II. M. ROGER FAUROUX
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CHARGÉE
D'UNE RÉFLEXION SUR LE SYSTÈME ÉDUCATIF
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M. le Président
. - Monsieur le
président, monsieur le ministre, vous savez pourquoi nous avons
souhaité vous entendre : nous souhaitons que vous nous parliez des
stages que l'on a appelés diplômants, je ne sais pas s'ils
resteront diplômants. Cela correspond, tout le monde le sait, à
une des orientations préconisées par la commission que vous
présidiez. Comment voyez-vous cette affaire ? Avez-vous des
propositions qui puissent corriger ce qui avait été initialement
avancé par un certain nombre de membres du CNPF ?
M. Roger Fauroux
. - Je commencerai par une remarque : je ne
suis pour rien dans l'élaboration de cette affaire, même si ces
stages diplômants faisaient partie des propositions que nous avions
avancées dans notre rapport sur l'école.
Ensuite, une affirmation qui ne vous étonnera pas : je trouve que
cette proposition est une bonne idée quant au fond et à la forme,
même si, sur ce deuxième point, il y a peut-être encore
matière à réfléchir et à négocier.
Sur le fond, je commencerai par une anecdote qui m'avait beaucoup frappé
l'année dernière dans la bonne ville de Saint-Girons dont
j'étais maire. Le notaire me disait en gémissant : je viens
d'embaucher une jeune fille qui a un DEA ou un DESS de droit, elle est
parfaite, elle est gentille, mais elle n'a jamais rédigé un acte,
elle ne sait pas ce qu'est une conservation des hypothèques et je sens
bien que, pendant un an, mon premier clerc va être obligé de faire
le travail à sa place ou de lui apprendre son métier. La
prochaine fois, ajoutait-il, je tâcherai de débaucher, chez un de
mes confrères, une jeune fille qui sera, elle, confirmée.
Le problème est entièrement posé par cette remarque
incidente. En effet, le système actuel qui consiste à faire
passer directement et sans transition des jeunes gens des
amphithéâtres de l'université dans le système
professionnel ne fonctionne plus très bien. Les jeunes, vous le savez,
ont beaucoup de difficultés pour se faire embaucher parce qu'ils se
trouvent devant le dilemme suivant : " Mademoiselle, quelle est
votre
expérience professionnelle ? " " Monsieur, je n'ai pas
d'expérience professionnelle. " " Vous repasserez la
prochaine
fois ". " Oui, mais comment pourrai-je acquérir une
expérience professionnelle ? "
Nous avons tous connu cela dix fois. Les personnes chargées de
l'embauche, aujourd'hui, ont un métier en or ; elles ont devant
elles plus de candidats qu'elles n'en souhaitent et choisissent, de
préférence, des gens qui peuvent être aussi rapidement que
possible utilisables.
Je dois dire, du reste, que c'est le système des grandes écoles.
Il n'y a pas aujourd'hui de grande école, grande petite ou moyenne,
aussi bien dans la formation des ingénieurs que dans celle des cadres
commerciaux, qui ne prévoie dans son cursus un stage prolongé en
entreprise.
De plus, l'administration -c'est l'ancien directeur de l'ENA qui parle- avait
montré la voie. C'est Michel Debré qui avait inventé cela
il y a presque 50 ans, quand il a créé l'Ecole nationale
d'administration : il avait prévu que la moitié de la
scolarité se passerait sur le terrain, et pas n'importe quelle
moitié, la première, c'est-à-dire les jeunes gens dont une
bonne partie était issus de Sciences Po donc parfaitement innocents
et parfaitement ignorants des réalités administratives. La
première chose que l'on faisait -et que l'on fait encore d'ailleurs-
était de les envoyer dans une préfecture se frotter le nez avec
les élus locaux.
M. Albert Vecten
. - Il faudrait les envoyer un peu dans les
entreprises.
M. Roger Fauroux
. - ...Et maintenant on les envoie dans les
entreprises. Il n'y a rien de révolutionnaire là-dedans. Il y a,
me semble-t-il, la possibilité d'en faire bénéficier le
gros des étudiants de faculté, et en particulier ceux qui ont
certainement les plus grandes difficultés à s'intégrer,
c'est-à-dire les jeunes qui suivent les filières
littéraires ou juridiques, précocement, pendant leurs
études ; tout d'abord pour qu'ils éprouvent leur vocation
-ce qui est tout de même important, car un séjour dans une
étude de notaire peut démontrer à un certain nombre de
jeunes que ce n'est pas cela vraiment leur vocation- et, par ailleurs, pour
qu'ils acquièrent tout ce qu'apporte un début d'activité
professionnelle, chose très difficile à définir, mais on
sait bien que le fait d'avoir des collègues, d'avoir des horaires fixes,
l'obligation de ne pas arriver en retard, d'avoir des supérieurs,
d'être soumis à un certain nombre de "disciplines
professionnelles", font passer du stade d'adolescent à celui d'adulte.
Nous savons tous cela.
De plus, je crois que c'est aussi une possibilité d'augmenter le nombre
des emplois. Il faut se garder de penser que le nombre des emplois est une
quantité fixe. C'est beaucoup plus subtil que cela. On peut imaginer, je
l'ai moi-même éprouvé et constaté, qu'un employeur
potentiel, voyant qu'un garçon ou une fille fait preuve de
qualités professionnelles, d'exactitude, de bonne volonté et de
compétences considérables, peut se dire : finalement, je
n'en avais pas besoin, mais vraiment il ou elle est trop bien pour que je le
laisse échapper, donc je le prends, quitte ensuite à voir si je
ne vais pas chercher un nouveau débouché, développer mon
activité, etc.
Autrement dit, l'activité est tout de même dans les petites et
même dans les grandes entreprises, pour une part évidemment,
dépendante de la qualité des sujets que l'on reçoit. Je
crois qu'il faut avoir cela en tête. Bien sûr, les contraintes
économiques sont ce qu'elles sont, mais on peut, à
l'intérieur de ces contraintes et en fonction de cette espèce
d'alchimie qui se passe entre un employeur et un candidat, arriver à
créer des emplois à l'intérieur d'un contexte
économique inchangé.
Les étudiants qui ont des stratégies, parce qu'ils sont
directement concernés et savent quel est leur intérêt, ne
bouderont pas ces offres de stages. D'ailleurs, nous qui sommes supposés
avoir des relations, nous sommes accablés de demandes de jeunes qui nous
disent : trouvez-moi un stage dans une entreprise. Il ne se passe pas de
jour sans que cela ne se passe. La difficulté n'est pas de trouver des
candidats pour des stages, mais de trouver des stages pour des apprentis, pour
des étudiants.
En effet, on sait bien que les entreprises, pour diverses raisons, des raisons
culturelles, ne sont pas, comme leurs collègues allemandes,
habituées à jouer ce rôle de coéducateur et à
prendre des apprentis, parce que cela coûte cher, parce qu'un stagiaire
est, au premier chef, si je puis dire, un empêcheur de danser ou de
travailler en rond, c'est un gêneur, il faut s'en occuper, l'initier,
l'intégrer dans une équipe, etc., et de plus, parce que bien
entendu les entreprises ont toutes ou presque des problèmes d'emploi et
que ce n'est pas facile de prendre même un stagiaire quand on est en
train de comprimer ses effectifs.
Je dois dire que, lorsque nous faisions notre exploration des systèmes
universitaires à la demande de M. Bayrou, nous avons
constaté qu'en Allemagne, je crois que c'est 60 à 70 %, en
tout cas plus de 50 % des étudiants, qui ont fait, font ou feront
un stage. Cette affaire est entièrement entrée dans le paysage et
nul ne songerait à s'en offusquer.
Quant à la forme de la proposition du stage diplômant qui a
été présenté par le patronat, trois points, me
semble-t-il, ont fait difficulté ou ont soulevé des
discussions :
1) La durée. Je ne prétends pas qu'il faille que ce soit un
stage de neuf mois. Mais je crois que ce doit être un stage
" lourd ". J'entends d'une durée au moins égale
à six mois. En dessous, on court le risque d'avoir des stages
touristiques, parce qu'une entreprise est une affaire compliquée,
surtout pour quelqu'un qui n'est pas initié : pour savoir qui fait
quoi, comment cela fonctionne, à quoi sert tel service, il faut trois
mois au minimum. Il faut ensuite trois mois pour commencer à
s'insérer dans une équipe et trois mois éventuellement
pour rendre des services. Donc la durée me paraît très
importante.
2) Je crois que les promoteurs de cette affaire ont eu raison de proposer
que ce stage ne fasse pas perdre aux jeunes leur statut d'étudiant,
statut qui comporte de considérables avantages.
De plus, c'est de nature à dissiper le malentendu par rapport au CIP ou
à toute forme de préembauche à un tarif inférieur
à celui prévu par la loi. Je crois que ce stage est bien un stage
étudiant puisque l'étudiant ne perd, encore une fois, aucun des
privilèges de son propre statut.
3) Je crois que c'est une bonne initiative que d'avoir prévu une
certaine valorisation académique de ces stages. Stages diplômants,
cela signifie qu'ils peuvent être intégrés dans une UV.
C'est ce qui se pratique couramment sous la forme de validation des acquis
professionnels, c'est-à-dire que les six ou neuf mois de stage dans une
entreprise seront considérés comme aussi valorisants -dans des
conditions à déterminer- que des études classiques
à l'intérieur d'un cadre universitaire.
La question du salaire, qui a fait couler beaucoup de salive et beaucoup
d'encre, me paraît secondaire. Je trouve un peu dérisoire de
discuter pour savoir si ce sera 1 000, 1 200 ou
2 000 francs.
Je trouve encore plus dérisoire de considérer que le salaire doit
être lié au niveau académique parce que le problème
pour l'employeur, il faut le dire et le répéter, n'est pas le
diplôme, mais la compétence. C'est le service que le jeune peut
rendre et qui dépend, bien sûr, de ses connaissances techniques,
et je suis sûr que l'université les donne, mais aussi de son
tempérament personnel, de son dévouement à l'entreprise,
bref, de ses spécificités personnelles qui comptent au moins
autant que la formation universitaire.
Du reste, je crois que l'expérience, que j'ai et que nous avons tous
vraisemblablement, montre que ce n'est pas ce qui, au premier chef,
détermine les étudiants à demander un stage. Bien
sûr, ils sont contents d'être payés. De plus, je crois qu'il
faut qu'ils soient payés parce que cela crée un lien avec
l'entreprise et que, pour l'employeur également, c'est de nature
à augmenter la densité du stage. Après tout, on
apprécie ce qui coûte au moins un peu d'argent, donc il faut qu'il
y ait un paiement, mais je pense qu'il faudrait laisser le montant à la
discussion entre les employeurs, les maîtres de stage et les stagiaires.
Pour ma part, je pense que le point le plus important est le problème du
sérieux du stage, c'est-à-dire de sa densité.
Effectivement, il y a un risque non nul que des entreprises prennent des
stagiaires non pas pour exploiter les stagiaires -parce que vraiment, je l'ai
dit, je crois qu'il faut le répéter, c'est l'entreprise qui rend
service à l'étudiant et ce n'est pas l'étudiant qui rend
service à l'entreprise-, mais simplement par manque d'équipement,
par négligence, par surmenage aussi, les chefs d'entreprise ont bien des
chats à fouetter. Donc le risque est que les étudiants perdent
leur temps.
Je crois qu'il faut très sérieusement s'assurer, aussi bien du
côté des entreprises que du côté de l'Etat via les
universités -et la valorisation académique permet aux
autorités universitaires de le faire parce qu'elles sont
associées à la valorisation du stage- de la qualité des
stages.
C'est pourquoi ma seule proposition serait que le poids législatif ou
national de toute cette affaire soit aussi allégé que possible.
Ces discussions concernant la durée, la valorisation académique,
la manière de l'apprécier et le salaire peuvent difficilement
être traitées sur le plan national. Je regrette de le dire ici,
mais je crois que plusieurs d'entre vous doivent le penser, c'est quand
même une manie jacobine que de traiter des problèmes qui
concernent les relations entre individus aussi solennellement sur le plan
national. Il ne peut sortir, pardonnez-moi de le dire aussi brutalement, rien
de bon d'une négociation entre le CNPF, qui est une organisation sans
pouvoir, le gouvernement qui n'a pas grand-chose à faire
là-dedans et des organisations étudiantes dont la
légitimité, c'est-à-dire la
représentativité, est soumise à caution.
Que l'Etat bénisse tout cela... mais j'aimerais beaucoup que toutes ces
affaires de stages soient décentralisées et qu'elles se
règlent, comme cela se passe d'ailleurs déjà en province,
entre une université et une union patronale, sous le contrôle du
recteur. Mais vouloir, encore une fois, traiter de 50 000 stages sur
le plan national, je crains vraiment qu'on n'ait pas pris la bonne
méthode, que la " solennisation " de cette affaire ne soit
préjudiciable à sa bonne réalisation. Une fois le calme
nécessaire revenu, il faudra essayer de renvoyer aux protagonistes sur
le terrain le soin de déterminer les modalités pratiques de cette
affaire.
M. le Président
. - Vous allez avoir beaucoup de questions,
je sens cela.
M. Henri Weber
. - En ce qui concerne la méthode, je constate
que vous êtes d'accord avec M. Garric, que nous avons reçu
tout à l'heure, qui nous a fait remarquer tout d'abord que les stages
existaient déjà, qu'ils s'étaient considérablement
développés et qu'en réalité, il y avait un
système diversifié qu'il fallait empiriquement améliorer,
justement en appliquant le principe de subsidiarité qui vous est cher.
Donc il déplorait la méthode.
S'agissant des problèmes que vous avez soulevés, c'est vrai
qu'initialement ce sont les grandes écoles qui ont popularisé les
stages dans notre pays, mais on ne peut pas étendre le système de
stages des grandes écoles, qui concernent le petit nombre, à deux
millions d'étudiants. Une chose est de placer une petite élite,
d'ailleurs bien rémunérée -le problème de
rémunération ne se pose pas parce que les énarques, que je
sache, ne sont pas rémunérés par la préfecture,
c'est la même chose pour les stagiaires des écoles normales ou les
polytechniciens, les élèves des grandes écoles sont des
fonctionnaires rémunérés très correctement pour des
jeunes gens de leur âge-, peu nombreuse et en général bien
reçue et encadrée ; la question de la densité de leur
stage ne se pose pas, autre chose est de généraliser ce qui a
été appliqué à une toute petite élite.
La question du stage pour la masse des étudiants est un autre
problème qui se pose en termes totalement différents.
Vous parlez de la durée et vous dites qu'il faut des stages
" lourds ". Vous avez sans doute raison en partie, mais
cela pose un
problème que d'ailleurs M. de Calan soulevait hier très
franchement : beaucoup de ces étudiants travaillent
déjà, plusieurs centaines de milliers, qui sont des
étudiants salariés, et beaucoup de petits boulots ou de contrats
à durée déterminée existent déjà. Ce
sont quand même les emplois qui se développent le plus massivement.
Il y a un risque d'effet pervers, c'est-à-dire d'effet de substitution.
Nous venons d'entendre M. Amirshahi qui nous a fait remarquer à
juste titre que six mois est la durée du contrat à durée
déterminée. Le risque est que cette main d'oeuvre
considérable -dont vous dites qu'elles n'est pas compétente, ce
qui est certainement le cas dans la grande entreprise- occupe des postes dans
telle ou telle PME. Donc la durée est une question sérieuse eu
égard aux masses d'étudiants concernés et aux
problèmes d'emploi dans le pays.
Faut-il une durée de l'ordre de l'unité de valeur, du semestre
universitaire qui, comme son nom ne l'indique pas, dure quatre mois et
demi ? Faut-il une durée de trois mois et une semaine, comme nous
l'a proposé M. Amirshahi tout à l'heure ? C'est
à discuter. Mais neuf mois, cela fait de toute façon beaucoup.
Six mois, il me semble que cela fait encore beaucoup.
Pour le reste, je crois qu'on ne peut qu'être d'accord avec ce que vous
proposez. Vous connaissez très bien le système allemand. Je vous
poserai une ultime question. Ce système est lui-même en crise.
Compte tenu des obstacles culturels que vous avez vous-même
évoqués, comment faire pour que l'offre de stages, et l'offre de
stages de qualité, impliquant un investissement, se développe de
la part des entreprises françaises ?
M. Albert Vecten
. - Monsieur le président, j'ai
été très intéressé par ce que vous avez dit.
Je crois qu'effectivement, et notre collègue vient de le dire, il y a un
obstacle culturel dans notre pays. A mon avis, il va être difficile de
faire évoluer la situation que l'on connaît actuellement. Je
partagerai le dernier point de vue que vous avez exposé : je crois
qu'il faut décentraliser les expériences, laisser une certaine
liberté pour que les esprits évoluent. Je ne pense pas que l'on
trouve aujourd'hui de solution miracle. Sans cela, on va tout bloquer. On l'a
vu, chacun apporte son point de vue. Je pense que ce que vous proposez, qui est
valable peut-être dans une région à l'Est de la France avec
une université, n'est pas valable dans la Gironde.
De toute façon, cette initiative des stages diplômants est une
bonne chose en ce sens que l'on a pris conscience qu'il y avait un
problème. C'est déjà pour moi une chose formidable.
Effectivement, on rencontre tous les jours des expériences comme celle
du notaire que vous avez citée tout à l'heure. Je partage votre
point de vue aussi : lorsque nous avons un stagiaire qui a une certaine
qualité, on est enclin à le conserver même en surnombre
parce qu'on pense qu'il y aura une rentabilité au bout. Aujourd'hui, on
a trop de chefs d'entreprise frileux, qui ne veulent plus entreprendre parce
qu'ils ont peur. Je crois que là, vous nous avez donné des pistes
très importantes.
Je partagerai un peu votre point de vue : on risque d'avoir des stages
touristiques trop courts. Je pense qu'à un moment, il faut qu'il y ait
une symbiose entre le maître de stage, le professeur et
l'étudiant, cela demande un certain temps.
Encore au début de cette semaine, je recevais dans mon
département un étudiant qui m'indiquait que son stage devrait
s'étaler sur plusieurs mois. L'expérimentation et la
décentralisation sont nécessaires pour trouver des solutions.
M. Jean-Pierre Camoin
. - Monsieur le président, en vous
écoutant et en écoutant les divers intervenants depuis hier, j'ai
l'impression qu'on rejoint les recherches de la philosophie moderne sur la
complexité
(rires)
et je me demande si on ne devrait pas suivre
la pensée d'Edgar Morin, et dire : ce n'est pas en voulant
simplifier une affaire complexe que l'on arrive à un résultat. Ce
matin, vous nous avez très bien dit que la réduction du
problème à quelques solutions ne ferait pas avancer, en aucune
façon, le problème des stages.
Je crois que toute réglementation aux niveaux national et
législatif n'apportera pas grand-chose. C'est mon opinion. J'ignore si
vous la partagez complètement, j'aimerais avoir votre avis
là-dessus.
M. André Maman
. - Monsieur le président, je vous ai
écouté avec beaucoup d'attention et je suis d'accord avec vous
sur un grand nombre de points. Ce qui me frappe, c'est que, de toutes les
personnes auditionnées, aucune n'a mentionné un stage
" lourd " de neuf mois. Elles se sont pratiquement toutes
opposées à une durée de stage aussi longue et je voudrais
savoir si on peut en discuter.
Vous parliez tout à l'heure de salaire. Personne n'a employé ce
mot ni celui de rémunération, mais tous ont parlé
d'indemnisation. La seule personne qui ait, par mégarde, employé
ce mot s'en est excusée.
Je suis tout à fait d'accord sur votre dernier point : il faut
alléger la réglementation nationale. J'ai l'impression,
d'après tout ce que j'ai entendu, qu'on va instituer une sorte de carcan
parce qu'on a peur de laisser les gens innover. Il faut laisser place à
l'innovation. Il y aura des stages de toutes sortes, une grande
variété, des stages qui réussiront, d'autres qui
échoueront. Mais si on veut, dès le départ, mettre en
place des lois très contraignantes, je crois que cela rebutera les
participants.
M. le président
. - Je voulais vous poser une question. Vous
n'avez pas parlé du public visé.
M. Roger Fauroux. -
Je vais commencer par le public des stages. Je
ne crois pas, comme les organisations étudiantes semblent l'avoir
réclamé, que ce stage doive être institué
très tard, c'est-à-dire s'apparente à un stage de
spécialisation parce que c'est également un stage de mise
à l'épreuve de la vocation. Il faut que l'étudiant soit un
peu " dégrossi ". Sans cela, du reste, il aura du mal à
trouver des stages. Donc ce stage se situe quelque part autour de la licence,
entre la licence et la maîtrise.
Je ne le mettrais pas trop tard parce qu'il ne faut pas que cela ait l'air d'un
stage de préembauche, sinon on retrouve le problème du CIP. Je
crois aussi qu'il est important que l'étudiant, après avoir fait
ce stage, puisse retourner à ses études parce que
l'expérience qu'ont tous les universitaires est qu'une formation
universitaire est valorisée par une expérience pratique.
Autrement dit, les choses que les étudiants ne comprennent pas ou dont
ils ne comprennent pas l'intérêt brusquement s'éclairent
à la lumière d'un travail qui a été fait. Je vois
cela très bien en droit, mais je verrais cela aussi bien dans d'autres
domaines, comme en sciences.
Donc, je plaiderais pour une certaine liberté, pour une certaine
souplesse quant au moment où le stage doit se faire, c'est-à-dire
pas trop tôt, mais il ne faut pas le considérer
nécessairement comme un stage de spécialisation au niveau, par
exemple, d'un DESS.
M. le Président
. - Cela ne se situe pas entre la formation
universitaire et l'embauche.
M. Roger Fauroux
. - Non, parce que là, il y a un danger de
" piégeage " si je puis dire, et que cela devienne de la
préembauche avec les inconvénients que tout le monde
connaît. De plus, si le stage, cela peut arriver, conduit à un
certain changement d'orientation, il vaut mieux que ce dernier intervienne
assez tôt.
Ces stages, à mon avis, s'adressent essentiellement à ceux qui
sont les plus dépourvus et démunis vis-à-vis du
marché du travail, c'est-à-dire les littéraires et les
juristes. Les scientifiques et physiciens se débrouilleront toujours.
Sur un million et demi d'étudiants en université, 579 000
-si je ne me trompe- sont dans des disciplines littéraires et
379 000 dans des disciplines juridiques. C'est à eux qu'il faut
s'adresser parce que ce sont ceux qui sont en danger le plus grand.
Il faut leur montrer que dans un service de relations publiques, de ressources
humaines, dans les entreprises, même un littéraire peut se rendre
utile. Mais il faut quand même que cela intervienne assez tôt. Pour
un garçon qui s'est intéressé à Stendhal et
à Lamartine, il n'est pas évident de travailler dans une
entreprise de presse ou dans le service de relations publiques d'une
entreprise. Que vont devenir ces jeunes ?
Pourquoi le secteur public ne s'associerait-il pas à cette
affaire ? J'ai été maire et j'ai pratiqué le
système des CES. Nous l'avons tous pratiqué, non pas directement
à la mairie, mais dans les associations périphériques. Par
exemple, à l'hôpital de ma petite ville, qui est un hôpital
psychiatrique départemental, il devait y avoir à peu près
autant de jeunes dans cette situation que d'employés titulaires. Bref,
l'Etat a tout de même une drôle de manière de faire son
devoir vis-à-vis des jeunes. Si on peut parler d'exploitation, c'est
là où elle se situerait parce que l'insertion est quand
même dérisoire.
En définitive, pendant un an, au maximum deux, on fait tourner ces
jeunes, maintenant un peu moins jeunes, puis on les renvoie dans l'état
où ils sont arrivés et on les paye au rabais. Je me demande,
c'est une parenthèse mais elle me paraît importante, si les
pouvoirs publics, en y incluant les collectivités territoriales qui sont
tout de même d'énormes employeurs, ne devraient pas s'associer
à ce travail de formation. C'est une parenthèse et je sais que
c'est évidemment très compliqué.
Je crois constater un très grand souci de votre part d'essayer
d'éclater le système et je crois que c'est la réponse
à un grand nombre de questions, y compris à celle que vous
posiez, monsieur Weber, concernant la durée. Je conçois
très bien que les situations des étudiants soient
extrêmement diverses. C'est vrai que certains, qui ont déjà
une expérience professionnelle parce qu'ils ont fait des CDD et des
petits boulots, trouveront que six ou neuf mois de plus, ce sont six ou neuf
mois de trop. Par contre, pour ceux qui n'ont aucune expérience
professionnelle, il peut être utile de rester plus longtemps.
Si j'étais encore employeur, je ne prendrais pas de stagiaires pour
trois mois. Je sens bien, quand mes successeurs à Saint-Gobain, pour me
faire plaisir, prennent tel stagiaire pour un mois, qu'ils le font vraiment par
complaisance vis-à-vis de moi, mais pas parce qu'ils croient que c'est
utile. Je pense que vous avez dû l'entendre : les entreprises sont
maintenant accablées de demandes de stages venant des écoles, des
stages de quinze jours, d'un ou de deux mois.
M. le Président
. - Puis-je vous interrompre, monsieur le
ministre ? De ce que nous avons entendu hier en particulier, il nous
semble qu'un accord, je dis cela avec des réserves, pourrait se faire
sur une durée qui serait autour du semestre universitaire.
M. Roger Fauroux
. - Je crois qu'il faut trouver un compromis, mais
peut-être faudrait-il prévoir des petites marges en moins et en
plus, si cela est légalement possible. J'ai été
frappé parce ce que vous dites : il y a des étudiants qui
ont, en fait, des expériences professionnelles très longues parce
qu'ils ont dû travailler pour gagner leur vie.
M. Henri Weber
. - Il y en a un grand nombre.
M. le Président
. - Il y en a beaucoup et M. de Calan
nous l'a redit hier, en insistant beaucoup sur ce point.
M. Roger Fauroux
. - A l'inverse, des jeunes auraient bien besoin de
stages en entreprise, parce que, par tradition familiale, ils n'ont eu aucun
contact avec l'entreprise. On voit bien des fils d'universitaires qui n'ont eu
aucun contact avec l'entreprise. Pour eux, je pense que ce stage serait
valable.
De plus, il faut dire également que cela dépend des entreprises.
On peut faire le tour d'une PME relativement rapidement, mais un stage à
Saint-Gobain demande déjà deux mois pour arriver à
comprendre l'organigramme, et encore faut-il trouver où envoyer le
stagiaire : va-t-on l'envoyer en Allemagne, et dans quelle usine ?
Vous avez raison, la durée du semestre universitaire est une norme qui
en vaut bien une autre. Peut-être faut-il essayer de trouver une petite
marge de liberté ?
Effectivement, le système allemand est en crise, mais il l'est parce que
cet admirable système de consensus, qu'on appelle
social-démocrate ou de l'économie de marché, commence
à s'essouffler parce qu'il coûte fantastiquement cher, mais il est
tout de même très en avance sur le nôtre. Même au
point où en sont les Allemands, c'est-à-dire avec les grognements
des organisations patronales qui disent que le système d'apprentissage
coûte cher, ils sont quand même très en avant de nous. Je
crois que le modèle allemand, peut nous inspirer quelques idées
supplémentaires. Confrontés aux mêmes problèmes
économiques, je crois qu'ils s'en tirent mieux que nous.
Donc il ne faut pas trop légiférer puisqu'on se trouve devant des
situations extrêmement complexes et qui concernent des relations
bilatérales. Il s'agit d'individus, de formation, donc il faut bien
trouver le point d'attaque où la puissance publique peut
intervenir : je crois que celui-ci doit privilégier le
sérieux du stage, c'est-à-dire l'évaluation. Il ne faut
pas que tous les stages donnent lieu à une validation diplômante.
Si le stage est raté, soit parce que le maître de stage a
été négligent, soit parce que l'étudiant n'a rien
fait, ce qui peut se produire, il faut que la validation soit refusée.
Il faut être très attentif à la méthode et comme
vous le disiez, monsieur Vecten, développer une coopération
permanente entre une autorité universitaire et le maître de stage,
lequel doit recevoir au moins une fois en trois ou quatre mois la visite d'un
assistant de l'université ou d'un enseignant-chercheur, de
manière qu'ensuite la validation se fasse. Mais il ne faut pas que la
validation soit une formalité, un simple coup de tampon, sinon on risque
d'avoir soit du côté des stagiaires, soit du côté des
maîtres de stage, des gens qui seront négligents, qui ne feront
pas leur métier.
Mon inquiétude est que l'on n'arrive pas à trouver
50 000 stages de ce calibre. Je comprends que
M. Pineau-Valencienne ait voulu mettre la barre assez haut pour avoir un
effet mobilisateur, mais étant donné le point d'où l'on
vient, et l'état des mentalités, je reste sceptique.
Il y a des endroits où cela marche très bien, vous le disiez,
monsieur le sénateur, comme en Alsace. On ne peut pas faire de
discriminations géographiques, mais c'est vrai que dans l'arc Nord-Est,
c'est-à-dire la région Rhône-Alpes, la région
alsacienne...
M. André Maman
. - Champagne-Ardenne.
M. Roger Fauroux
. - ...Champagne-Ardenne également, cela
marche déjà très bien. J'ai été
émerveillé de voir ce qui se passait en Alsace, mais c'est
déjà le monde rhénan.
M. André Maman
. - Et les stages vers
l'étranger ? M. Monory veut y envoyer 300 000
étudiants.
M. Roger Fauroux
. - C'est sûrement une bonne idée. On
sait que je suis porté vers l'étranger puisque Saint-Gobain est
un groupe très international. Les stages à l'étranger sont
très recherchés. C'est un enrichissement. A mon avis, un stage
à l'étranger est encore meilleur, cela permet de perfectionner la
langue, de connaître autre chose.
M. Albert Vecten
. - Je pense que nous sommes obligés de
changer de braquet dans ce domaine. Notre société a tellement
évolué que nous avons beaucoup de jeunes qui n'ont plus du tout
de contact avec les entreprises. Dans le passé, nous avions des petites
et moyennes entreprises. Nos jeunes avaient des contacts permanents avec elles.
Aujourd'hui, ils sont en dehors de la vie économique.
Autre gros problème : il faut que les universitaires, les
professeurs soient plus près des étudiants et les suivent pendant
leurs stages. On ne peut pas laisser pendant trois, quatre ou cinq mois,
l'étudiant loin de son professeur. Il faut que le professeur sorte de
son bureau pour aller sur le terrain. Cela me paraît fondamental. Il faut
une équipe tripartite : le maître de stage, le professeur et
l'étudiant.
M. Roger Fauroux
. - Tout à fait.
M. Albert Vecten
. - C'est cela le secret. Je ne critique pas les
professeurs, du tout, mais certains ne veulent pas mettre " les mains
dans
le cambouis ", comme on dit.
Je crois que les jeunes sont prêts à aller dans l'entreprise, mais
leur milieu familial ne les pousse pas. Les gens qui vivent dans les grands
ensembles sont loin de tout cela. Là, obligatoirement il faut des stages.
M. Roger Fauroux
. - Vous avez raison en disant qu'il y a
peut-être là le commencement d'une espèce de
révolution qu'il ne faut pas rater. Mais cela va demander de la part des
entreprises, vous avez eu raison de le souligner, ainsi que de la part des
universitaires, une sorte de révolution culturelle.
M. le Président
. - A ce propos, ne pensez-vous pas que, si
on manquait cette occasion qui, pour moi, est quand même une chance, on
manquerait quelque chose d'important ? Si notre pays est en retard par
rapport à l'Allemagne, comme vous l'avez rappelé, c'est pour des
raisons culturelles, on le sait, mais aussi parce que cela tient très
souvent, me semble-t-il, dans l'esprit des gens, à la nature du contrat
qui lie le jeune à l'entreprise formatrice. Le contrat d'apprentissage,
car c'est un contrat de travail, limite dans notre pays le développement
de la formule. N'avons-nous pas là l'occasion de lancer une formule d'un
type nouveau qui confère au dispositif de formation un rôle
particulièrement important, ce qui permettrait de faire un pas
considérable ?
M. Roger Fauroux
. - Je crois que vous avez raison...
M. le président
. - ...Quand on parle d'alternance, chez nous
on pense trop exclusivement à l'apprentissage. Il devrait y avoir des
formes d'alternance réellement formatrices autres que l'apprentissage,
pour tenir compte des spécificités françaises.
M. Roger Fauroux
. - Les deux caractéristiques originales de
cette proposition me semblent être le maintien du statut
d'étudiant -ce n'est pas un contrat d'apprentissage- et le volontariat
complet -on n'oblige personne.
Ce n'est pas comme pour la préparation du baccalauréat
professionnel ou de tel DUT où il faut obligatoirement faire trois mois
dans les entreprises. Dans le cas présent, c'est une offre qui est faite
aux étudiants mais qui progressivement -car tout cela sera progressif-,
si elle pouvait s'insérer dans nos moeurs, pourrait induire un
changement considérable à la fois du côté des
étudiants, du côté des entreprises et du côté
des universités. Ce n'est pas la tendance naturelle des enseignants
chercheurs que de s'occuper des débouchés de leurs
étudiants.
Une expression -vous vous en souvenez, monsieur le président- m'avait
beaucoup choqué. Des professeurs auxquels je disais : " Mais
que deviennent vos étudiants ? " m'avaient
répondu : " Ils s'évaporent ". Je m'étais
quand même un peu indigné parce qu'un être humain ne
s'évapore pas, il est bien quelque part. Les professeurs feraient bien
de se demander où il se trouve. Quand il a quitté les registres
de l'université, il s'est évaporé !
M. Henri Weber
. - C'était une image poétique !
M. Roger Fauroux
. - Cela dénote quand même une
certaine irresponsabilité.
M. le président
. - Sur la souplesse de la méthode,
nous sommes en effet tous d'accord. Mais si on veut réellement que ce
soit quelque chose d'efficace, ne pensez-vous pas qu'il faut quand même
une impulsion nationale et un minimum de règles
générales ?
M. Roger Fauroux
. - Je le crois, mais je me permets là de
critiquer ce qu'a dit M. Bayrou qui a dit à peu près, ou
alors cela a été mal retransmis : je ne donnerai mon accord
que si les négociations aboutissent à une conclusion positive.
J'ai peur, encore une fois, qu'il ne sorte rien de bon d'une négociation
à ce niveau, parce que personne ne représente personne. Le
gouvernement ne représente personne dans cette affaire. Les
organisations étudiantes ne représentent quand même que
faiblement le monde des étudiants. Quant au CNPF, permettez-moi de vous
le dire, il est peut-être leur porte-parole, mais ce n'est pas lui qui
donnera des ordres aux entreprises. Donc je ne comprends pas ce que peut
être une négociation.
Que l'Etat, c'est le rôle du législateur, fixe des limites -par
exemple, vous en avez parlé, concernant la durée-, qu'il insiste
sur la nécessité pour les universités d'être
très présentes à la fois dans la valorisation et dans le
suivi du stage, en effet car ce sont les universités qui, au nom de la
République, décernent les diplômes, il y a le monopole de
la collation des grades, c'est donc l'affaire de l'Etat. Mais pour le reste,
laissons les vrais acteurs négocier entre eux.
M. le Président
. - Vous appréciez quand même la
démarche, parce que l'effet d'annonce, qui a sans doute
été recherché au départ, a fait de cette affaire
une affaire nationale et a contribué à la solenniser.
M. Roger Fauroux
. - Je me suis demandé pourquoi ils avaient
fait cela. Il y avait peut-être l'idée de faire un peu de
publicité, mais en réalité MM. Pineau-Valencienne et
Gandois s'adressaient aux entreprises et non pas aux étudiants. La
solennisation de l'appel visait les entreprises auxquelles il s'agissait de
dire : mobilisez-vous. Mais je crois que cela ne s'adressait pas au
législateur et aux étudiants. Dans l'esprit de
M. Pineau-Valencienne, peut-être un peu naïf à ce point
de vue, il n'y avait pas l'ombre d'une difficulté du côté
du public.
Le CNPF, dans l'état actuel des choses, ne peut susciter des initiatives
de la part des entreprises qu'en les solennisant. Qu'est-ce que M. Gandois
peut faire d'autre ? Il peut dire : je souhaite que, j'invite les
entreprises, etc. Mais la méthode n'est pas excitante.
M. le Président
. - Merci d'avoir répondu à
notre invitation.