il faut le faire bien sûr, mais plus le
gâteau sera large, plus la tâche sera aisée.
C'est la politique que j'ai choisie dans mon département : de 1984
à 1996, j'ai multiplié par cinq l'investissement, alors que les
frais de fonctionnement n'ont augmenté que de 60 %. Le
Département a de l'argent, il investit, il n'emprunte pas, il baisse ses
impôts, ce qui montre bien que l'investissement n'est pas sans importance
dans la richesse d'un pays.
Ce dont nous souffrons, en Europe en général, en France en
particulier mais aussi en Allemagne - j'en ai parlé récemment
avec les proches du Chancelier KOHL -, je le répète, c'est d'un
manque d'investissement. Tous les pays qui investissent peu ont une croissance
faible et un chômage élevé. En revanche, les pays qui
investissent beaucoup ont une croissance élevée et un taux de
chômage en baisse.
Je crois donc que dans les prochaines années, il est essentiel, pour
notre pays, que nous recherchions les moyens de développer la
croissance, de développer la richesse. Il est tout de même
dramatique de constater que depuis quinze ans, nous n'avons pas
dépassé en moyenne 1,50 % de croissance, alors que dans le
même temps, la moyenne mondiale était de 2,80 à 3 % !
C'est-à-dire qu'en moyenne, notre croissance a été
inférieure de moitié, chaque année, à la croissance
mondiale.
C'est un sujet important sur lequel il faut se pencher.
Par ailleurs, un autre point ne doit pas être négligé,
l'essor de l'intelligence et de l'imagination.
Je me déplace souvent à l'étranger car j'estime qu'il est
important de voyager - j'appelle cela faire une piqûre de rappel - et
d'aller aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches. Cela permet
de voir ce qu'attendent de nous les pays en développement et d'observer
les évolutions extrêmement rapides des grands pays
développés. Or, ces évolutions rapides n'existent que par
l'investissement et par l'innovation.
Personnellement, je suis persuadé que si nous sommes performants dans
ces domaines, nous pourrons accroître rapidement notre
développement, car il faut innover et trouver des produits nouveaux.
En matière d'emploi, nous devons nous battre non seulement pour les
emplois que nous connaissons - et nous devons faire tout notre possible pour
les faire évoluer - mais aussi pour les emplois nouveaux, que nous ne
connaissons pas et qui sont à notre porte. Or chaque jour, il se
crée des emplois nouveaux, à un rythme très rapide. Des
emplois que nous ne connaissions pas il y a deux ans, connaissent un grand
succès à l'heure actuelle. Nous avons donc beaucoup de travail
à faire. Tout en préservant l'existant, il ne faut pas rester
tourné vers le passé, il faut vivre avec l'avenir. C'est cela, la
prospective.
C'est pourquoi, Monsieur BARBIER, je vous remercie vivement d'animer cette
délégation.
Je voudrais en profiter pour vous dire tout le plaisir que j'ai à
être avec vous aujourd'hui et de savoir que vous allez travailler sur ces
thèmes importants.
Croyez-moi, le Sénat doit être un lieu de réflexion. Nous
avons la chance d'avoir des élections qui sont moins fréquentes
et moins politisées que celles des députés, ce qui nous
laisse le temps de la réflexion. Si nous n'en profitions pas, nous
serions coupables.
Je souhaite que vous continuiez dans la même voie, je vous remercie
infiniment et je suis persuadé que de vos travaux sortiront des
idées qui seront fort utiles et aideront la France à trouver sa
vraie place dans le monde, à mon avis, l'une des premières, si
elle veut bien s'en donner les moyens, quitte à consentir certains
sacrifices.
(Applaudissements)
I. UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE MONDIALE À L'HORIZON 2005, réalisée l'aide du modèle multinational MIMOSA, commun au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
·
Présentation par M. Henri STERDYNIAK (OFCE)
et Mlle Laurence BOONE (CEPII)
M. Henri STERDYNIAK.-
Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, Mesdames et Messieurs, je voudrais commencer par remercier M.
le Sénateur BARBIER pour la confiance qu'il nous accorde depuis de
nombreuses années en nous invitant une fois par an à venir
présenter une prévision de l'économie mondiale. Il nous
arrive parfois de nous retourner sur les travaux que nous avons menés
dans le passé, et nous nous apercevons que nous avons commis certaines
erreurs - il y a par exemple de grandes évolutions politiques que nous
n'avons pas prévues -, mais dans l'ensemble, le résultat n'est
pas si mauvais que cela. Malheureusement, il apparaît que nous avons
généralement péché, contrairement à ce qui
avait été dit au moment où nous présentions nos
travaux, en nous montrant trop optimistes par rapport à ce qui s'est
effectivement réalisé, en particulier quant à
l'évolution du chômage en Europe.
J'espère que cette fois-ci, il en sera autrement et que la
réalité sera plus rose que le compte un peu gris que je vais
vous présenter.
Cette année, nous avons choisi d'appeler notre rapport "
La croissance
est ailleurs
", car cela nous semble un sentiment aujourd'hui diffus,
mais
dominant en Europe.
Les zones en développement rapide - l'Asie et certains pays
d'Amérique latine - sont lointaines. Les Etats-Unis ont
réussi depuis cinq ans un rétablissement remarquable,
marqué par le retour et le maintien du plein emploi et sur ces cinq ans,
leur croissance a été supérieure de 5,5 points à
celle de l'Europe.
Au contraire, l'Europe n'a pas récupéré le déficit
de croissance qui s'est creusé dans les années 1991-1993. Les
zones qui entourent l'Europe, se sont enfoncées dans la stagnation
économique, comme l'Afrique, connaissent une très grande
instabilité politique, comme l'Algérie, les Balkans ou la Russie,
ou sont engagées dans une phase délicate de transition.
L'Europe ne peut guère se consoler en regardant le sort du Japon qui
semble, lui aussi, avoir perdu le secret de la croissance et dont le leadership
dans l'innovation économique est de plus en plus remis en cause.
Ce rapport présente une prévision de l'économie mondiale
à l'horizon 2005. Le poids marquant en est une croissance relativement
faible dans les pays de l'OCDE et une croissance mondiale qui provient
essentiellement du dynamisme des zones hors OCDE. Le monde croît, sur les
huit années à venir, à un taux de 3,1 % l'an. La
croissance de l'OCDE et celle de l'Union européenne ne sont que de
2,1 % l'an.
L'Europe, à notre avis, n'est pourtant pas une zone condamnée au
déclin. Il n'y a pas de facteur - nous en discuterons tout à
l'heure - qui amènerait à penser que son potentiel de croissance
est brutalement affaibli, mais il y a un écart qui s'est creusé
et qui se creuse toujours entre son potentiel de croissance et sa croissance
effective. L'Europe souffre de son incapacité à mettre en oeuvre
une stratégie coordonnée de croissance, de redistribution et
d'ouverture. La croissance européenne est engluée dans un cercle
vicieux, marqué par un chômage important, de faibles hausses du
pouvoir d'achat des salaires et des revenus des ménages, des demandes
intérieures atones, des déficits publics élevés et
en même temps, des politiques budgétaires restrictives.
Malgré des éléments favorables, qu'il ne faut pas oublier,
comme la disparition de l'inflation, l'excédent extérieur, la
bonne situation financière des entreprises, la dynamique de la
croissance ne revient pas en Europe dans notre scénario.
Une question récurrente se pose donc : comment retrouver le dynamisme
économique ?
Deux solutions contradictoires sont proposées :
- soit on choisit de libérer les forces de marché, en diminuant
progressivement le poids de l'Etat, les prélèvements
obligatoires, l'Etat-Providence, la législation sociale. On accepte
à court terme un développement des inégalités
sociales, la dégradation de la situation des chômeurs, des
travailleurs non qualifiés et de celle des couches moyennes qui
profitent largement de l'Etat-Providence. On espère ainsi retrouver le
modèle américain qui semble avoir mieux réussi ;
- soit au contraire, on cherche à consolider le modèle social
européen en acceptant des niveaux élevés de
prélèvements obligatoires et de subventionner massivement des
régions, des secteurs économiques et des catégories de
travailleurs en difficulté.
Entre ces deux grands scénarios, l'Europe n'a pas choisi. Elle n'adopte
pas, dans notre prévision, une stratégie économique
offensive. Les politiques économiques sont dictées par le souci
de respecter à tout prix les grands équilibres. Aussi l'Europe ne
retrouve-t-elle pas, dans notre prévision, le chemin de la croissance.
Nous allons commencer par vous présenter trois points qui nous semblent
cruciaux pour la conjoncture de l'année 1997 et des toutes prochaines
années.
1. Les conséquences de la montée du dollar
L'Europe s'est plainte pendant longtemps du bas niveau du
dollar. En avril 1995, le dollar était à un niveau de
1,35 mark et depuis, il s'est apprécié, d'abord lentement,
puis beaucoup plus rapidement dans la dernière période, et le
niveau qu'il atteint actuellement - 1 dollar pour 1,7 mark - correspond,
miraculeusement, au niveau que l'on considère souvent comme le niveau de
parité de pouvoir d'achat, celui qui assure que,
grosso modo
, les
prix à la consommation sont les mêmes aux Etats-Unis et en Europe.
Au total, le dollar a augmenté depuis avril 1995, de 27 %.
Le dollar est soutenu par un niveau de taux d'intérêt plus
élevé qu'en Europe ; il est soutenu aussi par le dynamisme
américain qui fait qu'un certain nombre de capitaux sont attirés
par la rentabilité élevée de ces entreprises.
Par contre, les Etats-Unis continuent à présenter un
déficit courant, de l'ordre de 2 points de PIB, alors que l'Union
européenne dans son ensemble, a un excédent de 1 point de PIB.
Il est très difficile de prévoir ce que va être la
réaction des marchés, donc l'évolution des taux de change.
Il nous a semblé qu'une poursuite d'une bulle spéculative du
dollar n'était pas l'hypothèse la plus probable, en particulier
si, comme le retient notre projection, nous assistons à un croissance
plus nette en Europe dans les années 97-98, à un certain
ralentissement aux Etats-Unis et puis à la fin des doutes sur l'Union
économique et monétaire.
Aussi dans notre prévision, le dollar se stabilise-t-il à un
niveau intermédiaire, de l'ordre de 1 dollar pour 1,5 Mark,
soit 5,3 F.
Cette hausse du dollar va avoir un impact favorable sur les économies
européennes. C'est la raison pour laquelle nous avons
étudié, avec le modèle MIMOSA, l'impact de
l'appréciation du dollar ; une appréciation du dollar qui est,
grosso modo
, de 10 % en 1997 par rapport au niveau de 1996 (voir
Tableau 3, Thème 2).
Cette appréciation du dollar se traduit par une hausse du niveau de
production en Europe qui est, en 1997, d'environ 0,5 point de PIB. Il y
donc un léger mieux en Europe, qui, dans notre simulation, est
concentré sur l'année 1997. Ce mieux est appréciable, mais
cela ne résout pas pour autant les problèmes européens,
qui ne résident pas exclusivement dans le niveau du dollar.
On observe également que cela entraîne un léger choc
inflationniste en Europe, de l'ordre de 0,4 point l'an en 1997 et en 1998, et
du coup, une réaction des autorités monétaires qui
augmentent un peu les taux d'intérêt, de l'ordre de 0,4 à
0,5 point, ce qui tend à limiter l'effet de l'appréciation du
dollar. C'est ce qui explique que nos chiffres sont un peu plus bas que ceux
d'autres études qui ne prennent pas en compte cette hausse des taux
d'intérêt.
2. La création de l'Euro
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister,
c'est le problème de l'évolution des négociations
concernant la création de l'Euro, et nous avons consacré dans le
document qui vous a été remis une partie à ce
thème, qui s'appelle "
La création de l'Euro : les
incertitudes
", parce que la décision qui va être prise sur
l'Euro va évidemment conditionner, de façon importante, la
conjoncture dans l'économie européenne dans les années
à venir.
Il n'est guère facile, à l'heure actuelle, de prévoir
quelle sera la décision qui sera prise en 1998, aussi bien quant
à la création de l'Euro que quant au champ de l'Euro.
Dans le Traité de Maastricht, l'objectif était clair : "On
va faire des critères automatiques, de sorte qu'il n'y aura aucun
problème en 1998 ; les pays qui vérifieront ces
critères, seront pris automatiquement. Mais la décision ne sera
plus une décision politique, les pays se sont engagés à
rentrer s'ils vérifient les critères, à l'exception du
Danemark et du Royaume Uni".
Le point gênant, c'est que l'on peut penser maintenant que la plupart des
pays, même les pays les plus vertueux, ne vérifieront pas les
critères, en particulier le critère de dette publique.
Si l'on prend le cas de l'Allemagne, la dette publique allemande dépasse
les 60 % du PIB depuis 1996 et devrait atteindre 62 % en 1997.
Même situation pour l'Autriche qui est passée récemment de
65 % du PIB en 1994 à 73 % en 1997. La dette publique de la
Belgique représente 127 % du PIB.
La décision ne pourra donc être une décision automatique,
ce sera automatiquement une décision politique et le Conseil devra peser
soigneusement les forces et les intérêts en présence,
puisque d'un côté, il y aura le souci des pays du Sud de ne pas
être marginalisés en Europe, il y a l'effort important qu'ils ont
réalisé en matière de finances publiques et il y a
également un problème d'unité politique de l'Europe qui
plaide pour que l'on fasse immédiatement un Euro large, mais par
ailleurs, on sait qu'il y a des réticences de l'opinion publique
allemande. Les banques centrales des pays les plus solides
préféreraient commencer uniquement avec les pays du "noyau dur"
pour ne pas courir le risque de perdre en crédibilité. On ne sait
donc pas quelle sera l'issue de la négociation.
Dans notre papier, cinq scénarios envisageables sont
présentés :
- le scénario de crispation allemande où l'Allemagne argue que
personne ne vérifiant les critères actuellement, il faut
repousser la date de création de l'Euro ;
- le scénario de "noyau dur" où l'Euro se réduit aux pays
qui maintiennent depuis longtemps la parité avec le mark : l'Allemagne,
la France, le Bénélux, l'Autriche. C'est la situation que les
marchés semblent privilégier à l'heure actuelle ;
- le scénario d'affrontement où une fois que les pays de l'Europe
du Sud seraient écartés, ils voteraient contre l'entrée
des pays de l'Europe du nord, et à ce moment-là, aucune
majorité qualifiée ne se dégagerait au Conseil
européen, d'où la catastrophe institutionnelle ;
- le scénario, le plus satisfaisant pour l'Union européenne, est
celui de l'Euro large ;
- le scénario de compromis, difficile à imaginer, où l'on
accepterait immédiatement certains pays, et où la candidature
d'autres serait repoussée de un ou deux ans en leur garantissant qu'elle
serait examinée avec un
a priori
favorable, mais il sera
très difficile d'avoir un compromis qui n'inquiète pas les
marchés.
Nous avons donc retenu principalement un scénario, dit scénario
1, qui est celui d'un Euro qui se réduit au départ au" Noyau
dur". Il y a également un scénario 2 qui est
présenté dans le tableau page 31 de l'annexe, qui retient
l'hypothèse d'un Euro large, c'est-à-dire d'un Euro qui inclut
dès le début, l'Italie, l'Espagne et le Portugal.
Ce dont les opinions publiques allemande et française n'ont
peut-être pas vraiment conscience à l'heure actuelle, c'est que
ces pays, en particulier l'Italie et l'Espagne, ont fait, dans la
période récente, des progrès extrêmement importants
sur le plan de l'inflation et sur le plan de la remise en ordre de leurs
finances publiques. Or, d'une part, ce n'est pas souhaitable, et d'autre part,
il sera très difficile de ne pas les inclure, au départ, dans
l'Euro.
Dans le scénario où les pays de l'Europe du Sud ne sont pas pris
initialement dans l'Euro, nous avons fait l'hypothèse que les
marchés s'inquiéteraient, que les taux d'intérêt en
Italie et en Espagne augmenteraient par rapport aux taux d'intérêt
allemands et que ces pays qui subissent déjà le poids d'une
politique budgétaire extrêmement restrictive, ne pourraient pas
supporter en même temps, le poids de taux d'intérêt
élevés et le poids d'un taux de change relativement
surévalué, comme c'est le cas de la lire actuellement. Nous avons
donc fait l'hypothèse que la monnaie de ces pays
déprécierait de 10 % en 1997 et 1998.
Le tableau de la page 31 de l'annexe permet de comparer la situation,
principalement de l'Italie et des pays du Sud, selon qu'ils sont ou qu'ils ne
sont pas pris dans l'Union économique et monétaire.
On s'aperçoit que, de façon tout à fait paradoxale, si
l'Italie n'est pas prise dans l'Union économique et monétaire, si
elle dévalue, elle se retrouve dans une situation relativement plus
favorable, c'est-à-dire que sa croissance peut être plus
élevée, d'environ 1,2 % l'an 1998, 1999 et 2000, avec plus
d'inflation, parce que l'Italie et l'Espagne, dès lors, gagneraient en
compétitivité de façon importante par rapport aux pays du
Noyau dur, les pays de l'Euro.
Contrairement à ce que l'on pense généralement, ces pays
ne seraient pas tellement affectés par des dévaluations
italiennes et des dévaluations espagnoles parce que ces pays
dévalueraient, certes, et naturellement ils gagneraient en
compétitivité, mais en contrepartie, ils pourraient avoir une
activité plus soutenue et cela offrirait des marchés plus
importants pour nos produits.
Par conséquent, les pays du "Noyau dur" n'ont pas à craindre des
dévaluations compétitives de l'Italie et de l'Espagne. Le
problème que met en évidence la comparaison des deux
scénarios, c'est que l'Italie aurait beaucoup du mal à l'avenir
à concilier la poursuite d'une politique budgétaire restrictive
et le maintien d'une livre qui, actuellement, est relativement
surévaluée.
En ce qui concerne la politique monétaire, on a fait globalement
l'hypothèse d'un maintien des stratégies actuelles des banques
centrales. Ce maintien des stratégies actuelles des banques centrales
fait que les taux d'intérêt, à l'avenir, restent à
des niveaux relativement élevés par rapport au taux de
croissance. C'est ce que vous montre le tableau à la page 10 de
l'annexe, où l'on voit que dans la période à venir, les
taux d'intérêt longs restent supérieurs d'environ
2 points au taux de croissance du PIB, ce qui est
grosso modo
, mis
à part de petits ajustements régionaux, ce que l'on avait connu
sur la période précédente. Les taux d'intérêt
diminueraient cependant un peu en Europe et particulièrement en France,
parce que la France bénéficiera, si l'Euro se fait, de la
disparition de la prime de risque vis à vis de l'Allemagne ; mais il n'y
a pas de grand choc monétaire inscrit dans notre prévision, en ce
sens qu'il y a une inertie des taux d'intérêt longs, il y a une
certaine faiblesse de la croissance dans les pays de l'Union européenne
et le taux d'intérêt long ne passe donc pas en-dessous du taux de
croissance de l'économie ; on ne note pas de forte impulsion du
côté de la politique monétaire.
Je vais maintenant passer la parole à Laurence BOONE qui va nous
présenter l'autre grand choc de la période, à savoir les
politiques budgétaires restrictives.
Mlle Laurence BOONE -
Je vais compléter les hypothèses de
la projection présentée par Henri STERDYNIAK en vous
décrivant la situation budgétaire et ensuite, les
résultats du compte seront présentés.
C'est une des premières fois dans l'histoire économique que
l'ensemble des pays de l'OCDE a décidé de réduire ses
déficits budgétaires de façon concomitante. Il y a donc un
impact assez important de la situation budgétaire sur l'économie.
En effet, à court terme, les Etats-Unis visent l'équilibre
budgétaire pour 2002. Au Japon, il y a eu plusieurs politiques de
relance monétaire ces dernières années pour stimuler la
demande, politiques qui ont creusé le déficit, et les
autorités japonaises cherchent maintenant à corriger ce
mouvement. Enfin, dans l'optique de l'Union monétaire en Europe, les
différents pays cherchent à satisfaire le critère de
déficit du traité de Maastricht qui est un déficit public
inférieur à 3 % du PIB.
A court terme, nous avons retenu les hypothèses budgétaires qui
sont présentes dans les lois de finances des différents
gouvernements. En général, cela va cadrer nos projections pour
les années 97-98. A plus long terme, nous avons retenu les grandes
orientations affichées par ces gouvernements.
L'une des idées qui nous paraissait intéressante était de
voir si les politiques d'assainissement des finances publiques avaient un
impact sur la croissance. Nous avons donc évalué les efforts mis
en place par les différents gouvernements et tenté d'en
évaluer l'impact sur la croissance. Pour mesurer un effort
budgétaire, il est nécessaire de regarder les variations du
déficit public hors variations des charges d'intérêt de la
dette et hors variations qui seraient purement conjoncturelles et dues à
l'écart entre la croissance réalisée et la croissance
potentielle. Nous avons ainsi tout d'abord recalculé ces efforts
budgétaires et nous les avons ensuite insérés dans le
modèle pour en évaluer l'impact sur la croissance.
Il faut noter que dans l'ensemble, les efforts budgétaires effectifs
apparaissent légèrement moindres qu'ils ne sont annoncés
par les gouvernements. Ainsi aux Etats-Unis, la politique budgétaire
apparaît plutôt neutre pour l'activité. En Allemagne et en
France, elle est plus restrictive, mais elle est de l'ordre d'environ 0,5 point
de PIB par an. Enfin, au Japon où l'on annonçait un effort de
plus de 2 points de PIB, il se révèle être à environ
1,3 point de PIB la première année, ce qui est tout de même
très important. Finalement, en Italie où l'effort annoncé
est d'environ 2 points de PIB, on a effectivement un effet extrêmement
important, au moins en 1997.
Quels sont les résultats de cette simulation ?
Globalement, l'ensemble de ces efforts budgétaires pratiqués en
même temps, entraîne une contraction de la demande qui va induire
une baisse de l'activité, et donc une baisse des prix,
parallèlement à une montée du taux de chômage. En
réaction, les autorités monétaires baissent les taux
d'intérêt. Plus particulièrement en Europe, la baisse de
l'activité cumulée au bout des trois années est d'environ
1,5 point de PIB, malgré une baisse cumulée sur les trois
ans des taux d'intérêt de 0,9 point. Le chômage
augmenterait de 0,6 point à la fin de la période de
simulation.
Au Japon, les efforts sont plus particulièrement importants en 1997,
puisqu'ils représentent 1,3 point de PIB. On a une baisse de
l'activité dès cette année 1997, de 1,5 point,
malgré la baisse des taux d'intérêt - elle est faible la
première année - et la dépréciation vis à
vis du dollar.
Enfin, aux Etats-Unis, on va assister à un léger ralentissement
de l'activité qui sera principalement dû à la baisse de la
demande des pays partenaires, combinée à l'appréciation
relative du dollar.
Au total,
quel est l'effet sur les déficits budgétaires
?
Au Japon, au Royaume-Uni et en Italie, on assiste à un redressement
significatif des finances publiques, puisque le Japon améliore son solde
public de 0,9 point de PIB, de même que le Royaume-Uni, mais le
redressement que l'on peut voir est moindre que l'effort qui a
été mis en oeuvre. En effet, l'effort important mis en oeuvre, a
réduit la demande qui a, en retour, pénalisé ces efforts.
On a ainsi une réduction réelle des déficits
budgétaires, mais qui reste limitée par la dépression
induite de l'activité.
Maintenant qu'avec Henri STERDYNIAK nous avons revu l'ensemble des
hypothèses monétaires et budgétaires cadrant la
projection, je vais :
- présenter les principaux résultats de cette projection,
- rappeler brièvement l'environnement dans lequel ils se passent,
- présenter la tendance de moyen terme,
- me concentrer sur l'évolution du cycle.
En conclusion, nous soulignerons quelques incertitudes liées à
cette projection et qui pourraient en modifier certains aspects.
Il faut tout d'abord rappeler que nous avons choisi, dans l'ensemble,
des
hypothèses mesurées.
Il n'y a pas de retournement brutal des
politiques monétaires et donc pas de crise financière ni de crise
de change. Le dollar va être légèrement corrigé en
1998, mais il ne rejoindra pas les bas niveaux auxquels nous avions
assisté ces dernières années. L'union monétaire va
se mettre en place à la date prévue et les politiques
budgétaires restent prudentes, puisque l'on a des efforts
d'assainissement, mais on ne s'obstine pas à atteindre des objectifs.
En même temps, le contexte mondial est plutôt favorable à
l'ensemble de la projection. Les pays en développement connaissent des
taux de croissance élevés, notamment en Asie où les
nouveaux pays émergents ont des taux de croissance annuels moyens
d'environ 7 %. Les Pays de l'Est, sous l'effet conjugué de
l'ouverture européenne et de la poursuite des réformes, devraient
également connaître une croissance soutenue, de l'ordre de
5 % en moyenne annuellement. Globalement, la demande adressée par
les pays en développement aux zones industrialisées va rester
dynamique.
La projection se caractérise par une croissance modérée
des pays de l'OCDE au cours des dix prochaines années. Elle serait aux
alentours de 2 % en Europe et aux Etats-Unis, entre 2 et 2,5 % au
Japon sur l'ensemble de la projection.
La projection se caractérise également par un retour du cycle,
bien qu'il soit peu marqué, puisque l'on n'assiste pas à de
brutales récessions ni à de vigoureuses hausses de la croissance.
On peut distinguer
trois phases à ce cycle
:
- les années 97-98, où la croissance se poursuit aux Etats-Unis
et reprend plus fortement en Europe,
- les années 1999-2001 où la croissance se ralentit et
l'activité progresse, mais plus faiblement,
- une reprise synchrone dans tous les grands pays de l'OCDE qui va s'amorcer en
2001 et s'affirmer progressivement, mais avec un taux de croissance annuel qui
ne dépassera pas les 2,5 % à l'horizon de la projection.
Aux Etats-Unis, la progression de l'activité va commencer à se
ralentir légèrement à partir de 1998, avec le
renouvellement du stock de capital et de biens durables, et l'on atteindra un
creux du cycle en 2001, avec un taux de croissance de 0,6 %, au plus bas
du creux. Cependant, l'assouplissement de la politique monétaire va
créer les conditions favorables à la reprise et la croissance
dépassera à nouveau les 2 % dès 2003.
En Europe, la dynamique du cycle va résulter de la conjonction de
plusieurs éléments, dans un contexte de politique
budgétaire assez restrictive. L'appréciation récente du
dollar, associée au bas niveau des taux d'intérêt
réels favorise la reprise de l'activité en 97 et 98. La
correction partielle du niveau du dollar en 98, associée au
ralentissement américain, entraîne un essoufflement rapide du
cycle en Europe.
Au total, pour 1997, la croissance serait robuste dans les pays de l'OCDE -
puisque l'on a une croissance de l'ordre de 2,2 % aux Etats-Unis et de
2,4 % en France et en Allemagne -, sauf en Italie où la croissance
ne serait que de 1,1 % et au Japon où elle plafonnerait à
1,7 % à la suite des importants efforts budgétaires mis en
oeuvre par ces deux pays en 1997.
En 1998, la croissance devrait se poursuivre dans l'ensemble de la zone. On
aura une croissance moyenne de 2,8 % en Europe, 2,3 % au Japon, mais
de seulement 2,1 % aux Etats-Unis.
Ensuite, on aborde la phase de creux du cycle, qui ne sera pas très
prononcée, puisqu'en 2001, année du creux, la croissance atteint
les 1,1 % en moyenne annuelle, mais la reprise qui va suivre sera
également modeste et le taux de croissance de l'OCDE ne devrait pas
dépasser les 2,4 % au sommet du cycle qui devrait avoir lieu en
2003.
Dans ce contexte, il ne devrait pas y avoir de développement
spectaculaire de l'inflation qui va rester modérée, mais
également pas de résorption du chômage qui reste
élevé en Europe.
En effet, la croissance des prix ne dépasse pas les 2,5 % dans les
grands pays industrialisés, sauf en Italie et en Europe du Sud dans le
cadre du scénario 1 où à la suite de la
dépréciation des monnaies italienne et d'Europe du Sud,
l'inflation atteindrait des niveaux proches de 4,5 %. Il faut noter qu'en
Italie, ces niveaux seraient rapidement résorbés et en fin de
période, l'inflation devrait rejoindre les 2,8 %.
Les taux de chômage en Europe restent stables, autour des niveaux
actuels, sauf en Allemagne où le ralentissement de la population active,
plus marquée en fin de période, permettra au taux de
chômage de repasser sous les 10 %. Aux Etats-Unis, le taux de
chômage devrait retrouver des niveaux plus proches des 6,5 % en fin
de période, alors que le taux de chômage japonais repassera
en-dessous des 2 % à l'horizon de la projection.
Enfin, les déficits budgétaires ne devraient pas se
résorber complètement, mais ils vont rester
contrôlés sur l'ensemble de la période et ils seront aux
alentours de 2 points de PIB pour l'ensemble des pays de la zone OCDE
à l'horizon de la projection. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui
prévoyaient un solde budgétaire nul à l'horizon de la
projection, n'y parviennent pas ; leurs déficits publics se stabilisent
autour de 2 points de PIB. Quant aux pays européens qui visaient
à un équilibre budgétaire ou à un
quasi-équilibre budgétaire, ils vont demeurer également
au-dessus et afficher des déficits autour de 3 points de PIB
à l'horizon de la projection.
Finalement, plusieurs incertitudes pourraient affecter nos résultats,
notamment aux Etats-Unis où un relèvement des taux
d'intérêt suivant des signes de conjoncture forte en 1997,
pourrait remettre en cause l'ascension vertigineuse des marchés à
laquelle on assiste et par là même, la fragile structure
d'endettement des ménages qui verraient leur richesse nette se
réduire. Le retournement serait alors beaucoup plus brutal que dans la
projection et les fluctuations du cycle seraient beaucoup plus marquées.
Au Japon, la fragilité du système bancaire reste un sujet
d'inquiétude à court terme, et l'ajustement budgétaire
pourrait être renforcé si, comme dans notre projection, le solde
public ne se redresse pas assez significativement, puisque les Japonais doivent
faire face à un vieillissement de la population beaucoup plus rapidement
que les pays européens et les Etats-Unis.
En Europe enfin, on pourrait espérer que le choc favorable de la
récente appréciation du dollar améliore plus nettement les
anticipations des agents, ce qui pourrait conduire à une phase de
croissance plus robuste que dans notre projection. Ainsi la mise en place de
l'UEM, qui représente une des grandes incertitudes de notre projection,
se ferait-elle dans un environnement beaucoup plus porteur.
M. Henri STERDYNIAK.-
Je voudrais simplement évoquer deux
questions :
1. la croissance potentielle.
Vous avez remarqué que dans notre compte, la croissance
est relativement faible en Europe et l'on peut se poser la
question suivante : cette croissance relativement faible
correspond-elle à un affaiblissement durable de la croissance
potentielle en Europe et plus généralement dans les pays de
l'OCDE ?
Nous avons une fiche dans notre étude (page 37 de l'annexe) sur la
croissance potentielle, dans laquelle on rappelle qu'il existe un certain
nombre d'estimations en provenance des institutions internationales selon
lesquelles la croissance potentielle a fortement diminué en Europe et
qu'elle ne serait plus que de l'ordre de 2 à 2,2 % dans la plupart
des pays européens, et que l'écart entre la production et la
production potentielle serait relativement faible : de l'ordre de 2 à
3 points.
Selon nous, ces travaux sont extrêmement contestables : soit ils
proviennent de méthodes statistiques dans lesquelles ce que l'on appelle
la production potentielle n'est en fait qu'un lissage de la production
passée, soit ils proviennent de méthodes plus économiques,
mais dans lesquelles ce résultat est obtenu par un certain nombre
d'hypothèses très contestables, en particulier l'hypothèse
qu'il y aurait eu un nouveau ralentissement tendanciel de la
productivité des facteurs depuis 1991, ralentissement dont on ne
s'expliquerait pas les causes.
Un deuxième élément douteux dans ces estimations est
qu'elles reposent sur l'idée que les taux de chômage
d'équilibre, c'est-à-dire les taux de chômage qui
n'accélèrent pas l'inflation, seraient maintenant
extrêmement élevés en Europe : 11 à 12 %,
donc très proches des taux de chômage effectifs. Or, selon nous,
les taux de chômage actuels en Europe sont plus élevés que
les taux de chômage effectif, et la preuve en est que l'on constate, dans
tous les pays d'Europe, à l'heure actuelle et dans notre projection, une
tendance permanente à la baisse de la part des salaires dans la valeur
ajoutée et à la désinflation, ce qui pour nous est un
indice que la situation en Europe est déséquilibrée et que
le taux de chômage est supérieur au chômage
d'équilibre.
Enfin, dans la plupart de ces analyses, on considère comme
exogène l'évolution du stock de capital. On considère que
cela correspond à une contrainte en soi, alors que selon nous, s'il y
avait une demande plus vigoureuse, étant donné la bonne
santé financière des entreprises, celles-ci n'auraient aucune
difficulté à accroître leurs capacités de
production, même s'il peut y avoir transitoirement une période
difficile liée au fait que l'investissement des entreprises serait en
retard sur les besoins de production.
Cela nous conduit à dire qu'il y a actuellement un écart
important en Europe entre la production et la production effective, et que le
faible niveau de production que nous observons dans notre compte n'est pas
lié à une contrainte du côté de l'offre, mais
simplement à une demande qui reste durablement insuffisante. En effet,
lorsqu'il y a un choc dans l'ensemble des pays européens, comme on l'a
vu par exemple en 1991-1993, les mécanismes de retour spontané au
plein emploi du travail et même du capital ne jouent pas. Le
chômage fait pression sur les salaires, donc la demande est faible,
l'investissement ne se redresse pas même si les profits sont bons, parce
que la contrainte de demande est importante. S'il n'y a pas une politique
économique concertée de relance, l'économie peut ainsi
rester durablement dans un sentier s'éloignant de la croissance
potentielle.
2. Le déclin de l'Europe
Pour terminer, je vous propose de méditer sur le
graphique 3 de la page 13 de l'annexe, qui est en quelque sorte un
résumé des perspectives de production qui se trouvent dans notre
projection.
On observe que le déclin de la part de l'Europe, de la part des
Etats-Unis et même maintenant de la part du Japon dans le PIB mondial se
poursuit et on voit le point important qui est la montée en puissance de
l'Asie hors Japon, en même temps que la relative stagnation des autres
zones : Amérique latine, monde arabe et encore plus Afrique.
Naturellement, l'importance de l'Europe et des Etats-Unis diminue d'ici 2005.
C'est un phénomène heureux, c'est l'enrichissement des pays
pauvres, et on ne peut pas lutter contre cette tendance, sauf à vouloir
empêcher le développement des pays les moins avancés. Ce
développement des zones les plus pauvres doit s'accompagner de
l'acceptation que ces pays auront de plus en plus une influence politique et
économique accrue. La baisse de la part de l'Europe est donc
relativement normale de ce point de vue.
En revanche, l'Europe souffre, dans notre projection, d'une croissance
insuffisante, ce qui pose la question suivante : quels projets pour
l'Europe ?
Deux axes nous semblent importants :
- bien redéfinir les frontières de l'Europe, c'est-à-dire
accentuer la coopération avec les pays de l'Europe de l'Est et les pays
de la zone méditerranéenne, parce qu'il y a là des
possibilités importantes de développement. Il faut saisir ces
possibilités, il faut se construire, comme les Etats-Unis et le Japon
ont su le faire, des zones en développement rapide qui peuvent aider le
développement de l'Europe.
- le problème de l'édification d'un projet social et
économique commun à l'Europe, ce qui pose toute la question de la
coopération en Europe, non pas seulement en matière
monétaire, mais également en matière de politique
budgétaire et de politique sociale.
L'Europe doit réaffirmer son modèle social plutôt que
d'essayer de prendre modèle sur des pays lointains.
Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie.
M. Bernard BARBIER, Président .-
C'est moi qui remercie
vivement l'équipe MIMOSA - je dis "l'équipe", parce qu'il y a
beaucoup de monde qui travaille - et notamment les deux porte-parole,
M. Henri STERDYNIAK et Mlle Laurence BOONE.
Il y a matière à grande réflexion dans tout ce que vous
nous avez dit.
Je crois que M. Jean PISANI-FERRY, Directeur du CEPII, souhaite dire
quelques mots et que M. Pierre-Alain MUET, Directeur du Département
d'Econométrie de l'OFCE, en fera de même ensuite.
Je passe la parole à M. PISANI-FERRY.
·
M. Jean PISANI-FERRY, Directeur du CEPII .-
Merci, Monsieur le Président. Simplement quelques mots.
Ces exercices de projection servent à la fois à poser des
questions, et à essayer d'apporter des réponses. D'une certaine
manière, dans un travail d'élaboration d'une projection, il y a
le temps des questions et le temps des réponses. Traditionnellement, le
Sénat nous accueille pour la première présentation et donc
la première discussion sur nos travaux de projection,
c'est-à-dire à un moment où ce travail est encore du
côté des questions, en quelque sorte, et peut-être cette
année, plus encore que d'habitude, ce qui nous a d'ailleurs conduits
à mentionner sur le document que vous avez que c'est une version
provisoire. C'est sur la base de la discussion qui va avoir lieu, et notamment
des réactions que va nous communiquer Michel DIDIER, que nous souhaitons
continuer à travailler, parce que les incertitudes sont nombreuses.
Je voudrais simplement en souligner trois :
- La première concerne la croissance, notamment de l'économie
mondiale et singulièrement dans les pays industriels.
Henri STERDYNIAK a parlé d'une vision "grise" ; mais il nous a
rappelé qu'un certain nombre de travaux de projections dans le
passé avaient été considérés comme
pessimistes et se sont révélés
ex post
plus
optimistes.
Cette projection nous présente une vision de l'avenir dans laquelle
l'Europe renonce définitivement à résorber le
déficit de croissance des années 90. Et non seulement elle ne
retrouve pas les années perdues, mais elle-même et les Etats-Unis
se retrouvent, à moyen terme, sur une tendance de croissance qui est
inférieure même à la tendance séculaire. Ce n'est
plus simplement par rapport aux Trente Glorieuses qu'il y a un ajustement et un
retour à ce qui serait des tendances séculaires de
croissance : la croissance serait sur quinze ans, nettement en-dessous des
tendances séculaires.
Il y a donc de fortes questions sur ce qui justifie, ce qui explique ce type
d'évolutions. Sont-ce des évolutions que l'on peut attribuer aux
politiques économiques, en dépit d'un compte dans lequel les taux
d'intérêt réels reviennent à un niveau plus normal,
après la phase des années 80 à 90 dans lesquelles les taux
d'intérêt réels ont été très
élevés ? Premier ensemble de questions sur la croissance.
Deuxième ensemble de questions sur un point plus particulier, mais
important actuellement pour nous, le dollar : l'évolution du dollar
reflète-t-elle une évolution vers ce que l'on peut
considérer être un taux d'équilibre ? Au cours des derniers
mois, s'est-on rapproché ou éloigné d'un taux
d'équilibre ?
La projection nous dit : on s'en est d'abord rapproché, puis
éloigné, et l'on va revenir en arrière. Il y a des raisons
pour cela, à savoir de considérer que le niveau
d'équilibre du dollar est très significativement en-dessous de la
parité de pouvoir d'achat, autrement dit que le niveau
d'équilibre macro-économique est très significativement
en-dessous de ce que les industriels considèrent être le taux de
change normal du dollar. Cela peut aussi faire l'objet de débats et de
discussions.
En tout cas, ce que montre l'exercice de variantes associé à la
projection, c'est que le taux de change du dollar est une variable importante
pour la croissance européenne dans les années à venir.
Le troisième point sur lequel il y a des incertitudes - mais elles sont
explicitement présentes dans la projection -, est la question de l'Union
monétaire et des scénarios qui y conduisent.
Deux scénarios sont présentés :
- un scénario dans lequel se forme un "noyau dur" et où celle-ci
donne naissance à une irréversibilité, c'est-à-dire
que le fait d'opter pour une configuration initialement restreinte conduit ceux
qui n'y sont pas admis, à diverger durablement, sous la pression des
marchés, mais avec les réactions endogènes que cela
suscite ensuite ;
- un scénario dans lequel une large union se forme d'emblée,
parce que l'UE accepte l'ensemble des pays raisonnablement candidats.
Certes, il y a d'autres incertitudes sur la question de savoir si l'Union
monétaire démarrera à la date prévue, mais à
supposer qu'elle le fera, ces deux scénarios couvrent-ils l'ensemble des
possibles ? Un scénario dans lequel on démarrerait dans une
configuration restreinte signifie-t-il nécessairement l'exclusion
durable des autres ? Ne peut-il y avoir ce scénario de "noyau
initial" avec une clause de rendez-vous maîtrisé ?
Cela fait partie des questions, me semble-t-il. En tout cas, ces questions
d'Union monétaire ont un peu le caractère d'une bifurcation dans
la projection, selon les hypothèses que l'on est amené à
retenir, et Henri STERDYNIAK l'a souligné, l'incertitude, en
l'occurrence, n'est pas seulement économique, elle est aussi politique.
Il me semble donc, Monsieur le Président, que si l'exercice de
projection est toujours un exercice de modestie, et c'est encore plus vrai
cette année, nous attendons beaucoup de cette discussion et des
réactions qui vous nous être données. Je voudrais donc vous
remercier de nous accueillir et d'organiser cette discussion.
M. Bernard BARBIER, Président.-
C'est moi qui vous remercie parce
que l'on n'aurait jamais fait le travail que l'on a fait, depuis douze
colloques, si nous n'avions pas reçu des experts, des
spécialistes, qui sont d'ailleurs devenus des amis. Nous travaillons
maintenant beaucoup ensemble, et je dois dire, à cet égard, que
la symbiose qui existe avec le Service des Etudes est tout à fait
parfaite.
La parole est maintenant à M. Pierre-Alain MUET qui veut bien aussi
donner son sentiment sur ces premiers commentaires.
·
M. Pierre-Alain MUET, Directeur du Département
d'Econométrie de l'OFCE .-
Merci, Monsieur le Président. Vous venez de rappeler qu'il s'agissait du
XIIème Colloque et je voudrais rappeler de mon côté, que
dès 1984, vous avez souhaité associer, aux côtés des
administrations économiques, les instituts indépendants dans
votre diagnostic à moyen terme. Cela a été, tout au long
de cette période un puissant stimulant pour les travaux de l'OFCE, et la
Délégation pour la Planification au Sénat a joué
notamment un rôle important dans le développement de notre
modélisation multinationale.
Je me limiterai à deux brèves remarques : la première
sur la projection, la deuxième, sur l'Union monétaire et les
institutions.
En ce qui concerne la projection, vous avez peut-être le sentiment que
c'est un peu toujours le même scénario que nous vous
présentons. Dans les situations qui apparaissent un peu plus favorables,
on a une reprise à court terme de la croissance et puis l'Europe
notamment retombe dans une croissance faible qui ne permet pas de stabiliser le
chômage ou qui le stabilise juste. Dans le passé, au moins au
cours des cinq ou six dernières années, c'est malheureusement ce
qui s'est observé.
Je crois qu'aujourd'hui, les chemins sont plus ouverts, mais je
l'évoquerai dans ma seconde remarque.
En même temps, les présentations qui vous ont été
faites ont insisté sur le fait que l'Europe restait
éloignée de sa croissance potentielle, ce qui veut dire que les
politiques économiques ont encore un rôle majeur à jouer
dans la croissance économique, puisque c'est pour l'essentiel du
côté de la demande que se situe la limite de la croissance, du
moins dans le diagnostic porté par l'équipe MIMOSA.
Ceci veut dire qu'il n'y a pas de fatalité à cette croissance
lente. Il n'y a pas plus de fatalité au chômage qu'il n'y avait de
fatalité à l'inflation au début des années 1980.
L'Histoire a montré que l'on a su résoudre l'inflation par des
politiques économiques restrictives.
Il est peut-être plus difficile de résoudre le problème du
chômage, parce que c'est un facteur qui s'accumule, qui se modifie
beaucoup plus lentement que l'inflation. Mais d'une certaine façon, le
message que traduit la projection, même s'il apparaît très
pessimiste, a un côté optimiste, en ce sens que des politiques qui
auraient une orientation différente pourraient permettre une reprise de
la croissance.
On voit bien ce que dessine, en fait, la projection. Après une
période de croissance faible, comme celle que l'on a connue au cours des
cinq dernières années, on a deux héritages : d'une
part, le chômage, d'autre part, des déficits publics et un
endettement élevé.
Il est délicat de résoudre ces deux problèmes. Si l'on
s'attaque aux déficits par des politiques budgétaires
restrictives, on arrive peut-être, quand on est seul à le faire,
à résoudre le problème du déficit, mais au
détriment de la croissance. Et quand tout le monde le fait - c'est ce
que vous montrait l'un des thèmes illustré dans cette
projection -, le ralentissement de la croissance est tellement fort qu'en
définitive, on réduit peu les déficits et l'on ralentit
fortement la croissance.
Implicitement le message qui ressort de cette projection est qu'il faut
poursuivre le rééquilibrage qui s'est produit dans les politiques
monétaires et budgétaires. Il faut aujourd'hui continuer
l'expansion monétaire, c'est-à-dire maintenir le plus longtemps
possible les taux d'intérêt au niveau le plus bas possible pour
à la fois réduire les déficits par la croissance et par la
baisse des charges d'intérêt et pour réduire le
chômage par la croissance économique.
Du côté de la réduction des déficits, il faut donc
être prudent et un peu plus compter sur la croissance impulsée par
la politique monétaire que sur les restrictions budgétaires
elles-mêmes.
On sent bien que ceci est délicat à mener, parce que si dans un
pays il est déjà difficile de trouver ce que les
économistes appellent le bon "
policy mix"
c'est-à-dire le
bon dosage des politiques monétaires et budgétaires, c'est encore
plus difficile au sein de quinze pays.
Ceci m'amène à ma deuxième remarque qui a trait aux
institutions et à l'Union monétaire.
L'Union monétaire est un changement majeur que les économistes
ont encore du mal à appréhender. Il y a une réflexion
assez importante qui se développe ces dernières années
dans la théorie économique sur le rôle des institutions.
Tous les économistes ont conscience que les institutions sont
fondamentales dans la croissance économique. Il suffit de se reporter
aux Trente Glorieuses. Qu'est-ce qui a fait qu'au cours de cette
période, on a pu connaître une croissance aussi forte ? Je crois
que la plupart des économistes reconnaissent que le système
monétaire, le système de
Bretton Woods
a joué un
rôle important et c'est en partie parce que ce système a
éclaté que nous avons connu de telles difficultés par la
suite.
Mais en même temps, les économistes qui essayent de quantifier la
croissance économique ne rentrent pas ces facteurs institutionnels dans
leurs modèles, parce que l'on ne sait pas le faire.
Pour l'Union monétaire, c'est un peu la même chose. Nous sommes
impuissants avec nos instruments pour appréhender des changements
institutionnels aussi importants. Je mentionnais d'ailleurs dans ma
première remarque, les difficultés à coordonner et
à trouver le bon dosage des politiques économiques. Ces
difficultés ont en effet une composante politique, qui est la faiblesse
de nos institutions politiques européennes. Par conséquent, un
changement comme l'Union monétaire peut conduire à des situations
très différentes de celles que nous connaissons actuellement.
Je conclurai sur ce point. Je crois que l'avenir est beaucoup plus ouvert que
l'on a tendance à l'évaluer avec nos instruments.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
M. Bernard BARBIER, Président.-
Merci de ce point final, plus
optimiste.
Je vais maintenant donner la parole à M. Michel DIDIER qui est Directeur
de l'Institut REXECODE, car je pense qu'il a écouté à sa
façon et il va réagir au travail qui vient de vous être
présenté.
·
Réactions et commentaires de M. Michel DIDIER,
Directeur de REXECODE .-
Je vais essayer de limiter - parce qu'il y a énormément de choses
dans le dossier qui nous est soumis - mes propos à quelques
réactions tirées de ma propre expérience et de ma propre
vision des choses, sur trois aspects des travaux proposés, mais qui sont
souvent un peu mêlés dans l'analyse, à savoir :
- l'aspect prévision,
- l'aspect explication du passé qui est à la base de la
prévision,
- ce qui affleure, bien que ce ne soit pas explicitement un
élément du dossier, c'est-à-dire ce que j'appellerai les
"quasi-recommandations" que l'on peut lire au travers des
explications.
Je le ferai en axant mon intervention sur la France et sans focaliser sur le
court terme, mais tout de même en attachant plus d'importance à ce
qui va se passer d'ici l'an 2000 qu'en 2005, car sur cette période, nos
idées sont encore assez incertaines, je ne vous le cache pas.
Pour résumer mon point de vue, je dirai que je suis assez d'accord avec
l'allure générale de la prévision qui nous est
proposée sur la tendance spontanée de l'économie mondiale
dans les années à venir ; que je suis plus réservé
sur certains éléments de l'explication du passé et assez
en désaccord sur les recommandations implicites que j'ai cru lire entre
les lignes.
Sur la prévision, nos perspectives vont moins loin que celles de l'OFCE,
mais comme je l'ai indiqué, c'est surtout le début de
période qui nous intéressait, c'est-à-dire les quatre
à cinq ans à venir - je crois que cela suffit pour pouvoir
réagir.
Ce qui nous est proposé ici, c'est une perspective avec un taux de
croissance de 1,7 % aux Etats-Unis en moyenne. Personnellement, je
considère que c'est trop faible, quand on voit l'état de
l'économie américaine aujourd'hui. On nous propose une croissance
de l'ordre de 2 - 2,1 % dans l'Union européenne. Cela me
paraît tout à fait réaliste, peut-être d'ailleurs
plus vraisemblable pour 1997-1999, contrairement au profil qui est sous-jacent,
que pour la suite, où l'on peut imaginer que les choses peuvent aller
mieux.
Cette croissance "molle" s'accompagnerait de fortes pressions
désinflationnistes ou déflationnistes dans le document. Sur ce
point, en fait, il me semble que ce que l'on appelle "fortes pressions
désinflationnistes", c'est en fait - parce qu'elles sont dues
essentiellement aux pays qui ont encore une inflation plus élevée
que les autres en Europe, c'est-à-dire l'Italie, le Royaume-Uni,
l'Espagne - à la convergence des inflations européennes à
un niveau modéré, mais à mon sens, tout à fait
soutenable sur le long terme.
En revanche, la perspective manque de hardiesse sur les taux
d'intérêt. Il nous semble que les taux d'intérêt
proposés pour l'Europe sont toujours trop élevés et qu'il
est insuffisamment tenu compte à la fois de la désinflation et du
contexte de croissance modeste proposée ici.
C'est un point essentiel, parce que ce qui a souvent distingué REXECODE
d'autres instituts dans le passé, c'est que nous avons toujours
considéré que la vraie condition d'un redémarrage durable
de l'économie européenne était de nouvelles baisses de
taux d'intérêt, aussi bien des longs que des courts. J'ai
d'ailleurs toujours été plus que réservé sur les
perspectives économiques - et là, je parle court terme,
c'est-à-dire de la période prochaine - qui faisaient
redémarrer l'économie européenne avant que les taux
d'intérêt aient suffisamment baissé. L'expérience a
montré que nous avons connu plutôt de fausses reprises en Europe,
dans les années 90, et la question peut se poser aussi pour
l'amélioration actuelle, celle que nous constatons pour la
période prochaine. Mais attention, qu'il n'y ait pas à nouveau
une fausse reprise européenne.
Sur l'explication du passé, j'ai des réserves essentiellement sur
la pondération donnée aux facteurs explicatifs.
Certes, au travers de MIMOSA qui, en quelque sorte, synthétise ces
mécanismes, bien sûr, il faut utiliser les outils existants. Je
n'ai pas d'objection à la culture du mimosa... mais je pense qu'il faut
se garder de toute monoculture... et de ce point de vue, je remercie M. le
Président BARBIER d'avoir voulu semer quelques graines de REXECODE
dans ce jardin de MIMOSA où il est utile d'avoir plusieurs essences.
Mes réserves tiennent pour une large part au rôle que l'on fait
jouer aux déficits publics dans les mécanismes
macro-économiques et les comportements des acteurs économiques,
et ceci n'est pas sans lien avec la question des taux d'intérêt.
L'insistance à mettre au centre de l'explication les politiques
budgétaires dites restrictives - c'est déjà un message -
révèle bien l'explication privilégiée.
En fait, on écrit par exemple quelque part : "Dans aucun pays, le
creusement des déficits publics n'apparaît comme une cause
autonome de difficulté due à des politiques budgétaires
inconsidérées". Je suis désolé, mais quand on
regarde la période 90-95, il y a eu une dégradation spectaculaire
des finances publiques en France et, de façon générale, en
Europe, et cette dégradation - je ne m'étends pas - s'explique
clairement par une forte dérive des dépenses publiques. Le cas de
la France est tout à fait typique à cet égard, où
la dépense publique a augmenté deux fois plus vite que la recette
et deux fois plus vite que le PIB.
Je suis convaincu, pour ma part, que cette dérive française et
européenne est une cause majeure de la fausse reprise de 94-95 et de
l'enlisement dans la croissance "molle" que nous entrevoyons, les uns
et les
autres, il faut le dire, pour la période à venir.
Il est d'ailleurs intéressant d'observer que ces mêmes
perspectives présentées il y a deux ans, à l'aide des
mêmes outils, envisageaient une croissance française de 2,8 %
en 1995 et de 2,6 % en 1996, avec une nette reprise de l'investissement
productif que REXECODE ne considérait pas comme possible à
l'époque ; ceci, parce que nous estimions que les déficits
publics et les taux d'intérêt restaient encore trop
élevés pour autoriser ce redémarrage.
Une autre confirmation du faible rôle que le modèle fait jouer
à la politique budgétaire et aux ajustements de taux
d'intérêt, se trouve aussi dans les prévisions d'il y a
deux ans concernant les taux d'intérêt eux-mêmes. Selon ces
perspectives, le taux à trois mois devrait être aujourd'hui
à 5,8 %, c'est-à-dire au-dessus du taux de 94-95 - je n'ose
pas songer à la situation de l'économie française si nous
n'avions pas eu, fort heureusement, une forte baisse de taux grâce
à la réduction du déficit public.
Je ne rappelle pas ces chiffres pour dire que, quelquefois, les
prévisionnistes font des erreurs, tout le monde en fait, c'est le lot
des prévisionnistes, mais pour essayer d'en tirer collectivement des
enseignements pour l'explication du futur et sa prévision.
Remarque dernière, toujours dans le même sens, tirée cette
fois de l'observation : je crois qu'il faut être attentif au fait que la
lueur d'amélioration conjoncturelle de 1996 doit beaucoup à la
politique de réduction des déficits budgétaires. C'est un
peu un renversement de la vision des choses, mais renversement auquel je crois,
ce qui remet en cause l'idée que moindre déficit égale
politique restrictive.
Je vous donne simplement deux chiffres sur la période récente.
Bien sûr, vous savez tous que les taux d'intérêt en France
ont fortement baissé grâce à l'affichage d'un cap
budgétaire clair et en réduction, et que ceci a eu sur
l'économie française, en 1996, des conséquences assez
différentes de celles qui étaient annoncées.
Selon les comptes trimestriels de l'INSEE, en valeur, le besoin de financement
des administrations publiques s'est sensiblement réduit dans le courant
de l'année 1996. Pour donner un chiffre trimestriel en équivalent
annuel, pour que l'on puisse le comparer à des chiffres connus, ce
besoin de financement est revenu de 400 milliards au début 1996 à
un peu moins de 300 milliards au troisième trimestre 1996.
Ce qui est intéressant, c'est ce qui s'est passé en-dehors du
secteur public, c'est-à-dire du côté des ménages
notamment. On constate que les ménages ont quasiment de façon
symétrique, réduit leur épargne financière, qui
était en effet aux alentours de 400 milliards et qui est revenue aux
alentours de 300 milliards au troisième trimestre 1996. Que s'est-il
passé ? Tout s'est passé comme si les ménages voyaient,
dans la réduction des déficits publics, une moindre menace de
prélèvements futurs et adaptaient leur comportement en redevenant
plus favorables à la consommation. C'est, en quelque sorte, ce qui a
sauvé le peu de croissance de la France en 1996.
Ceci est, certes, conjoncturel, mais cela montre bien que les mécanismes
ne fonctionnent pas toujours de la façon la plus classique, de la
façon que l'on croit en tout cas.
En définitive, au-delà des premiers effets keynésiens qui
existent toujours quand on réduit le déficit public, je crois que
le renversement de conjoncture doit finalement pas mal à l'amorce de
réduction de nos déficits publics.
Conclusion : ce n'est pas de trop grande rigueur budgétaire que la
croissance française et européenne s'est étouffée,
mais c'est d'insuffisance de rigueur budgétaire.
Toujours en ce qui concerne les désaccords d'analyse, il me semble que
le rôle que l'on fait jouer au partage de la valeur ajoutée n'est
pas le bon. Le niveau bas de la part des salaires dans la valeur ajoutée
est conçu ici et là, dans l'analyse, comme responsable de la
croissance économique faible, et elle aurait comme contrepartie, des
profits élevés - Henri STERDYNIAK l'a dit deux fois dans son
exposé - dont les entreprises, en quelque sorte, ne sauraient que faire.
Ce raisonnement permet de conclure qu'il va bien falloir que cela cesse et que
l'investissement va être dynamique dans la période prochaine.
C'est d'ailleurs une erreur qui avait déjà été
commise en 1994 et l'expérience a montré que l'investissement
n'est pas vraiment reparti.
En fait, on comprend assez peu de choses à ce qui se passe depuis 1990,
si l'on prend comme indicateur de résultats financiers des entreprises
la part des profits dans la valeur ajoutée ou la part des salaires dans
la valeur ajoutée. Les seuls vrais indicateurs de résultats qui
commandent notamment les perspectives d'investissement, sont les ratios de
retour sur le capital ou sur fonds propres, ratios à comparer d'ailleurs
aux taux d'intérêt, c'est-à-dire, au fond,
l'excédent de la rentabilité sur le taux d'intérêt,
ce qui récompense le risque d'investir et d'entreprendre.
Or, le mécanisme en cours me paraît être ou avoir
été le suivant - et quand je dis "être", c'est vrai aussi,
parce qu'il continue : d'une part, la rupture de croissance de 1990 plus
l'incertitude dans laquelle nous vivons depuis, la pression concurrentielle
dans laquelle vivent les entreprises depuis 1990, avec des fausses reprises,
des baisses de prix industriels, de fluctuations très courtes, des
espoirs très vite déçus ; d'autre part, le niveau, qui
reste élevé, des taux d'intérêt réels, auquel
se sont ajoutés d'ailleurs, dans la période récente, des
aléas sur les taux, a conduit les entreprises à
privilégier délibérément le désendettement
et le retour aux fonds propres, seule condition permettant d'assurer leur
sécurité sur moyenne période. Or, la seule façon de
se désendetter, c'est de dégager une capacité de
financement, et pour ce faire, il faut gérer de façon rigoureuse
ses coûts d'exploitation et ses investissements.
Faible part des salaires et modestie de l'investissement sont, en fait, toutes
deux, des conséquences d'un même phénomène qui n'est
pas des profits élevés, mais qui est une contrainte
financière. La capacité de financement des entreprises
révèle cette contrainte et elle n'est en rien le signe d'une
aisance financière qui serait inemployée.
Le critère de profits significatifs - j'insiste sur ces points, parce
que ce sont des choses qui, dans les mécanismes de modélisation,
sont peut-être, sauf ignorance de ma part, assez peu
intégrées - n'est pas un partage mais une rentabilité,
c'est-à-dire un taux de retour sur le capital. Or, ce taux de retour a
rechuté au début des années 90 - il s'était
amélioré dans la deuxième partie, c'est vrai, et les
investissements étaient repartis -, il se reconstitue très
lentement depuis 1993 et il ne peut le faire que lentement, parce que, de
façon générale, les flux changent lentement les stocks, de
sorte que le désendettement et la reconstitution d'une
profitabilité suffisante prennent des années.
La situation semble évoluer dans la bonne direction, mais je crois que
l'ajustement dans lequel nous sommes depuis le début des années
90 n'est pas vraiment terminé et, de ce point de vue, je trouve la
perspective proposée trop optimiste à court terme et trop
pessimiste à moyen terme.
J'en viens très brièvement à ce que j'ai appelé les
"recommandations implicites" du rapport, si les auteurs acceptent ce
terme.
Si je comprends bien les raisonnements donnés dans ces explications, on
est tenté de penser, et en tout cas on interprète la chose comme
l'idée, que plus de croissance passerait par des politiques
budgétaires moins restrictives et par un partage de la valeur
ajoutée plus favorable aux salaires.
Or, ces deux voies sont, à mes yeux, deux voies qui reporteraient la
reconstitution de la rentabilité, qui reporteraient la fin du
désendettement et qui reporteraient la reprise de l'investissement, donc
le déclenchement des mécanismes de croissance. Je l'ai
évoqué assez clairement sur les politiques budgétaires, je
n'y reviens pas.
Quant à l'idée d'une sorte d'anticipation salariale
provoquée ou recherchée, elle ne ferait que freiner le
rééquilibrage financier du système productif et son retour
à des comportements plus expansifs.
Restent deux aspects sur nos relations avec le reste du monde.
Premier aspect : la question européenne.
Certes, on peut faire plusieurs scénarios, mais il me semble qu'il faut
être bien conscient de ce que la réalité de tendances de
l'Europe, c'est actuellement la convergence. Bien sûr, nous avons les
yeux rivés sur les fameux 3 %, mais la réalité, c'est
que l'Europe converge fondamentalement dans son tréfonds
économique, de manière très rapide actuellement. Or, ce
qui est le vrai critère de la convergence, c'est l'inflation, car on
peut vivre avec des déficits différents entre deux pays, mais
force est de reconnaître que l'on ne peut pas vivre avec une monnaie
unique et des taux d'inflation durablement différents.
Or, cette convergence de l'inflation et d'ailleurs des taux
d'intérêt longs est quasiment faite, à horizon de 1997. Les
critères montrent en effet que, pratiquement, l'Europe est faite sur ce
critère de convergence.
Je suis donc assez optimiste sur la capacité de nos dirigeants
politiques, le jour venu - je dis bien le jour venu, car il y a des choses que
l'on ne peut pas faire par avance - pour apprécier les critères
qui restent - c'est-à-dire les critères de déficit public
sur lesquels nous avançons, mais il est vrai que la barre des 3 %
ne sera probablement pas atteinte de façon générale - de
manière telle que l'on comparera, le jour venu, les avantages et les
inconvénients collectifs qu'il y a à interpréter des
critères ou à casser une mécanique qui évolue
favorablement.
De ce point de vue, les résultats qui nous sont présentés
me laissent rêveur mais aussi inquiet, c'est-à-dire que je doute
que l'on prenne un scénario 1 ou un scénario 2 ; finalement, cela
change aussi peu les choses pour l'Europe dans son ensemble, car quand on
compare les deux scénarios et la croissance européenne, c'est
vraiment au niveau du 1/10ème de point.
Je crois que si malheureusement le scénario de l'arrêt devait se
produire - car le report veut dire véritablement l'arrêt -, il se
passerait des choses bien plus désagréables pour l'Europe dans
son ensemble et pas simplement pour tel ou tel pays, que ce qui est
décrit.
Deuxième aspect - et je terminerai là-dessus - de nos relations
avec le reste du monde : ce deuxième aspect est, en fait, contenu
dans le titre du rapport. Si "la croissance est ailleurs", il faut
aller la
chercher là où elle est et pour aller la chercher là
où elle est, il faut se mettre en position d'être
compétitif pour pouvoir bénéficier, non pas pour la
prendre à autrui - l'économie n'est pas un jeu à somme
nulle - mais pour être en état d'avoir une offre
compétitive, d'avoir des produits compétitifs, de
réinvestir pour pouvoir faire ces offres.
Je crois que l'attente, en termes de demande mondiale, est quasiment infinie
à l'échelle d'une économie ou d'une industrie comme celle
de la France. La question est de savoir la capter.
J'espère que cette question sera présente dans la seconde
étape des réflexions du CEPII et de l'OFCE que nous a
annoncée M. PISANI-FERRY.
Merci, Monsieur le Président.
M. Bernard BARBIER, Président .-
Merci à vous, Monsieur
DIDIER. Vous avez présenté les choses de telle façon que
dans quelques instants, après avoir entendu M. LAROQUE, nous aurons
une discussion avant de passer au dernier orateur de cette matinée.
Je donne la parole à M. LAROQUE, qui est Directeur des Etudes et
Synthèses économiques à l'INSEE et qui va nous
présenter un point de vue sur le potentiel de croissance de
l'économie française.
Nous avons prévu environ un quart d'heure, afin de garder le temps
nécessaire à la discussion ou aux questions qui seront
posées, avant que Mme GRUNBERG, qui est venue spécialement de
New-York, clôture ce Colloque par les réflexions menées
Outre-Atlantique sur la mondialisation.
III. Point de vue sur le potentiel de croissance de l'économie française
·
M. Guy LAROQUE, Directeur des Etudes et
Synthèses économiques à l'INSEE .-
Je vais peut-être changer de point de vue par rapport à ce qui
vient d'être dit. Je prendrai moins la vision mondiale, la vision
européenne et géopolitique que vient de discuter Michel DIDIER et
je vais me rapprocher de problèmes plus français pour essayer de
décrire ce que je pense être la croissance potentielle en France,
et comment ce sentier de croissance potentielle peut se situer par rapport
à la perspective tracée par Henri STERDYNIAK et Laurence BOONE.
Si, pour aborder ce problème : quelle est la croissance potentielle en
France ?, je restreins la perspective sur le plan géographique, je
vais l'étendre sur le plan de l'horizon et me placer dans un horizon
lointain, pas trop défini, par exemple vingt ans.
Il y a toujours des problèmes sémantiques autour du mot
"potentiel", je vais donc essayer de décrire ce que pourrait être
la croissance de notre pays si l'on maintenait le plein emploi des facteurs ou
en tout cas, si l'on se maintenait à un taux de chômage constant.
Je ne vais pas m'intéresser au problème essentiel qui demeure
derrière les questions soulevées dans les projections et qui est
: comment résorber le chômage ? Je vais laisser cette
question de côté et regarder le sentier que l'on peut tenir
à long terme. Bien sûr, s'il y a en plus des réserves
à faire travailler, on pourra imaginer, pour rattraper ce sentier, une
croissance de transition qui sera beaucoup plus élevée que cette
croissance de long terme.
Il est intéressant, me semble-t-il, pour juger des projections qui nous
ont été données, de voir quel est le sentier que l'on peut
tenir à taux de chômage constant, car si l'on est en-dessous de ce
sentier, cela signifie probablement que le chômage monte et inversement,
si l'on est au-dessus, on résorbe un peu les capacités de travail
mal employées aujourd'hui.
Comment procéder pour cet exercice, toujours périlleux ?
Vingt ans, certes, c'est moins périlleux que cinq, parce que nous ne
serons peut-être pas tous là pour confronter les prévisions
et les réalisations, mais d'un autre côté, c'est un horizon
beaucoup plus lointain avec des aléas beaucoup plus forts que même
cet aléa européen qui a été mentionné.
Je vais recourir à une méthode d'analyse qui vous est
peut-être familière, c'est celle qu'avaient utilisée
MM. DUBOIS, CARRÉ et MALINVAUD, pour analyser la croissance
française au moment des Trente Glorieuses et qui consiste à
postuler une sorte de fonction de production technique macro-économique
dont les arguments sont le travail, le capital et le progrès technique.
C'est bien sûr autour du progrès technique ou de la
productivité globale des facteurs que réside l'essentiel de
l'incertitude dans ce genre d'exercice. Il s'agit ensuite de voir, à
partir de cette fonction de production macro-économique, ce que l'on
peut dire de l'évolution de la productivité dans le passé
et en déduire une idée de l'évolution à moyen
terme, l'évolution de la productivité mais aussi de tous les
autres facteurs que l'on a à projeter pour deviner la croissance
potentielle.
Voilà les deux parties de mon exposé :
- regarder ce que donne cette fonction de production macro-économique
sur le passé pour en tirer des éléments de
prévision de productivité
- projeter ensuite les divers facteurs de production : travail disponible,
capital et productivité, et en déduire un sentier de croissance
potentielle pour l'économie française.
Pour l'explication de la croissance passée, je vous propose de vous
reporter au tableau ci-dessous, qui est construit à partir de cette
fonction de production macro-économique. Il rappelle en fait les grands
moments de la croissance française sur les cinquante dernières
années, en séparant évidemment la période avant le
choc pétrolier, avant 1973-1974, de la période qui a suivi le
choc pétrolier.
Calcul des contributions à la croissance du produit
intérieur brut marchand
|
1951-1973 |
1974-1995 |
||
|
Moyenne (annuelle) |
Ecart-type trimestriel |
Moyenne (annuelle) |
Ecart-type trimestriel |
Croissance du PIB
|
5,4
|
0,82
|
2,0
|
0,94
|
On observe que la croissance du PIB - c'était le bon
temps - a été de 5,4 % en moyenne annuelle sur la
période 51-73 et qu'elle n'est plus, depuis 1974, que de 2 % en
moyenne annuelle.
Quelles sont les contributions à cette croissance, des divers
facteurs ?
Quand on compare les deux périodes, 51-73, 74-95, on constate qu'il y a
des écarts qui viennent, d'une part, de l'emploi salarié - qui
croissait au rythme d'un peu plus de 1 % par an pendant les Trente
Glorieuses et qui finalement, avec le développement du chômage n'a
plus crû en moyenne depuis 1974 -, d'autre part, du capital, mais ce ne
sont pas des mouvements essentiels, et enfin de la différence entre le
taux de croissance de la productivité entre 51 et 73 et le taux
observé entre 74 et 95, puisque sur la période des Trente
Glorieuses, on avait 2,8 % de croissance par an qui nous tombaient du ciel
grâce au progrès technique et qui sont devenus 1 ou 1,1 %
depuis 1974.
C'est cette base, correspondant aux observations, que nous allons essayer de
projeter. Nous allons essayer de projeter une contribution de l'emploi
salarié, une contribution du capital et une contribution de la
productivité, à tour de rôle.
Comment faire pour projeter ces divers facteurs ?
Le problème est plus ou moins compliqué selon chacune des
composantes auxquelles on s'intéresse.
1. Le travail
L'INSEE vient de faire une étude très
fouillée - publiée dans le numéro d'octobre d'"Economie et
statistique" - sur les projections de la population active à horizon
lointain, horizon qui s'étend même au-delà de celui que je
me suis fixé, avec divers scénarios sur l'âge de la
retraite, l'immigration, etc.
Le scénario central qui n'est pas celui que j'ai retenu pour ma
projection, prévoit une croissance de la population active encore
positive jusqu'à l'horizon 2005 et, au moment où les
générations nombreuses de l'après-guerre commencent
à arriver à la retraite, un début de décroissance
de la population active.
Le scénario que j'ai retenu est celui qui correspond à un recul
progressif de l'âge de la retraite à cette année cruciale,
autour de 2005, qui reculerait de cinq ans sur la période 2005-2020 et
qui donc remettrait au travail des personnes qui, si l'on maintenait la
législation actuelle, auraient quitté le marché du travail
sur cette période.
Dans ce scénario, on voit que la population active aurait un
accroissement annuel moyen, sur la période, de 1995 à 2015, de
0,7 % par an. C'est sur la base de cet accroissement moyen que je
travaillerai.
Si vous vouliez prendre - vous auriez peut-être raison - le
scénario central de l'INSEE, il faudrait mettre 0,2 % au lieu de
0,7 % par an, de contribution de la croissance de la population active.
Je rappelle qu'il s'agit de la population "
potentielle"
active, dont la
croissance ne suppose pas de changement dans le taux de chômage si l'on
part de ma situation initiale.
2. Le capital
On a beaucoup parlé de l'investissement. Il est
évidemment très difficile de prévoir le facteur capital
à un horizon aussi lointain. Normalement, la fonction de production
macro-économique dit que l'on devrait ajuster, comme le faisait
remarquer Michel Didier, la productivité marginale du capital à
son coût, ce coût étant constitué essentiellement du
taux d'intérêt réel qui correspond à l'utilisation
du capital.
Implicitement, ce qui est fait dans tout ce genre d'exercice - et cela avait
été fait par Paul Dubois lorsqu'il avait fait une
prévision du même type il y a une dizaine d'années -
consiste à retenir l'idée qu'à moyen terme, à cet
horizon de vingt ans, on imagine que le coût du capital change peu. Ceci
revient donc à dire que le taux de croissance du capital est égal
au taux de croissance de la production. Dans ces conditions, le taux de
croissance potentielle du PIB est égal au taux de croissance du facteur
travail, augmenté du taux de croissance de la productivité,
multiplié par un facteur qui, en l'occurrence est de l'ordre de 1,3-1,4.
3. Le progrès technique
Il nous reste l'élément essentiel à
prévoir, qui est la productivité et le progrès technique
avec ses effets sur l'économie.
A cet égard, il y a des débats que rappelait en partie Henri
STERDYNIAK tout à l'heure. Il y a des gens qui pensent que la
productivité a changé dans les cinq dernières
années. On a parfois du mal à interpréter ce qui s'est
passé dans les trente années qui ont suivi l'après-guerre.
Si l'on prend les études les plus récentes, mais qui portent sur
la période la plus longue - études qui portent sur les cent ou
cent vingt dernières années et sur divers pays, notamment les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne, mais aussi les pays européens -, on
arrive à trouver une tendance séculaire de la productivité
qui est de l'ordre de 1 % par an et à interpréter les
2,8 % ou 3 % que l'on a vus pendant les trente années
d'après-guerre comme un phénomène de rattrapage pour les
pays européens, après des années particulièrement
médiocres avant-guerre et aussi pendant la deuxième guerre
mondiale.
Ce que j'ai retenu ici, c'est l'estimation sur les vingt dernières
années, estimation qui correspond à une croissance de la
productivité de 1,1 % par an et qui est assortie d'un
écart-type trimestriel de 0,5 %.
Au total, tous comptes faits, quand on met 0,7 % pour la population active
et quand on applique cette croissance de la productivité, on obtient un
taux de croissance moyen de 2,3 % par an pour la croissance potentielle de
l'économie française, avec un intervalle de confiance de + ou -
0,7 % autour de ces 2,3 % par an.
Voilà donc ma contribution à ce débat.
Si l'on maintenait l'âge de la retraite, il faudrait enlever 0,5 -
puisque j'ai dit que c'était 0,2 au lieu de 0,7 -, on arriverait ici
à 1,8 % au lieu de 2,3 %. Cela nous permet de cadrer les
projections qui ont été données par l'équipe MIMOSA
et qui, pour la France, nous donnent, en 1998, 2,7 % de croissance, en
1999, 1,8 %, et entre 2000 et 2005, 1,3 à 1,6 %.
Henri STERDYNIAK parlait de "projections grises", je dirais peut-être
gris foncé. Il nous donne des chiffres qui sont vraiment tout au bas de
ma fourchette, mais je n'ai pas l'impression que ma fourchette soit
particulièrement pessimiste. Je trouve donc que la projection qui nous
est donnée là est gris foncé.
Il y a d'ailleurs, par rapport au calcul que j'ai fait, une petite
incohérence, car le taux de chômage qui est obtenu en projection,
notamment pour la France, est stable. Si l'on est vraiment dans la fourchette
gris foncé du point de vue de la croissance potentielle, peut-être
que l'on pourrait imaginer que le taux de chômage associé à
la projection devrait malheureusement être plus élevé.
Cet exercice est juste un moyen de mettre en perspective l'analyse de la
croissance macro-économique menée avec cette fonction de
production et les projections qui sont faites avec un outil bien
différent au travers de ces gros modèles.
Il peut permettre aussi de faire une remarque par rapport aux grands
débats de politique économique qui ont été
esquissés entre Henri STERDYNIAK et Michel DIDIER.
Evidemment, pour faire une projection à cet horizon, il faudrait
rajouter une idée d'évolution du chômage et, de ce point de
vue, prendre position sur : est-ce la politique budgétaire qui est
susceptible de nous aider à nous rapprocher de la croissance
potentielle ? Est-ce au contraire le dynamisme des entreprises
débarrassées des contraintes de politique économique ou de
la toute puissance de l'Etat qui permettrait de se rapprocher de ce sentier qui
est, semble-t-il, préférable aux sentiers que nous donnent les
modèles keynésiens ?
La remarque que je dois faire est qu'à travers mon exercice très
simple, ce qui paraît crucial, c'est d'utiliser le facteur travail et de
bien l'utiliser.
Nous avons eu de très nombreuses études sur
l'hystérèse du chômage, notamment sur le fait que dans les
quinze ou vingt dernières années, à chaque fois que l'on
observe une augmentation du chômage, on a l'impression que cette
augmentation est acquise et que l'on n'arrive pas à revenir en
arrière.
Il me semble que c'est sur ce point que l'on devrait faire porter la
réflexion, et se poser la question suivante : s'il y a de
l'hystérèse, est-ce parce que les politiques publiques pour
traiter ce chômage, conduisent à le pérenniser ? Au
contraire, est-ce parce que l'on a du mal à maintenir des politiques de
dépenses publiques à de tels niveaux, car on avait pris
l'habitude d'augmenter les dépenses publiques de manière
régulière durant les Trente Glorieuses ?
Il y a là tout un champ d'investigation sur lequel je n'ai pas de
réponse, je n'ai que quelques questions sur lesquelles Jean PISANI-FERRY
qui espérait pouvoir apporter des réponses tout à l'heure
aux questions posées, pourra peut-être nous éclairer, un
autre jour.
Merci, Monsieur le Président.
M. Bernard BARBIER, Président .-
C'est moi qui vous remercie,
parce que vous avez apporté un éclairage qui va permettre
maintenant une discussion.
Compte tenu du temps qui nous reste, compte tenu de notre souhait d'entendre
Mme GRUNBERG et de lui laisser les vingt minutes prévues, je vous
propose une brève demi-heure de discussion.
Le débat est ouvert.
IV. DÉBAT
M. Michel LAMY (CFE-CGC).-
M. DIDIER a parlé
tout à l'heure des politiques de taux. Ne pensez-vous pas que l'un des
problèmes dans les politiques de taux et dont il faudra tenir compte
pour l'avenir, est qu'il n'y a pas un mécanisme de relance quand les
taux sont bas mais que par contre, il y a des effets psychologiques
importants ?
Par exemple, si les entreprises n'investissent pas actuellement, bien que les
taux soient historiquement bas, ne faut-il pas se demander si ce n'est pas
parce que la politique de "petits pas" adoptée et qui a consisté
à les baisser par petits "à-coups" n'a pas donné ce choc
psychologique qui aurait été obtenu en baissant plus
brutalement ?
Autrement dit, la confiance ne se transmet-elle pas par des opérations
fortes dans les politiques publiques, plutôt que par un suivi besogneux
de certains indices ?
M. Bernard BARBIER, président -
Voilà une question qui va
mériter un débat.
Qui va répondre ?...
Monsieur STERDYNIAK, bien que vous ne sembliez pas très
décidé...
M. Henri STERDYNIAK.-
C'est effectivement une question très
délicate d'apprécier quel est le montant du niveau des taux
d'intérêt que ressentent les entreprises.
Le fait est que si l'on regarde les taux d'intérêt de long terme,
si on les compare avec le taux de croissance et avec le taux d'inflation, on
voit que la baisse n'a pas été si nette que l'on pourrait le
penser, particulièrement en Europe. Il y a quelques pays qui ont connu
des baisses importantes, en particulier la France, mais globalement, on reste
à des niveaux, compte tenu des perspectives de croissance, qui ne sont
pas historiquement faibles, qui sont en tout cas beaucoup plus
élevés que ce que l'on connaissait avant 1980.
Vous posez une autre question qui soulève une interrogation
délicate entre ce qu'apprécient les entrepreneurs et ce
qu'apprécient les marchés.
A certains moments, les banques centrales peuvent craindre d'avoir une
politique trop violente qui fait peur aux marchés et à ce
moment-là, ils ont une politique prudente pour rassurer les
marchés qui ne donne pas un signe positif aux chefs d'entreprise, pour
autant que l'on puisse distinguer ces deux catégories de personnes.
L'un des problèmes qui existent actuellement est en effet l'opposition
entre les marchés et les chefs d'entreprise, et les banques centrales
sont sans doute plus sensibles à l'opinion des marchés
qu'à celle des chefs d'entreprise.
M. Bernard BARBIER, Président.-
Merci beaucoup.
Monsieur DIDIER veut-il donner son point de vue ?
M. Michel DIDIER.-
Un mot complémentaire qui n'est d'ailleurs pas
contradictoire.
Je relève un point : vous avez dit, au passage : "Les entreprises
n'investissent pas". Il faut que nous fassions très attention dans
l'expression, parce que les entreprises investissent environ 700 à 800
milliards de francs par an, c'est-à-dire qu'il ne faut pas confondre
l'investissement et la croissance de l'investissement. Il y a une sorte de
stagnation d'un montant de l'investissement qui reste non négligeable et
sensiblement plus élevé que celui d'il y a dix ans, par exemple,
ce qui est d'ailleurs assez différent de l'après-récession
de 1975.
Je rappelle au passage - car il faut toujours avoir à l'esprit les
tendances longues, surtout quand on fait du moyen terme - qu'après la
récession de 1975, l'investissement des entreprises privées - je
ne parle pas du programme téléphonique ou du nucléaire - a
stagné pendant dix ans : dix ans de suite de stagnation d'investissement
! Nous sommes très au-dessus de l'investissement de cette époque,
car il y a eu une grosse marche d'escalier dans la deuxième partie des
années 80.
On peut donc comprendre pourquoi ce flux d'investissement, qui continue
d'accroître le stock de capital à un rythme de 1,5 ou 2 %
l'an ne s'augmente pas encore plus par rapport au niveau actuel.
Baisse forte des taux : ce problème est un peu du passé. Quand on
est à 3 %, une baisse forte de taux devient plus difficile à
envisager - elle a été forte, car on est revenu de 7,5 %
à 3 % en un temps assez court, mais pour les raisons que j'ai
indiquées tout à l'heure.
Troisième point - et c'est le plus important : vous avez parlé de
"politique de taux". Il y a une grande partie des taux d'intérêt
qui ne dépend pas d'une politique, mais qui dépend des
marchés. C'est notamment tout le problème des taux longs.
De ce point de vue, il me paraît essentiel de revenir brièvement
sur ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est-à-dire que je crois que
nous nous sommes engagés dans un cycle long, une longue phase de baisse
des taux d'intérêt à long terme, mais comme l'inflation a
baissé en même temps que les taux, les taux réels n'ont
pratiquement pas beaucoup baissé depuis le début des
années 90, et même avant, et l'enjeu de la période à
venir va être d'attaquer les taux réels pour avoir de nouvelles
baisses de taux, probablement sans nouveau recul de l'inflation.
C'est là que va se jouer la possibilité d'un redémarrage
durable de l'économie européenne. Je pense qu'il faut encore des
baisses de taux longs, et cela n'est pas une affaire de politique de taux,
c'est une affaire de politique générale mais aussi de
réactions des épargnants et des chefs d'entreprise.
Tout ceci plaide encore pour des phases de baisse de taux. Certes, ce n'est pas
dans le consensus aujourd'hui, mais c'est ce que nous retenons dans nos
analyses : un mouvement baissier sur les taux d'intérêt qui
devrait encore se prolonger, et c'est simplement lorsqu'il aura vraiment
attaqué les taux réels que les conditions d'une reprise plus
soutenue de la croissance européenne seront réunies ; mais ce
n'est peut-être pas pour le mois prochain, effectivement.
M. Guy de MONCHY (Chef du Département des Etudes économiques
d'ensemble de l'INSEE).-
Une question à l'équipe MIMOSA sur
les comportements des agents économiques dans les différents
scénarios, en retenant que sur la période de projection, deux
événements majeurs ont été notés : la forte
réduction des déficits publics et le passage à une zone de
stabilité monétaire, même si deux scénarios ont
été envisagés de ce point de vue-là.
Compte tenu de ce dernier aspect, je reprends une remarque faite par
Pierre-Alain MUET, à savoir que nous allons entrer - en espérant
que ceci se produise - dans une zone où les problèmes
d'instabilité de change entre les pays vont être très
notablement modifiés et où le marché unique aura
véritablement un sens dans la mesure où il sera associé
à une monnaie unique.
J'aurais voulu savoir si, en conséquence, vous avez modifié les
comportements des agents privés et plus particulièrement les
comportements d'investissement qui pourraient trouver là une dynamique
nouvelle du fait d'un fonctionnement sur un marché beaucoup plus stable
qu'on ne l'a connu par le passé ?
D'une certaine façon, le changement de régime - puisque l'on a
bien un changement de régime attendu - a-t-il un effet ou avez-vous
introduit un effet sur les comportements, qui devrait non seulement affecter le
scénario en lui-même, si l'on prend le scénario 1 par
exemple, mais aussi assez nettement différencier le scénario 1 et
le scénario 2 ?
Cette remarque vaut aussi à l'inverse pour l'effet du rôle de la
réduction des déficits publics. Il me semble que l'on a aussi
constaté, sur la période du début des années 90,
que l'évolution des déficits publics dans leur ensemble n'a pas
eu sur la croissance économique, les effets traditionnellement attendus,
que ce soit lors du creusement et donc peut-être lors de la
réduction.
Là encore, avez-vous supposé ou postulé une
réaction des agents économiques à une modification assez
forte de la situation de l'ensemble des secteurs publics ?
Merci, Monsieur le Président.
M. Bernard BARBIER, Président.-
Merci beaucoup. Je pense que dans
quelques instants, l'un ou l'autre de l'équipe MIMOSA va vous
répondre, mais je voudrais auparavant connaître les
réactions de l'équipe Mimosa face aux propos de M. DIDIER.
M. Henri STERDYNIAK.-
Je vais d'abord répondre aux remarques de
M. DIDIER.
Pour partir du début, vous savez qu'il y a deux grandes conceptions des
déséquilibres en Europe : soit on peut estimer que ce sont des
déséquilibres de type keynésien, comme ce qui est grosso
modo dans le modèle MIMOSA, soit on peut estimer que ce sont des
déséquilibres de type classique, comme nous y invite
M. DIDIER.
Nous dirons, d'une part, qu'il y a une divergence fondamentale et, d'autre
part, même à l'intérieur du point de vue de M. DIDIER,
il y a certains points que je voudrais relever.
Premier point : M. DIDIER nous dit qu'il y a eu des dépenses
publiques inconsidérées, en France en particulier, dans les
années 1990-1995. C'est, bien sûr, complètement faux !
A aucun moment - les Sénateurs qui votent le budget peuvent en
témoigner -, la France ne s'est pas lancée dans des
dépenses publiques inconsidérées. C'est arrivé dans
certains pays. Les Etats-Unis se sont en effet lancés dans des
dépenses publiques inconsidérées lorsqu'ils se sont
engagés dans la guerre du Viêt-nam, mais cela ne s'est pas
passé en France. De 1990 à 1995, il n'y a pas eu de forte
augmentation des retraites, il n'y a pas eu de forte augmentation des
prestations chômage, au contraire ! Il y a eu une politique
budgétaire extrêmement rigoureuse.
Pourquoi y a-t-il eu une augmentation du poids des dépenses publiques
dans le PIB ? Parce que le PIB a ralenti de manière
importante ! Durant cette période, le PIB n'a augmenté que
de 1,1 % en volume. Les dépenses publiques, en volume, ont
augmenté de 2,2 %. Or, 2,2 % est inférieur au niveau de
la croissance potentielle (voisin, lui, de 2,7 %).
Donc il n'y a pas eu de hausse inconsidérée des dépenses
publiques. Il n'y a même pas eu de politique de relance. Le
déficit public s'est creusé spontanément en raison du
ralentissement économique.
Deuxième point : M. DIDIER nous dit : "Ce sont les déficits
publics qui sont responsables du niveau des taux d'intérêt".
Pourquoi ? Comment ? Par quel mécanisme ?... Il y a là un
postulat qui n'a aucune base théorique.
En effet, en même temps qu'il y avait ces déficits publics
élevés, il y avait un désendettement massif des
entreprises et le déficit public n'a fait que compenser ce
désendettement massif des entreprises.
Par ailleurs, pour que ces déséquilibres déterminent le
taux d'intérêt, il faudrait être en situation de plein
emploi. Lorsque l'on est en situation de sous-emploi, comme cela a
été le cas en France et en Europe durant la période 90-95,
l'équilibre entre l'épargne et l'investissement détermine
la production et cela ne peut pas déterminer les taux
d'intérêt.
Ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu une hausse exogène du
niveau des taux d'intérêt au début des années 80.
Cette hausse exogène du niveau des taux d'intérêt,
initiée aux Etats-Unis, qui s'est propagée en Europe, avec des
innovations financières successives, n'a pas été
causée par un déséquilibre sur le marché des biens
ni par des dépenses publiques excessives.
Dernier point : M. DIDIER nous présente la théorie selon laquelle
les entreprises investiraient en fonction de leur endettement. C'est donc le
désendettement des entreprises qui expliquerait un investissement
médiocre.
Cette théorie est intéressante. Il y a une vingtaine
d'années, j'ai écrit, avec M. Patrick ARTUS, un article dans
lequel nous avions testé cette théorie et justement, nous
n'avions trouvé aucun résultat empirique probant, et depuis, il y
a un certain nombre de personnes qui l'ont testée. Certes, on
s'aperçoit qu'à certaine période, cela peut être
vrai. Mais en même temps, il y a une autre contrainte qui pèse sur
les entreprises, c'est la contrainte de demande.
On a donc ces deux contraintes et le point délicat est de savoir,
à un moment donné, quelle est la contrainte la plus forte qui
pèse sur les entreprises.
Néanmoins, imaginons que ce soit vrai, que le problème des
entreprises, c'est qu'elles se désendettent. On est donc dans une
situation où les taux d'intérêt sont élevés
et où les entreprises se désendettent et doivent, par
conséquent, faire pression sur les salaires.
Que se passe-t-il ? Il y a naturellement un déficit de demande. Les
entreprises veulent être moins endettées, mais les ménages
veulent toujours avoir une certaine richesse. Conclusion : le
déficit public est obligé ! Le déficit public
compense simplement le fait que les entreprises veulent se désendetter.
Quand les entreprises veulent se désendetter, obligatoirement, il doit y
avoir un certain déficit public et ce déficit public ne peut pas
être jugé comme responsable du niveau des taux
d'intérêt.
Donc, l'un des grands problèmes que nous avons en effet, à
l'heure actuelle, en Europe et dans le monde, c'est : comment faire baisser les
taux d'intérêt ?
On ne fera pas baisser les taux d'intérêt en faisant des
politiques budgétaires encore plus restrictives qui vont peser sur
l'activité et qui vont faire chuter le taux d'épargne des
ménages. Or, si cela fait chuter le taux d'épargne des
ménages, on voit mal comment cela améliorerait l'équilibre
épargne-investissement.
Il faut une politique monétaire de taux bas, résolue et
crédible, de la part des autorités monétaires qui disent :
"Effectivement, il faut utiliser actuellement l'arme monétaire pour
relancer la croissance en Europe". Il faut relancer la croissance en Europe
parce qu'il y a un déficit important entre la croissance réelle
et la croissance potentielle.
Pour répondre à M. de MONCHY, la réponse est
malheureusement non. Nous n'avons pas considéré - c'est un point
que l'on peut discuter - que les comportements des entreprises en Europe
étaient profondément modifiés par la création de la
monnaie unique.
C'est un défaut de notre travail et sans doute faudra-t-il y revenir. Le
fait est que l'on entre là dans une question délicate : savoir si
d'ici 2005, si la monnaie unique se fait, il y aura une uniformisation
suffisante en Europe pour que les entreprises puissent se considérer
comme des entreprises européennes avec des salaires européens,
des prix européens, et que la notion même de pays devienne
complètement obsolète au niveau économique.
Il nous semble, quant à nous, que l'Europe n'en est pas là, que
d'ici 2005, les pays resteront différents avec des marchés du
travail différents, des compétitivités différentes.
Il restera donc des conjonctures nationales qui justifient que l'on ne passe
pas encore à l'échelle européenne.
M. Bernard BARBIER, Président.-
Je pense que le débat
n'est pas tout à fait clos et que M. DIDIER souhaite
répondre...
M. Michel DIDIER. -
En ce qui concerne les trois points
évoqués par Henri STERDYNIAK, je veux tout d'abord corriger
une idée : je ne crois pas avoir dit qu'il y a eu des dépenses
inconsidérées. Ce n'est pas la question.
Que s'est-il passé ? Le PIB a ralenti. C'est clair. Les dépenses
publiques ont continué. Elles ne sont pas inconsidérées,
elles ont continué, elles ont même plutôt
accéléré pour des raisons que je peux expliquer
parfaitement, qui sont les mêmes en termes d'analyse que celles
évoquées par Henri STERDYNIAK.
Mais qu'est-ce que cela veut dire, concrètement ? Cela veut dire, que
c'est l'autre secteur, c'est-à-dire le secteur productif, qui doit
réduire sa toile, puisque nous sommes dans un univers qui a ralenti, et
c'est effectivement ce qui s'est passé. Il n'y a donc pas lieu de
s'étonner que le secteur productif, lui, ait été
obligé de réduire sa dimension pendant toute cette période.
C'est tout ce que je veux vous dire, indépendamment du fait que
l'enlisement dans le déficit est un problème devant lequel nous
sommes aujourd'hui.
Je suis d'ailleurs convaincu que si la France et l'Europe avaient réagi
un peu plus vite à ce changement de tendance, nous serions aujourd'hui
plus à l'aise, en terme de secteur public, pour envisager l'avenir.
Deuxième élément : les taux d'intérêt.
Je pars d'un constat, c'est que les taux d'intérêt ont fortement
chuté en France et reculé, lorsque l'on a clarifié le
cadre budgétaire, c'est-à-dire la fin de l'année 1995. Les
hésitations antérieures sur l'orientation budgétaire
n'avaient fait qu'aviver les aléas, les chocs sur les taux
d'intérêt. Nous sommes revenus à des taux à court
terme nettement plus bas - je ne me réfère pas à des
théories, mais à un constat.
Troisième élément, sans doute le plus important, sur la
demande. Lorsque l'on regarde les investisseurs - et j'en vois beaucoup -, les
chefs d'entreprise, l'industrie en particulier, certes, il faut de la demande,
mais la question est de savoir comment on démarre le processus.
Or aujourd'hui, beaucoup disent que, d'une part, ils ont des capacités
relativement excédentaires - c'est un fait, mais ce n'est pas
général - et que l'univers incertain dans lequel on se trouve,
est un facteur qui pèse sur l'investissement. De ce point de vue, je
dois dire que l'incertitude européenne, notamment, est certainement un
point dur dans le déblocage de la situation d'investissement. Ce n'est
pas le seul, mais c'est un des points importants. De sorte que les idées
de report, d'accommodement, tout ce qui prolongerait cette situation
d'incertitude me semblent tout à fait néfastes au
redémarrage de l'investissement.
En outre, que signifie cette incertitude ?
Cela veut dire notamment que dans les raisonnements de projet - et là,
je me réfère à des décisions concrètes -,
dans les préparations, dans les réflexions sur les projets, sur
les niveaux de l'investissement : 1/ il y a une logique qui est maintenant tout
à fait implantée, partout et qui consiste à dire : "De
combien je dispose ? Quelles sont mes liquidités ? Quelle est ma marge ?
Que vais-je en faire ? La relation entre endettement, autofinancement et
investissement, n'est pas plus compliquée que cela.
L'idée que l'on va repartir dans l'endettement aujourd'hui est
totalement écartée pour les investissements en Europe. On le fait
pour les investissements en Asie du Sud-Est ou ailleurs, mais pas pour les
décisions d'investissement européennes.
2. Par quoi s'est traduite cette incertitude ?
Elle s'est traduite notamment par ce que je viens d'évoquer,
c'est-à-dire un comportement allant de l'autofinancement vers
l'investissement pendant un temps qui, peut-être, se terminera, mais qui
pour l'instant, domine. Cela s'est traduit d'autre part, par une volonté
délibérée et une recherche systématique de mieux
utiliser le capital. Cela se voit très concrètement dans les
entreprises. Il y a d'ailleurs de multiples manières de faire. On peut
réduire la diversité de gamme, tout a un coût à
terme, mais aujourd'hui, beaucoup d'entreprises pensent qu'elles doivent mieux
utiliser leur capital. C'est un élément du coût.
Si l'incertitude devait s'accroître, ce serait pire. Aujourd'hui, ce que
l'on constate aussi - et cela fait partie des éléments
explicatifs, ce n'est pas une généralité -, c'est que dans
les calculs de projets, on compare une rentabilité attendue et un
coût attendu, c'est-à-dire grosso modo un taux
d'intérêt, un coût du capital, et au fond, il a
baissé.
Monsieur LAMY dans sa question nous a dit : "On aurait pu espérer une
reprise plus rapide après la baisse des taux". Je crois que la baisse
des taux passe par de multiples canaux et pas simplement par cet
élément de comparaison.
Certains estiment que, certes, les taux ont baissé, mais que l'on ne
sait pas s'ils ne vont pas remonter. C'est par là que passe
l'incertitude souvent. Tant que l'on n'aura pas la sécurité, que
l'on ne sera pas entré dans une période durable et longue de taux
bas - je pense aux taux longs en particulier, mais aussi aux taux courts -, on
sera prudent. Je ne dis pas que l'on ne fera rien, mais on sera prudent,
c'est-à-dire que l'on intègre encore aujourd'hui, dans la
réflexion d'investissement, l'instabilité des taux des
années passées. Je peux vous dire que dans beaucoup de
décisions d'investissement, c'est un élément important.
Je crois qu'il faut en effet que l'on entre dans une période de taux
durablement bas pour que, progressivement, ceci entre dans les
décisions, et cela finira par entrer, c'est pour cette raison que je
suis plutôt plus pessimiste sur le court terme et plus optimiste sur le
moyen terme que la prévision de l'OFCE.
V. Mondialisation et progrès social
M. Bernard BARBIER, Président.-
Je voudrais
maintenant remercier particulièrement Mme Isabelle GRUNBERG qui est
venue spécialement de New-York où elle est économiste
principale au Bureau des Etudes sur le Développement au Programme des
Nations Unies pour le Développement et qui va nous livrer quelques
réflexions menées outre-Atlantique sur le thème
"Mondialisation et progrès social".
Madame, vous avez la parole.
·
Mme Isabelle GRUNBERG, Economiste au Bureau des Etudes sur le
Développement du Programme des Nations Unies pour le
Développement.-
C'est un honneur de participer aux travaux du Sénat, et je remercie les
organisateurs de leur invitation. Mes remarques s'appuient sur des travaux en
cours au Bureau des Etudes sur le Développement ; cependant, elles sont
formulées à titre personnel et ne représentent pas une
prise de position du Programme des Nations Unies pour le Développement.
Ces travaux en cours portent sur l'emploi dans une perspective mondiale, sur
les effets de la libéralisation financière, ainsi que sur les
conséquences de la mondialisation sur les équilibres
budgétaires des Etats.
Ce matin, les discussions sont allées au-delà d'une simple
description de la conjoncture; il semble qu'on ait abordé des
problèmes de fond, concernant les mécanismes qui régissent
l'économie mondiale, et d'éventuels changements structurels dans
ces mécanismes.
C'est sur ce plan que je voudrais me situer. Je voudrais également
définir la mondialisation, non comme une simple ouverture aux
échanges internationaux, mais comme la disjonction entre un secteur
privé qui est mondial et un secteur public qui reste fractionné
entre les Etats.
L'exposé de ce matin portera sur le progrès social, que nous
appelons plus volontiers, au PNUD "développement humain durable," -
cette dimension nous renvoie aux fins de l'économie, à savoir
l'être humain et l'amélioration de ses conditions d'existence.
Brièvement, je voudrais récapituler dans quelles conditions ce
"progrès social" est susceptible de se réaliser, et examiner si
ces conditions sont réunies actuellement dans le monde, en quoi la
mondialisation peut changer la donne dans ce domaine, et comment
remédier aux insuffisances possibles.
Introduction : Conditions du Progrès Social
Historiquement, on observe que le progrès social
bénéficie de la convergence de trois facteurs :
-
le progrès économique
dégage les
ressources nécessaires à l'amélioration de la condition
matérielle des être humains, et à leur
intégrité physique.
Le
Rapport sur le
Développement Humain
de 1996 du PNUD souligne
l'interdépendance entre la croissance et le développement humain
durable. La croissance en est une condition nécessaire, mais non
suffisante.
-
les droits sociaux
peuvent se diviser en deux
catégories :
-
les droits du travail
assurent une meilleure participation de tous
les maillons de la chaine de production, et réduisent la
vulnérabilité de ceux qui disposent d'un choix réduit
d'options sur le marché du travail.
-
les transferts de ressources
en faveur des catégories
vulnérables nécessitent un appareil de redistribution, souvent
organisé à l'échelle nationale. Les transferts de
ressources concernent également les subventions à ce qu'on
appelle couramment les "biens publics" - comme l'éducation, la
protection de l'environnement, la paix civile, les infrastructures, etc.
Cet exposé s'attache à comprendre ce que la mondialisation a
changé dans la capacité des Etats à assurer ces trois
types de mécanismes: croissance, droits du travail, et transferts de
ressources.
Le temps qui m'est imparti étant bref, je vais me contenter de survoler
les phénomènes les mieux connus, afin de pouvoir attirer
l'attention sur ceux qui le sont moins. Ainsi, je passerai rapidement sur
l'érosion des droits du travail que l'on constate à la suite de
la concurrence des pays ayant des conditions de travail moins avantageuses.
L'impératif de "flexibilité" du marché du travail est une
des conséquences de la libéralisation des échanges
mondiaux, même si elle n'est pas très efficace comme
stratégie individuelle de lutte contre le ch™mage.
Les deux aspects les moins connus de l'impact de la mondialisation sur le
progrès social concernent l'impact sur la croissance, et l'impact sur
les capacités budgétaires des Etats.
A. La Mondialisation : l'Impact sur la Croissance
Il semble paradoxal d'imaginer que la mondialisation ait un
effet dépressif sur la croissance, car cela va à l'encontre du
schéma bien accepté, selon lequel la mondialisation permet de
"produire plus avec moins", en améliorant l'efficacité
allocative. La mondialisation aide les facteurs de production à trouver
leur meilleure utilisation. Si un pays est riche en ressources minières
et manque de capitaux pour les exploiter, il semble logique de permettre aux
capitaux de venir s'y investir et, en théorie, cela devrait profiter aux
deux parties. Cette logique est impeccable, et n'est pas remise en cause ici.
Mais on s'arrête bien souvent à ce simple schéma, et on
néglige d'autres facteurs qui viennent s'y ajouter, comme les
stratégies commerciales des Etats, ou les contraintes
macro-économiques imposées par la sphère
financière.
Afin d'illustrer mes propos, je vais utiliser la parabole du dilemme du
prisonnier. Les deux complices d'un cambriolage sont mis en prison et
isolés, avant d'avoir pu se consulter sur leur système de
défense. Interrogés, chacun d'eux pourrait nier tout en bloc. Si
tous deux se tiennent à cette défense, alors ils ont des chances
d'être relâchés faute de preuves. Mais si un des complices
parle, le faux témoignage de l'autre peut lui coúter cher. S'ils
s'accusent mutuellement, ils gaspillent toute possibilité d'être
relâchés faute de preuves. Le manque de communication, et le
risque d'être dénoncé tout en niant les faits, aboutira
probablement à des aveux ou des accusations mutuelles. Bien que
sous-optimale, cette stratégie est la seule façon pour chacun de
minimiser ses risques dans un contexte d'incertitude sur le comportement de
l'autre.
Il y a beaucoup de variantes de cette anecdote, qui a inspiré tout un
courant de la recherche en science sociale, en économie, en
mathématiques ou en relations internationales. Une des plus
intéressantes consiste à analyser les situations où chaque
acteur, à l'intérieur d'un système, prend des
décisions en supposant que toutes choses resteront égales par
ailleurs, c'est-à-dire que les autres partenaires n'adopteront pas la
même stratégie.
Et c'est là que l'on revient à l'économie mondiale.
Dans ce domaine, l'exemple typique est celui de l'ouverture commerciale :
si un pays est seul à protéger son marché, tout en
profitant de l'ouverture commerciale des autres, il réalisera un gain
maximal. Mais si tous les pays l'imitent, le monde deviendra protectionniste,
et tous perdront. A long terme, la meilleure solution consiste, pour chacun des
partenaires commerciaux, à se garantir mutuellement l'ouverture de leurs
marchés.
Ce principe a été très bien compris et très bien
appliqué dans les 40 dernières années, et on a
assisté à des efforts multilatéraux sans
précédent de libéralisation des échanges
commerciaux, dans le cadre du GATT, puis de l'OMC.
Mais on n'a pris en compte qu'un seul aspect du dilemme. On peut citer au moins
deux autres secteurs où la coopération internationale permettrait
de résoudre un dilemme du prisonnier et d'améliorer ainsi les
perspectives de croissance et d'emploi.
1 - Les politiques macro-économiques (de gestion de la croissance)
Dans le contexte mondial actuel, notamment de libre
circulation des capitaux, et en l'absence de coordination, la seule
façon d'obtenir une croissance saine et sans risques est de compter sur
les exportations, sur la demande extérieure.
A court terme,
c'est la stratégie adoptée par
presque tous les pays industrialisés. La reprise de la croissance aux
Etats-Unis, par exemple, a été tirée par les bons
résultats des entreprises exportatrices, notamment vers les
marchés d'Asie. En Europe de l'Ouest continentale, on considère
l'augmentation de la demande externe comme la seule voie par laquelle les
économies pourront se sortir de leur phase récessive.
A long terme
,
cette stratégie de promotion des
exportations est celle qui est recommandée à tous les pays en
développement, et celle qui a été adoptée le plus
systématiquement, et avec le plus de succès, en Asie du Sud-Est.
Pourtant, on assiste actuellement à une crise grave de ce modèle
de croissance et de développement, crise qui est due, d'après de
nombreux observateurs, à une faillite de la demande mondiale.
Le cas est frappant dans le secteur des microprocesseurs, qui a
été touché par une chute des prix de 80 %
l'année dernière. D'où pour la Corée du Sud, par
exemple, un déficit budgétaire qui a doublé en 1996, un
ralentissement de la croissance, et une augmentation du ch™mage. De
nombreux secteurs industriels sont ainsi en état de surproduction :
cette année, l'industrie chimique a vu des baisses de prix atteignant
les 36 %. Le secteur de l'automobile et celui des pneumatiques est aussi
en état de crise. Le plus surprenant est que cette surproduction ne
touche pas uniquement les secteurs traditionnellement en crise, comme la
production charbonnière, l'industrie textile ou les chantiers navals,
mais des industries de pointe, celles, justement, qui devaient prendre le
relais des secteurs en déclin - pas seulement les simples
microprocesseurs assemblés en Thaïlande, mais les mémoires
DRAM de haute technologie fabriquées à Singapour.
Je remarque que M. DIDIER, ce matin, a évoqué ce
problème de la chute des prix industriels.
Dans son rapport annuel de 1996, l'OMC constate que le ralentissement du taux
de croissance du commerce mondial est dú à un affaiblissement de
la demande dans les pays occidentaux. On note des observations similaires dans
les Rapports 1995 et 1996 de la Banque Internationale des Règlements, et
dans les Rapports sur le Commerce et le Développement de la CNUCED.
Le fait pour tous les pays de compter exclusivement sur les marchés
extérieurs, et de ralentir leurs économies par souci
d'équilibre macro-économique et de stabilité
monétaire et financière aboutit à un immobilisme, à
une insuffisance chronique de la demande. Ce qui est rationnel pour un seul
pays cesse de l'être si tous adoptent la même stratégie. On
peut aussi appeler cela l'effet de composition.
On peut noter également que le ralentissement volontaire,
délibéré des économies par souci de
stabilité macro-économique (ainsi que la nécessité
de ne compter que sur les exportations pour relancer la croissance), est
dú dans une large mesure à l'extrême mobilité
internationale des capitaux.
Bien súr, cela a des effets sur l'emploi, qui s'est
détérioré constamment, en qualité ou en
quantité, depuis les années 1970.
Dans les pays de l'OCDE, si l'on compare les deux périodes, 1960-1973 et
1988-94, on constate que les taux moyens de ch™mage ont augmenté de
1,2 % aux Etats-Unis, de 1,8 % au Canada, ont doublé en Italie
et au Japon, ont été multipliés par quatre au Royaume-Uni,
par cinq en France, et par 8,5 en Allemagne (UN/DESIPA, 1995). D'après
l'OCDE, si l'on prend en compte le mi-temps involontaire et les travailleurs
découragés, il faut doubler ces chiffres du ch™mage.
Dans certains pays, ces chiffres sont relativement stables, mais c'est la
qualité des emplois qui a souffert. Aux Etats-Unis, outre les
problèmes de stabilité qui seront évoqués plus bas,
on remarque une baisse des salaires réels des catégories les
moins bien payées depuis les années 1970 - baisse allant de 0,3 a
1 % par an. Une étude réalisée à New York,
ainsi que les chiffres nationaux, montrent une augmentation, en proportion, des
emplois n'offrant pas de sécurité sociale (assurance
médicale). Le problème de l'emploi a donc un versant qualitatif.
Dans les pays en développement, on observe partout des signes de
détérioration, sauf dans de rares cas comme la Chine :
d'après le BIT, le nombre d'emplois rémunérés a
diminué de 0,1 % par an en Amérique Latine entre 1980 et
1998. Une étude du PNUD sur la Zambie a montré une chute du
salaire moyen réel de 38 % entre 1983 et 1991.
Il semblerait donc que la solution, encore une fois, consiste dans le fait,
pour tous les pays, de se garantir mutuellement un taux de croissance minimal
de leur demande interne, de la même façon qu'est garantie
l'ouverture commerciale des marchés. Ce point a été bien
compris, et a été reflété, quoique parfois de
manière allusive, dans les déclarations finales des sommets du
G-7 de Lyon et de Lille. Il figure aussi dans le Rapport du BIT pour le sommet
de Lille. Mais il faut à présent mettre en pratique ces bonnes
résolutions.
2 - Les politiques de l'emploi et du marché du travail
Le dilemme du prisonnier, ou l'effet de composition, qui
affecte les politiques du travail, sont mieux connues. Il s'agit de l'attitude
qui consiste à vouloir augmenter ses parts de marché en faisant
baisser les salaires ou les conditions de travail. C'est une stratégie
qui peut réussir si toutes choses restent égales par ailleurs,
mais qui est vouée à l'échec si tous l'adoptent. Les
coúts sociaux sont, dans tous les cas, évidents :
précarisation, insuffisante protection de la famille et de l'enfant,
inégalités croissantes des revenus.
Mais les coúts sont aussi économiques.
Le Rapport Economique
Mondial
du FMI de mai 1996 notait en effet, en ce qui concerne l'Europe,
que "la confiance des consommateurs semble être sapée par
l'insécurité du travail, le manque de perspectives d'augmentation
salariale et, dans certains pays, les préoccupations associées
à la réforme des retraites et aux autres mesures de restriction
budgétaire".
Aux Etats-Unis, le sentiment accru d'insécurité de l'emploi est
reconnu officiellement et pris en compte dans les décisions de politique
des taux d'intérêt. A la question : "Avez-vous souvent peur
d'être licencié ?", 24 % apportaient une réponse
positive dans les années 1980. Or ce chiffre est passé à
46 % en 1995 et en 1996, malgré les bonnes performances de l'emploi
et de la croissance.
Le risque inhérent à une tendance systématique et
universelle à la flexibilité du marché du travail est
celle d'une diminution de la demande effective mondiale, avec non seulement des
coúts sociaux, mais également une réduction des
opportunités d'activité pour les entreprises.
Il faut donc que les pays s'offrent mutuellement des garanties dans ce domaine.
B. Le Déclin des capacités de redistribution : la Crise budgétaire des états
L'idée que les marchés sont efficaces pour
produire de la richesse, mais tendent à une concentration de cette
richesse, est très largement partagée. Deux types d'intervention
sont donc préconisées :
- des interventions sur les prix - en pénalisant les activités
porteuses d'externalités négatives comme la pollution, et en
subventionnant les activités porteuses d'externalités positives
comme l'éducation ou la prévention en matière de
santé.
- des mesures de redistribution en faveur des catégories les plus
vulnérables : enfants, personnes âgées,
handicapés, etc.
C'est là le r™le du secteur public, qui a pour mission de fournir
à la communauté les biens qui, par définition, ne sont pas
susceptibles d'être sources de profit pour le secteur privé. Or
dans les deux cas cités, les interventions du secteur public s'appuient
sur une nécessaire capacité à mobiliser des ressources.
C'est cette capacité qui semble être de plus en plus
menacée par la mondialisation, et ce par l'intermédiaire d'un
grand nombre de mécanismes, directs et indirects, que nous allons
brièvement présenter :
1 - Le recul de la croissance
La croissance a un effet direct et immédiat sur les
équilibres budgétaires, en augmentant les recettes (revenus
fiscaux) et en diminuant les transferts (indemnisation du ch™mage,
prestations sociales, etc). La simple annonce d'une augmentation du
ch™mage en Allemagne a suffi pour que l'on doute fortement de la
capacité de ce pays à se conformer aux critères du
traité de Maastricht en matière de déficit
budgétaire. Inversement, la reprise américaine a augmenté
les ressources fiscales de 33 % depuis 1992, réduisant le
déficit à son plus bas niveau depuis 1981.
Tout impact de la mondialisation sur la croissance mondiale ne peut donc
qu'avoir des conséquences indirectes sur les équilibres
budgétaires.
2 - Le transfert des responsabilités, du secteur privé vers le secteur public
On parle beaucoup des nouvelles responsabilités dont
est investi le secteur privé, qui est amené à prendre la
relève dans beaucoup de domaines. Or, si l'on regarde les faits, c'est
plut™t le contraire qui se produit. Dans l'étude new yorkaise de
l'assurance médicale, la part des titulaires d'une assurance
privée a diminué de 59 % à 50 % entre 1990 et
1995, et celle des titulaires de l'assistance publique a augmenté de
21 % à 26 %. La part des non-assurés (qui n'ont pas
droit à l'assistance publique et ne peuvent se permettre une assurance
privée) a également augmenté.
En Europe, on observe un phénomène similaire, avec la
prolifération des emplois subventionnés, ou la
budgétisation des fonds de pension - et bien súr, dans les pays
en transition, ce transfert est tout à fait net, car tous les besoins
sociaux étaient couverts dans le cadre des entreprises.
1(
*
)
Cette évolution est due à la nécessité, pour les
entreprises, de résister à la concurrence de celles qui n'ont pas
les mêmes charges sociales à assumer. Pour assurer une
"égalité des chances" dans la concurrence mondiale, on exempte le
secteur privé des responsabilités qui lui revenaient autrefois.
Dès lors, on peut se poser la question : l'Etat a-t-il les moyens
de prendre le relais ? Ne trouve-t-on pas ici une des sources de la crise
budgétaire des Etats ?
3 - Les aides de l'Etat aux entreprises dans la concurrence mondiale
Ce phénomène se prolonge lorsque les Etats, non
seulement assument des obligations financières qui autrefois relevaient
du secteur privé, mais offrent en plus des subventions aux entreprises
afin, soit d'améliorer leur position compétitive, soit d'attirer
leurs investissements.
Le premier cas est à relier à la transformation des
modalités du protectionnisme, qui est passé de mécanismes
générateurs de ressources budgétaires (comme les droits de
douane) à des mécanismes coúteux en ressources
budgétaires (comme les subventions). Aux Etats-Unis, on estime que 85
milliards de dollars par an sont consacrés à des aides diverses
aux entreprises, soit presque la moitié du déficit
budgétaire. Inversement, le déclin des ressources
budgétaires apportées par les tarifs douaniers est
particulièrement visible dans les pays en développement. Au
Maroc, par exemple, on estime que le manque à gagner dans ce domaine,
à la suite d'une plus grande ouverture commerciale, sera de l'ordre
d'un-quart des revenus du gouvernement central.
Or, de plus en plus, les Etats qui subventionnent leurs entreprises nationales
n'en récoltent pas les fruits, car les créations d'emploi
s'effectuent à l'étranger, ainsi que d'autres activités
comme la recherche et le développement, etc. On assiste à une
remise en cause des termes du contrat tacite, de l'échange de bons
procédés entre le secteur privé et le secteur public.
Les subventions destinées, non plus à promouvoir les entreprises
nationales, mais à attirer les flux d'investissements étrangers,
relèvent également de la logique du dilemme du prisonnier,
puisqu'elles s'annulent mutuellement. La Thaïlande a ainsi consacré
près de 0,5 % de son PIB en subventions destinées à
attirer les investissements pour l'exportation
2(
*
)
.
4 - Le manque de coordination des politiques fiscales
La mobilité des capitaux destinés à
l'investissement permet aux entreprises de "faire jouer la
concurrence" entre
les Etats. Mais la mobilité des capitaux financiers permet aussi aux
entreprises et aux individus d'exploiter les différences de
régime fiscal entre les Etats - d'où encore un manque à
gagner pour ces derniers. Les revenus fiscaux en proportion du PIB ont
diminué, dans les pays en développement, de 21 % en 1970,
à 17,5 % en 1995.
Ces quatre exemples montrent les changements structurels induits par la
libéralisation des échanges internationaux, et ses
conséquences sur les équilibres budgétaires des Etats - et
l'on pourrait encore citer d'autres mécanismes contribuant au même
résultat. On est loin de l'idée simple qui veut que les
déséquilibres budgétaires soient dus à des
"dépenses sociales" excessives. Au contraire, on assiste à un
affaiblissement de la capacité des Etats à faire face aux besoins
de sociétés ballottées par la rapidité des
changements induits par les grands mouvements de l'économie mondiale.
D'après la Banque Mondiale, la proportion des actifs dont l'emploi est
"protégé" des fluctuations de l'économie mondiale passera
d'environ les deux-tiers dans les années 1970, à un
dixième à la fin des années 1990.
Conclusion
Si l'on reprend les trois facteurs de progrès social
cités plus haut, on s'aperçoit que la mondialisation affecte ces
trois types de mécanisme :
-
elle affecte la croissance,
car la libéralisation des
échanges commerciaux encourage des stratégies de croissance
entièrement axées sur l'exportation, et la libéralisation
financière rend ces stratégies nécessaires, tout en
incitant les Etats à comprimer leur demande interne - d'où un
effet de composition auto-destructeur.
-
elle affecte les droits du travail,
car en l'absence de normes
mondiales, les entreprises respectant ces droits finissent perdantes dans la
concurrence mondiale.
-
elle affecte les transferts du secteur public,
en drainant les
ressources budgétaires des Etats en faveur des entreprises, et en
affaiblissant la capacité des Etats à mobiliser les ressources
fiscales nécessaires.
Si l'on veut conserver les gains économiques qu'offre potentiellement la
mondialisation, et les convertir en gains sociaux, alors il faut essayer de
résoudre tous les dilemmes du prisonnier que je viens de décrire.
En particulier, il faut :
- des engagements mutuels sur des objectifs de croissance de la demande
interne ;
- un plus grand pragmatisme en matière de libéralisation des
flux financiers ;
- des normes internationales de respect des droits du travail ;
- des actions tendant à réduire la course aux subventions et
l'érosion fiscale (de semblables actions sont en cours dans le cadre
européen, et aussi, pour le domaine fiscal, dans le cadre
transatlantique).
La dimension de protection de l'environnement pourra très bien
s'intégrer dans ce programme, notamment par des mesures incitatives
coordonnées au plan international et par un réajustement des
incitations fiscales.
Il est temps de comprendre que la politique sociale ne relève plus des
affaires intérieures, mais est devenue une affaire de politique
extérieure à part entière.
Pour terminer, je voudrais souligner que ces quelques observations ne
constituent pas une position officielle du PNUD, qui est une grande maison avec
beaucoup d'opinions différentes, mais j'espère qu'elles pourront
contribuer au débat actuel sur les conséquences de la
mondialisation.
Je vous remercie.
M. Bernard BARBIER, Président.-
C'est moi qui vous dois des
remerciements, Madame, d'être venue nous apporter la bonne parole et en
même temps une autre vision, comme vous venez de le dire.
Je voudrais, à la fin de ce Colloque, faire deux brèves remarques
:
- la première pour rappeler que les débats de cette
matinée ne constituent que la première phase des travaux de
projection qui sont conduits par la Délégation pour la
Planification, et que celle-ci présentera à l'automne, comme
d'habitude d'ailleurs, des perspectives davantage centrées sur
l'économie française et décrivant de façon plus
précise qu'aujourd'hui, si cela est possible, le profil des prochaines
années ;
- la deuxième remarque pour indiquer que la version finale des
scénarios à l'horizon 2005, élaborée par
l'équipe MIMOSA, sera jointe au rapport d'information que la
Délégation pour la Planification publiera à la suite du
Colloque.
Pour terminer, je vous invite à une rencontre autour d'un verre à
la santé de tous les intervenants, de toutes celles et de tous ceux qui
nous ont fait le plaisir de venir ce matin, sans oublier ceux qui ont permis
d'organiser ce Colloque.
Je vous remercie et vous donne rendez-vous pour le XIIIème Colloque,
l'année prochaine.
1
L'efficacité des subventions à
l'emploi n'est pas établie. Une étude de Coopers et Lybrand des
500 grandes entreprises françaises montre que 78 % des entreprises
touchant des subventions à la création d'emploi n'avaient pas
augmenté pour cela leur embauche.
2
On retrouve, d'ailleurs, le même phénomène
au niveau régional. Le Rapport Arthuis de 1993 signalait une
augmentation de 22 % des aides des administrations locales aux
entreprises, entre 1990 et 1991.