D. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉTABLISSEMENT FRANÇAIS DES GREFFES
M. Charles DESCOURS, président. - Nous
en sommes encore au stade des auditions, mais, d'ores et déjà, il
nous semble que beaucoup d'organismes en France s'occupent à la fois du
contrôle de la sécurité pour les produits sanitaires et
thérapeutiques et de la veille sanitaire. Mais leur mise en
réseau, en tout cas leurs échanges d'informations ou leur
coordination, ne nous semble pas tout à fait évidente. Cette
absence de coordination nous paraît de nature à affaiblir cette
veille sanitaire ou cette sécurité des produits.
Vous-même, en tant que président de l'Etablissement
français des greffes, comment le vivez-vous ? Que pouvez-vous nous
dire sur ces deux thèmes ?
M. Claude HURIET, rapporteur. - Puisque nous avons
déjà travaillé à l'occasion de la mission que la
commission des Affaires sociales avait mise en place sur les thérapies
géniques et cellulaires, cela nous a donné l'occasion de voir
comment fonctionnaient les différents organismes que le
législateur avait créés. Cela nous a permis d'examiner
également quelles étaient les relations existant entre ces
organismes, tout en nous interrogeant sur les lacunes que pouvait comporter le
système actuel parce que des domaines semblent non ou insuffisamment
couverts et de voir comment s'établissent les circuits.
Mon sentiment, en tant que rapporteur, sans engager la mission en cours, est
qu'un organisme comme la Direction générale de la concurrence, de
la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) joue un
rôle important en matière de sécurité sanitaire,
voire même de veille, alors qu'à l'égard de certaines
structures existantes, les échanges d'informations -cela nous a
été dit- ne paraissent pas assez performants.
Il est toutefois très utile que l'on procède, dans un premier
temps, à un état des lieux et que l'on examine ce qui est
performant, ce qui l'est moins et quels sont les organismes dont la performance
peut être encore améliorée.
M. Didier HOUSSIN. - L'Etablissement français des greffes
se caractérise par un champ constitué de 20.000 à 25.000
greffes de tissus. Par tissus, j'entends les os, les plus nombreux, vaisseaux,
valves cardiaques, cornées, la peau pour les grands brûlés.
C'est le champ le plus important, qui se fait dans les hôpitaux publics,
établissements de santé publics et privés.
Un deuxième champ est celui des greffes d'organes, à peu
près 3 000 par an, exclusivement dans les CHU. Vous avez les
greffes de moelle osseuse ou de cellules souches
hématopoïétiques qui se font essentiellement dans les CHU
pour les allogreffes, en partie dans les CHU, centres anticancéreux ou
centres hospitaliers de gros volume, pour les autogreffes. Au total, environ
une trentaine de milliers de greffes par an. Voilà le champ d'action de
l'Etablissement français des greffes, des prélèvements
étant faits pour la plupart dans des établissements publics de
santé, centres hospitaliers universitaires ou centres hospitaliers.
L'Etablissement se caractérise par un certain nombre de missions
prioritaires. Ces missions, que je ne rappellerai pas puisqu'elles sont
précisées dans le décret, sont très
opérationnelles :
- gestion de listes d'attente, de répartition des greffons, de
coordination ;
- contribution à l'amélioration du secteur des greffes de
tissus, secteur encore mal connu ;
- évaluation des résultats des greffes, tâche de
santé publique qui vise à définir les véritables
résultats obtenus et, au bout du compte, la place de la greffe dans le
domaine de la thérapeutique et de la santé publique ;
- action d'information et de promotion afin que les patients en attente de
greffe puissent obtenir le greffon qu'ils attendent.
Sur l'aspect veille sanitaire et l'aspect sécurité, je ferai
trois remarques préliminaires.
Premièrement, la greffe s'adresse, dans la grande majorité des
cas, à des gens fort malades et la notion de sécurité
sanitaire doit donc être conçue comme une balance entre le risque
de voir la maladie évoluer sans greffe et le risque encouru si le
greffon n'est pas d'une qualité idéale. Cette notion de balance
est extrêmement importante. Elle est radicalement différente de la
conception de la sécurité d'un produit alimentaire ou même
d'un médicament où, là, effectivement, il s'agit d'obtenir
un produit qui soit dénué de toute toxicité.
En matière de greffe, face à une hépatite fulgurante,
mortelle dans les vingt-quatre heures, lorsque l'on vous greffe un greffon qui
serait susceptible d'évoluer vingt ans plus tard par des lésions
liées à un virus de l'hépatite C, la notion de
sécurité sanitaire s'envisage dans un contexte radicalement
différent. Au bout du compte, certaines mesures dites
sécuritaires peuvent avoir des conséquences beaucoup plus graves
que celles qu'elles cherchent à éviter.
J'en donnerai un exemple. Le décret sécurité sanitaire de
1992, modifié en mai 1994, instituant la nécessité de
la recherche de l'HTLV, a " cisaillé " totalement la
capacité d'importer des greffons pulmonaires d'Allemagne, d'Autriche ou
de Suisse et a probablement contribué au décès d'un
certain nombre de personnes, en voulant éviter, finalement, une
contamination fort rare.
Donc la notion de sécurité sanitaire en matière de greffes
ne peut être dissociée de l'usage thérapeutique de
l'élément du corps humain. Je crois qu'il doit conduire à
un certain discernement et, en pratique, à une balance, en faisant en
sorte que, dans certaines situations, le médecin puisse justement
exercer ce choix qu'il est le seul à même de faire, naturellement
au prix d'une information, dans certains cas, du patient. C'est la
première remarque.
La deuxième concerne la notion de lacune que vous avez
évoquée. Effectivement, dans un paysage qui est celui des agences
actuelles, on peut craindre qu'il y ait des trous dans le dispositif, ou des
lacunes, au travers desquels le risque pourrait s'infiltrer.
Ayant pris conscience du travail qui était conduit ici -et même
préalablement puisque, dès la création de l'Etablissement,
nous avons été en contact avec l'Agence française du sang,
l'Agence du médicament et la Direction générale de la
santé-, nous avons essayé d'identifier nos zones de contact, de
recouvrement, et nous nous sommes interrogés en particulier sur
l'existence d'espaces entre nous, qui pourraient constituer des zones de
risques.
Si nous n'avons pas résolu la question, du moins avons-nous
essayé de l'aborder de manière responsable, en essayant de
créer un peu " d'overlaps ", c'est-à-dire des zones de
superposition, quitte à ce qu'il y ait quelques redondances. Nous
perdons un peu de temps pour établir des contacts, mais en superposant
les passoires, on finit, si on prend des surfaces rondes, par éviter les
interstices.
Je crois qu'aujourd'hui, quand j'essaie de réfléchir à
cette notion de zones à risques qui existeraient entre les agences, en
particulier l'Agence du médicament, l'Agence du sang et nous, j'aurais
tendance à dire que la xénogreffe -qui va être un champ de
grand développement- est un problème. Elle est actuellement sous
la responsabilité de la Direction des hôpitaux parce
qu'assimilée à un dispositif médical.
De notre point de vue et, dès à présent, compte tenu des
risques qui y sont associés, j'aurais tendance à dire que
l'Etablissement français des greffes devrait être, sinon
chargé de cette activité, du moins avoir au moins un œil
dessus. A mon avis, la xénogreffe relève des domaines où
il va falloir rapidement indiquer qui s'en occupe et de quelle manière.
Cela me paraît un point important.
D'ailleurs, dans la loi portant DMOS sur la thérapie cellulaire et la
thérapie génique, l'un des aspects très positif est
justement que figure la mention " cellules d'origine humaine et
animale ". C'est un point très important.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Parce que, dans les dispositions du
Code de la santé publique qui vous concerne, ce sont des greffons
d'origine humaine ?
M. Didier HOUSSIN. - Humaine, oui. Ce problème aujourd'hui,
malheureusement, n'est résolu que dans un secteur, qui n'est pas celui
de la thérapeutique de tous les jours, j'ai cité les produits de
thérapie cellulaire ou génique.
Aujourd'hui, le véritable petit souci que j'ai en tête, c'est le
développement des xénogreffes... Imaginez-vous que
69 éléments tissulaires sur le marché sont des
éléments xénogéniques !
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Et vous n'avez pas l'oeil sur les
valves cardiaques ?
M. Didier HOUSSIN. - Nous avons l'œil, mais, de par les
missions qui nous sont confiées, ce n'est pas un champ que nous avons
pour mission de surveiller véritablement. Toutefois, soucieux de cela,
nous avons créé une commission qui a d'abord contribué
à les recenser. Dans le cadre de l'affaire de l'encéphalopathie
spongiforme bovine, nous avons participé à l'analyse de ce
secteur. Nous avons un groupe qui travaille en jonction avec l'INSERM sur les
risques liés aux xénogreffes et la recherche dans ce domaine,
mais nous n'avons pas, officiellement, de mission dans ce domaine.
Enfin, troisième point, vous avez évoqué la coordination
dans le domaine de la vigilance. Un décret est actuellement en cours de
préparation dans le cadre de la bioéthique. Cette question est
abordée en dernier parce qu'il fallait d'abord faire le plus urgent,
c'est-à-dire établir les règles de bonne pratique et tout
ce qui concerne les autorisations de prélèvement, de
conservation, etc. Nous en sommes maintenant à la phase où ce
décret est en préparation au sein de la Direction
générale de la santé.
On distingue plusieurs niveaux :
1) la mise en place d'un système d'alerte qui nous permet de
réagir sur des événements déjà
identifiés. Cela concerne les risques d'incompatibilité dans le
domaine des greffes, au même titre qu'en transfusion, le risque de
transmission d'une maladie infectieuse connue ou d'un cancer. On
prélève sur une personne et on s'aperçoit qu'il y a une
tumeur sur le greffon. Il faut alors avoir un système d'alerte et de
réaction rapides. C'est très lié à notre dispositif
opérationnel. C'est un premier mode de vigilance : le
système d'alerte en fonction de certains événements
déjà identifiés ;
2) la surveillance des populations : c'est un peu ce dont il s'agit quand
on évoque la question de la veille sanitaire, c'est-à-dire la
surveillance des populations, qu'elles soient greffées ou non
greffées. En effet, on doit tenir compte de l'existence d'un revers de
la médaille ; dans ce cas précis, il consiste en l'obligation de
considérer le danger qui survient pour ceux qui n'ont pas pu être
greffés.
Actuellement -j'ignore si vous poserez la question à Laurent Vachey- si
l'on se focalise beaucoup sur la question de transmission par la maladie, on
évoque plus rarement le fait que des patients meurent parce qu'ils n'ont
pas pu être transfusés. C'est aussi un aspect de la
sécurité.
En matière de surveillance des populations, la surveillance des
populations greffées d'organes et de moelle osseuse se superpose
quasiment à notre mission d'évaluation. Il nous appartient de
suivre une cohorte de patients greffés et il est vrai que
l'évaluation des résultats de la survie et de la morbidité
inclut cette notion de veille sanitaire vis-à-vis de la population
greffée.
Dans le domaine de la greffe tissulaire, c'est plus délicat. Les
patients sont beaucoup plus nombreux et, de plus, ce sont souvent des
éléments aujourd'hui considérés comme peu vecteurs
de maladies transmissibles. Il y a une interrogation qui est de savoir :
jusqu'où doit-on et peut-on aller dans la surveillance de la population
des patients greffés de petits éléments osseux.
Là, l'élément essentiel est la mise en place d'un
dispositif de traçabilité, lequel s'appuie d'abord sur un
arrêté qui définit les conditions d'étiquetage et de
repérage. Il faut s'adosser sur un dispositif qui n'est pas simple
à mettre en place, celui des biothèques et
sérothèques. C'est certainement l'un des aspects sur lequel la
coordination serait la plus importante.
Pour terminer, je dirai qu'en matière de coordination, il y a un gros
effort à faire sur le terrain hospitalier, qui se trouve un peu
éclaté. Il faut qu'il y ait une personne pivot qui sache que,
dans telle situation, elle doit alerter telle structure et informer les autres
et, dans une autre circonstance, alerter telle autre structure et informer les
autres. Certains hôpitaux ont déjà engagé cette
réflexion sur la coordination et la vigilance sur le terrain hospitalier
: je peux vous mentionner le CHU de Rennes.
Deuxième niveau de coordination : celle de l'analyse des
données. L'Agence du sang s'est adressée à un organisme
qui assure cette analyse. Il est certain que, là aussi, la coordination
devrait se faire.
Je ne suis pas sûr d'en avoir beaucoup plus à dire.
M. Charles DESCOURS, président. - Très bien. En
tout cas, c'était déjà très intéressant.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je retiens notamment ce constat que
vous faites quant au rattachement à la Direction des hôpitaux des
xénogreffes.
M. Didier HOUSSIN. - Elles sont considérées comme des
dispositifs médicaux alors qu'elles ressemblent beaucoup à des
greffes. Il y a là une orientation à prendre certainement.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Peut-être faudrait-il
établir une note détaillée sur les xénogreffes,
pour savoir ce que cela représente actuellement en France ?
M. Didier HOUSSIN. - Volontiers, oui. J'établirai une note de
synthèse.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Pourriez-vous aussi préciser
les références du décret de 1992 dont vous avez
parlé, puis les conséquences en matière d'échanges
d'organes, parce que j'en suis resté à l'époque
d'Euro-Transplants, en particulier pour les reins.
Actuellement, en se référant à ce décret s'il a une
portée générale, ou en faisant abstraction de celui-ci,
est-ce que les exigences de sécurité que l'on pose en France sont
comparables à celles des autres pays de l'Union européenne ?
Peut-on penser que, soit dans l'immédiat, soit à terme, des
exigences plus fortes en France ne limitent les possibilités
d'utilisation d'organes venant de l'étranger, auquel cas les
échanges internationaux risquent de s'établir sur des bases
différentes ? Est-ce qu'il y a une réflexion à ce
propos ?
M. Didier HOUSSIN. - Tout d'abord, le décret de 1992,
modifié en mai 1994, sera modifié à nouveau l'an prochain
car nous avons essayé de convaincre -et je crois que nous y sommes
parvenus- la Direction générale de la santé qu'il fallait
introduire la notion de discernement et de balance entre
bénéfices et risques dans le domaine de la sécurité
pour ce qui est des greffes. Je ne parle que des greffes.
Pourquoi ? Aujourd'hui, en France, les exigences en matière de
sécurité sanitaire au niveau " produits " sont telles
qu'elles ont totalement bloqué toute possibilité d'importation,
dans des conditions d'urgence, empêchant la réalisation de tests
des greffons cardiaques, hépatiques et pulmonaires. Les
réglementations allemande et suisse n'imposent pas ces tests. C'est
pourquoi j'expliquais que des patients mouraient actuellement par défaut
d'importation.
M. Charles DESCOURS, président. - La pénurie de
greffons que l'on connaît dans notre pays n'existe pas dans les
autres pays ?
M. Didier HOUSSIN. - Si, mais il y a toujours des greffons qui ne
trouvent pas preneurs pour des raisons diverses.
M. Charles DESCOURS, président. - C'est à la
marge ?
M. Didier HOUSSIN. - C'est à la marge, mais dans la mesure
où la greffe pulmonaire peut ne pas être très
développée dans certains pays... Je pourrai vous donner des
chiffres précis, mais l'année dernière on aurait
probablement pu importer une cinquantaine de greffons pulmonaires ou
cardio-pulmonaires, ce qu'on n'a pas pu faire. Certains patients sont sans
doute morts à cause de cela.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Ce bénéfice/risque est
un volet à faire apparaître.
M. Didier HOUSSIN. - Cela apparaîtra dans le décret en
préparation, qui est une modification du décret de 1992
modifié en 1994. On y introduit la notion de
bénéfice/risque. On laisse au médecin, s'il est face
à un patient dans un état extrêmement grave et si on n'a
pas le temps de faire le test, la possibilité de faire la greffe, quitte
à informer le patient du fait qu'on n'a pas pu faire le test.
Pour ce qui est des échanges d'organes, je crois avoir répondu
à votre question.
La question est radicalement différente en ce qui concerne les tissus
puisque le problème de temps n'intervient plus. Le fait qu'il y ait une
réglementation très stricte en France, au contraire, est une
bonne chose.
M. Charles DESCOURS, président. - Est-ce que les
frontières entre les différentes agences -Agence du sang, Agence
française des greffes et Agence du médicament- vous paraissent
correctement établies ?
M. Didier HOUSSIN. - Je ne suis pas un professionnel du
" méccano administratif ". J'avoue que je n'ai pas une
expérience suffisante pour porter un véritable jugement. J'avais
mené une réflexion personnelle et je vous l'avais, je crois,
adressée sous la forme d'un petit document où j'évoquais
les arguments pour et contre une fusion avec l'Agence française du sang.
Sur cette question, j'aurais tendance à dire que nous avons
identifié clairement nos points de contact avec l'Agence du
médicament et l'Agence française du sang.
Premièrement, avec l'Agence du médicament, notre
préoccupation commune est le contrôle de qualité des
laboratoires d'histo-compatibilité. C'est un point qui a
été évoqué. Il a été demandé
-je suis allé aussi à la Commission de contrôle de
qualité des laboratoires- que pour les laboratoires
d'histo-compatibilité marqués greffes, il puisse y avoir un
contrôle d'un niveau particulier.
Deuxièmement, s'ajoute le problème des produits ensilaires que
l'on rajoute dans les cultures de cellule. Dans ce domaine, nous aimerions -et
nous travaillons avec l'Agence du médicament là-dessus- pouvoir
faire en sorte que ces produits aient des spécifications reconnues, qui
ne soient pas conçues dans le vide.
Le troisième point concerne les problèmes d'articulation avec le
monde de l'industrie du médicament, pour essayer de coordonner la
recherche dans le domaine des greffes, mais cela est un peu hors sujet.
En ce qui concerne l'Agence française du sang, se pose la question de la
vigilance. Je suis convaincu que le responsable de l'hémovigilance sur
le site hospitalier pourrait être en charge du domaine des greffes, avoir
une mission élargie, quitte à ce que s'il identifie un
événement éventuellement imputable à la greffe, il
informe l'Etablissement français des greffes et, éventuellement,
l'Agence française du sang. Il importe qu'il y ait, surtout sur le
terrain hospitalier, une personne dont la mission ne se limite pas à...
M. Charles DESCOURS, président. - Vous l'avez dit
à plusieurs reprises : la coordination des vigilances...
M. Didier HOUSSIN. - Sur le terrain hospitalier. C'est important.
Bien sûr, il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas de duplications. On
peut laisser la responsabilité à cette personne chargée de
la vigilance de discerner si elle a affaire à un événement
type sang, matériau, ou à un événement greffe. Elle
pourrait en quelque sorte avoir une mission de transmission de l'information.
Il y a un point que je n'ai pas évoqué, mais qui concerne
l'Etablissement français des greffes, c'est qu'il n'a pas de corps
d'inspection. Quand nous identifions un élément, nous nous
adressons aux services déconcentrés de l'Etat,
c'est-à-dire au médecin-inspecteur, quitte à ce qu'il
aille faire son examen avec un coordinateur de l'Etablissement français
des greffes.
En matière de coordination avec l'Agence du sang, j'ai
évoqué la question de la vigilance. Nous avons aussi en commun
toute la problématique du don. Nous nous sommes souvent demandé
s'il fallait rassembler nos forces sur le don de greffes et le don de sang. Ce
n'est pas évident.
Puis, troisième aspect, tout ce qui relève de la question des
cellules souches hématopoïétiques. Nous avons
travaillé pendant des mois ensemble.
Quatrième point : beaucoup de banques de tissus se trouvent dans
des établissements de transfusion sanguine. J'ajoute que, sur environ la
moitié des banques de tissus, nous sommes en liaison avec l'Agence
française du sang puisque ces banques sont en quelque sorte sous sa
houlette.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Et cela vous paraît une bonne
chose ? Cela ne vous gêne pas ?
M. Didier HOUSSIN. - Cela ne pose pas de problème. Quand on
s'adresse aux établissements de transfusion sanguine pour leur poser la
question spécifique de la banque du sang, qui est une petite
activité, nous le faisons en jonction avec l'AFS.
En m'appuyant sur mon vécu, je crois pouvoir dire que nous n'avons aucun
problème avec l'Agence du médicament et l'Agence française
du sang.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Avez-vous une réflexion sur
les CECOS ?
M. Didier HOUSSIN. - Oui, j'ai une réflexion sur les CECOS. Je
suis heureux que vous me posiez cette question parce que cela correspond
à l'un de mes soucis.
J'ai été sollicité par les CECOS qui m'ont dit être
abandonnés et se retrouver dans un statut d'association et, au bout du
compte, finir par être les seuls à s'occuper
d'éléments du corps humain pour lesquels il n'y a pas
d'encadrement. Leur souhait est d'être rattachés à une
instance, et à l'Etablissement français des greffes sur le plan
général.
J'en avais parlé avec la Direction générale de la
santé. L'Etablissement venait d'être créé, la barque
était assez chargée et on avait bien sûr des choses
prioritaires. Mais j'ai gardé en tête la question des CECOS. Il
serait important de leur donner le même niveau d'encadrement plutôt
qu'une simple commission. En effet, ils sont actuellement sous le
contrôle d'une commission, ce qui n'est peut-être pas suffisant.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Ils sont rattachés maintenant
aux établissements. Ils conservent leur statut d'association, mais en
termes administratifs, ils sont maintenant inclus, intégrés dans
les établissements de santé.
M. Didier HOUSSIN. - Oui, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient
tout ce qui a pu être fait en matière de greffe et de sang,
c'est-à-dire sur des bonnes pratiques, etc. Vous pourriez interroger
M. le Professeur Jallebert qui est maintenant le président des
CECOS. C'est lui qui m'avait sollicité sur cette question.
M. Claude HURIET, rapporteur. - J'ignore qui nous pourrions
auditionner, mais nous ne pouvons pas ne pas réfléchir aux
conditions de fonctionnement actuel des CECOS, en termes de
sécurité.
M. Didier HOUSSIN. - Tout à fait. Ils se posent beaucoup de
questions, en particulier sur toute la problématique du
cyto-mégalo virus, qui est actuellement un impératif de
sécurité sanitaire qui met en cause l'approvisionnement, en
quelque sorte. Je crois que c'est un domaine qui effectivement est un peu
laissé de côté, à tort.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Là, je vois un peu plus
clair. Il y a longtemps que je m'interroge sur les xénogreffes. Je suis
surprise d'apprendre ce que vous dites, mais je pense que la xénogreffe
étaient pratiquée avant même que l'agence soit
créée. On peut se demander pourquoi elle a échappé
à votre responsabilité.
M. Didier HOUSSIN. - Il y a deux xénogreffes : la
xénogreffe antique et solennelle, qui est le début de la greffe,
à savoir la greffe de tissu...
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - On dit que c'est inerte.
M. Didier HOUSSIN. - On dit que c'est inerte, que c'est
sécurisable, que cela peut être, pour certaines, inactivé,
etc. Mais en fait cela peut poser des problèmes : exemple, la
dure-mère. C'est un domaine qui n'est pas négligeable :
69 produits actuellement sur le marché, peut-être un peu plus
ou un peu moins. Je parlais donc de la xénogreffe tissulaire, domaine
mal connu, qui mérite que l'on s'y penche.
Puis, il y a un domaine plus en devenir, à savoir la xénogreffe
d'organe, qui a focalisé l'attention alors qu'aujourd'hui elle n'est pas
véritablement dans la pratique, mais qui va un peu poser les mêmes
questions.
En tout état de cause, je crois que la réflexion ne peut pas
négliger ces xénogreffes.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Par exemple, vous parliez des
produits dans lesquels on conserve, etc. Je suppose que, là, c'est
vraiment le milieu hospitalier qui s'en occupe, y compris la conservation ?
M. Didier HOUSSIN. - Vous parler des xénogreffes d'organes ou
de tissus ?
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Je pense beaucoup aux valves
cardiaques. On greffe couramment des valves de porc, par exemple ?
M. Didier HOUSSIN. - Oui.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - C'est placé sous la
responsabilité des services de chirurgie cardiaque ?
M. Didier HOUSSIN. - Oui, lesquels s'interrogent maintenant sur
l'origine de ces valves. Cela dit, ils ont un encadrement concernant l'origine
des animaux et cela passe devant le groupe de sécurité
microbiologique de la DGS, ce qui est un filtre important pour l'utilisation de
ces éléments. Mais il y a toute la question des produits
ensilaires* qui sont utilisés, comme les vaisseaux, la
glycéramide* qui servent à conserver ces produits. On rejoint
alors le problème des produits ensilaires* qu'on met dans les cultures
de cellules.
Il est évident qu'il faudrait qu'il y ait des spécifications sur
ces produits. C'est tout à fait analogue à ce que
j'évoquais avec l'Agence du médicament. Il est vrai
qu'aujourd'hui ces produits sont assimilés à des dispositifs
médicaux.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - On pourrait éventuellement
proposer que cela soit mis sous la responsabilité de l'Agence...
M. Charles DESCOURS, président. - On ne conclut pas
encore, madame Fraysse-Cazalis !
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Non, mais nous pouvons toutefois
réfléchir sur la conclusion possible. Sinon, sous la
responsabilité de qui pourrions-nous la mettre ?
M. Didier HOUSSIN. - Dans le cadre de la matério-vigilance, il
y a tout le secteur des implants. C'est effectivement toute la question. On
pourrait considérer ces éléments comme des produits
inertes. Cela a des inconvénients, notamment psychologiques. Il est vrai
que les assimiler à des éléments clairement vivants et
disons comme des produits d'origine humaine, c'est quand même par nature
plus proche -de mon point de vue-, mais cela peut se discuter.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - L'exemple de la vache folle montre
qu'il y a des contaminations possibles par voie animale.
M. Claude HURIET, rapporteur. - On voit qu'il y a en fait trois
catégories de dispositifs :
- les dispositifs implantables actifs,
- les dispositifs implantables non actifs,
- les dispositifs implantables biologiques, enfin, vivants.
C'est là une autre catégorie. Une fois de plus, on voit la
difficulté de cerner des problèmes alors qu'il y a de plus en
plus d'états intermédiaires. Le dernier en date, qu'on nous a
cité ce matin, ce sont les " stamps " qui sont un support de
médicaments.
J'ai une question connexe à évoquer avec vous. Lors les deux
journées de promotion des dons, j'avais été convié
dans une clinique privée à Nancy, centre de
prélèvements agréé. On m'a appris que les
établissements privés agréés ne percevaient pas de
forfait salle d'opérations. Autrement dit, les
prélèvements qu'ils effectuent seraient faits gratis pro deo.
Premièrement, est-ce exact ? Deuxièmement, est-ce que la
question mérite d'être posée ?
M. Didier HOUSSIN. - La question mérite d'être
posée, peut-être dans un contexte un peu différent. Elle
est tout à fait importante.
Il est prévu un décret sur les frais de
prélèvements. Ce projet de décret est entre les mains de
la Direction des hôpitaux. Je sais qu'ils y travaillent, mais je pense
qu'il y a eu des priorités qui sont venues assez récemment. C'est
pour nous un décret extrêmement important, justement parce qu'il y
a actuellement des situations, comme celles que vous évoquez, qui ne
sont pas suffisamment claires. Si on veut motiver dans le domaine du
prélèvement, il conviendrait déjà que la question
de l'argent soit bien définie.
M. Charles DESCOURS, président. - Ce qui ne devrait pas
être difficile.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Vous n'avez pas vos moyens propres
d'inspection. Pensez-vous qu'il serait souhaitable que l'Agence ait ses propres
moyens ?
M. Didier HOUSSIN. - C'est une question très importante.
L'Etablissement français des greffes est effectivement un
établissement public de l'Etat, mais il s'occupe d'une activité
thérapeutique. Cela le met en contact très étroit avec le
monde hospitalier et le monde médical. Le fait de lui donner un corps
d'inspection va le transformer en organisme de police sanitaire. Or, compte
tenu du rôle très opérationnel, de jonction très
étroite qu'il joue avec le monde hospitalier et les équipes
médicales, je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose.
Finalement, je pense qu'il est préférable que, lorsqu'on
identifie un problème, on active la police sanitaire dont c'est le
métier -je pense aux médecins-inspecteurs et
pharmaciens-inspecteurs.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Mais comment vous rendez-vous
compte des problèmes ?
M. Didier HOUSSIN. - Pour nous, les problèmes sont tellement
liés à l'activité opérationnelle dont nous avons la
charge que, en temps réel, nous identifions les problèmes graves,
ceux qui sont du domaine de l'alerte, c'est-à-dire la
compatibilité, la transmission d'un cancer, le fait qu'on a dit que
c'était HIV + au lieu de HIV - ou l'inverse, etc.
La deuxième question que vous évoquez, celle de la surveillance
des populations en aval, relève du corps médical, mais c'est
tellement lié à notre activité d'évaluation,
surtout pour les organes et la moelle osseuse, que nous sommes en mesure
d'identifier, par exemple, une équipe dont tous les malades
décéderaient Pour les greffes de tissus, c'est autre chose parce
que, jusqu'à présent, on n'a pas prévu une
évaluation par type de greffe et par équipe, compte tenu du
nombre de patients impliqués. Mais cela peut se discuter.
E. AUDITION DE M. LAURENT VACHEY, PRÉSIDENT DE L'AGENCE FRANÇAISE DU SANG
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je voulais vous
situer le cadre dans lequel la mission de la Commission des Affaires sociales a
engagé cette réflexion sur le renforcement de la veille sanitaire
et la sécurité des produits thérapeutiques.
Dans un premier temps, nous avons observé le secteur des
thérapies géniques et cellulaires. Nous avons vu apparaître
non seulement la qualité du travail des différentes instances,
que le Sénat d'ailleurs avait contribué à mettre en place
il y a quelques années, mais aussi des questions qui se posaient quant
aux domaines de compétence de chacune de ces structures, avec une
interrogation sur les superpositions qui pouvaient intervenir -ce qui n'est pas
forcément un inconvénient-, mais aussi d'éventuelles
lacunes qui, dans un système performant -qui assure la
sécurité sanitaire, j'allais dire produit par produit ou
catégorie de produits par catégorie de produits, le sang, les
organes et les tissus, le médicament-, pouvaient laisser des domaines
hors champ.
Mais notre réflexion vise à établir l'inventaire de ce qui
est en place et de ce qui fonctionne apparemment d'une façon
satisfaisante. Elle consiste également à voir comment combler les
lacunes là où elles existent et, enfin, comment établir la
meilleure coordination possible entre des structures qui sont plutôt
verticales.
M. Laurent VACHEY. - Premièrement, je voudrais souligner
un point : à mon avis, les problèmes sont assez différents
et peut-être pas tout à fait de la même priorité pour
ce qui concerne les vigilances et les autorités sanitaires. J'ai
l'impression que le système qui, aujourd'hui, est le moins
structuré et sur lequel on a donc sans doute le plus de progrès
à faire est celui des vigilances.
Dans ce domaine, il est vrai que les systèmes sont beaucoup plus jeunes.
Si la pharmacovigilance existe depuis déjà pas mal
d'années, l'hémovigilance a démarré avec l'Agence
française du sang. Quant à la matério-vigilance, vous
savez que la Commission nationale de matério-vigilance vient
d'être installée. Ce sont des systèmes encore relativement
jeunes qui, j'ai l'impression, ont des logiques actuellement trop verticales,
ce qui ne veut pas dire que la vigilance puisse être radicalement
séparée du domaine qui, par la suite, est confié à
une autorité sanitaire.
Pour rester dans le domaine de la transfusion sanguine, il est vrai que nous
avons besoin de l'hémovigilance pour en améliorer la
sécurité. C'est un outil et un mode d'intervention
nécessaire et très directement lié au problème de
la sécurité transfusionnelle.
En revanche, selon des échos venant des établissements de
santé et des DRASS, il semble qu'avoir un raisonnement de système
de vigilance qui, surtout au niveau local, se structure sur des logiques
sectorielles, n'est sans doute pas la meilleure chose. Peut-être
faudrait-il arriver assez rapidement à les faire exister en symbiose.
De ce point de vue, j'étais assez convaincu par les propositions faites
par la mission de M. Serrou (député de l'Hérault)
consistant à trouver, au sein des établissements de santé,
un système qui permette aux différentes vigilances de fonctionner
en synergie. En effet, aujourd'hui, en s'appuyant sur des exemples, on peut
tout à fait imaginer qu'un accident imprévu à l'issue
d'une transfusion sanguine ait pour cause le produit sanguin lui-même. Ce
peut être un matériau directement transfusionnel -la poche de sang
qui a un défaut ou une fissure- ou un matériel qu'on a
utilisé à l'occasion de l'intervention chirurgicale ou un
médicament utilisé également à la sortie de la
transfusion sanguine.
Donc, si les systèmes de vigilance ne trouvent pas un moyen de
s'harmoniser à la base au niveau des établissements de
santé, on peut très bien avoir deux, trois ou quatre signalements
pour le même incident advenu après un acte médical, auquel
cas il sera difficile de structurer les résultats des systèmes de
vigilance.
Au niveau central, on a besoin de l'hémovigilance pour que la
transfusion sanguine marche mieux. Mais il est évident que les
données de l'hémovigilance elles-mêmes ont un
intérêt supérieur si elles peuvent être
rapprochées des autres données des systèmes de vigilance.
Aujourd'hui, il est vrai que chaque système a tendance à
raisonner dans son propre cadre, avec son propre mode de déclaration,
son propre mode de définition des données de la fiche de
déclaration, sa propre organisation de l'information statistique. On n'a
sans doute pas encore suffisamment de synergies au niveau national pour
permettre aux données épidémiologiques qui nous remontent
au travers des différents systèmes de vigilance de se parler
entre elles.
De ce point de vue, j'avoue espérer beaucoup du changement de statut et
du renforcement de moyens qui a été annoncé pour le
réseau national de santé publique. En effet, il y a grand besoin
d'une instance nationale qui permette aux différents systèmes de
vigilance de trouver des définitions communes, de faire parler entre
elles les données statistiques et épidémiologiques.
Par ailleurs, cela permettrait quelquefois d'attirer notre attention sur un
phénomène qui, pris dans le cadre d'un seul système, ne
serait pas mis en lumière, mais qui, par contre, en recoupant les
données des différents systèmes de veille sanitaire,
deviendrait pertinent. On s'apercevrait alors de la nécessité de
conduire des études transversales sur les différents
systèmes.
J'ai l'impression que c'est davantage sur ce problème des vigilances
qu'aujourd'hui nous avons besoin de trouver une structuration qui permette
à la base, dans les établissements de santé et au niveau
national, en termes épidémiologiques, à ces
systèmes de vigilance de se parler.
S'agissant des autorités sanitaires elles mêmes, nous avons, c'est
vrai, un certain nombre de domaines de recoupement -et c'est heureux-,
notamment avec l'établissement que dirige le professeur Houssin, pour
lesquels j'avoue ne pas avoir énormément de soucis. Il existe des
champs de recoupement avec l'Etablissement français des greffes parce
qu'il y a des domaines relativement communs, plus particulièrement ceux
de l'éthique. D'ailleurs, le tout se retrouve dans le Livre VI du
Code de la santé. Nous avons également en commun la question de
mettre en place ou pas le test de l'antigène pour le VIH. On ne peut pas
avoir un protocole en matière de transfusions sans se préoccuper,
dans le même temps, de savoir si ce test sera ou non pratiqué
à l'occasion d'une greffe d'organe.
En pratique, vous avez peut-être noté d'ailleurs qu'après
que nous en ayons discuté ensemble et avec la Direction
générale de la santé, la stratégie a
été différente pour les greffes et pour la transfusion. En
effet, le test de l'antigène étant demandé pour une greffe
d'organe, il n'était pas requis pour les transfusions sanguines. Il est
donc nécessaire que nous ayons ce genre d'échanges entre l'agence
et l'Etablissement français des greffes.
Nous avons également un champ de travail en commun avec l'Agence du
médicament, principalement dans trois domaines.
Premier domaine, une logique purement de sous-traitance opérationnelle :
plutôt que de monter nous-mêmes nos propres laboratoires de
contrôle de qualité pour les produits sanguins labiles, nous avons
passé une convention avec l'Agence du médicament pour le
contrôle de qualité des poches de sang afin de vérifier que
les produits préparés par les établissements sont bien
conformes aux normes, ce qui évite de dupliquer les moyens.
Nous avons coordonné les deux systèmes d'hémovigilance et
de pharmacovigilance puisque, pour le plasma matière première,
pour les médicaments dérivés du plasma, c'est le
système d'hémovigilance qui permet de s'apercevoir qu'il y a eu
une contamination sur un donneur particulier de plasma. Il faut
évidemment répercuter ce problème sur l'Agence du
médicament en vue des éventuelles décisions de retrait de
lots.
M. Charles DESCOURS, président. - Existe-t-il un
protocole ?
M. Laurent VACHEY. - Il existe un protocole. Dans le secteur de la
pharmacovigilance et de l'hémovigilance, il est nécessaire pour
le retrait éventuel de lots. Nous avons le même système de
coordination sur les réactifs pour lesquels nous participons à la
commission d'enregistrement des réactifs de l'Agence du
médicament. Nous travaillons avec eux sur les spécifications de
réactifs utilisés, utilisables en transfusion sanguine.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Concrètement, comment se passe
cette coopération ? Pour nous, elle peut avoir finalement valeur
d'exemple.
M. Laurent VACHEY. - Sur un exemple très opérationnel,
celui du contrôle de qualité des produits sanguins labiles, le
constat de départ a été celui-ci : il était
insensé que l'Agence française du sang se dote de ses propres
laboratoires pour effectuer les contrôles de conformité des
produits sanguins labiles, par exemple vérifier que le taux
d'hémoglobine annoncé est bien celui qui correspond au type de
produit sanguin en cause. Nous avons donc passé une convention avec
l'Agence du médicament. Ainsi, tous les établissements de
transfusion sanguine envoient une fois par mois un listing à l'Agence du
médicament avec les produits sanguins qu'ils ont en stock.
Les laboratoires de l'Agence du médicament tirent au sort un certain
nombre de ces produits, demandent aux établissements de la France
entière de les leur envoyer. Ils vérifient que le produit
envoyé est bien conforme à la description des produits sanguins
labiles et ils procèdent à une exploitation statistique qui est
répercutée ensuite sur les établissements de transfusion
et sur nous. C'est donc très opérationnel.
M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est coûteux cela ?
M. Laurent VACHEY. - Non. Le laboratoire de l'Agence du
médicament travaille gratuitement pour nous au nom de la
communauté des autorités sanitaires et l'Agence prend en charge
les frais d'acheminement. Nous avons une convention avec Chronopost et nous
gérons l'acheminement des produits sanguins.
M. Charles DESCOURS, président. - Avez-vous des contacts
réguliers avec le réseau national de la santé
publique ? Comment cela se passe-t-il ?
M. Laurent VACHEY. - Avec le RNSP, notre principal point de
travail en commun porte sur le suivi des donneurs de sang, c'est-à-dire
la vérification des maladies à déclaration obligatoire,
à dépistage obligatoire chez les donneurs de sang. Depuis le
début de l'agence, le RNSP réalise avec nous l'enquête sur
le nombre de donneurs qui auront été découverts VIH
positifs ou VHC positifs à l'occasion d'un don de sang. L'exploitation
épidémiologique de ces données est faite en commun entre
l'agence et le RNSP.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Avez-vous un système
informatique qui soit compatible avec vos interlocuteurs, en particulier
l'Agence du médicament, voire le RNSP ? Y êtes-vous parvenus
dans la mesure où vous vous y êtes pris très
tôt ?
M. Laurent VACHEY. - Non. Cela fait partie sans doute des
problèmes dont je parlais au début de mon intervention sur la
coordination dans les systèmes de vigilance, chaque système
s'étant structuré par lui-même. A titre d'exemple,
aujourd'hui, la fiche d'incidents transfusionnels a sa propre structure interne
avec une certaine codification, par exemple par niveau de gravité. Il
n'y a pas eu de confrontation entre les différents systèmes de
vigilance, notamment pour définir que, pour l'hémovigilance, il y
aurait quatre niveaux de gravité dans les incidents. Il n'y a pas
obligatoirement le même nombre de niveaux de gravité dans un
système de matério-vigilance.
Ce n'est pas le même réseau informatique qui est utilisé.
En fait, ce sont des systèmes cloisonnés, sauf la
pharmacovigilance et maintenant l'hémovigilance qui en fait,
aujourd'hui, n'ont pas de support informatique. Pour la
matério-vigilance, on est en train de discuter de la fiche de
déclaration de l'incident ; il y a encore moins de support informatique.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Ce que vous venez de dire est plus
qu'un exemple. C'est très récent ?
M. Laurent VACHEY. - Oui.
M. Charles DESCOURS, président. - Avez-vous
l'expérience de pays étrangers ?
M. Laurent VACHEY. - Pour ce que j'en sais, les pays étrangers
ont des systèmes très divers. Il existe soit des systèmes
avec une seule agence de sécurité sanitaire qui, à
l'intérieur, a généralement une division des produits
biologiques d'origine humaine, quelquefois une division également des
produits d'origine animale. C'est le modèle FDA. Je crois que la
Hollande est organisée sur ce schéma et l'Allemagne l'est plus ou
moins.
Il existe d'autres systèmes qui ont effectivement des autorités
sanitaires distinctes. Je suis allé récemment au Portugal. Nos
collègues ont à peu près le même système que
nous avec un institut portugais du sang et une agence du médicament. Je
ne saurais pas dire s'il y a une dominante dans les systèmes.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Vous avez parlé des moyens
nouveaux qui seraient donnés au Réseau national de santé
publique. Est-ce imminent ou est-ce à l'état de projet ?
M. Laurent VACHEY - Je pense que M. Drucker sera plus à
même d'en parler que moi. Ce que j'en sais, par les discussions
auxquelles j'ai assisté, c'est qu'il s'agit d'un changement de statut du
RNSP.
M. Charles DESCOURS, président. - Nous l'auditionnons
juste après vous.
M. Laurent VACHEY. - Monsieur Drucker pourra vous en dire
beaucoup plus. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'en faire un
établissement public, alors que, jusqu'à présent, c'est un
G.I.P. Les arbitrages budgétaires de la récente loi de finances
ont été rendus en faveur d'un renforcement des moyens
budgétaires du RNSP.
M. Laurent VACHEY. - Je pense que les trois agences de
création récente sont coordonnées sous l'égide de
la DGS. On le voit par exemple pour le suivi de la maladie de
Creutzfeldt-Jacob. Les problèmes étant transversaux et ne
concernant pas uniquement les trois agences, un groupe de travail
régulier sous l'égide de M. Girard fait le point à la
fois sur l'avancée des connaissances scientifiques et des mesures
à prendre dans les trois établissements.
A l'intérieur du ministère de la Santé et du champ de la
DGS, depuis dix-huit mois que j'ai pris mes fonctions, je n'ai pas senti de
grosses difficultés de coordination entre les trois
établissements. Par contre, il est vrai que ce qui relève par
exemple de la sécurité alimentaire, clairement, n'est pas dans le
champ du ministère de la Santé. Donc là, il n'y a pas de
vraie coordination sauf au moment des réunions
interministérielles auxquelles participent la Direction de l'agriculture
et le ministère de la Santé.
M. Claude HURIET, rapporteur. - J'ai deux dernières questions
à poser. D'abord, quelles sont vos relations avec le Laboratoire
français du fractionnement et des biotechnologies ?
Ensuite, une dernière question à laquelle vous ne pourrez
peut-être pas répondre immédiatement, mais cela
m'intéressera d'avoir des éléments plus tard, c'est le
coût de la sécurité. Par rapport à l'unité de
sang, quelle a été l'évolution sur trois ou quatre ans du
prix de revient de l'unité de sang par rapport aux exigences croissantes
de sécurité. Je pense que vous n'aurez pas les chiffres tout de
suite, mais il est sans doute possible de les avoir ultérieurement ?
M. Laurent VACHEY. - Je suis membre du conseil d'administration du
laboratoire français du fractionnement puisque l'agence détient
1 % de son capital. Opérationnellement, nous avons beaucoup de
contacts avec le LFB puisque nous sommes les fournisseurs de sa matière
première.
Le plasma matière première est un produit sanguin labile.
Surtout, l'adéquation entre les quantités et les
spécificités des plasmas disponibles dans les ETS par rapport aux
besoins du LFB n'est pas facile. Il n'y a aucune raison pour que le plasma
naturellement collecté par les ETS corresponde parfaitement aux besoins
et au marché industriels du LFB.
Nous avons des réunions toutes les six semaines avec les équipes
de l'agence et du LFB pour coordonner ces problèmes d'approvisionnement
et de définition de la sécurité de la matière
première pour le plasma.
La principale difficulté est qu'aujourd'hui, la France est loin
d'être autosuffisante pour certains plasmas très
spécifiques pour lesquels les donneurs sont rares. Dès lors que
nous ne sommes pas autosuffisants, nous sommes obligés d'importer du
plasma principalement d'origine américaine, donc issu de donneurs
rémunérés, ce qui est contraire à ce qui est
souhaité en matière d'autosuffisance.
Ensuite, arriver à trouver les donneurs, à organiser un protocole
de " restimulation " de donneurs volontaires pour faire en
sorte que
l'on ait la quantité de plasma nécessaire pour répondre
aux besoins du LFB, est une opération très complexe dans la
mesure où le don est gratuit.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Qui est le garant de la
sécurité du produit importé ? Est-ce l'Agence
française du sang ?
M. Laurent VACHEY. - Sur les produits importés, c'est l'Agence
du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Bien qu'il s'agisse d'un produit
labile ?
M. Laurent VACHEY. - Non. C'est le produit fini que l'on enregistre
à l'Agence du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Les albumines entrent-elles dans les
produits stables ?
M. Laurent VACHEY. - Ce sont des produits stables. On importe des
produits stables notamment parce que le LFB n'a pas les licences de fabrication
de certains d'entre eux, par exemple le facteur 8 immuno-purifié.
Ce sont des produits importés, principalement des Etats-Unis. Il y a
évidemment les recombinants, mais là on sort du champ de la
matière première humaine.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Donc il n'y a pas de
difficultés particulières puisque c'est considéré
comme un médicament importé et, par là même, sous le
contrôle de l'agence.
M. Laurent VACHEY. - Quant à la deuxième question, je
ne peux pas répondre directement sur le coût de la
sécurité pour les produits sanguins. Ceci pourrait être
reconstitué avec une approximation raisonnable, notamment sur tout ce
qui concerne spécifiquement la mise en place du contrôle
qualité, du système d'assurance qualité, les fonctions
directement d'inspection de l'agence, etc. La structure même du
système de garantie de la qualité des produits sanguins labiles
pourrait être chiffrée et ramenée à la poche de sang.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Utilise-t-on actuellement la
protéine C réactive (PCR), ou pas ?
M. Laurent VACHEY. - On utilise la PCR en confirmation seulement.
Quand on découvre par exemple
a posteriori
qu'un donneur se
révèle positif, on remonte, s'il avait fait un don
antérieur, à l'échantillon de sérum de son don
précédent et on teste par PCR afin de détecter une
éventuelle présence du virus qui était indétectable
par le test des anticorps. C'est actuellement quelque chose d'infaisable en
routine. Donc, quand il est utile de savoir si le don précédent
était potentiellement contaminant ou pas, on le fait par PCR puisque
c'est la seule façon de procéder aujourd'hui.
M. Claude HURIET, rapporteur. - On m'avait expliqué que
c'était une réaction qui pouvait réduire la durée
de la fenêtre de séro-conversion, le laps de temps pendant lequel
un donneur de sang est contaminé et contagieux par le VIH. Cela
demande...
M. Laurent VACHEY. - ...Vingt-deux à vingt-cinq jours
maintenant.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Environ un mois. Avec la PCR, on peut
réduire cette durée et augmenter la sécurité. Mais
cela coûte très cher et il paraît impensable d'en faire une
mesure de routine ?
M. Laurent VACHEY. - C'est trop compliqué à mettre en
œuvre en routine. On nous dit qu'il s'agit d'un progrès
technologique à horizon de cinq ans. Nous devrions arriver à un
stade de test de PCR en routine dans les cinq ans ou un peu plus.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Comment faites-vous la PCR ?
M. Laurent VACHEY. - Je ne suis pas médecin, vous seriez sans
doute plus compétente que moi. Le test se fait en détectant la
présence d'anticorps dans le sang. Les anticorps eux-mêmes ne sont
présents à un taux détectable qu'une vingtaine de jours
après la contamination pour le VIH et trente cinq à quarante
jours après pour les hépatites. Pendant cette fenêtre
muette, on peut malheureusement avoir collecté un don de sang qui, au
test des anticorps, s'avère négatif alors qu'il est en fait
déjà porteur du virus.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Quand cette nouvelle technologie
sera disponible en routine, on réduira vraisemblablement la
fenêtre muette.
M. Laurent VACHEY. - Et l'on s'apercevra plus tôt du fait qu'un
don est contaminé. De plus, c'est une technique qui s'applique
échantillon par échantillon et donc qui ne serait pas applicable
dans un automate qui traite plusieurs centaines de dons de sang à la
fois.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Merci. Pourriez-vous nous donner une
tendance, une évolution ? On ne peut pas se préoccuper de la
sécurité sans se poser à un moment donné la
question du coût/avantage.
M. Laurent VACHEY. - Aujourd'hui, la transfusion sanguine,
malgré la réforme, ne coûte pas plus cher aux
hôpitaux qu'il y a cinq ans car il y a eu une forte réduction de
la consommation des produits sanguins. Le produit sanguin unitaire coûte
plus cher parce que plus qualifié et préparé de
façon plus sûre. Cependant, étant plus prudent dans
l'utilisation des produits sanguins, on en consomme beaucoup moins à
l'hôpital. De mémoire, la consommation des produits sanguins sur
les dix dernières années a été réduite de
27 %. C'est beaucoup.
Comme le volume consommé est moindre, l'augmentation de prix unitaire
est compensée par la baisse en volume. C'est l'un des secteurs qui ne
coûte pas plus cher à l'assurance maladie.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Oui, mais cela met en
difficulté les établissements de transfusion. Ils vendent et
produisent moins à un coût plus élevé.
F. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR DU RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQIUE
M. Charles DESCOURS, président. - Monsieur le
président, nous sommes très intéressés par
l'organisme que vous dirigez, le Réseau national de santé
publique, organisme jeune qui, au regard des missions que la Mission
d'information souhaite voir jouer, nous semble un organisme tout à fait
pivot.
Vous connaissez notre Mission. Parlez-nous un peu du réseau. Où
en est-il, quels sont ses espoirs de grandir ?
M. Jacques DRUCKER. - Importants ! Le Réseau national de santé
publique est un organisme a été créé fin 1992.
Il est devenu opérationnel au début de 1993, lorsqu'il s'est
installé au sein de l'hôpital national de Saint-Maurice.
C'est un groupement d'intérêt public associant trois
partenaires : le ministère de la santé, l'INSERM et l'ENSP
(Ecole nationale de la santé publique). Les fondateurs du Réseau
ont souhaité associer, parmi les partenaires fondateurs, les
responsables de l'action sanitaire, de la recherche en santé publique et
de la formation.
En fait, le réseau s'inscrit dans le dispositif de protection sanitaire.
Il a pour mission spécifique la surveillance
épidémiologique et ce, dans deux domaines jusqu'à
présent : celui des maladies transmissibles et celui des risques
liés à des expositions environnementales.
En matière de surveillance épidémiologique, on distingue
deux objectifs prioritaires :
- l'alerte, c'est-à-dire la détection précoce de
l'émergence ou de la réémergence d'un certain nombre de
problème ou la détection de situations épidémiques,
- le recueil permanent d'informations destinées à
évaluer les stratégies et politiques de prévention dans
les domaines de compétence du Réseau.
La spécificité de la surveillance épidémiologique
est d'être orientée vers l'aide à la décision, vers
l'action. La mission du Réseau de santé publique est de
coordonner et de gérer des systèmes d'information qui soient
suffisamment réactifs pour apporter des informations précises et
rapides aux décideurs, afin qu'ils interviennent notamment en situation
d'urgence.
La mission de surveillance est une mission de puissance publique. La question
qui a présidé à la création du Réseau de
santé publique est : pourquoi finalement ne pas avoir
renforcé au sein même de l'administration de la santé
notamment cette mission ?
En fait, le Réseau national de santé publique a été
créé sur un double constat :
- le constat que les activités opérationnelles liées
à cette mission de surveillance seraient probablement, plus
réactives et plus opérationnelles dans une structure extraite de
l'administration de la santé, certes très liée à
elle et sous tutelle, mais en dehors des activités de routine de
l'administration de la santé,
- le constat que la surveillance épidémiologique, par
définition, nécessite de coordonner des sources d'information
extrêmement diverses, éparpillées et dispersées, qui
mettent en cause des institutions très diverses et qu'une structure
là encore un peu différente de l'administration de la
santé serait plus ouverte à ces partenariats multiples.
Que fait le Réseau national de santé publique au quotidien ?
Ses activités principales, prioritaires, sont les suivantes :
- coordonner un réseau de systèmes d'information sur les
maladies transmissibles et ce qu'on appelle la santé environnementale.
Par exemple, le ministère de la santé a confié au
Réseau national de santé publique toute la coordination de la
surveillance des maladies dites à déclaration obligatoire (sida,
tuberculose et autres maladies de ce type) ;
- en cas d'alerte sur une situation épidémique, mettre en
place le plus rapidement possible une enquête, une investigation
destinée à préciser, en liaison avec les services du
ministère de la santé, l'origine et le mode de transmission de
l'épidémie ;
- mettre en place des programmes d'étude prospectifs dans les
domaines insuffisamment ou pas couverts par les réseaux d'information
traditionnels et notamment dans le domaine des maladies transmissibles qui ne
sont pas couvertes par le système des maladies à
déclaration obligatoire. Dans ce cadre, le Réseau de santé
publique a coordonné l'an passé une action concertée sur
l'hépatite C, destinée à faire le point sur la
situation épidémiologique et sur les modes de transmission de
cette maladie et à faire des propositions en matière de
réseau de surveillance de cette pathologie.
Nous avons discuté ce matin, avec la Direction Générale de
la Santé, de l'implication du Réseau de Santé Publique
dans la surveillance des risques pour la santé liés à
l'amiante.
Le Réseau National de Santé Publique comporte ce que l'on
pourrait appeler un centre de coordination, basé à Saint-Maurice
qui comprend maintenant une quarantaine de personnes, pour la plupart des
épidémiologistes (médecins, pharmaciens,
vétérinaires), auxquel s'associent des techniciens,
biostatisticiens ou informaticiens.
A côté du centre de coordination de Saint-Maurice se
développe depuis dix-huit mois un réseau de ce que l'on appelle
les cellules régionales d'épidémiologie, petites
structures légères mises en place de façon
simultanée par le ministère de la santé et le
Réseau National de Santé Publique, implantées au sein de
certaines directions régionales de la santé (DRASS) et qui sont
à l'interface entre le Centre de coordination de Saint-Maurice et les
services déconcentrés du ministère de la santé,
c'est-à-dire les DDASS. Quatre sont opérationnelles à ce
jour, à Lille, Lyon, Marseille et Toulouse. Deux viennent d'être
créées, qui ne seront opérationnelles qu'en janvier,
à Rennes et à Nancy, et il est envisagé d'en créer
deux autres, l'une à Paris, pour les besoins de la région
Ile-de-France, l'autre en Antilles-Guyane.
Ce sont des structures légères, composées d'un
médecin épidémiologiste, d'un ingénieur du
génie sanitaire, d'un technicien et d'une secrétaire, et qui sont
chargées de démultiplier et de déconcentrer l'action du
Réseau National de Santé Publique pour la rendre plus proche des
préoccupations et des besoins notamment des services
déconcentrés du ministère de la santé au niveau des
départements.
A côté du centre de coordination et de ce réseau de
cellules, l'action du Réseau s'appuie sur tout un réseau
d'experts ou d'informateurs, si je peux utiliser ce mot, réseau à
géométrie variable selon les sujets étudiés. Par
exemple, pour les maladies à déclaration obligatoire, nous nous
appuyons sur les DDASS puisque leur mission est de collecter et de faire
remonter les informations sur les déclarations obligatoires de certaines
maladies. Sur d'autres thématiques comme la surveillance des maladies
d'origine alimentaire (les salmonelloses ou la listériose), on se repose
sur le réseau des centres nationaux de référence, pour la
plupart laboratoires de microbiologie. La moitié d'entre eux sont
situés à l'Institut Pasteur de Paris. Ce sont des centres
d'expertise sur certaines bactéries ou maladies, sur lesquels repose
l'action du Réseau en matière de détection de
phénomènes épidémiques ou de surveillance sur le
long cours de certaines pathologies.
Il existe aussi des réseaux de surveillance qui reposent sur des
informateurs différents : nous avons mis en place, parce que le
sujet n'était pas couvert jusqu'à présent, un
réseau de pédiatrie hospitalière pour surveiller la
coqueluche, maladie qui n'était plus à déclaration
obligatoire, mais qui est plus surveillée depuis une douzaine
d'années et dont on a observé la résurgence depuis trois
ou quatre ans. C'est au travers des réseaux de pédiatres
hospitaliers que la coqueluche est maintenant surveillée.
Depuis dix-huit mois, nous avons mis en place un réseau de
néphrologues hospitaliers pour surveiller une maladie infectieuse
d'origine alimentaire qui n'est pas couverte par la déclaration
obligatoire et qui est une affection apparemment en croissance.
Ces illustrations montrent que le Réseau National de Santé
Publique repose sur un noyau dur qui est le centre de Saint-Maurice, les
cellules régionales et les services des DDASS et qu'ensuite, selon les
besoins, les sujets et les thématiques, il active un certain nombre de
réseaux de professionnels.
Je citerai pour terminer le réseau des médecins sentinelles. Il
s'agit d'un réseau d'environ 500 praticiens libéraux qui
surveillent, par exemple, la grippe, la varicelle, la rougeole en France.
Il s'agit donc de structures d'information souples, réactives,
adaptables à différents sujets et susceptibles d'être
activées ou réactivées selon les besoins.
Un dernier mot en ce qui concerne notre mode de fonctionnement : le
Réseau National de Santé Publique, avec sa structure de
Saint-Maurice, n'a pas été créé pour se substituer
à des activités déjà opérationnelles
notamment au niveau des DDASS, mais pour les coordonner et les mettre en
cohérence. Coordonner, cela veut dire les animer, leur donner un appui
méthodologique, harmoniser, standardiser les méthodes de recueil
de l'information, renforcer sur le terrain, lorsque le besoin s'en fait sentir
et notamment en situation épidémique, l'action des
médecins-inspecteurs de santé publique des DDASS, puis faire une
analyse et une synthèse nationales d'un certain nombre de données
sanitaires pour les rendre disponibles auprès des pouvoirs publics.
A titre d'exemple, je vous ai apporté -c'est notre publication la plus
récente- le document que nous venons d'éditer dans la perspective
de la Journée mondiale sur le sida. C'est une synthèse sur
l'infection VIH en France qui illustre la façon dont on fonctionne,
puisque c'est la synthèse de sources d'information diverses et
variées dont le Réseau National de Santé Publique
coordonne l'activité et l'action.
M. Charles DESCOURS, président. - Mais on a l'impression que, pour
le VIH, cela "marche bien", si je puis dire. Le problème, c'est ce
dont
on ne parle pas. D'abord, vous n'êtes pas en charge des
épidémies qui pourraient relever de la surveillance alimentaire.
M. Jacques DRUCKER. - Partiellement. Nous sommes en charge de la surveillance
des problèmes épidémiques d'origine alimentaire, tout ce
qui est toxi-infections alimentaires collectives, par exemple, est
surveillé par les DDASS, et donc par le Réseau de santé
publique puisqu'il s'agit de maladies à déclaration obligatoire.
Lorsque les DDASS nous demandent de les appuyer dans des enquêtes sur ces
épidémies, nous le faisons. S'il s'agit d'épidémies
de dimension nationale, nous avons un mandat de la Direction nationale de la
santé pour faire ces investigations.
Plus récemment, le Réseau National de Santé Publique a
mandat de coordonner la surveillance de la maladie de Creutzfeld-Jacob, par
exemple depuis qu'elle est devenue à déclaration obligatoire.
M. François AUTAIN. - Et pour la tuberculose ?
M. Jacques DRUCKER. - La tuberculose est une maladie à
déclaration obligatoire qui est dans l'escarcelle du Réseau, si
j'ose dire. Nous avons la coordination et la gestion des données
nationales sur la tuberculose.
M. François AUTAIN. - Et pour le saturnisme ?
M. Jacques DRUCKER. - Pour le saturnisme, la situation est plus complexe. La
surveillance du saturnisme a été confiée avant la
création du Réseau à des centres régionaux de
toxicovigilance et les passerelles entre ce réseau et le Réseau
de santé publique ne se sont pas faites.
En revanche, nous coordonnons une étude nationale sur
l'évaluation de l'imprégnation par le plomb de la population
générale française. C'est une enquête sur un
échantillon représentatif de la population française, que
nous conduisons avec l'aide de l'INSERM, sur la prévalence du saturnisme
dans la population française. Mais le saturnisme, notamment le
saturnisme infantile, n'est pas -pour l'instant en tout cas- dans les missions
du Réseau National de Santé Publique.
M. François AUTAIN. - C'est la toxicovigilance.
M. Jacques DRUCKER. - Oui, en liaison avec les Conseils généraux.
Je terminerai cet exposé en disant que le Réseau National de
Santé Publique a quatre ans de fonctionnement à peine, il est
loin de remplir toutes ses missions et de répondre à tous les
besoins en matière de surveillance. Il est vrai qu'il y a des choses qui
ne marchent pas ou pas encore.
Si je devais identifier les deux ou trois éléments importants
qu'il me paraît nécessaire de renforcer ou de corriger, le premier
serait de renforcer les passerelles entre la surveillance
épidémiologique de santé publique et d'autres intervenants
comme, par exemple, ceux qui s'occupent de la santé animale. Nous avons
peu de contacts avec l'épidémiologie vétérinaire en
dehors des situations d'urgence. En dehors des enquêtes en cas
d'épidémie où la coordination entre les DDASS, la
Direction des services vétérinaires et, au niveau national, le
Réseau de santé publique et la Direction générale
de l'alimentation se fait assez bien ; en routine, les passerelles ont
effectivement besoin d'être renforcées.
Passerelles à renforcer aussi avec le ministère de
l'Environnement et le ministère du Travail sur des thématiques de
santé environnementale. Là encore, sur des actions ponctuelles ou
des études, des collaborations se sont déjà
établies, mais elles ne sont pas encore formalisées,
légitimées si j'ose dire.
Le deuxième point qui nécessite probablement une réflexion
et un renforcement concerne les passerelles et les relations de la fonction de
surveillance, que le Réseau assure avec les autres intervenants du
dispositif de protection sanitaire ; par exemple, avec ceux qui ont la
responsabilité de la sécurité des produits ou de la
sécurité alimentaire, de la mise sur le marché de certains
produits ou de certains dispositifs. Actuellement, il n'y a pas encore de liens
formels et même fonctionnels entre cette responsabilité et la
fonction de surveillance.
Nous n'avons pas vraiment accès aux données de la
pharmacovigilance et de l'hémovigilance, par exemple, et pas de
façon organisée et structurée.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Et vous le souhaiteriez ?
M. Jacques DRUCKER. - Absolument. Si on veut une organisation efficiente de la
protection et de la sécurité sanitaires dans ces domaines, tout
en ayant conscience qu'il y a des métiers et des fonctions
différentes, il faut une coordination et des passerelles entre ces
fonctions.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Il est question de vous transformer en
établissement public et de vous accorder plus de moyens. Pouvez-vous
nous dire si cela va être rapidement mis en oeuvre ?
M. Jacques DRUCKER. - Actuellement, c'est une réflexion. Je pense que le
Réseau National de Santé Publique est à un tournant de son
développement. La phase de démonstration est en train de se
terminer. Le ministère de la Santé pense que c'est un outil qu'il
faut pérenniser et renforcer.
Maintenant, pour la suite, la réflexion doit tourner autour de
l'élargissement de ses missions, et notamment d'une réflexion
plus globale sur la protection sanitaire. Une fois qu'on a
répété qu'il y a des fonctions différentes dans ce
dispositif de sécurité sanitaire, encore faut-il
réfléchir à la manière de coordonner ces
différentes fonctions et de clarifier les responsabilités de
chacun car, à l'évidence, les frontières entre la
surveillance et la vigilance ne sont pas très nettes. Au demeurant, il
n'est pas souhaitable qu'elles soient cloisonnées.
Par exemple, nous n'avons pas accès aux données relatives aux
vaccinations alors que nous surveillons les maladies à prévention
vaccinale et que les deux sont indissociables. Nous avons nous-mêmes mis
en évidence des problèmes d'effets secondaires de vaccins au
travers de la surveillance de maladies. Par exemple, il y a deux ans, nous
avons mis en évidence que le vaccin contre les oreillons n'était
pas aussi anodin qu'on voulait bien le penser, sans parler de
l'hépatite B.
Donc, à l'évidence, il y a là une frontière qui
n'est pas simple et une réflexion à mener sur les
responsabilités respectives des structures responsables de vigilance et
des structures responsables de surveillance. Il y a des méthodologies
communes et aussi une économie de moyens à trouver en termes de
systèmes d'information.
Pour répondre à votre question, nous en sommes au stade de la
réflexion. Au ministère de la santé -j'espère que
le directeur de la santé ne me contredira pas tout à l'heure-, il
existe une volonté de renforcer le dispositif de surveillance
épidémiologique, mais cela passe par une réflexion sur
l'harmonisation, la cohérence et l'élargissement des missions
avec d'autres systèmes d'information comme la vigilance.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Donc notre Mission sera utile y compris dans
la perspective des modifications que vous évoquez ?...
M. Jacques DRUCKER. - Je pense.
M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est la réflexion en ce qui concerne la
veille sanitaire finalement.
M. Jacques DRUCKER. - Absolument.
Un dernier point que je ne voudrais pas oublier parce que c'est une dimension
qu'il me paraît important de prendre en considération dans la
réflexion nationale, c'est la dimension maintenant européenne et
internationale des problèmes de surveillance
épidémiologique, notamment dans le domaine des maladies
transmissibles. Le projet de création d'un réseau européen
des maladies transmissibles est bien avancé, la proposition est soumise
actuellement au Parlement européen. De ce fait, depuis deux ou trois
ans, dans le cadre de la préparation de ce réseau, les
institutions comme le Réseau de santé publique et les
institutions européennes d'épidémiologie et de
santé publique ont déjà beaucoup travaillé sur
l'harmonisation de leurs systèmes de recueil d'information et sur le
partage de l'information. A l'évidence, dans la réflexion sur
l'organisation ou le renforcement de la veille sanitaire ou des systèmes
de surveillance ou de vigilance, la dimension internationale -en particulier
européenne- doit intervenir, car il serait très pénalisant
pour un pays d'avoir une réflexion sur le développement de son
système d'information en matière de veille sanitaire sans prendre
en compte ce qui est déjà en cours au niveau européen en
matière d'harmonisation des systèmes, de définition et
d'homogénéisation de la définition des maladies
surveillées, des méthodes de surveillance. C'est aussi un
élément important à prendre en compte dans cette
réflexion.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Vous avez souligné à plusieurs
reprises, y compris dans la réflexion prospective, que le Réseau
tel qu'il a été conçu initialement était un
réseau surveillance épidémiologique très axé
sur les maladies transmissibles. Vous avez évoqué aussi, à
l'instant, la nécessité d'élargir ses compétences.
Pouvez-vous nous préciser jusqu'où vous verriez cet
élargissement ?
M. Jacques DRUCKER. - L'élargissement de l'action et des missions du
réseau peut se concevoir en deux directions :
- d'une part, les thématiques de santé publique. On a
parlé ce matin de l'amiante, cela couvrirait tous les risques d'origine
professionnelle, les maladies non transmissibles, le cancer et les maladies
cardio-vasculaires ;
- d'autre part, les fonctions de veille sanitaire -la vigilance en est une- et
l'observation de la santé. Il y a des passerelles, là encore,
avec le recueil de statistiques sanitaires, etc.