PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON, PRÉSIDENT : SÉANCE DU MERCREDI 29 JANVIER 1997
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I. M. DANIEL LAURENT
ANCIEN PRÉSIDENT DE
L'UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE
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M. le Président -
Nous allons commencer en
saluant M. Daniel Laurent, que nous avons déjà auditionné
dans le cadre de la mission d'information sur l'orientation des
étudiants des premiers cycles universitaires. Nous n'avons pas
oublié sa contribution.
Il va donc ouvrir une série d'auditions consacrées aux stages que
je ne sais pas qualifier : faut-il les appeler "stages diplômants",
"stages de découverte de la vie de l'entreprise ou de la vie
professionnelle" ? Peut-être M. Daniel Laurent nous le dira-t-il.
Je rappellerai qu'il a été président de
l'Université de Marne-la-Vallée et il y a peu il l'était
encore ; il a à ce titre une expérience, mais
également parce qu'il a travaillé sur ce dossier avec M.
Pineau-Valencienne, que nous entendrons d'ailleurs la semaine prochaine.
Je vais donc lui passer tout de suite la parole, et nous lui poserons ensuite
nos questions.
M. Laurent -
Merci M. le Président.
Je voudrais tout d'abord donner une précision : quand nous avons
établi ce projet avec Didier Pineau-Valencienne, en liaison avec le
ministère de l'éducation nationale, nous l'avons appelé
"première expérience professionnelle", et non pas "stage
diplômant" ; "stage diplômant" est venu ensuite, et ce sont les
médias qui ont assimilé première expérience
professionnelle et stage diplômant.
Je vais d'une façon relativement schématique vous
présenter à la fois les motivations et la mise en oeuvre de ce
projet.
Il s'agit de proposer pour le CNPF, à travers Didier Pineau-Valencienne,
une expérience à grande échelle pour accueillir en
entreprise des étudiants engagés dans des formations
générales. L'idée est de faire en sorte que ce passage en
entreprise puisse être diplômant, c'est-à-dire soit
sanctionné par une unité de valeur, ou un diplôme, de
manière à ce que ces étudiants puissent
ultérieurement se prévaloir d'une première
expérience en entreprise, car très souvent quand ils se
présentent sur le marché de l'emploi on leur répond : vous
êtes diplômés mais vous n'avez pas d'expérience
professionnelle.
Nous sommes tout à fait conscients de ce que, dans certains cas, c'est
un élément de réponse facile pour les directions des
ressources humaines, qui utilisent cet argument, ce qui leur évite de
dire qu'il n'y a pas d'emplois. Je dirai en préambule et Didier
Pineau-Valencienne vous le confirmera, il en est parfaitement conscient, que
cette proposition ne vise pas à créer des emplois. C'est une
proposition beaucoup plus structurelle pour faciliter l'insertion
professionnelle des jeunes, mais qui suppose un préalable, à
savoir qu'il y ait une croissance telle qu'il puisse y avoir des
créations d'emplois. Cette mesure en elle-même n'est pas
suffisante : il y a une condition nécessaire préalable,
à savoir l'expansion.
Pourquoi les formations générales sont-elles seules
visées ? Parce qu'au niveau des formations professionnelles, il y a
des stages qui existent et qui sont reconnus au sein du monde universitaire.
On l'oublie trop souvent, mais 30% des diplômes d'ingénieur sont
délivrés aujourd'hui au sein des universités à
travers des instituts, et la formation professionnelle qui existe, notamment en
IUP, IUT, BTS, intègre des stages adaptés à la formation
reçue par les étudiants.
Nous proposons une formule différente qui vise à
systématiser une participation réelle en entreprise pour -
j'insiste là-dessus - que ces jeunes puissent se prévaloir d'une
expérience professionnelle. Il est clair qu'en complément d'une
formation générale, une présence réelle en
entreprise est quelque chose d'extrêmement positif, car on reproche
souvent à nos jeunes étudiants issus des formations
générales de ne pas maîtriser un certain nombre de
savoir-faire et de comportements que l'on acquiert en entreprise. Il est
prouvé par un certain nombre de sociologues et de spécialistes
qui ont fait des études sur l'insertion des jeunes que ce qu'il faut
aujourd'hui c'est un bon niveau de formation générale pour les
diplômés, et là les formations universitaires y
répondent. Mais il faut aussi une expérience de l'entreprise et
la maîtrise d'un certain nombre d'outils de base, par exemple
l'informatique ou une langue étrangère.
Or dans de nombreuses formations il y a peu d'enseignement informatique,
notamment pour les littéraires, et ce sont des éléments
que l'on acquiert plus facilement en entreprise.
Donc voilà le contexte général.
Le souci de Didier Pineau-Valencienne et c'est aussi mon souci personnel en
tant qu'universitaire, était de veiller à ce qu'il n'y ait pas de
dérives dans une telle opération. Nous ne sommes pas naïfs,
aucun système ne peut reposer exclusivement sur la vertu, et donc des
dérives ne sont pas exclues.
Quels sont ces dérives, notamment de la part des entreprises ? C'est
l'utilisation de cette première expérience professionnelle comme
un effet d'aubaine consistant à utiliser ces jeunes étudiants
comme main d'oeuvre et par conséquent à écarter des
recrutements : moi-même en tant qu'universitaire et Didier
Pineau-Valencienne en tant que chef d'entreprise, nous souhaitons éviter
ce genre d'effet pervers.
C'est pour cela que nous avons insisté dès le départ, en
préalable pour que cette première expérience
professionnelle soit réalisée sous statut universitaire.
Il ne s'agit donc pas du CIP qui visait les jeunes sortis de la
scolarité ou de l'université et qui reposait sur un contrat de
travail assorti de certaines modalités qui faisaient qu'ils
étaient moins payés que ce qu'ils auraient pu l'être, ce
qui entraînait un certain nombre d'effets pervers, pour les
étudiants d'IUT et de STS en particulier.
Nous souhaitons qu'il y ait une régulation par l'éducation
nationale. Régulation comment ? Par un double tutorat, un tutorat de
l'entreprise et un tutorat de l'université.
Nous demandons également que cette première expérience
professionnelle en entreprise corresponde à une unité de valeur,
et donc qu'il y ait un jury mixte qui délivre cette unité de
valeur, jury mixte constitué d'employeurs et d'universitaires.
Nous pensons que ce sont là des éléments de
régulation qui éviteraient tout effet d'aubaine. Il faudrait
également qu'une convention très précise entre
l'établissement d'enseignement et l'entreprise concernée
définisse clairement le parcours de l'étudiant dans l'entreprise,
l'objectif de cette première expérience professionnelle, ce que
le stagiaire devra acquérir comme connaissances supplémentaires,
cette convention valant engagement contractuel entre l'entreprise,
l'étudiant et l'établissement d'enseignement supérieur.
Voilà le contexte général.
Pourquoi les formations générales ? Nous avons pensé,
comme je l'ai indiqué, que les formations professionnelles devraient
être exclues de ce dispositif, bien que le CNPF mette l'accent, et ceci
est passé relativement sous silence, sur l'effort en faveur de
l'apprentissage.
L'ambition du patronat est de passer de 280.000 apprentis aujourd'hui à
350.000, voire d'atteindre les 400.000.
Je vous signale que, y compris dans l'université, il y a des
expériences qui se font, expériences qui sont un peu
embryonnaires puisque 7000 étudiants apprentis sont actuellement
dénombrés dans l'enseignement supérieur, et surtout
engagés dans des formations d'ingénieur.
J'ai moi-même dans mon université poussé au
développement des formations par apprentissage, mais c'est un autre
sujet, et à titre personnel je pense qu'un certain nombre de formations
à finalité professionnelle universitaires gagneraient beaucoup
à miser sur l'apprentissage.
Je pense en particulier aux IUP, qui ont été créés
il y a quelques années et dont la dernière année devrait
être organisée systématiquement par apprentissage ;
à titre tout à fait personnel, je pense également que l'on
redonnerait un souffle nouveau aux IUT si systématiquement,
également, la deuxième année était organisée
par apprentissage.
Je reviens sur les modalités d'application de ces stages qui devraient
pouvoir intervenir en premier cycle comme en deuxième cycle, et dans mon
université quelques enseignants m'ont déjà fait des
propositions originales en ce domaine.
Je voudrais également insister sur le volontariat : les
étudiants pourront suivre ou ne pas suivre cette première
expérience professionnelle, ce qui est quand même très
important, mais les établissements pourront aussi ne pas l'organiser.
Il y a également un point qui est relativement passé sous silence
actuellement par les médias, à savoir la mise en oeuvre
réelle d'un principe d'égalité en matière de stages.
Aujourd'hui - je suis accompagné par la collaboratrice qui à
Marne-la-Vallée s'occupe des stages depuis la création de
l'université, et cela pourra être confirmé par les autres
intervenants - il y a une véritable anarchie en matière de stages.
Je parle pour les formations générales, parce que pour les
formations professionnelles, je l'ai déjà dit, la formule est
bien rodée.
Pour ce qui concerne les formations générales le ministère
a tendance aujourd'hui, quand il les habilite, à prévoir
systématiquement tant de semaines de stage, mais ce sont les
étudiants qui doivent se débrouiller tout seuls pour trouver les
stages, et croyez-moi, il y a une très grande
inégalité -Didier Pineau-Valencienne vous le confirmera avec
des exemples concrets- dans la façon dont les étudiants peuvent
les trouver.
En gros, il y a ceux qui ont des relations et ceux qui n'en ont pas.
Ceux qui ont des relations, de natures très diverses, trouvent des
stages, parfois même rémunérés convenablement, et
les autres, comme ils le disent, "galèrent".
Didier Pineau-Valencienne vous le dira : dans les grands groupes, actuellement,
ce sont les enfants du personnel et ce sont les clients qui obtiennent des
stages.
Moi-même dans mon université j'ai découvert -nous avons
organisé quelques stages en été dans les services de
comptabilité et de secrétariat- que c'étaient les enfants
du personnel qui obtenaient ces stages, et c'est humain.
Donc il y a donc une très grande anarchie, ce n'est pas
systématisé, et il y a un vrai problème
d'égalité entre les étudiants.
Dans le système préconisé il y a une offre des
entreprises, et Didier Pineau-Valencienne pense arriver à les mobiliser
pour offrir entre 70.000 et 100.000 premières expériences
professionnelles. Cette offre des entreprises devra être
gérée par les établissements d'enseignement
supérieur, c'est-à-dire que c'est à eux, à partir
de cette offre, à s'organiser pour faire des propositions aux
étudiants. Cela devrait contribuer à assainir, de ce point de
vue, la situation en matière de stages.
On a également tendance à demander des stages aux entreprises
quand celles-ci sont en vacances ou en période de moindre
activité -c'est généralement d'avril à septembre-
et cela pose des problèmes aux entreprises et aux étudiants. Il
faut par ailleurs reconnaître qu'il y a beaucoup de stages de
complaisance qui n'apportent rien aux étudiants et rien aux
entreprises ; ce sont ces stages dits "café-photocopie".
Notre souci est donc d'intégrer cette première expérience
professionnelle comme une véritable unité de valeur : nous
souhaitons que ces stages soient intégrés - et cela a d'ailleurs
été dit dès le départ - dans le cursus
universitaire, mais à charge pour les universités de les prendre
en compte au sein de leurs cursus, ce qui pose le problème de leur
durée.
C'est une opération qui a été surtout initiée par
les responsables de grandes entreprises françaises :
M. François Bayrou est venu " plancher " au CNPF devant
les trente directeurs des relations humaines des plus grands groupes
français sur cette opération en novembre dernier.
Au départ il y a déjà eu un compromis. En effet les
entreprises demandaient que les stages soient aussi longs que possible, car ils
nécessiteront des investissements très lourds en matière
de tutorat, d'encadrement et d'aménagement des postes de travail. Si on
ne veut pas que ce soient des stages "bidon" il faut prévoir un
encadrement.
Beaucoup de chefs d'entreprise demandaient 12 mois. Nous n'avons pas retenu
cette durée, car celle-ci posait trop de problèmes. Au
delà d'une certaine durée, on peut en effet concevoir qu'il
s'agit d'un véritable contrat de travail.
En revanche nous nous étions alignés sur 9 mois, qui est la
durée d'une année scolaire ou universitaire, et le CNPF
aujourd'hui, Jean Gandois l'a affirmé au cours d'une émission sur
Europe 1 et Didier Pineau-Valencienne est également intervenu en ce
sens, accepterait une formule très souple en prenant comme unité
le semestre universitaire, puisque l'évolution en cours au
ministère de l'éducation nationale va dans ce sens. Nous avons
initié cette formule à Marne-la-Vallée puisque dès
la création de notre université nous avons, alors que ce
n'était d'ailleurs pas légal, organisé l'année
universitaire en semestres.
C'est une véritable révolution d'organiser l'année
universitaire par semestres, mais c'est absolument nécessaire. Les
systèmes étrangers, en général, sont
organisés par semestres et la semestrialisation devient un standard
international.
L'idée est donc d'aligner le module minimum de cette première
expérience professionnelle sur un semestre universitaire, soit en gros
quatre mois et demi.
Didier Pineau-Valencienne a évoqué ce point avec le premier
vice-président de la Conférence des présidents
d'université, M. Monteil, qui est président de
l'université de Clermont-Ferrand.
C'est une formule qui doit s'appliquer au niveau des universités : on
peut très bien concevoir une première expérience
professionnelle ouverte aux étudiants en premier cycle et une autre en
deuxième cycle, de quatre mois et demi chacune. Cela veut dire que pour
les étudiants intéressés par ce type de formation,
l'université doit s'organiser afin de leur permettre de suivre un cursus
normal, par exemple en deuxième cycle, en licence et en maîtrise.
En lettres, sciences humaines et droit, trois semestres au lieu de quatre
pourraient ainsi être consacrés à l'enseignement
traditionnel et un semestre à l'expérience professionnelle.
C'est quelque chose qui peut se gérer à l'intérieur d'une
université et les premiers cycles pourraient également être
concernés.
Ce qu'il faut bien comprendre, et je l'ai vécu, c'est que dès
qu'on passe aux semestres, on désynchronise tous les rythmes,
c'est-à-dire qu'à Marne-la-Vallée nous avons des
étudiants qui entrent en premier cycle au mois de février.
Vous avez des étudiants qui échouent à un module, ce qui
n'est pas catastrophique, mais au lieu de finir leur année universitaire
en juin, ils la poursuivent en février de l'année d'après.
Si un étudiant finit son premier cycle en février, la licence ne
démarre pas immédiatement en février, et il est alors en
mesure d'effectuer une première expérience professionnelle.
La semestrialisation désynchronise donc tous les rythmes universitaires,
et il ne faut pas penser ce dossier par référence à ce qui
existe actuellement mais par rapport à ce qui va se faire dans un futur
proche.
Quels sont les points d'achoppement concernant la durée de ces
stages ?
Du côté du CNPF la durée semble être un
problème important, parce qu'en dessous d'un semestre universitaire,
c'est-à-dire quatre mois et demi, on retombe sur les stages courts
existants, qui sont souvent, comme je le disais, des stages de complaisance,
gérés un peu anarchiquement.
Pour les entreprises il y a des investissements importants en matière de
tutorat, d'encadrement, et si on veut que l'étudiant puisse avoir un
réel parcours dans l'entreprise, quatre mois et demi semblent un minimum.
Une organisation étudiante, l'UNEF-ID, faisait de la durée de
trois mois une question de principe. Maintenant il semblerait que l'on
s'accorde sur un minimum de trois mois et un maximum de quatre mois et demi,
mais tout cela est assez peu lisible pour l'étudiant de base.
Trois mois ne correspondent en effet à rien au niveau universitaire.
La FAGE, que vous recevrez peut-être, a exprimé son accord sur un
semestre et sur la formule du contrat à durée
déterminée en cas de prolongation du stage ; cette formule
me paraît personnellement tout à fait raisonnable.
Les autres organisations semblent adopter également le semestre.
Du côté du ministère de l'éducation nationale,
actuellement il y a une concertation engagée avec les organisations
étudiantes et les syndicats d'enseignants.
L'accueil semble favorable également du côté des
présidents d'université puisque ce projet a été
présenté à la Conférence des présidents
d'université qui se réunissait la semaine dernière.
D'après ce que m'a dit le directeur général de
l'enseignement supérieur, qui participait aux débats, l'attitude
des présidents d'université est de dire qu'on ne peut pas refuser
une offre de ce genre, d'autant que c'est la première fois que le CNPF
prend une telle initiative à grande échelle.
Pour résumer, avant de conclure, voyons ce qu'apporte cette formule.
Tout d'abord, elle est ciblée sur les formations générales
- il ne s'agit pas de déstabiliser ce qui marche - et elle apporte un
"plus" aux étudiants en développant un contact avec l'entreprise.
Ensuite, j'ai constaté que lorsque des étudiants de
maîtrise de lettres ou d'histoire, par exemple, arrivent sur le
marché de l'emploi, les directeurs des ressources humaines, bien
souvent, n'examinent même pas leur candidature, alors que ces
étudiants, avec une première expérience en entreprise,
seraient tout à fait remarquables.
Ce sont des jeunes qui ont une grande culture, qui savent rédiger,
analyser. La présence en entreprise d'étudiants ayant cette
formation sensibiliserait également les entreprises à
l'intérêt de recruter de tels diplômés.
Il y a également une évolution culturelle à entreprendre
au sein des entreprises pour sortir des stéréotypes : quand
celles-ci prennent un littéraire c'est si possible un normalien, ou un
inspecteur des finances, mais l'expérience montre qu'il y a des
littéraires qui se placent très bien.
L'an dernier nous avons essayé de créer à
Marne-la-Vallée une maîtrise de lettres par apprentissage. Nous
avons différé ce projet parce qu'une maîtrise n'est pas
considérée comme une formation professionnelle, donc cela ne peut
pas relever de l'apprentissage.
Nous avons rencontré des problèmes bureaucratiques, mais il
n'empêche que pour cette maîtrise de lettres par apprentissage,
nous avions l'accord de groupes comme Danone, LVMH, Strafor, Axa pour
accueillir des étudiants, ce qui constituait un bon début.
Par exemple chez Danone la personne qui était à l'époque
directeur des ressources humaines, et qui est aujourd'hui directeur de l'emploi
chez Jacques Barrot, est une normalienne, littéraire elle-même et
énarque en plus, qui a vu d'entrée de jeu l'intérêt
d'avoir des étudiants littéraires. Si nous avions pu
réaliser cette opération, ces étudiants auraient obtenu
leur maîtrise de lettres et ils auraient été
acceptés chez Danone, où ils auraient d'abord suivi
l'école de ventes, puis auraient pu devenir cadres commerciaux.
Il est donc possible d'ouvrir le jeu, et ceci est vrai également pour
les étudiants en sociologie ou en psychologie. Lorsqu'ils parviennent au
niveau de la licence ou de la maîtrise, ces étudiants ont un bon
niveau culturel de base mais il leur manque cette première
expérience professionnelle.
Principe d'égalité, ensuite sur lequel j'insisterai. Aujourd'hui
c'est l'anarchie dans les stages, il vaut mieux avoir des relations que de ne
pas en avoir pour trouver de bons stages. Notre projet permettrait d'assainir
la situation.
Il est également fondé sur la liberté :
liberté pour les étudiants, liberté pour les
établissements d'organiser ces expériences, et également
liberté pour les entreprises.
Reste un point d'achoppement, la durée : si l'on s'aligne sur le
semestre universitaire je pense que la formule pourrait être mise en
oeuvre.
Je vous remercie de votre attention et je serai très heureux de
répondre à vos questions.
M. le Président -
C'est nous qui vous remercions. Voilà
une bonne base de discussion. Vous avez bien indiqué quel était
le public actuellement envisagé, vous avez parlé de la
durée des stages, vous avez bien défini les points qui sont
encore en discussion.
Je vais donc passer la parole à mes collègues.
Je vous pose une question très générale : est-ce que, vous
qui avez bien suivi ce dossier, vous pensez qu'on a des chances d'aboutir ou
que le projet va être enterré ? Etes-vous optimiste ou
pessimiste ?
M. Ivan Renar -
Cela dépendra du mouvement des masses !
M. Laurent -
Du mouvement virtuel des masses !
J'ai été associé par Didier Pineau-Valencienne à
certains contacts avec les organisations étudiantes et avec les
organisations représentatives des salariés.
Je dois dire qu'en privé, avec les organisations représentatives
des salariés, l'accueil est plutôt favorable sur le principe.
Il y a un certain blocage chez l'UNEF-ID sur la durée de trois mois.
En ce qui concerne les syndicats d'enseignants, la FSU est contre, mais
l'accueil des présidents d'université est plutôt favorable.
Je pense que si ce projet aboutit, cela se fera directement entre les
entreprises et les universités, et peut-être en laissant un peu
à l'écart le ministère de l'éducation nationale.
Une remarque : si nous étions dans un pays où les
universités sont autonomes, ce problème n'aurait même pas
à être évoqué, ni par le ministre de
l'éducation nationale et, a fortiori, pas du tout par le
président de la République.
M. Ivan Renar -
Il y a effectivement des questions de principe et des
questions très concrètes qui se posent. Ce qu'il ne faut pas
cacher c'est que la situation réelle de l'emploi, et donc les
difficultés que les jeunes connaissent dans ce domaine, est telle que
l'on a parfois du mal à voir dans ce genre de proposition ce qui
relève de l'innovation et de la "ficelle".
C'est une question réelle et nous sommes dans un lieu où l'on
peut en débattre très librement.
Sur le principe des stages, je ne suis ni pour ni contre, j'essaie de voir ce
qui peut permettre à des jeunes de se situer dans la vie et de pouvoir
ensuite trouver rapidement un travail, et si possible un bon travail.
Est-ce qu'il n'y a pas malgré tout un danger de voir notre
système universitaire et scolaire remis en cause à court terme
par ce genre de mesure ? Parce qu'en l'occurrence le CNPF intervient quand
même sur tout ce qui touche aux diplômes, puisque le stage
s'appelle lui-même "diplômant".
Ensuite, on peut comprendre les réactions des jeunes, compte tenu des
éléments imprécis dont nous disposons concernant notamment
la durée des stages, les horaires hebdomadaires, le niveau de leur
indemnisation... La question très concrète qui peut se poser est
la suivante : est-ce que l'arrivée en entreprise de stagiaires de ce
type ne va pas empêcher l'embauche de jeunes diplômés ?
M. Franck Sérusclat -
Je vais dire pourquoi je suis un peu perdu
dans ce que je viens d'entendre : la formation professionnelle a par
nature un contenu "professionnel", c'est-à-dire technique,
matériel, et je citerai en exemple la formation des étudiants en
pharmacie qui suivent un stage, correspondant à leur formation initiale.
Or j'entends dire que les étudiants en maîtrise de lettres ou en
maîtrise d'histoire, iraient chez Danone, par exemple, - je ne comprends
pas ce qu'ils iraient faire dans ces entreprises - où on les formerait
davantage aux langues étrangères. S'ils n'ont pas appris les
langues étrangères en cours d'études, ce n'est pas les
trois ou six mois qu'ils passeront en entreprise qui leur permettront de les
maîtriser. De même, si l'on doit apprendre l'informatique au cours
de ces stages, c'est que l'université, et l'école bien en amont,
n'ont pas fait leur travail.
Par conséquent je ne comprends pas vos arguments.
Je suis un peu "déboussolé" par cette proposition, qui ne me
paraît pas s'inscrire logiquement dans la formation de quelqu'un qui va
se diriger ensuite vers tel ou tel secteur industriel. Il y a pour moi un
décalage entre les formations suivies et les stages proposés.
M. le Président -
Ces auditions, M. Sérusclat, ont d'abord
pour but de nous donner à tous une boussole !
M. André Maman -
Je voudrais poser quelques questions pratiques.
A qui les jeunes, qui souhaitent effectuer un stage diplômant devront-ils
fournir un dossier et qui décidera s'ils sont qualifiés pour
suivre ce stage ?
Nous avons fait une expérience aux Etats-Unis, mais c'était
différent parce que les entreprises disaient : je voudrais ce candidat
car son dossier me convient. Ces étudiants suivaient des cours à
l'université de New-York et ils avaient tous des diplômes
très avancés. Ils ont réussi et ils sont entrés
dans des banques ou dans des grandes entreprises.
Une fois que le dossier est établi, au bout de combien de temps va-t-on
dire à l'étudiant qu'il est qualifié pour commencer le
stage ? Est-ce que les stages peuvent commencer à n'importe quel moment
de l'année ou bien est-ce qu'ils commencent tous à la même
date ?
Supposons que ce jeune homme, pour diverses raisons, ne fasse pas l'affaire et
que l'entreprise ne soit pas contente de lui et dise : non, cela ne peut pas
continuer ! Est-ce qu'on peut arrêter le stage et déplacer le
stagiaire ? Est-ce qu'on peut lui redonner une deuxième chance en cours
de route ?
Une fois que le stage est terminé, je suppose que l'étudiant
reçoit une appréciation disant qu'il a été
excellent. Est-ce qu'on le remet sur le marché du travail ou est-ce que
l'entreprise va le garder plus longtemps ?
M. Daniel Eckenspieller -
Je pense que votre initiative est
extrêmement intéressante et j'ai été très
intéressé par l'exposé qui en a été fait. Je
dois dire qu'il y a là une approche réaliste, et je pense qu'il
serait dommage de rater une telle occasion pour des questions de principe.
Il y a eu de nombreuses occasions ratées dans beaucoup de domaines parce
qu'on a posé un certain nombre de principes qui allaient parfois
à l'encontre des objectifs recherchés.
Je dois dire que tous les étudiants que j'ai reçus tout au long
de ces dernières années, des jeunes qui étaient dans des
formation diverses et à des niveaux différents de formation, ont
toujours dit qu'un stage en entreprise était quelque chose
d'extrêmement enrichissant ; j'en ai rarement vu qui pensaient que cela
ne leur avait rien apporté, même quand ce n'était pas dans
le strict domaine de leur compétence.
Nous sommes en train de faire la même expérience avec les jeunes
qui font leur service national dans le cadre de la politique de la ville,
parfois dans des domaines qui sont éloignés de leur cursus
étudiant. Ceci leur apporte au niveau même de la culture, dont ils
ont en tout état de cause besoin, et de leur formation universitaire, un
grand " plus ".
Une interrogation subsiste pour moi, quand même, quant au postulat selon
lequel il y aurait des sites d'accueil en nombre suffisant : on part en effet
du principe que les sites d'accueil seront en adéquation avec l'attente
de formation des étudiants.
Nous avons tous été très souvent sollicités par des
jeunes qui étaient en cours de cursus universitaire, pour qu'on les aide
à trouver une place de stage. Je ne doute pas des intentions des
organisations patronales, mais que l'on puisse espérer trouver 70 000 ou
100 000 points de chute pour ces étudiants, et que ces points de chute
soient adaptés au cursus qu'ils sont en train de suivre, cela me
paraît d'une certaine façon un peu utopique.
Je souhaiterais qu'il n'en soit pas ainsi mais je sais que l'on a très
souvent pris des mesures en disant : cela devra toucher tant de personnes, et
quand on fait le bilan de ces mesures, on est très souvent
déçus.
M. Robert Castaing -
J'appartiens, vu mon grand âge, à la
période où l'université et le monde de l'entreprise
étaient diamétralement opposés. On considérait que
l'université avait le devoir de former et l'entreprise de recruter.
Les temps ont changé, et à mon avis c'est un mieux, mais pour ma
part, ce que j'apprécie surtout, c'est cette espèce de
réhabilitation des littéraires, parce que pendant très
longtemps, hormis les concours de recrutement de l'éducation nationale,
il n'y avait pas grand chose pour eux.
Exposé "pro domo", sans nul doute puisqu'étant de ceux-là,
même si, pour un littéraire, quand on est un historien ou un
géographe, on est toujours un peu un "faux" de quelque chose. Mais je
me
suis aussi rendu compte que les géographes avaient été
à un certain moment très recherchés par les entreprises
pétrolières, pour prendre cet exemple qui n'est pas isolé.
Donc je considère que c'est une piste à encourager dans la mesure
où, et je retrouve ce que vient de dire mon collègue, au moins
pour les zones rurales comme celle que je représente, il y aura
suffisamment de sites de proximité pour répondre à la
demande de l'université.
M. Jacques Valade -
J'ai écouté avec beaucoup
d'intérêt l'exposé du Président Laurent. Je voudrais
faire deux observations et vous faire part d'une incertitude en ce qui me
concerne.
La première observation, c'est qu'il me semble que le temps est
passé où il y avait des incompréhensions à
l'égard des littéraires. Ils possèdent sans doute par
définition - il faut le vérifier - la qualité de savoir
écrire, et cette qualité, qui se perd de plus en plus, notamment
dans le domaine scientifique, est je crois très recherchée.
C'est ainsi qu'on peut engager des jeunes gens et des jeunes filles n'ayant
peut-être pas une formation technique par rapport à l'entreprise
qui les embauche mais qui ont une bonne formation, et cela rejoint ce
qu'André Maman disait. J'ai toujours présent à l'esprit
que le directeur du marketing de la firme Apple aux Etats-Unis est une jeune
femme diplômée d'archéologie, c'est-à-dire que l'on
a recherché davantage la qualité de la formation de base.
Même s'il n'y a pas adéquation totale entre les études, et
éventuellement les recherches faites, et le métier exercé,
au moins on est sûr qu'il y a une base à la fois intellectuelle et
de formation convenable, et je crois que nos grandes écoles en sont un
témoignage constant.
La deuxième observation, et je suis tout à fait de l'avis qui a
été formulé par le président Laurent, concerne le
rythme universitaire et scolaire : il lui faut s'adapter, on le dit depuis des
années, au régime semestriel. C'est une souplesse indispensable
qui permet justement, dans une époque où la formation en
alternance est une solution qui s'impose, d'aller dans l'entreprise pendant six
mois et de revenir ensuite à l'université, éventuellement
de commencer un cursus universitaire à un moment décalé
par rapport au sacro-saint démarrage de l'année universitaire en
septembre, octobre ou novembre.
Mon interrogation, qui rejoint celle de mon excellent collègue et ami
Ivan Renar, est de savoir où nous allons, parce que cette initiative,
qui a été présentée, par ceux qui veulent en
être les détracteurs, comme une initiative patronale, doit
s'intégrer dans une philosophie générale qui devrait
être - je ne suis pas jacobin, je suis plutôt girondin ! -
organisée par l'éducation nationale.
Il y a une forte initiative prise par le CNPF, disons par les responsables des
grandes entreprises ; elle est excellente mais cela ne doit pas être une
initiative sectorielle et fractionnée.
J'attends donc un signe de cohérence. S'il n'y en a pas ce sera une
excellente initiative à laquelle j'adhèrerai totalement, mais
elle me semblerait, une fois encore, ou sectorielle ou, ce qui serait pire,
élitiste.
M. Jean-Pierre Camoin
- Une question très courte : est-ce qu'il
s'agit d'une formule tout à fait originale ou est-ce qu'une formule
semblable a déjà été appliquée en Europe et
dans le monde ?
M. le Président -
Nous arrivons donc au terme des questions. Je
vais ajouter les miennes.
M. le Président, est-ce que vous pouvez développer un peu ce que
vous avez commencé à nous indiquer, à savoir comment ces
stages vont s'insérer dans le cursus universitaire.
Je précise ma question : comment l'étudiant, qui pendant quatre
mois sera allé, si j'ai bien compris, à temps plein dans une
entreprise, pourra-t-il reprendre ses études de lettres ou d'histoire
sans dommage et sans avoir perdu de temps par rapport à ses
condisciples ? Est-ce possible et comment ?
Vous nous avez parlé de prise en compte de ces stages sous la forme
d'unités de valeur délivrées par un jury mixte. Tous ces
étudiants préparent un diplôme. Est-ce que le stage, s'il
est validé par une unité de valeur, donnera lieu à la
délivrance d'une attestation ou d'une mention particulière qui
s'ajoutera au diplôme ?
Enfin une question sur le public que vous visez : vous avez bien indiqué
les formations générales, les autres étant, en quelque
sorte, déjà pourvues de stages. Qu'en est-il des formations de
sciences économiques ? Est-ce que ce sont des formations
générales ?
M. Daniel Laurent -
Oui.
M. le Président -
Donc leurs étudiants vont
bénéficier du dispositif.
M. Daniel Laurent -
Je voudrais vous remercier parce que vos
interventions ont balayé tous les problèmes qui se posent.
Je vais essayer de répondre dans l'ordre des questions, mais d'abord, en
préambule, je voudrais vous lire une phrase : "Tout jeune doit se voir
offrir avant sa sortie du système éducatif et quel que soit le
niveau qu'il a atteint, une formation professionnelle". Cela a
été voté par le Parlement, c'est l'article 54 de la loi
quinquennale pour l'emploi.
Donc on peut considérer que ces stages constituent une modeste
contribution à la mise en application de cette loi pour un certain type
de formation.
M. Renar, vous vous inquiétez de la durée hebdomadaire et totale
des stages, de leur rémunération, et disons des "ficelles" d'un
tel dispositif : vous avez raison, parce que dans les débats que
j'ai avec les étudiants, je vois bien qu'ils cherchent "l'arnaque"
dans
cette affaire-là. Ils sont d'accord sur le principe mais ils se disent :
il doit y avoir quelque chose de biaisé derrière.
C'est pour cela que j'ai dit tout à l'heure que nous avions tenu
à placer ces stages sous statut scolaire avec un contrôle de
l'éducation nationale.
Les 39 heures, il n'en a jamais été question. C'est un parcours
personnalisé pour les étudiants, et dans la convention qui liera
l'établissement, l'étudiant et l'entreprise, il sera
précisé le rythme de présence en entreprise et
éventuellement, si nécessaire, les plages horaires disponibles
pour des enseignements de complément qui peuvent être
décidés par l'université.
Il faut que le jeu soit très ouvert.
La rémunération : le stage s'effectuera d'abord sous statut
étudiant dans le cursus universitaire, et on ne l'envisage pas -
c'était un peu le problème du CIP - pour des diplômes
terminaux. Ce n'est pas quelque chose qui va se mettre en oeuvre pour des
diplômés de DESS, par exemple, encore qu'il faut savoir que dans
notre cursus universitaire un étudiant est toujours entre deux
diplômes.
La rémunération devra être établie par
référence à ce qui existe, et il existe un
arrêté qui précise le montant des indemnités de
stage.
Dans les stages anarchiques que j'évoquais tout à l'heure - on a
fait un sondage ces derniers jours dans ma propre université - nombreux
sont ceux qui ne sont absolument pas indemnisés par les entreprises. Il
y a un très grand désordre qui règne, certains
étant très bien indemnisés et d'autres pas du tout.
Notre formule a le mérite de se référer à quelque
chose qui existe, et les entreprises sont prêtes à défrayer
les étudiants des frais engagés, et d'ailleurs elles le font dans
certains stages, pour le transport et l'hébergement. L'étudiant
garde son statut universitaire, c'est-à-dire qu'il conserve sa bourse,
l'aide au logement social s'il en bénéficie etc ...
Risque d'effet d'aubaine : nous pensons que la meilleure régulation en
ce domaine résulte du statut scolaire du stagiaire.
Il y a un tuteur universitaire et un jury mixte. On doit définir au
préalable très précisément le parcours et les
fonctions qui sont assignés à l'étudiant au sein de
l'entreprise, et nous sommes - Didier Pineau-Valencienne vous le
précisera mieux que moi - très vigilants sur ce point : il ne
faut pas que le poste occupé par l'étudiant se substitue à
une embauche potentielle.
Il y aura certainement des effets pervers, toute mesure en entraîne, et
nous ne sommes pas dans un monde totalement angélique, mais nous avons
essayé de mettre des garde-fous parce que, et là je vais
être un peu cynique, si Didier Pineau-Valencienne avait voulu ne pas
s'embêter, qu'est-ce qu'il faisait ? D'abord il ne demandait rien
aux universitaires et disait : le CNPF offre 100.000 stages,
présentez-vous à tel endroit !
Cela aurait été l'anarchie, la prolongation du système
actuel, il n'y aurait pas eu de débat public et les choses auraient
été très simples : les employeurs auraient eu le beau
rôle et les jeunes seraient allés vers ces stages, même
à très bas prix et dans des conditions relativement peu
pédagogiques.
Donc voilà ce que je peux répondre à ces
différentes préoccupations.
M. le Président -
Je voudrais insister un peu sur une des
questions d'Ivan Renar : est-ce que cela peut réduire l'embauche des
chefs d'entreprise ?
M. Daniel Laurent -
L'engagement que prendra Didier Pineau-Valencienne
sera, en définissant précisément le contenu du stage et le
poste de travail au sein de l'entreprise, de ne pas substituer ces stages
à une embauche potentielle, mais je reconnais que la situation que vous
décrivez existe dans certaines entreprises où l'on prend en stage
des bacs + 5 et où on les fait " tourner ".
Ce n'est pas parce que cela existe que l'on doit bloquer tout le projet. Qu'il
y ait des effets pervers, certainement il y en aura.
En outre, j'ai oublié de le dire, nous souhaitons que ce soit une
expérience et qu'il y ait une évaluation à grande
échelle à la fin de l'expérience, que l'on fasse vraiment
ce que l'on fait peu dans l'université française, à savoir
qu'on lance une expérience, et qu'au bout d'un an, il y ait une
véritable évaluation, que des personnalités totalement
indépendantes du monde de l'entreprise et du monde de
l'université fassent un bilan de l'opération, que l'on sonde les
jeunes qui seront passés en entreprise, les enseignants qui les ont
encadrés et les entreprises qui les ont accueillis.
Je crois que c'est là une façon pragmatique de faire avancer les
choses.
M. Sérusclat, vous avez évoqué un problème qui est
un problème central, effectivement, et qui surprend parfois nos
interlocuteurs étrangers mais qui dénote, finalement, une
tradition du système français, c'est-à-dire celui d'une
distinction traditionnelle entre formation professionnelle, formation
technologique et formation générale.
Aujourd'hui tout cela évolue, notamment avec l'évolution du
secteur tertiaire.
Pour ma part je suis scientifique en informatique, et je n'ai pas tellement de
problèmes avec mes étudiants qui ont une formation
générale.
Prenons le cas des étudiants en lettres : nous avons fait des
expériences, et les grandes entreprises, quand elles sont
sensibilisées au problème, sont demandeurs de littéraires.
Ce qu'apporte une formation littéraire, vous l'avez dit mieux que moi
tout à l'heure, comme une formation en psychologie ou en sociologie, si
elle est bien conduite, c'est une capacité d'abstraction, de maniement
de concepts, d'analyse, de prise de distance critique par rapport à un
dossier ou un projet. Honnêtement, cela vaut Sciences Po ou certaines
recettes de l'ENA au niveau de la formation générale.
J'ai même un exemple cette semaine dans mon université, où
l'on a fait suivre à des étudiants en histoire un cours sur les
systèmes de gestion de bases de données. Il s'agit
d'étalonner une situation, d'être capable, avant de passer
à la partie informatisation, d'abstraire une situation, d'en
dégager les éléments essentiels. Le professeur
d'informatique qui enseignait à ces historiens me disait encore hier
qu'il avait été très surpris : les étudiants
d'histoire réagissent mieux que les étudiants d'informatique
à ce niveau-là, parce qu'ils sont habitués à
analyser des textes, à décrire une situation et à
être très critiques, parce que le problème avec nos
étudiants aujourd'hui, c'est qu'ils sont très passifs. Les
organisations étudiantes sont très revendicatives mais les
étudiants que nous avons sont très conformistes et très
passifs.
Je pense par ailleurs que les étudiants qui auront passé un
semestre en entreprise seront, quand ils reviendront à
l'université, beaucoup moins passifs à l'égard de
l'enseignement qu'ils reçoivent et seront également beaucoup plus
exigeants à l'égard de leurs enseignants.
Donc c'est une conviction qui s'appuie sur la réalité, à
savoir que les étudiants en lettres, en sociologie, en géographie
acquièrent au cours de leurs études d'excellentes méthodes
d'analyse qui peuvent être transposées parfaitement dans d'autres
domaines. La preuve en est que les étudiants normaliens
réussissent très bien à l'ENA ; il y a même un
normalien de lettres -quelqu'un que je connais- qui a été admis
dans le corps des Mines.
M. le Président -
Oui, mais cela dénote quand même
une certaine évolution de la culture générale.
Prenez l'exemple d'un Français qui a très bien réussi en
Allemagne, l'ancien directeur général de Volkswagen :
c'était un littéraire, et en France il n'aurait pas fait la
carrière qu'il a faite en Allemagne.
M. Ivan Renar -
L'agrégation de lettres mène même
à la présidence de la République !
M. le Président -
Oui, c'est arrivé, mais en passant quand
même par le suffrage universel !
M. Daniel Laurent -
Pour répondre à la question de la
prise de décision dans cette affaire : c'est vraiment
l'université qui décide à partir de l'offre des
entreprises, et il y aura sûrement -les universités sont quand
même un peu autonomes- des dispositifs mixtes qui se mettront en place,
mais ce n'est pas exclusivement l'entreprise.
Aujourd'hui il y a dans certaines entreprises -là nous sommes entre
nous- délit de faciès pour les stages, ce qui pose quand
même des problèmes d'éthique et de laïcité de
l'enseignement.
C'est l'université, dans notre esprit, qui sera maître du jeu.
Il faut répéter, contrairement au système américain
que j'évoquais, qu'il ne s'agit pas d'une formation qui vient
après un diplôme et qui serait préliminaire à un
recrutement mais d'une formation qui se fait avant le diplôme.
Ce qu'on peut espérer c'est que des liens s'établiront entre
l'étudiant et l'entreprise dans laquelle il aura passé un ou deux
semestres, et que s'il a laissé un bon souvenir, cela pourra
éventuellement faciliter son insertion.
Sur les recours, il y aura effectivement des cas où cela ne marchera
pas, c'est quelque chose qui existe déjà à
l'université, c'est-à-dire qu'on a des étudiants qui
" s'évaporent " en cours de route. On a prévu des
recours pour les étudiants lorsqu'il y aura un conflit avec l'entreprise.
J'évoquerai une expérience menée chez Strafor en Alsace,
où a été lancée une opération remarquable
avec les chambres de commerce : elle montre qu'il est beaucoup plus
difficile de trouver des jeunes pour aller sur des postes d'apprentissage que
de trouver des entreprises.
Donc je pense que la difficulté que l'on aura au départ ce sera
de trouver des jeunes volontaires.
M. André Maman -
Est-ce que cela peut concerner des stages
éloignés ? Est-ce qu'on peut dire à un étudiant
vous allez suivre un stage en Bretagne ?
M. Daniel Laurent -
Il y aura sûrement des cas de ce genre, avec
une prise en charge des déplacements par les entreprises.
Il y a un autre sujet qui est peu évoqué aujourd'hui, mais quand
on avait conçu le projet, on souhaitait qu'il s'impose également
aux administrations et aux collectivités locales. Il serait très
important que les collectivités locales et les administrations puissent
accueillir les jeunes en première expérience professionnelle.
M. Robert Castaing -
Est-ce qu'elles pourront les
rémunérer ?
M. Daniel Laurent -
C'est une autre affaire, mais on
rémunère bien des CES actuellement.
Nous souhaiterions également mettre en application la loi quinquennale
pour l'emploi, et cet objectif a été rappelé par le
ministre de l'éducation nationale dans son discours à la
Sorbonne, où il a précisé que la professionnalisation doit
s'imposer à toutes les formations, qu'elles soient technologiques,
générales ou dites à finalité professionnelle.
C'est un concept intéressant, effectivement il faut le mettre en oeuvre,
et cela peut être un facteur de cohérence.
C'est un moyen de faire progresser la filière technologique, en donnant
une très grande souplesse pour l'alternance entre entreprise et
université au delà des seuls secteurs industriels. C'est
très important pour le secteur tertiaire où il n'y a pas une
tradition d'apprentissage et d'échanges école/entreprise.
Vous m'avez demandé, M. Camoin, s'il y avait des formules analogues
à travers le monde. Beaucoup d'universités anglo-saxonnes
organisent des stages.
Aux Etats-Unis c'est un peu compliqué parce qu'il y a parfois une
confusion avec les "petits boulots" - il y a une tradition de
travail des
étudiants pour payer leurs études - qui ne sont pas pris en
compte nécessairement dans les cursus.
Cela existe d'ailleurs en France dans certaines universités, qui ont mis
en oeuvre des formules de ce genre.
Je répondrais maintenant aux questions soulevées par le
président Gouteyron. Je vais vous donner mon sentiment personnel si
j'avais à prendre en compte ces stages dans mon université, parce
que les universités sont quand même autonomes.
Ces stages devraient prendre la forme d'unités de valeur. Il existe
déjà de nombreuses unités de valeur en option dans les
universités, et souvent plus exotiques que celles qui nous occupent.
Il est important politiquement -je pense que là il y aura une petite
bataille- qu'il y ait vraiment un jury mixte pour délivrer cette
unité de valeur, justement pour éviter les déviations que
vous avez évoquées tout à l'heure.
Où ces stages peuvent-ils se situer ? Ils peuvent se situer en premier
cycle ou en deuxième cycle. Ce qui est nécessaire, c'est de faire
en sorte que les étudiants qui veulent s'engager dans cette unité
de valeur puissent effectuer le reste du cursus d'une manière plus
intensive. La semestrialisation va permettre de réaliser cet objectif.
A Marne-la-Vallée nous avons même institué un
système pour le premier cycle de trois fois 14 semaines,
c'est-à-dire qu'un étudiant brillant peut faire son DEUG en un an
et trois mois. Il le termine en décembre, ce qui lui permet d'accomplir
un semestre pré-professionnel.
Cela peut prendre la forme d'une unité de valeur à option.
L'étudiant aura le choix entre N unités de valeur et il pourra
choisir une unité de valeur en option comme une unité de valeur
dans un domaine différent. Certaines universités pourront
préciser -c'est leur autonomie- qu'il s'agira d'une mention
particulière de licence. Pour ma part cela ne me choquerait pas qu'il y
ait des maîtrises d'histoire comportant une première
expérience professionnelle.
On ne peut pas anticiper toutes les situations, et donc le jeu est
extrêmement ouvert.
M. le Président -
Non pas pour répondre à Jacques
Valade mais pour aller dans le même sens que lui, j'ai constaté
que le ministre de l'éducation nationale avait annoncé qu'il
pourrait inclure ses propositions en ce domaine-là dans l'ensemble de la
réforme issue des états généraux de
l'université.
Qu'en pensez-vous, M. le Président ?
M. Daniel Laurent -
Je pense que c'est tout à fait concevable.
M. le Président -
Cela apporterait la cohérence
souhaitée par Jacques Valade, parce qu'effectivement, soit cela reste
une initiative limitée, qui peut avoir certains effets, soit c'est une
chance nouvelle et un élément d'une véritable politique.
M. Jacques Valade -
Je crois qu'il faut l'authentifier, sinon cette
initiative restera limitée.
M. le Président -
Il me semble que c'est au ministre de
l'éducation nationale à le faire.
M. le Président, merci de nous avoir apporté votre
expérience, votre compétence et aussi votre conviction. Nous y
sommes sensibles.
M. Laurent -
Merci de votre accueil.
II. M. JEAN-JACQUES BRIOUZE
SECRÉTAIRE NATIONAL
CHARGÉ DE LA FORMATION À
LA CONFÉDÉRATION
FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT CGC
________
M. le Président -
J'accueille maintenant M.
Jean-Jacques Briouze, qui est secrétaire national chargé de la
formation à la Confédération française de
l'encadrement CGC, et à ce titre je pense qu'il a suivi et qu'il
continue à suivre, le dossier dont nous nous occupons.
M. le Secrétaire national, nous venons de recevoir M. Daniel Laurent.
Je vais donc vous passer la parole.
M. Jean-Jacques Briouze -
Merci M. le Président. Je salue
l'ensemble des sénateurs ici présents.
Il s'agit donc du stage diplômant, c'est bien cela ?
M. le Président -
Oui, dit stage diplômant.
M. Jean-Jacques Briouze -
Je pense que l'intitulé connaîtra
peut-être quelques changements ultérieurement, si cette formule
venait à se mettre en place.
Pour notre organisation, il y a un principe auquel nous tenons, c'est de
permettre au maximum pendant le temps de la formation universitaire le contact
avec le monde de l'entreprise, c'est-à-dire que nous souhaitons que
puisse se développer, dans le cadre de l'ensemble des formations, la
possibilité pour les étudiants de rencontrer le monde
économique et de ne pas être complètement coupés de
celui-ci au moment où ils quittent l'université avec un
diplôme en poche.
Le point qui nous préoccupe aujourd'hui ne concerne pas les formations
professionnelles, c'est-à-dire que je n'évoquerai pas dans mon
propos les BTS, les IUT, les IUP et les DESS, puisque là existent
déjà un certain nombre de dispositions permettant la rencontre
effective avec le monde du travail et de l'entreprise.
Ceci dit, je ne les évoque pas, mais nous devons, par rapport à
ce qui nous préoccupe aujourd'hui, les avoir en tête, parce que si
nous voulons mettre en place une rencontre au niveau des formations
générales et des entreprises, il ne faut pas oublier que cela
peut avoir des incidences sur les possibilités de stages pour les autres
formations supérieures.
Donc je crois qu'il faut que dans cette affaire nous soyons prudents, et c'est
pour cela que j'évoquerai tout à l'heure, plutôt que de
lancer cette opération tous azimuts, l'idée d'une
expérimentation.
Quel intérêt voyons-nous à la proposition que je
qualifierai de "proposition de M. Didier Pineau-Valencienne",
proposition qui
se limite aujourd'hui aux quatre premières années de
l'université, puisqu'il semble que le champ d'intervention se soit
restreint au fur et à mesure que les discussions avançaient. Il
s'agit bien de stages dans les cursus universitaires, qui sont toujours
conduits sous la responsabilité de l'université. Il serait
possible, pour atteindre la durée à laquelle tient le patronat,
à savoir neuf mois, de faire éventuellement un semestre de stage
pendant les deux premières années d'université, et un
semestre pendant les années licence-maîtrise, ce qui
représente deux fois quatre mois et demi dans l'état actuel du
dispositif.
Vous savez que pour les partenaires sociaux, et en particulier notre
organisation, il convenait ne pas établir un sas supplémentaire
entre le diplôme et la mise en emploi dans une entreprise,
c'est-à-dire qu'on ne voulait pas renouveler l'expérience du CIP
qui était un contrat de travail.
Il ne s'agit pas là de contrat de travail, mais d'un stage. Il y aura
une convention passée entre l'université, l'entreprise et
l'étudiant, portant sur un projet défini, avec un tutorat en
entreprise et un suivi ou une " guidance " assuré(e) par les
enseignants de l'université.
Validation partagée entre l'université et les professionnels : je
sais que cette question soulève un certain nombre de critiques et
d'interrogations, mais je dirai qu'elle se pratique fréquemment.
Je suis, pour ma part, issu du milieu social, et je citerai l'exemple des
formations d'éducateur spécialisé qui comportent des jurys
composés à parité d'enseignants, d'universitaires, de
formateurs, et de professionnels, le diplôme étant
délivré par l'enseignement supérieur.
Donc cela fonctionne déjà et il n'y a rien de scandaleux à
l'adapter et à le mettre en place éventuellement pour la
validation des stages semestriels.
La question de la rémunération ensuite : selon le patronat il n'y
a pas de rémunération, et en ce qui nous concerne nous
préférons aussi cette approche, parce qu'il ne s'agit pas de
contrat de travail mais de stage intégré dans la formation
universitaire.
En revanche, qu'il y ait une indemnisation correcte des stagiaires me
paraît normal. Reste à en déterminer le montant. Il faut
que cela puisse au moins couvrir tous les frais inhérents à cette
mise en situation particulière, qui éloigne l'étudiant de
son milieu habituel.
Nous avons eu l'impression que le patronat était prêt à
faire un effort dans ce domaine-là.
Cela dit, je parle du patronat mais dans notre esprit, en tout cas en ce qui
concerne la CGC, nous ne limiterions pas ces stages au monde de l'entreprise
concurrentielle. Il faut savoir que les jeunes peuvent aller travailler aussi
dans des administrations, dans des associations à but non lucratif, et
je crois qu'il faut aussi leur permettre la rencontre de ce monde-là
lors de leurs études.
Au niveau des PME/PMI, un certain nombre de régions, trois à ma
connaissance - quand je parle de régions il s'agit des conseils
régionaux - Champagne-Ardenne, Pays de Loire et Franche-Comté,
semblent vouloir s'engager dans une aide à la mise en place de ce
dispositif, en particulier une aide sous forme de soutien aux PME/PMI qui
voudraient bien accueillir de jeunes étudiants.
Compte tenu de ces éléments, de ce que j'évoquais comme
difficultés par rapport aux autres formations professionnelles de
l'enseignement supérieur, de la "révolution culturelle" que
constituerait en particulier une " covalidation " avec les
professionnels et l'université d'un temps de formation universitaire, je
crois que dans ce domaine nous devons avancer avec prudence ; c'est pour
cela que nous ne sommes pas favorables à une formule contraignante :
nous préférons nettement la formule du volontariat au niveau des
partenaires, c'est-à-dire université, entreprise, voire conseil
régional, et l'expérimentation de ces possibilités, tout
en sachant qu'un certain nombre de problèmes d'ordre pédagogique
sont posés qu'il convient de creuser.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je tenais à vous dire
d'emblée.
M. le Président -
Nous vous en remercions et nous allons vous
poser des questions.
M. André Maman -
J'ai écouté avec beaucoup
d'attention l'intervention de M. Briouze.
Vous dites : on se limitera aux quatre premières années
universitaires, mais est-ce qu'il y a un moment privilégié ?
Qui va décider du moment où le stage diplômant peut
être fait par l'étudiant ?
Neuf mois séparés en deux, cela me semble très bien.
Il ne s'agit pas d'un contrat de travail. Je suppose que vous dites cela pour
éviter les réactions du monde du travail, mais c'est
peut-être jouer sur les mots : ce n'est pas un contrat de travail, mais
il y a une convention.
La formule du double tutorat me paraît intéressante. Est-ce que
ces tuteurs vont se concerter ? Est-ce que les tuteurs en entreprise et les
enseignants vont se consulter en disant : ce jeune homme ou cette jeune fille
travaille bien, ou ne correspond pas tout à fait ce que nous attendons ?
J'aimerais avoir des précisions sur ce point.
L'évaluation partagée m'apparaît souhaitable, quant au fait
qu'il n'y ait pas rémunération mais indemnisation, là
encore, je crois qu'on joue un peu sur les mots.
Sur l'aide apportée aux PME par les trois conseils régionaux
évoqués, je n'ai pas très bien compris en quoi elle
consistait. J'aimerais une précision à ce sujet.
M. Ivan Renar -
Je voudrais savoir si la CGC a élaboré,
pour prendre un terme générique, une plate-forme sur l'ensemble
de ces questions.
Pourriez-vous aussi nous donner des précisions sur les réactions
de l'encadrement à ce projet ? Vous les avez rapportées pour
une part, puisque vous avez émis des appréciations prudentes,
mais comment réagit l'encadrement sur ces stages qui seront à
l'origine d'un surcroît de travail ?
Je vous demanderai également si le fait d'accueillir des stagiaires de
longue durée de cette façon-là ne constitue pas un danger
pour le recrutement de jeunes diplômés ; je vais même plus
loin, étant donné qu'on aura des jeunes qui seront là pour
une longue durée : est-ce qu'il n'y aura pas une tentation
permanente de les utiliser à autre chose qu'un stage dans le cadre du
cursus universitaire, et donc, de freiner l'embauche de jeunes
diplômés ?
Au niveau de l'indemnisation, est-ce que vous ne pensez pas que le montant
évoqué, c'est-à-dire moins de 2 000 F, n'est pas non plus
une bonne formule d'entrée dans la vie active, en particulier pour des
jeunes qui vont devenir des responsables de l'encadrement ? Est-ce que ce n'est
pas aussi, de façon indirecte, exercer une pression sur l'avenir des
salaires, c'est-à-dire qu'on "lime les dents" aux jeunes dès le
départ ?
Je dis cela parce que je suis obligé de constater que le problème
des jeunes à notre époque est quand même celui de la
précarisation de l'emploi sous des formules diverses.
En ce qui concerne les conseils régionaux, là aussi se pose un
problème, parce que s'ils ont compétence dans le domaine de la
formation professionnelle, ils ne l'ont pas dans le domaine de l'enseignement
supérieur.
Est-ce qu'il n'est donc pas opportun d'expérimenter ces stages avec
toutes les précautions qui s'imposent ?
M. Robert Castaing -
Je pose une simple question pour reprendre ce que
vient de dire Ivan Renar : qui va déterminer les programmes de ces
stages ? Est-ce que cela va être le ministère ou les jurys mixtes
? Puisque tout le monde s'interroge, justement, sur ce qu'on va demander aux
stagiaires, quand et comment seront définis les programmes ?
M. Ambroise Dupont -
En complément de tout ce qui vient
d'être excellemment dit, ma question est de savoir quelle est
l'efficacité de stages de quatre mois et demi au regard d'une
véritable insertion dans la vie professionnelle. Est-ce que cela se fera
dans la même entreprise et comment insèrera-t-on ces stages dans
le cours des années universitaires ?
Si on propose deux fois quatre mois et demi, je l'imagine bien, c'est pour
mieux les insérer dans les cursus universitaires, mais ce fractionnement
des stages me paraît peu crédible pour les entreprises.
M. Daniel Eckenspieller -
Ma question sera très brève,
mais je pense que la fonction que vous occupez au sein de votre organisation
vous permet d'y répondre : puisque les stages existent pour toutes les
filières universitaires professionnelles, est-ce qu'on a une idée
du nombre de personnes qui ont trouvé un emploi dans l'entreprise dans
laquelle ils étaient stagiaires grâce aux contacts qui se sont
noués au cours du stage ?
On peut penser, lorsque quelqu'un a été accueilli dans une
entreprise -c'est déjà un signe favorable- que cela peut
déboucher sur une embauche pérenne.
M. Jean-Pierre Camoin -
J'ai l'impression que lorsque l'on parle de ces
stages validants, vous avez d'ailleurs employé les termes de "projet de
Didier Pineau-Valencienne", on parle surtout des grandes entreprises.
Est-ce qu'il est possible d'envisager que des PME/PMI offrent des stages de
même type et est-ce qu'il existe un courant favorable dans ce type
d'entreprise pour de tels stages ? Est-ce que vous avez l'expérience
d'une telle demande ?
Enfin, et ma deuxième question rejoint la première, est-ce qu'on
a évalué le nombre d'étudiants qui seront concernés
par ces stages et la capacité qu'ont les entreprises de les accueillir ?
M. le Président -
Je vais vous passer la parole mais je
souhaiterais ajouter deux questions.
Tout d'abord, vous avez insisté sur une prudence nécessaire et
vous avez parlé d'expérimentation. Pouvez-vous nous en dire un
peu plus sur ce que vous entendez par là et sur le contenu que vous
donneriez à ce mot ?
Tout à l'heure un de nos collègues a parlé d'insertion
dans les entreprises. Est-ce que les stages tels qu'ils sont envisagés
sont des stages d'insertion ? Ne sont-ils pas plutôt autre chose ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Je vais essayer de répondre aussi
précisément que possible à vos questions.
Il se peut qu'en répondant à certains points je réponde
à plusieurs personnes en même temps.
Je commencerai par la question du Président, parce qu'elle me
paraît être une question qui englobe l'ensemble du problème,
à savoir celle de la prudence et de l'expérimentation.
L'ensemble des questions que vous vous posez, nous nous les posons aussi.
Effectivement, à partir du moment où ce projet est apparu dans la
presse, puisque c'est par la presse que nous avons été
informés du projet de celui qui allait devenir président de la
commission sociale du CNPF, nous nous sommes beaucoup interrogés ;
au fur et à mesure que nous imaginons ce que peut être ce
dispositif, il s'avère qu'il faut effectivement être prudents,
d'abord pour des raisons culturelles ou d'habitudes, parce que
l'université a un certain type de traditions de fonctionnement qu'il
serait mauvais, me semble-t-il, de brutaliser.
Que cela évolue, c'est nécessaire, mais de là à
vouloir brutaliser notre enseignement supérieur, cela ne nous
paraît pas une bonne méthode. Je crois que cette formule doit
être expérimentale pour attirer des volontaires, à partir
d'un projet clairement défini et en mettant en place une structure
d'évaluation ; ce n'est pas le tout de faire
l'expérimentation, encore faut-il se donner les moyens
d'apprécier ce qu'a été cette expérimentation ...
M. le Président -
Et l'évaluation pourrait être
faite au terme d'une année, par exemple ?
M. Jean-Jacques Briouze -
D'une année ou de deux ou trois ans,
parce que je crois que dans ce domaine de l'éducation ou de la
formation, il est quand même risqué d'avoir des périodes
trop courtes, ce qui conduit parfois à des changements de dispositifs
successifs.
Je crois que nous en souffrons beaucoup, et nous ne tenons pas à ce que
cela se reproduise dans ce type d'essai, sinon on risque, par manque de
durée suffisante, d'obtenir une évaluation erronée de
l'expérience.
Il ne s'agit pas de stages d'insertion dans l'entreprise, ces stages-là
sont ailleurs ; il s'agit de permettre, au moment de la formation
universitaire, une rencontre avec le monde économique qui
s'intègre dans le cursus universitaire.
Je vais donner un exemple qui est un peu théorique : si nous avions un
DEUG social, c'est-à-dire un DEUG qui prépare les futurs
assistants sociaux, les futurs éducateurs spécialisés, les
futures conseillères en économie sociale et familiale, les futurs
animateurs socio-culturels, il m'apparaîtrait judicieux que pendant les
deux premières années, nous puissions avoir à la fois des
enseignements qui permettent d'acquérir les concepts et la
méthodologie des champs théoriques, commencer un travail sur la
méthodologie de recherche et d'analyse des pratiques ; ceci
permettrait aux étudiants qui se destinent à ces professions
diverses d'être en contact avec des entreprises qui utilisent des
éducateurs spécialisés, qui utilisent des assistantes
sociales, et même parfois avec des entreprises où il n'y en pas,
pour qu'ils puissent utiliser un semestre universitaire à mieux
élaborer, par exemple, leur futur projet professionnel.
Le problème de fond qui se pose aujourd'hui c'est de bien savoir qui a
la maîtrise de ces stages.
Il y a eu un certain nombre de questions sur ce thème.
Pour ma part, je crois que les modalités de tutorat interne et externe,
interne c'est-à-dire dans l'entreprise -on commence à avoir
l'habitude de ce qu'est le tutorat d'entreprise puisqu'il y a plusieurs
systèmes qui l'utilisent- et le tutorat-guidance de l'universitaire,
doivent être définies dans la convention qui va lier
l'université, les entreprises recevant les jeunes et l'étudiant.
Cette convention définit le projet, c'est-à-dire ce que va faire
cet étudiant dans cette entreprise afin de se former, afin de pouvoir
acquérir des connaissances dans le monde économique qui puissent
être validées dans son cursus universitaire ; dans cette
même convention on va définir les modalités
concrètes et pratiques d'aide à cet étudiant.
Selon nous il vaut mieux que cela reste sous la responsabilité de
l'université. Puisqu'il s'agit d'un temps de formation c'est
l'université qui doit rester maître du jeu, mais en partenariat
avec les entreprises, en partenariat avec le tuteur dans l'entreprise.
Dans cette convention seront définies également les
modalités d'indemnisation du stage ; là dessus, l'un de vos
collègues a dit qu'on jouait sur les mots entre
"rémunération" et "indemnisation" et entre
"stage" et contrat",
mais je crois que pour nous c'est clair, on ne peut pas parler de
rémunération. Pourquoi ? Il s'agit bien là d'un jeune qui
reste sous statut étudiant.
En revanche, le fait qu'on " externalise " cet étudiant du
site universitaire entraîne un certain nombre de conséquences
d'ordre économique qu'il me paraît judicieux de couvrir, et tout
cela doit être défini, là aussi, dans le cadre de la
convention, de manière à ce que le jeune ne soit pas
pénalisé.
M. le Président -
Je voudrais sur ce point vous poser une
question que me suggère votre propos : est-ce que vous considérez
que l'indemnisation doit être forfaitaire, et la même pour tous, ou
est-ce qu'elle peut tenir compte de la situation réelle du jeune,
peut-être sa situation sociale mais surtout les difficultés que
crée cette externalisation dont vous parlez, qui ne sont pas les
mêmes si l'étudiant habite à 300 mètres de
l'entreprise que s'il habite à 50 km ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Pour notre part, nous souhaiterions qu'elle
soit variable en fonction des contraintes réellement rencontrées,
ce qui pose peut-être des problèmes, mais cela nous paraît
plus judicieux, et c'est aussi l'occasion pour un étudiant de commencer
à négocier avec des partenaires un certain nombre
d'éléments.
Sur l'évaluation, je crois que le système doit être
suffisamment cadré, d'une manière connue de tous, et presque
réglementé ; les critères doivent au moins être
définis dans le cadre du fonctionnement de l'université, parce
qu'on ne peut pas se permettre d'avoir des évaluations variables, qui
risqueraient d'être mises en cause ensuite.
A mon avis le processus d'évaluation et de certification doit être
suffisamment transparent, bien établi, officiellement affiché et
porteur en soi de valeurs. Il ne faut pas un système d'évaluation
à géométrie variable, ce qui conduirait à
hypothéquer sa valeur.
Je ne peux pas aujourd'hui vous répondre dans le détail parce que
je crois que nous avons encore à travailler avec les universitaires et
avec les associations étudiantes sur ce thème. Je ne
réponds là que sur des options et des grandes lignes.
L'efficacité de la durée des stages, de quatre mois et demi :
c'est vrai que ce sont des périodes courtes, mais tout dépend de
l'objectif recherché, parce qu'en quatre mois et demi on peut faire
beaucoup de choses.
Est-ce que cela va être quatre mois et demi totalement en entreprise ?
Pas nécessairement, c'est-à-dire que les quatre mois et demi de
stage pourront inclure peut-être, une semaine de regroupement à
l'université pour faire le point, et pour assurer le suivi par
l'université de ce qui se passe pendant cette période de
formation.
Ce n'est effectivement pas la même chose qu'une expérience
professionnelle de longue durée.
Sur la crédibilité de ce dispositif auprès des employeurs.
Ce sont eux qui nous ont proposé ce dispositif, et donc j'ose
espérer que leurs responsables, au moins le CNPF, et je pense que
là il faut faire confiance aux propos de M. Didier Pineau-Valencienne,
pensent que cela peut au moins constituer une "carte de visite" pour
l'étudiant. Lorsqu'on a fait une maîtrise avec deux semestres de
stage, bien évidemment on n'est pas prêt à aller travailler
dans l'entreprise, cela ne remplacera jamais la formation professionnelle, mais
c'est un "plus" qui apparaîtra sur la "carte de visite" de
la personne
qui ira chercher un emploi. Au moins on pourra apprécier si, dans sa
rencontre avec le monde de l'entreprise, l'étudiant a pu orienter sa
formation et prendre en charge cette formation, et ce sont là des
données qui nous paraissent intéressantes.
M. Ambroise Dupont -
S'agira-t-il de la même entreprise pour la
totalité du stage ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Avec un semestre, il est difficile de
multiplier les entreprises ; pour nous c'est la même entreprise
pendant quatre mois et demi.
Pour le semestre suivant, ce ne serait nécessairement la même
entreprise, mais cela pourrait être la même ; tout
dépend du projet et de ce qu'il apporte au jeune dans sa formation
universitaire. Je pense que les conseils des universitaires sont importants en
ce domaine, et peuvent susciter une discussion entre les enseignants et les
étudiants qui parfois n'a pas lieu.
Les conseils régionaux : c'est dans le cadre de notre entretien avec
M. Didier Pineau-Valencienne qu'a été évoqué
l'engagement futur des trois conseils régionaux que j'évoquais
tout à l'heure, à savoir Champagne-Ardenne, Franche-Comté
et Pays de Loire.
Je crois que l'objectif de ces conseils régionaux est de permettre
l'expérimentation des stages justement, dans le cadre des PME, parce que
les grandes entreprises prennent déjà beaucoup de
stagiaires ; c'est vrai que certaines PME voudraient le faire mais n'en
ont pas les moyens, parce que l'encadrement y est réduit, qu'il faut
répondre aux commandes, aux nécessités de la production,
et que dans certaines entreprises, consacrer du temps à la formation, ce
n'est pas possible.
C'est la même chose pour le développement de la formation
professionnelle continue dans les PME.
Si l'on veut que 80% ou 90% du tissu économique puissent participer
à cette expérimentation, il faut qu'il y ait une aide
particulière pour les PME. Cela me paraît indispensable et c'est
l'intérêt que je voyais à l'initiative des conseils
régionaux en la matière, qui n'interviendraient pas directement
dans la formation des étudiants mais qui aideraient les entreprises
à participer à cette expérimentation.
M. le Président -
M. Renar voudrait intervenir.
M. Ivan Renar -
Oui, parce qu'en vous entendant les questions me
viennent.
Est-ce que la durée des stages ne risque pas d'avoir des
conséquences perverses sur l'embauche de diplômés ?
D'autre part, est-ce que cela ne poussera pas les entreprises - autre effet
pervers - à recruter éventuellement directement chez les jeunes
stagiaires ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Sur le dernier point, aujourd'hui si quelqu'un
arrête ses études à un moment donné parce qu'il
estime qu'il a un emploi et que cet emploi l'intéresse, je crois qu'il
fait un bon choix.
M. Ivan Renar -
Votre réponse renvoie à la situation de
l'emploi, mais il est vrai qu'à 20 ans, on accepte plus facilement
certaines offres qu'à 22, 23 ou 24 ans, et c'est pour cela que je parle
d'effet pervers.
M. Jean-Jacques Briouze -
Il y a un autre chantier que l'on n'a pas
évoqué aujourd'hui, parce que ce n'est pas dans notre propos,
c'est celui de la formation tout au long de la vie, sur lequel se penche le
ministre du travail.
Au lieu d'études longues ne garantissant pas une embauche, je
préférerais qu'on ait un un bac + 2, un bac + 4, un bac + 5, avec
une garantie d'emploi au bout et que l'on permette à ces
diplômés de retourner en formation ultérieurement pour
pouvoir accroître leurs compétences et améliorer leur
statut socio-économique.
Je crois que c'est beaucoup plus dans ce sens-là qu'il faut que nous
allions, c'est-à-dire ne pas allonger à l'excès la
première période de formation de la vie, avec ensuite
l'impossibilité de continuer à se former dans le cadre du travail
et puis d'arriver au temps de la retraite, le temps en entreprise se
réduisant de plus en plus.
Est-ce qu'on ne pourrait pas introduire un peu plus de souplesse dans cette
organisation et faire en sorte que les curseurs puissent évoluer de
chaque côté ?
Pour répondre précisément à votre question
concernant le risque de concurrence entre les stagiaires étudiants et
les jeunes diplômés, je pense que ce risque est limité,
parce que les stages concernent des étudiants qui ne sont pas encore en
mesure d'exercer une activité professionnelle avec un diplôme
reconnu, et que les entreprises ont envie d'avoir des gens performants.
Certaines seront peut-être tentées de " limiter la
performance " et d'enfermer les stagiaires sur un créneau
donné ; c'est effectivement un risque, mais il est à mon avis
mineur par rapport à l'intérêt que peut présenter
l'expérimentation de la formule.
M. Ivan Renar -
Vous utilisez le terme "performance", mais tout
dépend du contenu que l'on donne à ce terme, parce que ce qui me
frappe dans les entreprises, mais cela n'échappe pas aux employeurs,
c'est quand même l'impasse qui est faite sur le potentiel en
matière grise d'un certain nombre d'entreprises, avec les
conséquences qui en résultent à long terme pour l'emploi
des jeunes.
M. Robert Castaing -
Quels seront les critères
d'évaluation ? Je me souviens que dans les IUFM, on a fait les
premières années tout et son contraire, et que cela a même
failli déstabiliser ces nouvelles structures.
Comme je suis un pragmatique, je me demande s'il va y avoir quelques
règles pour définir le contenu de ces stages, sinon, comme vient
de le dire Ivan Renar, on risque de faire faire n'importe quoi.
C'est pour cela que je soulève la question des programmes.
M. Jean-Jacques Briouze -
Je n'ai effectivement pas répondu
à la question des programmes.
Je pense que la convention qui va définir le projet doit s'inscrire dans
une conception globale de la formation définie par l'université,
parce qu'il ne s'agit pas, effectivement, de partir tous azimuts. Il ne s'agit
pas non plus de bouleverser le fonctionnement de l'université.
Je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément
puisque nous n'avons pas encore suffisamment travaillé avec
l'enseignement supérieur sur ce sujet.
M. le Président -
Est-ce que vous accepteriez que ces stages
soient ouverts à des jeunes qui sont en deuxième cycle
universitaire ?
M. Jean-Jacques Briouze -
En licence et en maîtrise ?
M. le Président -
Oui.
M. Jean-Jacques Briouze -
Oui.
M. le Président -
C'est ou le premier cycle ou le deuxième
cycle ?
M. Jean-Jacques Briouze -
L'idée c'était qu'il y avait un
semestre en premier cycle et un semestre en deuxième cycle.
M. le Président -
C'est-à-dire que les deux semestres dont
vous parlez, c'est un en premier cycle et un en deuxième cycle ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Oui, parce qu'il est difficile d'avoir deux
semestres sur un seul cycle.
M. le Président -
Pour vous, quel doit être le ministre
responsable de ce dossier ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Dans ce contexte, pour nous le ministre
responsable est le ministre en charge de l'université.
M. le Président -
Mais il n'empêche, vous l'avez
souligné vous-même, que ce dossier a des liens avec un autre
dossier, celui de la formation tout au long de la vie, que Jacques Barrot a en
charge.
M. Jean-Jacques Briouze -
J'espère qu'au niveau du gouvernement
les ministres se parlent !
M. le Président -
On peut l'espérer en effet !
M. André Maman -
Je n'avais pas compris que les deux semestres ne
se succédaient pas nécessairement. Est-ce que le candidat devra
déposer à nouveau sa candidature ?
S'il commence son stage à l'issue d'un an et demi d'université,
pourra-t-il continuer son stage au bout de trois ans et demi
d'études ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Si quelqu'un a un DEUG, il a souvent plusieurs
options après son diplôme, et donc on ne peut pas a priori avoir
le même type de stage et la même organisation en fonction des choix
des étudiants. Nous préférons leur laisser une certaine
liberté.
De toute façon, cela doit être organisé avec
l'université en prenant en compte à chaque fois deux
années ; il y a des cycles universitaires et c'est bien à
l'intérieur de ces cycles que doit être conçu ce stage en
entreprise.
M. André Maman -
Cela multiplie les difficultés. Cela
veut-il dire que le candidat va être obligé de se remettre en
question et de retrouver un tuteur ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Non. A partir du moment où
l'université s'engage, l'étudiant dispose d'une aide pour trouver
une entreprise. L'objectif c'est de rapprocher l'université du monde
économique, comme cela s'est passé entre les proviseurs de
lycée professionnel et les entreprises environnantes ; les contacts
se sont traduits par une meilleure connaissance réciproque des deux
mondes. Je crois que l'université a une responsabilité
particulière pour développer son propre réseau
d'entreprises.
Cela se passe souvent dans les cycles de DESS, où les
départements universitaires établissent un réseau avec un
certain nombre d'entreprises.
Enfin, je ne suis pas en mesure de répondre à la question
concernant le nombre d'étudiants susceptibles d'être accueillis en
stage.
M. Daniel Eckenspieller -
J'avais bien compris que ce n'était pas
une mesure d'insertion. Simplement on constate que les gens qui font un stage
en entreprise nouent des contacts, et cela m'aurait intéressé de
savoir quelle était la fréquence de ceux qui sont
ultérieurement embauchés par la même entreprise.
M. Jean-Jacques Briouze -
Nous ne disposons pas, en ce qui nous
concerne, de données chiffrées en la matière.
M. le Président -
L'intérêt de la formule est tout
de même aussi d'organiser les stages et de rendre leur organisation moins
aléatoire, puisque les entreprises les proposent, les universités
les co-organisent, et cela met en effet, comme l'a fait remarquer un
précédent intervenant, les étudiants sur un pied
d'égalité.
M. André Maman -
Est-ce qu'il y aura un professeur responsable
des stages dans chaque université ?
M. Jean-Jacques Briouze -
Je ne peux pas vous répondre, mais ...
M. André Maman -
Je n'ai pas pensé à poser la
question à M. Laurent, mais il va bien falloir que quelqu'un
centralise tout cela.
M. Jean-Jacques Briouze -
Mais je dirai que cet entretien m'aura
peut-être servi encore plus qu'il ne vous aura servi à vous !
M. le Président -
Merci beaucoup.
M. Arnaud HUREL
Délégué
national de l'Union nationale universitaire (UNI)
________
M. le Président -
Nous recevons maintenant une
délégation de l'UNI constituée de M. Arnaud Hurel,
délégué national, qui est accompagné de
M. Arnaud Legros.
Vous connaissez notre sujet, ce sont les stages que l'on a appelés
"stages diplômants", mais il paraît qu'ils ne le sont plus, du
moins que la dénomination ne leur convient pas tout à fait.
Nous allons d'abord vous écouter, nous aurons ensuite des questions
à vous poser, et cela ouvrira un dialogue je l'espère fructueux.
M. Arnaud Hurel -
Votre préambule est intéressant puisque
c'était notre propos que de rappeler qu'on parlait il y a encore
quelques jours de stages diplômants et qu'à l'heure actuelle les
termes utilisés sont un peu différents.
Je crois que depuis le 12 décembre 1996, quand pour la première
fois le président de la République a évoqué le
principe de stage diplômant, tout et son contraire ont été
dit ; par le biais des médias, nombreux sont ceux qui sont
intervenus sur le sujet et se sont sentis habilités à
émettre un avis et à faire de nombreuses remarques.
Or, on est bien obligés de constater qu'il n'existe à notre
connaissance aucun texte officiel émanant tant du ministère de
l'éducation nationale que du CNPF. Il y a eu une annonce faite par le
président de la République, une notion évoquée mais
un " vide " quant au contenu.
Je crois qu'il faut tout de même évoquer l'attitude qu'a pu avoir
l'ancien administrateur provisoire de l'université de
Marne-la-Vallée dans cette affaire, c'est-à-dire M. Daniel
Laurent, qui s'est empressé de donner un contenu très personnel
à cette idée de stage diplômant.
M. le Président -
Nous avons entendu M. Laurent tout à
l'heure.
M. Arnaud Hurel -
Il sait ce que nous pensons de son opération,
nous le lui avons dit de vive voix !
Il a donné un contenu qui, en fait, n'engageait que lui mais en aucun
cas le CNPF ni même la communauté universitaire. C'est cette
petite note de quatre pages qu'il avait intitulée "Unité de
valeur, première expérience professionnelle sous statut scolaire"
qui finalement a mis, selon nous, le feu aux poudres.
Cette note a d'ailleurs été abusivement attribuée au CNPF
puisque nous avons rencontré le responsable de la commission formation
du CNPF très tôt après l'annonce faite par le
président de la République, et qui nous a expliqué qu'il
n'existait strictement rien de définitif, simplement des pistes de
réflexion ; d'où notre surprise lorsque, peu de jours
après, nous avons vu que tout le monde avait un avis sur la question.
L'idée de stage diplômant nous semble bien évidemment
intéressante, l'expression même peut être séduisante,
mais je crois que des déclarations récentes émanant de M.
Didier Pineau-Valencienne n'ont fait que semer encore un peu plus le trouble
dans les esprits.
Donc nous ne retiendrons, en ce qui concerne l'UNI, que les déclarations
de M. Gandois, qui nous semblent un peu plus proches de la
réalité et sans doute moins excessives.
Je crois que tout le monde admet, ce qui n'était pas encore le cas il y
a quelques années, voire quelques mois, la nécessité
d'intégrer dans les cursus universitaires des stages, des
premières expériences professionnelles. M. Gandois parle
également d'une culture d'entreprise qu'il convient de donner aux
étudiants, ce qui nous semble une très bonne chose, parce que
pendant de trop nombreuses années l'université est restée
fermée aux partenaires de l'extérieur, mais il ne faut pas pour
autant se tromper d'objectif final : je crois que la finalité du stage
n'est pas de trouver un emploi mais de faciliter une recherche future d'emploi.
L'étudiant en stage est comme un apprenti, et ce n'est pas parce que ce
dernier fait son apprentissage dans une entreprise donnée que pour
autant cette entreprise aura l'obligation de l'embaucher à l'issue de
cette période d'apprentissage.
Il convient donc de faciliter la recherche future d'emploi par une
première expérience professionnelle, et le stage, pour ce qui
concerne l'étudiant, n'est pas une pré-période d'essai
avant une hypothétique embauche définitive.
A l'heure actuelle je crois qu'il faut revenir tout de même sur ce qui
existe, puisqu'il y a un système qui existe en ce domaine ; je
crois que l'on va vers un système tout de même beaucoup plus
efficace.
Il existe des stages d'observation, qui sont une aide à l'orientation et
qui sont essentiellement destinés aux lycéens, des stages de
séquence éducative qui s'adressent aux jeunes préparant un
BEP, un CAP ou aux apprentis pour leur donner un premier contact avec
l'entreprise, des stages de formation alternée, relevant du secondaire
ou du supérieur ; pour prendre un exemple, à l'ESSEC
maintenant 25% des promotions se font sous forme d'apprentissage, donc
l'enseignement supérieur est en train de découvrir ce type de
cursus, et certains stages y sont obligatoires.
Dans l'enseignement supérieur, les stages obligatoires concernent
évidemment de nombreux diplômes, puisque cela va du BTS et du DUT
jusqu'au DESS en passant par les diplômes des grandes écoles, mais
ces stages, parce que, justement, ils font l'objet d'une double validation par
l'entreprise et par l'établissement d'enseignement supérieur, et
parce qu'ils conditionnent également l'obtention du diplôme, sont
par définition des stages diplômants. Les stages obligatoires de
l'enseignement supérieur sont des stages diplômants, ils existent
à l'heure actuelle. Donc ce n'est pas une idée nouvelle.
L'idée est nouvelle pour les étudiants des filières dites
générales, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas astreints
à effectuer une partie de leur cursus en entreprise.
Les stages obligatoires dans l'enseignement supérieur sont les seuls qui
bénéficient d'un conventionnement automatique.
Dans le cas contraire, c'est-à-dire pour l'étudiant d'une
filière générale qui désire effectuer un stage,
celui-ci va d'abord essayer de trouver une entreprise d'accueil -soit son
service d'information et d'orientation lui propose des stages, soit il en
trouve un par lui-même- et ensuite il lui appartient d'obtenir de son
établissement d'enseignement une convention qui sera signée par
l'établissement, et par l'entreprise.
Donc c'est un parcours du combattant qui s'impose à l'étudiant
qui veut absolument faire un stage ; quel est l'intérêt de
cette convention de stage ? C'est que lorsque l'étudiant est
rémunéré, il conserve bien évidemment son statut
universitaire, et lorsque la rémunération est inférieure
à 30% du SMIC il n'y a ni charges patronales ni cotisations
versées par l'étudiant ; de plus ces indemnités ne sont
pas imposables pour l'étudiant et pour ses parents s'il figure encore
sur la feuille d'impôt familiale.
Certaines universités sont très en retard, pour des raisons
administratives ou parfois idéologiques, d'autres sont au contraire
très en pointe et disposent de services de recherche de stages
particulièrement pointus.
En définitive, à l'UNI, nous pensons que le défi n'est pas
tant de définir de nouvelles formes de stages qui pourraient être
proposés aux étudiants que de continuer à adapter le
système existant.
Nous pensons que l'idée de généraliser des stages longs
qui seraient strictement réservés aux jeunes
diplômés est dangereuse. Nous retombons, avec ce genre de
proposition, sur une autre formule malheureuse qui est celle du CIP d'il y a
quelques années, c'est-à-dire inciter un étudiant
diplômé à effectuer un stage jusqu'à neuf mois en
entreprise, alors qu'il est censé être déjà, par
définition, armé pour trouver un emploi. On serait dans une
situation tout de même paradoxale.
Prenons l'exemple d'étudiants titulaires d'un DUT qui ont
effectué une partie de leur cursus en entreprise, auxquels on
demanderait en plus de faire un stage de neuf mois pour prouver qu'ils sont
valables sur le marché de l'emploi. Ce serait tout à fait
paradoxal au moment où le ministre de l'éducation nationale a
décidé de donner une part encore plus importante aux stages dans
la validation du DUT, ceci nous semble assez scandaleux sur le plan des
principes puisque le DUT est d'abord un diplôme universitaire à
vocation professionnelle.
Il ne serait pas acceptable, je crois, tant d'un point de vue politique que
technique, de définir un nouveau type de main d'oeuvre qualifiée
sans contrat de travail ni rémunération.
Fort heureusement M. Gandois, plus modéré et sans doute plus au
fait des réalités, a écarté cette proposition en
proposant des stages de quatre à neuf mois s'inscrivant dans le cadre
des études universitaires, ce qui nous semble très
intéressant sur le principe ; sur les modalités nous attendrons
de voir, et nous sommes bien évidemment à la disposition de tous
ceux qui sont partie prenante dans cette mise en place pour essayer d'en
discuter avec eux.
Autre principe auquel nous sommes attachés, celui du volontariat.
Nous sommes hostiles à une idée qui serait de rendre obligatoires
les stages dans les filières générales. Cette idée
n'a peut-être pas encore été officiellement
évoquée, mais c'est une idée qui est dans l'air, en tout
cas au ministère de l'éducation nationale, depuis 1992, puisque
lorsque M. Jospin était ministre de l'éducation nationale il
voulait rendre les stages obligatoires en DEUG, licence et maîtrise,
quelle que soit la filière et quel que soit l'intérêt de
ces stages dans ces filières.
L'idée de stages obligatoires pose un autre problème, au
delà de son utilité dans certaines disciplines, à savoir
celui de la capacité d'accueil du côté des entreprises :
est-ce que les entreprises sont capables d'accueillir des centaines de milliers
de stagiaires chaque année ? Si c'est le cas, pour quels emplois ?
Si l'objectif est de multiplier encore ce que certains appellent les stages
"photocopie-café", pourquoi pas, mais autant appeler les choses par
leur
nom, l'objectif du stage n'est tout de même pas de faire découvrir
l'entreprise uniquement par la découverte du percolateur ou du
fonctionnement de la photocopieuse. Le monde de l'entreprise, c'est un climat
et des conditions de travail tout à fait différentes, c'est un
apprentissage, et donc il faut que ce stage conserve cette nature.
Quant à la durée et aux conséquences du stage, je crois
que le ministre de l'éducation nationale a décidé
d'engager une réforme quant à l'organisation des années
universitaires, quant aux rythmes universitaires. Il est très
attaché au principe de la mise en place de semestres et d'une
année universitaire qui pourrait aller jusqu'à dix mois.
Sans revenir sur l'intérêt d'une telle proposition je crois qu'une
réforme des stages devrait obligatoirement prendre en
considération cette nouvelle organisation de l'année
universitaire.
A l'heure actuelle la norme serait-elle d'un stage de trois mois au maximum
à temps plein ou de six mois à mi-temps. A partir du moment
où l'année universitaire est découpée en deux
périodes de quatre mois et demi ou cinq mois, pourquoi ne pas
étendre la durée du stage à cette période de quatre
mois et demi ou cinq mois ?
Autre idée, toujours dans le cadre de cette réforme des rythmes
universitaires : nous sommes hostiles à l'idée d'une
dévalorisation des formations universitaires, c'est-à-dire
à une secondarisation si ce n'est de la totalité du DEUG au moins
une partie de la première année. En revanche, nous sommes tout
à fait favorables à la mise en place d'un nouveau système
sur la base de ce qui existe à l'heure actuelle en matière de
validation des acquis professionnels, qui permettrait à des
étudiants n'ayant pas validé la totalité de leur DEUG,
c'est-à-dire sur les quatre semestres en ayant validé trois,
d'obtenir le quatrième semestre qui leur manque dans le cadre d'un stage
en entreprise.
Il est évident que, dans cette optique, le stage devrait être un
stage sérieux quant à son contenu et à son
déroulement, mais également en ce qui concerne son encadrement,
tant du côté de l'établissement d'enseignement
supérieur que du côté de l'entreprise.
Dernier point, on ne peut pas faire l'économie d'une
réglementation nationale des stages.
Il y a plusieurs textes qui circulent à l'heure actuelle. L'UNI fait
partie d'une association particulièrement oecuménique puisqu'elle
regroupe l'UNEF-ID côté étudiants, les Corpo de deux
organisations nationales, l'ensemble des mutuelles étudiantes, les
mutuelles régionales et la MNEF ; cette association s'appelle
l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes
diplômés, l'AFIJ.
Nous avons travaillé tous ensemble sur un projet de
réglementation nationale des stages. L'ensemble des membres de cette
association a signé un projet de réglementation, que nous avons
apporté et que nous tenons à votre disposition.
M. le Président -
Nous recevons le président de l'AFIJ cet
après-midi.
M. Arnaud Hurel -
Donc des questions particulières pourront lui
être posées à cette occasion, et je pense qu'il apportera
également ce projet de réglementation.
Un autre texte circule, qui est beaucoup moins consensuel puisqu'il n'a
reçu l'aval que de trois organisations, l'Union des cadres CGT, l'UNEF
et l'UNEF-ID.
Nous avons proposé au ministre de l'éducation nationale de
s'intéresser à ce thème. Il a en sa possession ces deux
textes et c'est maintenant à lui en partie de décider.
Voilà les quelques points que nous voulions développer.
M. le Président -
Merci. Nous allons donc vous poser nos
questions.
De ce que nous avons entendu ce matin nous pouvons dire que, si nous avons bien
compris : il n'est pas question -je ne fais que répéter ce qu'a
dit M. Daniel Laurent- de s'adresser à des jeunes qui ont terminé
leur formation universitaire. Les stages ne doivent pas se situer pendant la
période de recherche d'emploi au terme d'une formation universitaire, ce
sont des stages intégrés à des cursus de formation.
Cela répond à l'une de vos préoccupations ?
M. Arnaud Hurel -
Oui.
M. le Président -
Deuxième remarque, il ne s'agit pas du
même type de stages que ceux qui sont organisés et obligatoires
dans le cadre de certaines formations professionnelles, et on pense aux IUT et
aux BTS plus particulièrement, voire aux DESS.
Ces stages-là ne sont donc pas concernés par les propositions qui
sont faites.
Troisième remarque, il y aurait un cadre national qui serait en quelque
sorte rempli par des conventions passées entre chacune des
universités et l'entreprise ou les entreprises.
Voilà quelques éléments qui peuvent nourrir notre
discussion. Comment y réagissez-vous ?
M. Arnaud Hurel -
J'ai une première question, même si elle
est peut-être un peu provocante, mais quelle est la
légitimité de M. Daniel Laurent pour faire ce genre de
propositions ?
Ce sont des proposition très intéressantes, mais ce que nous
aimerions, c'est qu'elles soient reprises par l'ensemble des intervenants, CNPF
et ministère de l'éducation nationale compris.
M. le Président -
On va voir ce que dit le ministre. Nous allons
le recevoir.
M. Arnaud Hurel -
Parce que nous n'avons pas de réponse
très claire de son côté.
M. le Président -
Le ministre répond après avoir
beaucoup réfléchi, et je pense qu'il est en train de
réfléchir.
J'ai même lu quelque part qu'il pourrait inclure ses propositions sur les
stages dans le corps des propositions qu'il fera et qui découleront des
états généraux de l'université.
M. Arnaud Hurel -
C'est ce qu'il avait déjà dit en juin
à la Sorbonne en parlant d'une réglementation des stages.
Je pense qu'il devrait le faire sur ce point, mais sur les stages
diplômants, il va faire un effet d'annonce.
M. le Président -
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la
manière dont vous voyez l'indemnisation de ces stages ? Si ces stages
sont mis en place il y aurait bien une indemnisation.
Il faut bien entendu que l'étudiant continue à
bénéficier de son statut d'étudiant et des "avantages" qui
y sont attachés, mais je n'ai pas bien compris ce que vous avez dit sur
les conséquences fiscales d'un tel statut.
M. Arnaud Hurel -
Il n'y a pas de règles générales
en ce qui concerne la rémunération, elle peut aller de 0 F.
jusqu'à un salaire complet : l'entreprise a intérêt
à accueillir un stagiaire qui ne lui coûte rien -il est d'autant
plus intéressant qu'il ne coûte rien- et pour que ce coût
soit le plus faible possible et se réduise à quelques avantages
en nature dans l'entreprise, les participations aux frais de transport ou la
restauration, l'entreprise ne doit pas dépasser un versement égal
à 30% du montant du SMIC, ce qui lui permet de ne pas faire de
déclaration, de ne pas acquitter de charges ...
M. le Président -
Si l'indemnité est inférieure
à 30% du SMIC, l'entreprise n'est pas soumise aux charges et
l'intéressé n'est pas obligé de la déclarer ?
M. Arnaud Hurel -
Exactement, ni de la déclarer ni de verser une
quelconque cotisation. Donc l'étudiant bénéficie de la
couverture de la sécurité sociale étudiante.
C'est un problème, en fait, parce que personne ne le sait et beaucoup
d'administrations universitaires -c'est ce que je disais tout à l'heure
en parlant de problèmes administratifs- ignorent ces possibilités.
Il y a des centaines de milliers de stages qui sont offerts chaque année
aux étudiants, qui se passent dans de très bonnes conditions -
là je parle d'étudiants dans les filières
générales, qui ne sont pas astreints à des stages -et on
n'en parle pas, mais on pourrait avoir encore plus d'étudiants
effectuant ces stages s'il y avait une publicité faite dans les
entreprises, et surtout dans les universités ainsi qu'une
réglementation, pour que les choses soient claires dès le
départ.
Il n'existe pas vraiment de convention de stage-type ; vous avez une feuille
sur laquelle apparaissent quelques obligations, c'est-à-dire que les
stagiaires doivent se soumettre aux règlements en vigueur dans
l'entreprise, mais il n'y a pas de détails, on ne sait pas exactement
quelles peuvent être les voies de recours pour les chefs d'entreprise en
cas de problèmes avec les stagiaires, les voies de recours pour ces
derniers. Il n'y a pas de véritable suivi prévu par cette
convention de stage, tant du côté de l'entreprise que du
côté de l'université. La réglementation et la
publicité font défaut en cette matière.
Evidemment au delà de 30% du SMIC, c'est un choix fait par l'entreprise.
M. le Président -
On a donc maintenant deux propositions de
réglementation de stage, une qui émane de l'AFIJ et l'autre d'un
cercle plus restreint d'organisations, elles-mêmes adhérentes
à l'AFIJ. C'est bien cela ?
M. Arnaud Hurel -
Il y a en fait deux positions tout à fait
différentes puisque le texte signé par l'Union des cadres CGT,
l'UNEF et l'UNEF-ID, qui est tout de même un document assez
marqué, prévoit un minimum en matière d'indemnisation, un
rôle accru de la part des comités d'entreprise et définit
en fait un nouveau type de salarié dans l'entreprise ; on n'est pas
salarié sous contrat de travail, on est stagiaire, mais avec des
obligations très importantes de la part de l'entreprise à
l'égard de l'étudiant. C'est une proposition tout de même
très rigide dans son fonctionnement.
Le texte présenté par l'AFIJ est un texte beaucoup plus
consensuel parce que les gens qui l'ont signé prennent en compte
politiquement, et techniquement s'agissant des mutuelles, des
considérations très différentes.
C'est d'ailleurs ce qui a prévalu lors de la création de cette
association, à savoir la nécessité d'aider à
l'insertion professionnelle des jeunes diplômés.
C'est un texte a minima.
M. le Président -
C'est une information intéressante que
vous nous donnez là.
M. Robert Castaing -
Vous avez beaucoup insisté sur le
problème du volontariat. Est-ce que vous ne craignez pas a priori que
pour les formations générales, pour lesquelles effectivement
cette intégration paraît particulièrement souhaitable,
surtout - je vais me répéter, mais c'est ainsi - dans les grandes
régions rurales, où il n'y a pas d'offres tellement nombreuses,
on ne va pas créer une sorte de dichotomie, puisqu'il y aura des gens
qui auront des stages et d'autres qui n'en auront pas ?
C'est donc une inégalité fondamentale et est-ce que les jeunes
qui ne disposeront pas de ce " vade-mecum " ne vont pas
être au
départ handicapés pour la recherche d'un emploi ?
M. Arnaud Hurel -
Cette inégalité existe
déjà, en fait, en matière de stage comme en matière
de cursus, puisqu'un même DEUG obtenu dans une université X et
dans une université Y n'a pas du tout la même valeur aux yeux des
chefs d'entreprise ; l'inégalité existe également
entre les étudiants qui peuvent financièrement traverser la
France pour poursuivre d'autres types d'études.
Cependant, le caractère obligatoire des stages ne résoudrait
strictement rien ; au contraire, cette obligation s'ajouterait à
des cursus parfois déjà très chargés, et c'est ce
que je vous disais tout à l'heure, ni les entreprises ni les
administrations, que ce soit dans les zones rurales ou dans les zones
très urbanisées ou industrialisées, ne seraient capables
d'accueillir chaque année le million et demi d'étudiants que nous
avons à l'université.
M. le Président -
Est-ce qu'à votre avis les PME peuvent
organiser elles aussi des stages et participer à cette action si elle
est lancée ? Est-ce que c'est souhaitable ?
M. Arnaud Legros -
Je voudrais revenir sur la question
précédente. En fait je pense qu'il y a quand même une
motivation de l'étudiant pour suivre un stage qui serait
intégré dans sa formation.
L'objectif c'est que l'étudiant puisse effectivement obtenir le DEUG
complet, avec l'envie de construire, ce qu'on appelle à l'heure
actuelle, un "projet professionnel".
M. Arnaud Hurel -
C'est pour cela que nous faisons la proposition, que
nous sommes d'ailleurs les seuls à faire, d'intégrer dans le
stage cette nouvelle organisation universitaire, en donnant une deuxième
chance aux étudiants motivés : ceux-ci pour
différentes raisons, soit très personnelles, soit parce qu'ils
n'arrivent pas à suivre un rythme universitaire, vont faire le choix
d'essayer de rattraper leur échec en faisant un stage, en le faisant
valider, ce qui leur permettrait de reprendre pied dans un cursus universitaire
classique.
L'intérêt de cette nouvelle organisation des stages, c'est de
donner cette deuxième chance, et pas uniquement en faisant faire
à l'étudiant un nouveau semestre auquel il a échoué
peut-être déjà deux ou trois fois, ce qui ne veut pas dire
qu'il n'a pas les capacités requises.
C'est pour cela que nous essayons de prendre le problème
différemment.
M. le Président -
Est-ce qu'il ne revient pas aux universitaires
de définir les publics qu'ils considèrent prioritaires pour ces
stages ? Est-ce que ce n'est pas à l'université de dire : nous
donnons priorité précisément aux jeunes qui sont en
difficulté ou en situation d'échec ?
M. Arnaud Hurel -
Je suis entièrement d'accord avec vous. Mais
les universités ne sont pas capables juridiquement, et n'ont pas la
motivation nécessaire de s'adapter à une réalité
professionnelle et à un marché de l'emploi, soit local soit
national.
Il faut savoir que dans une université, à la fin de
l'année civile, aucun président n'est capable de dire combien il
a d'étudiants dans son établissement.
Il y a une méconnaissance de la population étudiante de la part
de l'administration et aussi parfois, malheureusement, de la part de pas mal
d'enseignants, qui est dramatique.
M. Daniel Eckenspieller -
Nous avons procédé ce matin
à trois auditions, dont celle de M. Laurent. Nous avons bien compris que
vous contestiez la légitimité de son initiative et de son point
de vue.
Ceci étant, on peut quand même constater pour le moins qu'il est
prêt à la discussion et à la réflexion auxquelles
nous nous livrons.
Par delà les critiques sur sa légitimité il serait donc
important pour nous que l'on sorte de cette matinée de discussion en
sachant quelles sont les critiques de fond que vous faites par rapport aux
propositions qui ont été énoncées par M. Laurent.
M. Arnaud Hurel -
Il y a une critique sur le plan de la
légitimité qui est tout de même assez accessoire, mais il y
a une critique de fond : les textes successifs de M. Daniel Laurent
ne se ressemblent absolument pas. C'est tellement mouvant qu'on ne sait plus
où il en est.
Le premier texte qu'il a diffusé concernait les élèves du
secondaire, les étudiants du supérieur, ainsi que des jeunes qui
sont en situation d'échec, des diplômés, des
étudiants qui sont en cours de cursus.
Cela concernait un public tellement vaste, qu'il était évident
qu'on ne pouvait pas se rallier à ce qu'on ne peut même pas
appeler une proposition, mais plutôt une tentative personnelle pour faire
parler de lui, hélas ! Mais si maintenant il a un autre projet, sa
légitimité devient plus importante.
Il faudrait savoir si c'est le projet du CNPF ou celui d'Axa.
M. le Président -
On peut considérer aussi que le
débat a été lancé et que, même s'il ne s'est
pas déroulé dans des conditions absolument satisfaisantes, il a
quand même déjà quelque peu eu lieu, ne serait-ce que par
voie de presse. L'auteur de la proposition a recalibré son affaire,
mieux défini sa proposition, en a limité l'ambition et l'on
arrive maintenant à quelque chose de sensiblement différent, en
effet, de ce qui avait été initialement envisagé.
C'est vrai que j'ai moi-même, dans d'autres instances, entendu Daniel
Laurent expliquer que cela pouvait concerner le secondaire, que les stages
pouvaient se situer au terme d'une formation, avant l'entrée dans la vie
active, mais nous avons maintenant quelque chose de sensiblement
différent.
M. Arnaud Hurel -
C'est pour cela que je ne retenais que les
propositions de M. Gandois.
M. le Président -
D'accord, on comprend mieux.
M. Jean-Pierre Camoin -
Je reprends la question que vous avez
posée, Monsieur le Président, et à laquelle on n'a pas
répondu, qui est celle des PME, parce qu'à la fin de la
matinée je commence à être très inquiet de voir
l'évolution de ce projet. J'ai l'impression que les stages ne concernent
que de très grosses entreprises et accessoirement, cela a
été évoqué ce matin, les entreprises qui ne font
pas partie du secteur concurrentiel, en clair les administrations, les
collectivités territoriales etc ...
Or, on sait très bien que l'avenir en terme d'emplois n'est pas dans ce
type d'entreprise, ni dans les collectivités territoriales où
tout le monde dit qu'il va falloir maîtriser les dépenses
publiques.
Les grandes entreprises également, qui tendent à rentabiliser
leurs méthodes de production, ont plutôt tendance à
supprimer des emplois qu'à en créer.
En fait on sait que le gisement principal d'emploi est dans les PME, et j'ai
l'impression que ces PME sont complètement ignorées pour ces
stages. Qu'en pensez-vous ?
M. Arnaud Hurel -
Nous avons exactement la même analyse, mais les
faits démontrent le contraire puisque la quasi totalité des
stages qui sont faits à l'heure actuelle par des étudiants des
filières générales sont faits dans des PME et non pas dans
des grandes entreprises, sauf exception et notamment pour des
procédés de fabrication ou des types d'activité
spécifiques.
M. le Président -
Est-ce qu'on a des statistiques
là-dessus ?
M. Arnaud Hurel -
Non. C'est justement l'un des problèmes de la
discussion sur les stages diplômants, c'est qu'on nous a annoncé :
il y aura 150.000, 200.000, 300.000 stages ; lorsque nous avons
rencontré le CNPF, on nous a dit : dans le meilleur des cas, nous
proposerons 15.000 stages. J'aimerais savoir comment on peut imposer aux
PME, qui accueillent la plus grande partie de ces stagiaires, de prendre des
stagiaires et pour quelles raisons.
Il est évident qu'on peut le faire auprès des administrations, ce
qui posera d'ailleurs des problèmes de statut, auprès de grandes
entreprises du secteur non concurrentiel, mais auprès des PME en aucun
cas. On ne peut pas chiffrer une telle mesure. On offre un cadre juridique au
développement des stages, un cadre aux entreprises pour accueillir de
manière plus naturelle et beaucoup plus facile les stagiaires mais on ne
peut pas décréter la création de 200 ou 300.000 stages.
C'est un effet d'annonce.
M. le Président -
Vous parlez des administrations. On peut
très bien imaginer, en effet, qu'elles participent à cette action
nationale si action nationale il y a. Le problème principal sera celui
de l'indemnisation, et non pas celui du statut, parce qu'il arrive que des
administrations publiques reçoivent des stagiaires ; ceux-ci
garderont leur statut d'étudiant et ils ne seront pas fonctionnaires
stagiaires, mais étudiants en stage dans une administration ou une
collectivité territoriale. Leur indemnisation reste une
difficulté dans cette hypothèse.
M. Arnaud Hurel -
Je parlais de problème de statut. Je suis
étudiant en thèse mais je suis en même temps fonctionnaire,
puisque je suis ingénieur d'étude au Muséum d'Histoire
naturelle, et dans notre établissement, qui est un grand
établissement de recherche, coexistent des titulaires de doctorat qui
sont employés dans le cadre d'un contrat emploi-solidarité, des
gens qui viennent bénévolement parce qu'ils veulent garder un
contact avec la recherche. Il y a tout de même un problème de
statut, et si en plus on fait venir des stagiaires...
M. le Président -
Vous voulez dire que l'on va accroître la
disparité ou la diversité des situations ?
M. Arnaud Hurel -
C'est évident.
M. le Président -
Messieurs, je vous remercie.