III. M. FRANÇOIS BAYROU
MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
ET DE LA RECHERCHE
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M. le Président
.- M. le ministre, nous sommes
toujours heureux de vous accueillir dans cette commission qui a beaucoup de
raisons de vous entendre aujourd'hui.
Nous avons procédé à une série d'auditions sur les
stages proposés par le CNPF et nous serons heureux d'avoir votre opinion
sur ce sujet et de vous entendre sur l'évolution de ce dossier.
Dans vos propositions issues des états généraux de
l'université, vous avez introduit une première expérience
professionnelle pour les jeunes, et vous allez nous en parler.
Merci d'être venu, je vous passe la parole.
M. François Bayrou
.- Merci M. le Président.
Je vais commencer par la philosophie de la réforme de
l'université pour hiérarchiser cette présentation.
M. le Président, je suis tout à fait prêt à venir
devant le Sénat, si la conférence des Présidents me le
demande, pour débattre de l'importante réforme de
l'université.
D'ailleurs, ce ne sera pas le premier débat, car nous en avons
déjà eu deux.
Comme vous vous en souvenez, les états généraux de
l'université se sont déroulés en trois étapes.
Tout d'abord, celle de l'écriture en commun des diagnostics et des
problèmes qui se posent à l'université, qui s'est
déroulée de novembre 1995 à mars 1996.
Ensuite, l'étape d'écriture en commun des principes devant
orienter la réforme de l'université, qui s'est
réalisée de mars 1996 à juin 1996.
Elle a trouvé son aboutissement à la Sorbonne lors d'une
manifestation où vous étiez présent avec de nombreux
sénateurs, et qui a rassemblé l'ensemble de la communauté
universitaire.
Le Premier ministre était venu avec moi présenter ces principes.
Depuis le mois d'octobre, c'est la troisième phase, celle de la mise en
oeuvre, car les principes doivent être déclinés en
décisions ou en préparation de décisions
nécessaires à une réforme.
C'était la phase la plus difficile. Comment a-t-elle
fonctionné ? J'ai mis en place cinq groupes de mise en oeuvre avec
tous les partenaires de l'université.
Quand je dis tous, c'est tous, depuis la conférence des
présidents d'université jusqu'aux organisations syndicales.
Nous nous sommes réunis au rythme de deux fois deux heures tous les
jours, sans exception, depuis trois mois et j'ai présidé toutes
les séances.
Cela constitue des centaines d'heures de travail pour essayer de faire se
rejoindre ce que les participants croient être des antagonismes, mais
dont ils découvrent, pourvu que nous prenions le temps d'approfondir
patiemment et précisément les problèmes, qu'en
réalité cela dissimule des points d'accord très profonds.
Par ailleurs, je n'ai pas besoin d'insister devant la commission, qui
connaît l'histoire récente de notre université, pour dire
qu'une réforme de cette ampleur a été accueillie par des
jugements politiques unanimes.
Cependant, des réserves ou des questions récurrentes s'expriment
ici ou là, notamment sur les moyens de cette réforme, dans ce
genre de discussion, mais concernant l'inspiration de la réforme et ses
dispositions concrètes, nous n'avons pas eu de critiques.
En effet, de l'Uni à l'Unef-ID, de la Fage au Snes-Sup et jusqu'aux
autonomes, tout le monde a manifesté son accord sur les principales
dispositions retenues.
Tout d'abord, je vais répondre à la question concernant les
moyens. Nous avons étudié les moyens avant de nous occuper de la
réforme.
J'ai lancé un plan triennal de rattrapage des moyens accordés
à l'université française.
En effet, j'ai pu constater la situation honteuse d'un certain nombre
d'universités, en particulier les nouvelles universités, qui ne
recevaient pas la moitié des crédits ou des postes auxquels leur
donnait droit la norme nationale.
Par conséquent, ce plan de rattrapage en crédits et en postes m'a
conduit, sans augmentation du nombre des étudiants, à
créer 7 000 postes sur deux rentrées.
De plus, en une seule année, plus aucune université ne
reçoit désormais une dotation inférieure à
90 % de sa dotation théorique : par exemple à Rouen,
nous sommes passés de 50 % de la dotation théorique à
plus de 90 % en une seule année.
Cela explique également les conditions favorables de la dernière
rentrée alors que nous ne sommes qu'au premier tiers du plan.
Sur les 7 000 postes prévus, 4 000 ont été
pourvus à la dernière rentrée et 3 000 viendront les
compléter à la rentrée prochaine.
Par conséquent, le problème des moyens est naturellement
posé : les universitaires savent que beaucoup de choses ont
déjà été réalisées et continueront de
l'être. C'est mon engagement.
Concernant l'architecture de la réforme, elle se fonde sur l'idée
qu'il ne s'agit pas seulement de changer l'organisation de l'université
ou d'en modifier les dispositions réglementaires.
En effet, ces changements doivent être des germes de progrès sur
une longue période et entraîner une mutation des comportements et
de l'esprit même de l'institution universitaire.
Vous allez pouvoir juger que c'est le cas. Quels sont les changements
prévus ?
Tout d'abord, l'entrée à l'université se faisait
jusqu'à maintenant par un choix unique et, dans bien des cas, sans que
le futur étudiant connaisse quoi que ce soit à la discipline
choisie et encore moins aux règles de la vie universitaire.
Il m'a semblé que cela entraînait un grand nombre d'erreurs
d'orientation et qu'il fallait s'y "attaquer" en premier.
Désormais, nous commencerons par un semestre initial qui sera une
découverte de la discipline choisie, de la vie à
l'université, des méthodes de travail et de découverte de
disciplines proches et qui permettra éventuellement aux étudiants
de se réorienter à l'issue de ce semestre.
De plus, ce semestre initial serait commun à plusieurs DEUG. Par
exemple, le DEUG de droit, de science économique, de gestion et
d'administration.
Ensuite, l'étudiant suivra trois unités d'enseignement -j'ai
abandonné le mot de module par amour de la langue française car
je ne sais pas ce qu'il signifie- dont la première est la discipline, la
deuxième est la méthodologie du travail universitaire et la
troisième est la découverte des autres disciplines du champ.
Ainsi, après un semestre, l'étudiant a une idée
précise de son niveau.
En effet, dans la discipline il aura des notes, dont je souhaite qu'un grand
nombre soit donné en contrôle continu de manière à
fournir très tôt des informations à l'étudiant.
Il aura aussi une idée précise de ses chances, puisque les notes
du semestre initial seront prises en compte dans l'examen de la fin de
l'année avec des coefficients lourds pour la discipline qu'il aura
choisie.
Par conséquent, il sera en situation de juger de la validité de
son orientation et de pouvoir en changer.
Dans l'exemple que je prenais, l'étudiant en droit qui
découvrirait que ce domaine qu'il ne connaissait pas n'est en
réalité pas du tout fait pour lui, pourra se reconvertir en
économie, en gestion ou en administration et, dans chacune de ces
disciplines proches, en formation courte ou longue.
Dès 1988, des BTS et des IUT démarreront au mois de
février, afin d'introduire plus de souplesse dans l'organisation des
cursus.
Ainsi, l'étudiant décidera-t-il de son orientation en
étant informé des conditions réelles de ses études
et des exigences de son choix.
Comme vous le constatez c'est un changement profond et je répondrai
volontiers à vos questions sur ce point.
Par ailleurs, je propose que l'ensemble des DEUG soit préparé par
huit semestres initiaux dont je vous donne la liste :
- droit, économie, gestion, administration
- lettres, langues
- sciences humaines et sociales
- sciences
- arts
- éducation physique et sportive, métiers du sport et des
activités de loisirs
- sciences et techniques de l'organisation
- sciences et techniques pour l'ingénieur.
Ce sont des champs larges comprenant deux DEUG technologiques et cinq DEUG
généraux.
Ce changement profond de l'entrée à l'université en
entraîne un autre concernant le rythme universitaire.
En effet, l'année ne sera plus l'unité de
référence, mais le semestre comme dans les autres grandes
universités étrangères.
Le semestre est une unité quasi standard permettant beaucoup plus de
souplesse, notamment une meilleure utilisation des locaux universitaires.
Deuxièmement, elle permet, pour un certain nombre d'universitaires, de
répartir différemment leur charge de travail entre le premier
semestre et le second, afin que la recherche, et les publications qui en
découlent, puissent trouver place dans leur temps de service.
Enfin, elle permet d'introduire des unités de formation qui,
jusqu'à maintenant, n'existaient pas.
Nous retrouvons l'unité d'expérience professionnelle qui pourra
être introduite dans les diplômes, alors que jusqu'à
maintenant c'était impossible.
En effet, l'université ne prenait rien en compte de ce qui lui
était extérieur ; une durée de stage d'une
année aurait été trop longue et aurait conduit à
l'allongement de la durée de formation.
Je souhaite que cette unité d'expérience professionnelle se mette
en place dans le cadre du semestre et qu'elle soit validée à
l'examen sous la double tutelle de l'université et de l'entreprise.
Par ailleurs, il n'est pas question d'instituer des jurys mixtes pour les
examens, car c'est l'université qui délivre les diplômes.
Cependant, l'université pourra prendre en compte l'expérience
professionnelle acquise dans l'entreprise.
De plus, cette unité d'expérience professionnelle
s'insérera dans des diplômes de second cycle, car le premier cycle
correspond aux études générales.
En effet, il existe déjà un semestre initial et si nous ajoutons
un semestre professionnel nous n'avons plus de DEUG.
Ensuite, je propose un autre type de semestre à prendre en compte
également dans les études, il s'agit du semestre européen.
C'est l'idée qu'à terme, en se fixant un délai raisonnable
de cinq ans, il ne puisse plus exister de diplôme de deuxième
cycle sans validation d'un semestre d'études dans une autre
université européenne.
C'est un retour à la vieille tradition universitaire du tour d'Europe
qui me semble particulièrement intéressante en cette
période d'édification, de ce que j'aime toujours appeler la
communauté européenne, de préférence au mot
" union " que je trouve mauvais.
Le troisième élément de progrès concerne les
étudiants et leur statut.
Vous en avez beaucoup entendu parler du point de vue des aides et un peu moins
concernant le deuxième volet.
Le premier volet est difficile à concevoir compte tenu des habitudes de
penser antérieures. Il cherche à sortir de cette situation
profondément anormale qui privilégie deux catégories
d'étudiants bénéficiant principalement de l'aide publique.
Il s'agit des enfants des familles les plus pauvres, ce qui est normal et de
ceux des familles les plus riches, ce qui, vous l'avouerez, l'est moins.
Nous avons pu montrer que l'aide publique accordée à une famille
de deux enfants vivant en banlieue parisienne gagnant un SMIC, était
plus faible que l'aide publique attribuée à une famille de deux
enfants toujours en banlieue parisienne, gagnant plus d'un million de francs
par an. Ceci est profondément scandaleux, en tout cas, me scandalise.
Nous avons pu nous mettre d'accord avec toutes les organisations sur une
architecture générale, à savoir une allocation sociale
d'études.
Ce n'est pas une allocation universelle, mais elle tient compte des ressources
des familles ou des étudiants, s'ils ont leur indépendance, ou de
leur autonomie à l'égard de leur famille.
Elle tiendra compte de la situation fiscale de l'étudiant, qu'il soit
rattaché ou non à ses parents.
Cette allocation sociale d'études serait attribuée à
partir d'un barème unique, mensualisé et qui prendrait en compte
plusieurs critères tels que les ressources, la proximité entre le
domicile familial et le lieu d'études, le logement, et la nature des
études.
Je n'exclus pas que nous ajoutions d'autres critères, mais ce
barème unique permettrait de moduler l'aide attribuée à
l'étudiant.
Par ailleurs, cette aide ne serait pas interrompue pour le premier
redoublement, après avis de l'université, mais il faudrait que ce
redoublement soit " loyal ".
La mise en oeuvre concrète de cette nouvelle allocation se
déroulerait en deux étapes, en prenant en compte les flux
d'étudiants.
En effet, je n'ai pas cru possible d'enlever à des étudiants
déjà inscrits à l'université les avantages dont ils
disposent actuellement.
Ce type de démarche aurait été très dangereux,
voire impossible, car les étudiants ont pris des dispositions dont il
faut tenir compte.
Par conséquent, la réforme s'appliquera aux nouveaux
étudiants et en deux étapes : à la rentrée
prochaine, l'aide prendra en compte toutes les aides directes existant
aujourd'hui, à savoir essentiellement les bourses et l'allocation de
logement sociale.
A la rentrée suivante, je proposerais que la loi de finances
réexamine un certain nombre des avantages fiscaux, dans le cadre de la
réforme fiscale en cours, afin que les économies
dégagées viennent abonder l'aide actuellement accordée aux
étudiants des classes moyennes.
Par conséquent, il s'agit d'un très gros effort de redistribution
qui est difficile et qui va demander dans son application, au gouvernement qui
aura à l'appliquer, du courage.
Cependant, nous ne pouvons pas continuer à avoir une situation aussi
anormale que celle que nous avions aujourd'hui.
Le deuxième volet dont nous avons moins parlé touche au statut de
l'étudiant dans l'université.
Nous n'en avons jamais discuté et il me paraît essentiel au
progrès de l'université.
En effet, je suis favorable à la participation des étudiants
à la vie de l'université.
Ainsi, la réforme propose-t-elle l'évaluation des enseignements
par les étudiants, comme cela se pratique depuis longtemps dans les
établissements des grands pays universitaires.
Cette évaluation ne se traduira pas par une notation des enseignants par
les étudiants, car cela entraînerait des démarches
démagogiques auxquelles je ne prêterai pas la main.
Cependant, c'est la garantie que les étudiants pourront s'exprimer sur
l'enseignement qu'ils reçoivent, sur les cours auxquels ils assistent et
sur les travaux dirigés ou pratiques auxquels ils participent.
Cette évaluation sera destinée aux enseignants eux-mêmes et
ne devra pas être rendue publique.
De plus, je crois que c'est un élément incitatif pour
l'enseignant qui en est seul destinataire.
Par ailleurs, je souhaite voir se créer des commissions
pédagogiques pour chaque année d'enseignement. Ces commissions
regrouperont enseignants et étudiants pour étudier notamment les
problèmes de charges de travail, les corrections et pour évoquer
divers aspects de la vie étudiante.
La participation des étudiants ne s'arrête pas là.
En effet, je souhaite que nous réformions les CROUS, car je pense que
les étudiants pourraient y exercer des responsabilités beaucoup
plus importante qu'aujourd'hui.
De la même manière, une partie des actions de soutien aux
débutants devrait entrer dans le cadre de ce que nous appelons
improprement les " jobs étudiants ".
L'exemple type de ces activités étudiantes, c'est le tutorat, que
j'ai mis en place lors de la dernière rentrée et dont
bénéficieront tous les jeunes étudiants débutants.
Désormais, dans le semestre initial, et au début du
deuxième semestre, tout étudiant nouveau sera accompagné,
dans le cadre d'un petit groupe, par un étudiant confirmé.
Il s'agira de groupes de 10 ou 12 nouveaux étudiants encadrés par
un étudiant confirmé de fin de deuxième ou de
troisième cycle qui sera chargé de les aider à
découvrir la vie universitaire.
Ces tuteurs seront rémunérés -ils le sont
déjà- à hauteur de 1 000 F par mois pour
quelques heures par semaine, sous forme de bourse cumulable avec l'allocation
sociale d'études.
En effet, je ne souhaite pas pénaliser ceux qui s'engagent dans le
tutorat, car cela signifierait qu'il existerait deux sortes d'étudiants,
ceux qui disposent de l'allocation d'études et ceux qui sont
obligés d'avoir une activité étudiante
rémunérée.
Ces activités concerneraient, outre le tutorat, le monitorat de
bibliothèque, l'animation d'associations, l'alphabétisation et
l'aide aux devoirs dans l'enseignement secondaire.
Elles sont liées à l'activité universitaire et il ne
s'agit pas d'aller décharger des cageots ou de travailler chez Mac
Donald.
De plus, je pense que cela peut également contribuer à changer
considérablement l'ambiance sur les campus.
Le quatrième élément de progrès tient à un
changement dans l'organisation des carrières universitaires.
Jusqu'à maintenant, le seul élément pris en compte dans
les carrières universitaires était la recherche et les
publications correspondantes.
Ainsi, nous vivions un paradoxe complet, car si pour l'opinion,
l'université, c'était un service public d'enseignement
supérieur, pour les universitaires, l'université, c'était
d'abord la recherche.
De plus, tous les critères de carrière conduisaient
l'universitaire à arbitrer entre l'activité d'enseignement et
l'activité de recherche.
Loin de moi l'idée de négliger la recherche universitaire qui,
dans le monde entier, se développe exclusivement à
l'université.
Par ailleurs, bien que la France soit pratiquement le seul pays à
posséder de grands organismes tels que le CNRS, l'INSERM, le CEA... qui
sont voués entièrement à la recherche, cette
dernière est indissociable de l'université.
Néanmoins, nous sommes dans une situation totalement anormale où
le système invite à arbitrer contre l'enseignement.
Au mois de novembre dernier, pendant les centaines d'heures passées
à auditionner la " base " universitaire, j'ai rencontré
des professeurs de rang A me disant qu'ils n'enseigneraient plus jamais en
premier cycle.
C'est pourquoi, avec un certain goût de la provocation j'ai
décidé que tous les enseignants de rang A devraient effectuer une
partie de leur service en premier cycle universitaire.
En effet, cela me paraît normal, mais encore fallait-il trouver un
système qui invite les enseignants à arbitrer plus
équitablement entre recherche, enseignement et animation de
l'université.
Désormais, ces trois critères seront pris en compte dans
l'évolution des carrières.
De la même manière, je souhaite que des universitaires puissent
équilibrer leur service, notamment ceux ayant abandonné la
recherche.
En effet, nous estimons à 20 % la part des universitaires qui se
sont éloignés de la recherche.
Or, nous ne pouvons pas faire d'enseignement supérieur sans recherche et
ils doivent pouvoir continuer à arbitrer différemment leurs
diverses activités.
Par conséquent, je propose que des promotions spéciales soient
réservées, dans le cadre de l'élargissement du pyramidage,
à la hors classe des maîtres de conférence, pour ceux qui
feraient le choix principal de l'enseignement.
De la même manière, nous pouvons imaginer que des services
d'enseignement allégés, par exemple pendant une période de
publication, puissent être réservés à des
universitaires engagés dans une recherche particulière.
De plus, des services exceptionnels rendus à l'université dans
d'autres domaines que la recherche, pourront être pris en compte, y
compris pour des promotions de professeur.
Quand j'ai été chargé de l'enseignement supérieur,
un exemple m'a stupéfait. Comme vous le savez, le ministre
préside la conférence des présidents d'université
et il a à ses côtés un vice-président. Ce
vice-président préside la conférence des présidents
d'université et il s'agissait d'un maître de conférence
dont le mandat s'achevait.
Quand je lui ai demandé ce qu'il allait faire après, il m'a
répondu que sa carrière était finie. En huit ans il a
été successivement vice-président, président
d'université et président de la conférence des
présidents de l'université. Il a donné toute sa vie
à l'animation de l'université française, n'a pas fait de
recherche pendant ce temps et, selon lui, il était fini. Par
conséquent, je lui ai donné une fonction de direction au
ministère. Cependant, je trouve ce système délirant. En
effet, qu'il ne puisse pas poursuivre sa carrière d'universitaire en
présidant la conférence des présidents des
universités, me semble aberrant
Il faut donc rééquilibrer les centres d'intérêt pour
les universitaires qui auraient le souci légitime de faire
carrière.
De la même manière, une mobilité plus importante doit
être offerte aux personnels IATOS qui sont si importants dans les
universités.
J'ai été le premier de la série des ministres
chargés de l'enseignement supérieur à avoir
créé exactement autant de postes de personnel IATOS que de postes
d'enseignant chercheur. Les 4 000 postes de cette rentrée, se
partageront entre ces deux catégories ainsi que les 3 000 postes
prévus pour la rentrée prochaine. Cet effort a beaucoup
soulagé les universités françaises.
Dernier changement, celui qui touche à l'autonomie des
universités ou, plus exactement, à un nouvel équilibre
entre l'autonomie des universités et les responsabilités de
l'Etat.
En effet, je ne me range pas au nombre de ceux qui opposent ces deux notions et
de la même manière, je n'oppose pas responsabilité de
l'Etat et décentralisation.
Les sociétés dans lesquelles nous entrons ont besoin des deux, et
spécialement la société française qui a besoin
d'autonomie sur le terrain et de responsabilité de l'Etat.
En quoi consistera la nouvelle autonomie des universités ?
Je ne change pas la loi, car je considère qu'une loi en vigueur depuis
quinze ans, qui n'est plus guère discutée par qui que ce soit, ne
mérite pas d'être changée.
De plus, je ne veux pas attacher mon nom à une cathédrale
législative de plus, d'autant que je crois davantage à la
pratique qu'aux lois écrites.
La propriété des locaux universitaires et le patrimoine seront
transmis aux universités, et non pas aux collectivités locales.
Cette opération se déroulera progressivement et de manière
volontaire, car je considère que Nanterre ne serait pas dans
l'état où elle est si les locaux avaient été la
propriété de l'université.
Par ailleurs, les plans d'équipement des conseils généraux
et régionaux en collège et en lycée ont atteint leurs
objectifs. Ainsi, en partenariat avec les universités, les
collectivités locales et l'Etat, nous pourrons envisager des programmes
différents.
Je propose que nous commencions en 1999 un nouveau plan "Université 2000
plus" qui comportera des priorités que je souhaite
légèrement différentes de l'ancien dispositif.
D'abord, priorité aux bureaux des enseignants, car plus de deux
enseignants sur trois en France ne disposent pas de bureau individuel dans leur
université.
Par conséquent, ils n'ont pas de raison ou de possibilité
d'être présents, ni de rencontrer les étudiants en dehors
des heures de cours.
Ensuite, priorité aux salles de travail autonome pour que les
étudiants comprennent que la démarche universitaire n'est pas une
démarche de réception, de transmission de savoir, mais de
construction individuelle du savoir.
Je scandalise parfois les universitaires en leur disant qu'ils devraient
recommander aux étudiants de ne pas aller en cours.
L'idée que nous soyons obligés d'apprendre par le cours n'est pas
une idée universitaire : en effet, le cours aide à apprendre
seul et à construire son savoir.
C'est pourquoi, la recherche est si importante et, d'ailleurs, je proposerai
une petite unité de recherche, un petit mémoire à la fin
du DEUG pour sensibiliser l'étudiant à l'idée que le
savoir se construit seul.
Bien entendu, le savoir s'acquiert aussi en grande partie en équipe,
mais par une démarche autonome et non pas par une démarche de
type enseignement secondaire.
Ensuite, autonomie de l'université, avec de meilleures équipes
techniques qui pourront être choisies par les conseils pour la gestion de
la ressource humaine et un développement de l'informatique.
J'ai proposé également une agence de modernisation des
universités permettant de mutualiser un certain nombre de moyens, ainsi
que la création de documents de référence, par exemple une
carte nationale des passerelles permettant aux étudiants de savoir
comment ils peuvent passer d'une formation à une autre : ce ne
serait pas de manière obligatoire, car il faut laisser aux
universités une marge de choix, mais ce serait une
référence.
Comment s'effectue la poursuite d'études en IUT ? Aujourd'hui,
c'est au petit bonheur la chance.
Par conséquent, il est très important que nous parvenions
à indiquer comment nous passons d'une formation à une autre, et
notamment en cas de réorientation.
De même, une charte des examens va être définie, afin qu'un
certain nombre de règles simples soient respectées partout.
En effet, je pense à l'anonymat des copies qui me paraît de droit,
mais n'est pas respecté partout.
Le nouvel équilibre générateur de progrès
résultera ainsi d'une référence nationale forte et d'une
autonomie des universités.
Pour terminer, je vous précise que je ne vous ai pas
énuméré toutes les mesures que vous trouverez dans le
rapport d'étape sur la réforme de l'université.
Nous n'avons pu élaborer cette réforme que parce que tous les
acteurs et partenaires ont été complètement
impliqués, y compris ceux qui étaient de prime abord
réservés, sceptiques et même critiques.
En effet, à l'exception d'une organisation syndicale, toutes les autres
ont participé à l'ensemble du travail.
Certaines étaient entrées en disant qu'elles savaient qu'il ne se
passerait rien, mais toutes ont été obligées de convenir
que nous avions réalisé de très grands pas.
De plus, ce qui est encore plus précieux à mes yeux, c'est que
chacun a fait de très grands pas vers l'autre, qu'il n'existe plus ces
frontières idéologiques auxquelles nous croyons
l'université française -et peut-être la
société française- définitivement condamnée
et qui l'empêchait de bouger.
J'ai été très heureux que nous puissions faire
apparaître dans l'université des partenaires nouveaux.
La conférence des présidents d'université s'est beaucoup
exprimée ainsi que les organisations syndicales.
Par ailleurs, j'ai mis en place des conférences disciplinaires qui
feront entendre la voix des grandes disciplines dans la réforme
universitaire ; je crois qu'il n'est pas juste de penser que tout le monde
doit passer sous la même toise : la modernité consiste au
contraire à prendre en compte des différences profondes.
J'ai trouvé très encourageant que nous puissions établir
un document de cette importance avec la participation, l'aide et l'engagement
de tous.
Je vous remercie.
M. le Président
.- C'est nous, monsieur le ministre, qui vous
remercions de votre exposé.
Pour le débat dont vous avez parlé nous sommes preneurs et nous
souhaitons que le Sénat en accepte le principe.
De plus, nous espérons que son ordre du jour lui permettra de
l'organiser le plus rapidement possible.
Par ailleurs, je serais heureux, et mes collègues également, que
vous reveniez au Sénat à l'occasion de ce débat pour
entrer dans les détails de vos propositions.
M. François Bayrou
.- Très volontiers.
M. Robert Castaing
.- Monsieur le ministre, une simple question au sujet
des semestres initiaux et du choix des enseignants que vous allez y affecter.
Ce seront sans doute des professeurs bien informés de ce qui les attend,
en particulier de l'obligation au moins pour ceux de rang A, d'effectuer un
stage en premier cycle.
J'aimerai savoir si ce sera une contrainte et si vous veillerez à ce
qu'ils soient recrutés spécifiquement.
En effet, n'importe qui ne peut pas assumer et assurer ce premier contact avec
l'université.
M. François Bayrou
.- Pour moi, c'est clair, ce sont les
universitaires les plus avertis qui devront prendre ce genre de
responsabilités.
Au début, j'ai entendu l'accusation de volonté sournoise de
secondarisation de l'université, mais il se trouve que depuis mon
âge le plus tendre, je suis farouchement contre cette secondarisation pas
pour les raisons habituellement invoquées.
En effet, si nous acceptions l'idée que la formation initiale se fait
à l'université, comme dans les collèges américains,
cela viderait l'enseignement secondaire de sa signification.
Ainsi, l'enseignement primaire considérant que le collège est
devenu obligatoire, considérerait que ce qu'il ne parvient pas à
faire sera réalisé au collège.
Le collège estimerait que le lycée peut rattraper le retard des
élèves et le jour où vous ferez des collèges
universitaires, vous verrez les lycées perdre de leur qualité.
C'est pourquoi, je suis en total désaccord avec l'idée de
secondarisation et de collège universitaire.
Je suis favorable à ce que nous gardions de vrais premiers cycles
universitaires, que le baccalauréat soit un véritable examen et
qu'il existe de véritables passages.
D'ailleurs, je vais proposer aux universitaires une réflexion sur le
contenu du baccalauréat, qui reste le premier grade universitaire.
Par conséquent, donnons-lui tout son sens et arrêtons de
" pleurnicher " sur le fait que les étudiants n'ont pas le
niveau en entrant à l'université.
Les enseignants délivrant le baccalauréat doivent prendre leurs
responsabilités en définissant son contenu afin qu'il soit clair
pour les étudiants et que nous puissions avoir dans ce pays un vrai
contrat de formation.
Je suis, de manière déclarée, contre la secondarisation et
pour la "supériorisation" de l'université.
Nous ferions un très mauvais calcul en nous rangeant à une
conception américaine et je propose que nous fassions jouer leur
rôle à tous nos niveaux de formation.
Ainsi, rendons aux lycées et aux collèges toute leur fonction et
à l'enseignement primaire toute sa vocation.
Posons-nous enfin, avec les enseignants, la question de la transmission de la
lecture et de l'écriture.
En effet, l'expérience montre qu'en réalité c'est au C.P.
que l'échec est déjà inscrit, car nous croyons toujours
que l'étage supérieur va arranger les choses.
Or, ce n'est pas le cas et il faut prendre le problème à sa
racine. J'ai essayé de le faire il y a quatre ans et je me suis
"cassé la figure", car le corps enseignant a très mal
appréhendé cette démarche.
Je suis pour que chacun se " ré-enracine " dans sa mission.
C'est ainsi que nous y arriverons et non pas en disant que l'étage
supérieur doit faire le travail de l'étage
précédent.
C'est ma conviction.
M. James Bordas
.- Monsieur le ministre, je vais peut-être vous
surprendre.
J'ai l'impression qu'il existe un télescopage entre les stages
diplômants lancés il y a quelques semaines et la publication,
hier, de votre rapport d'étape sur l'université qui est
particulièrement intéressant et dans lequel nous trouvons les
idées développées au sujet des stages diplômants.
Vous parlez d'une idée d'expérience professionnelle, mais vous
n'avez pas évoqué la charte nationale des stages.
Je serais intéressé par ce dernier point.
Par ailleurs, j'ai l'impression que la réforme devrait contribuer
à limiter le phénomène que nous constatons
aujourd'hui : les jeunes suivent des études jusqu'à 25 ou 26
ans et se retrouvent sur le marché du travail avec un bagage
universitaire tellement important qu'ils restent "sur le carreau".
Il faut essayer de modifier cela et peut-être que votre réforme
devrait le permettre.
De plus, votre rapport d'étape apporte une réponse à la
cacophonie actuelle sur les stages diplômants.
Cependant, quel est l'avenir de ces stages diplômants ?
M. François Bayrou
.- Ce n'est pas une cacophonie, car
l'idée de l'expérience professionnelle était dans mon
discours de la Sorbonne prononcé au mois de juin dernier.
Dans les principes, j'avais défini ce thème qui a
été repris à la suite d'une conversation que j'ai eue avec
M. Pineau-Valencienne.
Cela a suscité des débats et c'est très bien. Les
journalistes ont eu l'occasion d'écrire et les organisations se sont
exprimées.
Cependant, vous n'avez pas été sans constater, que la veille de
la présentation du rapport d'étape, les points de vue
s'étaient subitement rapprochés entre le CNPF et les
organisations d'étudiants.
C'est pourquoi, j'ai pensé qu'il fallait trouver un accord avant la
sortie du rapport d'étape, autrement nous n'aurions parlé que des
divergences sur ce point.
J'ai bon espoir que tout cela soit réglé la semaine prochaine.
M. le Président
.- En entendant M. Pineau-Valencienne
précédemment, il nous a semblé qu'en effet, nous
n'étions pas loin d'aboutir.
M. Jacques Legendre
.- Monsieur le ministre, toute une série des
propositions du rapport d'étape me paraissent aller dans le bon sens et
apportent des améliorations très substantielles.
En effet, il est important que l'animation de l'université soit prise en
compte dans la gestion de la carrière des enseignants supérieurs.
Néanmoins, il ne faut pas recréer une voie nouvelle de promotion
qui serait fondée uniquement sur l'animation des établissements.
M. François Bayrou
.- Pour éviter ce risque, c'est une
formation spéciale du CNU qui aura la gestion de ce genre de promotion.
Par conséquent, l'activité scientifique des universitaires ne
pourra pas être négligée dans le déroulement des
carrières.
M. Jacques Legendre
.- Ce que vous indiquez pour le premier cycle de
l'enseignement supérieur, et le premier semestre, est incontestablement
un progrès important.
Concernant le stage et le semestre dans l'université
étrangère, vous me paraissez optimiste en pensant que vous
réglerez le problème en cinq ans.
Je pencherai plutôt pour quinze ans, car nous voyons les
difficultés liées à la capacité d'accueil de nos
voisins.
De plus, il nous faudra également accueillir les étudiants des
pays voisins, car il nous sera demandé la réciprocité.
Par ailleurs, nos étudiants devront parler la langue du pays pour aller
dans d'autres universités.
Or, je ne vois pas beaucoup d'avancées dans la diversification de
l'apprentissage des langues. En effet, celle-ci aiderait à pouvoir
répartir nos étudiants dans les différentes
universités européennes.
Je pense que le problème n'est pas mince et qu'il nous faut l'avoir
à l'esprit.
Par ailleurs, je ne retrouve pas tout à fait un point dans votre
exposé.
En effet, nous allons à l'université à l'aube de notre vie
professionnelle pour ensuite avoir un métier.
Comme il est difficile d'en trouver un, nos étudiants pensent que plus
ils ont de diplômes plus ils ont de chance de trouver un emploi.
Ainsi, dès la formation initiale, il faut "empiler" le maximum de
diplômes.
Or, aujourd'hui, des personnes ayant bac + 5 ont des difficultés
à trouver un emploi avec une rémunération convenable.
En effet, pour un contrat de ville, j'ai vu avec horreur 300 candidatures
d'étudiants s'abattrent sur mon bureau et ils avaient tous des niveaux
DESS, bac + 5...
Par conséquent, il serait important que les étudiants ne soient
pas incités à rester des années à
l'université et aient l'assurance de pouvoir, quand c'est
nécessaire, reprendre des études supérieures,
éventuellement davantage professionnalisées.
Votre réforme ne fait pas apparaître qu'ils ne seront pas
obligés de passer cinq ans en formation initiale à
l'université et que, s'ils en éprouvent le besoin au cours de
leur carrière, ils pourront reprendre des études.
Tant que nous n'aurons pas donné cette assurance, il sera
légitime qu'ils essayent d'aller le plus loin possible en
première formation avec toutes les frustrations qui en
découleront ultérieurement.
M. François Bayrou
.- Je comprends que vous n'ayez pas eu le temps
de lire la réforme et moi-même je l'ai présentée
rapidement.
Cependant, le droit au retour, l'affirmation qu'il faudra pour
l'université du XXIe siècle garantir à ceux qui en sont
sortis, ou pas entrés, qu'ils pourront eux aussi avoir cette
expérience, me paraît fondateur.
D'ailleurs, c'est la seule disposition sur laquelle je propose une loi avec un
système de chèque éducation qui permettra de mettre en
place ce droit au retour : c'est à la page 8 de mon projet de
réforme.
En outre, je n'ai pas parlé de la validation des acquis, qui est tout
à fait essentielle, mais elle est longuement développée
dans la réforme.
Quant à la diversification des langues, nous avons pris une
décision forte, à savoir qu'il n'existe plus de formation
scolaire sans deux langues vivantes. En effet, environ 20 à 25 %
des élèves échappaient à la deuxième langue
vivante, mais désormais tout le monde apprendra deux langues vivantes.
M. Henri Weber
.- Monsieur le ministre, à combien
évaluez-vous -si vous l'avez fait- la demande de stages de
première expérience professionnelle ?
De plus, sur une population de d'ordre de deux millions d'étudiants,
combien seraient concernés par ces stages dans les deuxièmes
cycles ?
Ensuite, à combien évaluez-vous l'offre de stages de
qualité qui devraient être assurés par des tuteurs
formés à cet effet dans les entreprises ?
Existe-t-il une adéquation entre la demande de ces stages et ce que les
entreprises sont capables d'offrir dans des conditions qualifiantes ?
J'imagine que vous avez étudié la question et que vous pouvez
nous donner des détails sur ces points.
M. François Bayrou
.- A mon avis, au cours de la première
année d'application, 100.000 étudiants devraient être
intéressés.
Nous devons construire les cursus, mais il me semble qu'entre les entreprises,
les collectivités locales et les administrations publiques nous devrions
arriver à répondre à cette demande.
Cependant, peut-être me ferai-je accuser d'optimisme ?
Les obstacles ne tiennent pas, à mon sens, à une certaine
" culture de l'entreprise " bien qu'un certain nombre de
responsables
patronaux disent que les entreprises ne sont pas faites pour accueillir des
étudiants.
Nous avons à mener sur ce point un combat et j'ai apprécié
que M. Pineau-Valencienne inaugure sa responsabilité à la
tête de la commission sociale du CNPF, par une démarche vraiment
sociale et citoyenne.
Nous jugerons sur pièce, car il est essentiel que nous puissions
répondre à une partie substantielle de la demande, sans nous
trouver en situation de complet déséquilibre et d'échec.
Si nous y parvenons ce sera un progrès et, il n'est pas interdit
d'espérer.
M. Franck Sérusclat
.- M. Pineau-Valencienne ne m'a pas
répondu sur la question suivante : avec l'institution de jurys
mixtes, allons-nous réveiller le débat sur la collation des
grades ?
Votre réponse a été très formelle : il n'en
est pas question.
M. François Bayrou
.- Je suis d'accord pour que nous prenions en
compte le jugement de l'entreprise sur l'expérience professionnelle
elle-même, mais pas du tout pour que l'entreprise soit partie prenante
à la collation des grades.
En effet, je n'ai pas envie de laisser suspecter que la France pourrait changer
sa vision républicaine de la collation des grades.
Par conséquent, je n'y serai en aucune manière favorable.
M. le Président
.- La décision appartient à
l'enseignant ou au professeur qui suit les stages, mais dans la décision
de valider ou pas, il devra tenir compte des éléments que lui
fournit l'entreprise.
M. François Bayrou
.- Concrètement, vous préparez
une maîtrise de droit à l'université et vous effectuez un
stage chez un avocat.
Il est légitime que pour la note attribuée au stage, à
l'expérience professionnelle, nous prenions en compte le jugement de
l'avocat.
Ainsi, l'universitaire et l'avocat discutent ensemble de l'évaluation du
stage, mais pour la maîtrise de droit, c'est le jury, composé
uniquement d'universitaires, qui décide.
M. Ivan Renar
.- Des dispositions législatives allant être
proposées, il est bon d'avoir un débat d'ensemble avant que nous
soyons amenés à légiférer concernant l'articulation
de votre réforme avec la loi sur l'aménagement du territoire, et
avant que ne soient arrêtées les modalités des stages
diplômants.
Tout à l'heure, il nous a été parlé d'un tutorat
mixte université/entreprise et même d'un troisième tuteur
qui serait un jeune diplômé embauché par l'entreprise.
M. Pineau-Valencienne a parlé de " conseil de famille ". En
quoi consistera ce tutorat ?
M. François Bayrou
.- Concernant l'aménagement du
territoire, un schéma national et régional est prévu.
En effet, j'estime qu'une remise à plat est nécessaire, car les
schémas régionaux ont été établis par les
conseils régionaux sur des hypothèses de progression
démographique forte du nombre des étudiants.
Or, nous sommes au terme de cette progression démographique depuis deux
ans.
Par conséquent, il est normal que nous nous gardions ces
dernières données en tête pour rediscuter avec les
régions de ce que doit être le schéma.
Je me fixe jusqu'à la fin de cette année pour aller au terme de
cette remise à plat et, à cet effet, je vais écrire aux
présidents des régions.
En effet, il est nécessaire d'avoir une vraie remise à plat avant
l'élaboration d'un schéma national, sinon ce schéma sera
faux.
Ensuite, le vrai tutorat, c'est celui de l'entrée à
l'université, d'une durée de six mois, du premier semestre
jusqu'au début du deuxième, qui est assuré avec un
étudiant formé qui conseille et qui guide les nouveaux
étudiants.
Pour le reste, c'est une responsabilité pédagogique : nous
définissons avec l'équipe enseignante le stage dans le cursus
universitaire.
C'est donc un tutorat différent.
M. Jean-Louis Carrère
.- Quand vous abordez la voie technologique
il me manque un enfant : vous n'abordez pas le problème de la
réforme de la filière technologique supérieure !
M. François Bayrou
.- Ne pouvant pas tout engager, j'ai d'abord
voulu traiter, pour des raisons de lisibilité, ce qui s'appliquera
à la rentrée.
Le 11 février se tiendra la première réunion du groupe de
mise en oeuvre de la voie technologique, avec en particulier la commission
consultative nationale des IUT et des IUP.
Notre première préoccupation est d'abord de traiter de ce qui
existe.
Si la réforme de la voie technologique devait aboutir à la
déstabilisation de ce qui existe, ce serait un effroyable
désordre.
Par conséquent, nous allons discuter avec les IUT, les IUP et les STS de
leurs responsabilités futures.
Ensuite, il faudra traiter des niveaux de sortie des diplômés.
En effet, pour les non avertis, nous avons des titulaires de BTS et d'IUT qui
sortent, en principe, en diplôme final à bac + 2, la moitié
de ces diplômés poursuivant leurs études " selon des
procédures non réglées ".
Par exemple, ceux qui veulent poursuivre leurs études, doivent
" redescendre à bac + 1 " pour entrer dans les IUP.
Naturellement, cela n'est pas lisible par quelque employeur que ce soit. Les
seuls diplômes technologiques clairs sont les BTS et les DUT.
Pour le reste, quand nous parlons par exemple d'ingénieur maître,
personne ne sait de quoi il s'agit.
C'est pourquoi, nous devons arriver à régler les problèmes
de niveau de sortie.
Ensuite, nous devons examiner ce qu'est la recherche technologique et ce
que nous demandons de traiter en technologie ?
Sur ces points, nous devrions avoir progressé dans trois mois.
M. le Président
.- Merci beaucoup.
IV. M. JEAN-PIERRE MAILLES
SECRÉTAIRE NATIONAL DU
SUP RECHERCHE FEN
__________
M. le président
- Monsieur MAILLES, merci
d'avoir accepté de venir devant nous.
Vous représentez le syndicat Sup Recherche de la FEN, et vous avez
à ce titre été consulté sur les stages
diplômants...
M. Jean-Pierre Mailles
- Oui, nous avons exprimé notre opinion et
nous avons également été amenés à aborder ce
sujet lors des groupes de travail de mise en oeuvre de la réforme...
M. le président
- Le ministre a inclus la première
expérience professionnelle dans ses propositions. Qu'en pensez-vous et
comment voyez-vous l'évolution de ce dossier ?
M. Jean-Pierre Mailles
- La FEN et le Sup Recherche FEN ont toujours
prôné une conception ouverte de l'éducation et de
l'école. Nous l'avons matérialisée par le slogan
"enseigner autrement". Nous souhaitons en effet que les jeunes, à tous
les niveaux -c'est vrai du secondaire et du supérieur- soient au contact
de la vie et de l'ouverture sur la vie dans le cadre de leurs études.
La formation professionnelle fait partie des contacts qu'ils doivent avoir et
l'entreprise a indéniablement un rôle à jouer dans ce
domaine.
L'organisation des études doit s'établir en partenariat entre
enseignants, étudiants et entreprises, et je pense que les choses iront
d'autant mieux que chacun remplit le plus complètement possible son
rôle.
Beaucoup d'incompréhensions proviennent du fait qu'on peut englober sous
le vocable de "stages" des situations fort différentes.
Pour la FEN, il existe trois catégories de stages. La première
catégorie regroupe les stages qui représentent une simple
période d'information, principalement utiles pour l'orientation de
l'étudiant ou de l'élève. Elle au jeune de
découvrir les réalités de l'entreprise et du monde
économique, ainsi que la réalité des métiers et
l'utilisation des disciplines qu'il apprend.
Ces stages ont des durées courtes et peuvent consister en visites,
conférences, et permettre de fournir des documents. Ils sont à
notre avis non obligatoires, même s'ils sont fortement conseillés
et non-validables. Ces stages ne permettent pas le passage à
l'année supérieure ou l'obtention du diplôme mais
relèvent davantage de la culture générale de
l'élève...
La seconde catégorie de stages est constituée de périodes
d'études pratiques c'est-à-dire de séquences
éducatives en entreprise. Un tel stage doit être inclus dans le
cursus de l'étudiant. Le programme doit être un
élément de la formation. Ils doivent, pour être utiles,
être relativement longs. Il nous semble donc que le minimum devrait se
situer entre deux mois et un semestre.
La recherche du stage peut être un élément de
l'apprentissage. Les jeunes peuvent en effet être associés
à la recherche, mais on ne peut les laisser seuls. Il faut qu'ils soient
guidés par les enseignants, afin de ne pas toujours s'adresser à
la même entreprise et se heurter à un refus, alors que d'autres
seraient prêtes à accueillir des stagiaires...
De plus, les enseignants responsables doivent avoir le dernier mot dans
l'affectation du stage, de manière à éviter les
inégalités et les dérives.
Ce stage est encadré à la fois par un enseignant et un
salarié de l'entreprise. Ce stage doit être basé sur un
programme précis qui entre dans le cadre d'un programme
général de formation.
A la fin du stage, deux évaluations sont établies. Le jury, qui
doit associer universitaires et salariés de l'entreprise doit valider ou
non le travail de l'étudiant pour l'obtention du diplôme. Le jury
doit également participer à l'évaluation individuelle du
stage dans le cadre du cursus de l'étudiant.
Pour nous, un tel stage ne donne pas lieu à rémunération.
Le jeune est en période de formation et n'a donc pas à recevoir
de salaire. En revanche, il est normal que les frais de déplacement ou
autres qui soient remboursés.
On pourrait peut-être envisager que l'entreprise perçoive un
dédommagement sous une forme qui reste à discuter, car
l'utilisation de ses infrastructures mérite compensation.
Nous avons retrouvé dans les propositions que le ministre a faites dans
son rapport d'étape beaucoup des points que nous avions soutenus dans le
groupe d'études, et nous nous en sommes d'ailleurs réjouis.
La dernière catégorie de stages concerne des périodes de
formation et de perfectionnement en entreprise, au sens de la fonction
publique, sur des durées assez longues, de l'ordre d'une année.
Ces stages sont une adaptation à l'emploi, et doivent pour nous
normalement déboucher sur une embauche.
Le stagiaire participe alors déjà, même en étant
moins performant qu'un salarié, à la production de l'entreprise.
Il est donc normal qu'il perçoive un salaire un peu inférieur au
salaire d'un débutant, compte tenu des temps de formation. Un tel stage
doit s'inscrire dans une durée de 6 mois à un an. Dès
lors, le statut du stagiaire ne relève plus de celui d'étudiant
mais déjà de salarié.
Ses droits et devoirs dépendent donc davantage du code du travail alors
que, dans le second stage, il est encore sous statut étudiant et doit
conserver les garanties sociales de l'étudiant.
Je précise que les stages du second type ont lieu avant le diplôme
même s'ils se situent plutôt en fin de cursus, alors que les
professeurs d'IUP, par exemple, fixent une partie du stage dès le
début du cycle. C'est un moyen de confronter le jeune à la
réalité des fonctions qu'il va être amené à
occuper et d'utiliser ses acquis et ses connaissances au cours du stage.
En tout état de cause, il faut laisser une certaine autonomie aux
universités, et même aux UFR. Le ministre a souhaité qu'une
charte nationale des stages permette de définir une certaine
déontologie. Un code de bonne conduite nous semble une bonne initiative.
Enfin, la conception des stages professionnels est assez large. Ainsi, selon
nous, le DEA, offre-t-il à l'étudiant une bonne
préparation en vue de son travail ultérieur...
M. le président
- Bien évidemment, c'est dans la seconde
catégorie que vous placez la première expérience
professionnelle ?
M. Jean-Pierre Mailles
- En effet, puisque cela contribue à
l'obtention d'un diplôme.
M. le président
- Ne craignez-vous pas que les entreprises ne
soit encombrées de stagiaires de la première catégorie au
détriment de stagiaires de la seconde ? L'idée que les
entreprises se font du stage n'est-elle pas quelque peu dévaluée ?
M. Jean-Pierre Mailles
- J'aurai de la peine à répondre.
Peut-être les représentants de l'entreprise vous le diront-ils
mieux que moi, étant confrontés à ce problème.
Les entreprises se livrent depuis un certain temps et de plus en plus à
ce que l'on appelle des relations publiques, et éditent parfois
même des publications assez luxueuses. L'accueil d'étudiants ne me
semble donc pas pour elle une charge énorme.
La aussi, il faudrait être assez vigilant -je ne sais s'il faut aller
jusqu'à la voie réglementaire ou accorder une compensation aux
entreprises- afin de ne pas mettre toujours les mêmes à
contribution.
M. le président
- S'agissant de la seconde catégorie de
stages, vous avez parlé d'une durée allant de deux mois à
un semestre. Vous parliez du semestre universitaire ?
M. Jean-Pierre Mailles
- ... Et peut-être même civil.
M. le président
- Vous êtes donc partisan d'une formule
assez souple.
M. Jean-Pierre Mailles
- Absolument ! On pense souvent à des
travaux techniques dans l'industrie ou le tertiaire, mais il existe des
disciplines, comme l'archéologie, où les stages peuvent
s'effectuer dans le cadre d'équipes de recherche de l'Ecole des Chartes
ou du musée du Louvre. Il est donc très difficile d'exiger des
dates de stages précises en la matière, car ils peuvent
dépendre d'une période de fouilles qui se déroule à
une époque bien précise.
Il faut donc laisser une assez grande souplesse aux parties.
M. le président
- Vous avez parlé de jury mixte, en
indiquant au préalable que ce type de stage était inscrit dans le
cursus, dont il était un élément. Cette mixité vous
gêne-t-elle ou non ? Qui décide de la validation ?
M. Jean-Pierre Mailles
- Cela ne nous gêne absolument pas. Cela se
pratique déjà. Indépendamment de son aspect
réglementaire, c'est une politesse élémentaire pour
l'entreprise. On ne peut empêcher le salarié qui a dirigé
le stagiaire durant le stage de venir assister à la soutenance du
rapport de stage et de participer à l'évaluation. C'est
d'ailleurs l'intérêt d'associer l'entreprise à cette voie.
Le représentant de l'entreprise apporte au jury un commentaire sur des
capacités dont il est intéressant de tenir compte dans le
diplôme.
M. le président
- Comme vous le disiez, cela existe
déjà pour la délivrance des diplômes de
l'enseignement technique.
M. Jean-Pierre Mailles
- En effet, le diplôme
d'ingénieur-maître délivré par les IUT comporte un
stage obligatoire et la note de stage est conférée par un jury
mixte.
Nous n'avons jamais connu de problèmes avec ce genre de jury et cela
s'est toujours assez bien passé dans la quasi-totalité des cas.
M. le président
- A quel moment du cursus et pour quelles
catégories d'étudiants réserver le stage de second type ?
M. Jean-Pierre Mailles
- Le fait que tout étudiant, à un
moment ou à un autre de son cursus, soit amené à suivre un
stage ne nous semble pas anormal, si l'on donne au mot stage une acception
assez large.
Le ministre a suggéré qu'il était bon que les
étudiants s'impliquent dans la vie de l'université et de la
société -travaux de tutorat, aide dans les bibliothèques
ou même lutte contre l'illettrisme. Il ne nous paraît pas choquant
que ceci puisse tenir lieu de stage, à partir du moment où le
jury valide le projet.
Il faut toutefois savoir si tout le monde doit effectuer ce stage... Quelqu'un
qui se destine à une maîtrise n'a peut-être pas besoin de
faire un stage professionnel pendant son DEUG.
Suivant les disciplines, la première expérience professionnelle
peut être concentrée sur un semestre ou étalée sur
deux stages.
Certaines professions, comme les professions littéraires, connaissent
des débouchés moins nombreux qui nécessitent des
adaptations plus difficiles -concours administratifs ou emplois tertiaires.
Ainsi, quelqu'un qui n'a peut-être pas une formation à la
technique bancaire très poussée, mais un très bon
maniement de la langue, peut rendre service à l'entreprise autant que
quelqu'un qui a une formation plus spécialisée. Dans ces cas,
plusieurs expériences professionnelles permettraient une
spécialisation. Des stages de troisième type, d'adaptation
à l'emploi, seraient alors d'autant plus nécessaires.
M. le président
- Vous admettez donc qu'avant
l'intégration définitive dans l'entreprise, il existe une
période d'adaptation et que la formation précédente
-même si elle est substantielle et essentielle- ne suffit pas
forcément à rendre le jeune apte à occuper totalement et
parfaitement un emploi. N'était-ce pas un peu l'esprit des CIP ?
M. Jean-Pierre Mailles
- On a surtout reproché au CIP de n'offrir
ni garantie d'emploi ni réelle rétribution...
M. le président
- Il me semble que les jeunes -en particulier les
titulaires de DUT et de BTS- considéraient surtout qu'on ne tenait pas
compte de la valeur de leur diplôme.
M. Jean-Pierre Mailles
- Cela était peut-être dû
à une maladresse de présentation. Dans notre pays, le
diplôme est le reflet du niveau de qualification et détermine le
salaire. Lorsque l'un de ces critères est sous-évalué, le
diplômé a l'impression d'être dévalorisé.
Or, les diplômés ne correspondent pas nécessairement aux
besoins du monde économique. Des adaptations sont donc
nécessaires...
Toutefois, les étudiants d'IUT réclament une troisième
année. Certes, il s'agit d'un alignement sur les niveaux de
qualification européens, mais cela traduit aussi le besoin d'une
formation plus longue. Cette troisième année assure aux jeunes
une meilleure chance d'insertion.
Pour moi, les stages de troisième type doivent être conduits sous
la responsabilité de l'entreprise. Des exemples montrent
néanmoins que, sous prétexte d'un stage de formation ou
d'adéquation, on peut placer le jeune en production pour un salaire
inférieur. Un certain nombre de PME ont malheureusement tendance
à se laisser aller à cette facilité lorsqu'elles se
trouvent confrontées à des difficultés
économiques...
M. le président
- Cela va constituer une très bonne
transition avec M. GILSON, que nous allons entendre maintenant !
M. Jean-Pierre Mailles
- Lui et moi nous rejoignons sur un certain
nombre de points. Nous ne sommes pas toujours d'accord, puisque lui
défend les intérêts de l'entreprise et que je suis
universitaire. Il est donc normal qu'il existe des divergences.
Cependant, une certaine philosophie est partagée par l'ensemble des
partenaires. C'est ce qui me rend optimiste sur le sujet...
M. le président
- Merci...