V. SÉANCE DU MARDI 12 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DU PROFESSEUR JEAN-MICHEL ALEXANDRE, DIRECTEUR DE L'ÉVALUATION À L'AGENCE DU MÉDICAMENT
M. Claude HURIET, rapporteur - Monsieur le Professeur, au nom
de la mission, j'ai grand plaisir à vous accueillir pour cette audition.
Je vous propose de nous dire d'abord quelles sont vos responsabilités
aux plans national et européen, ainsi que l'état de vos
réflexions sur le sujet qui intéresse la mission de la commission
des affaires sociales.
Je voudrais également excuser le président Descours, qui
prépare une conférence de presse sur le projet de loi de
financement de la Sécurité sociale.
Monsieur le Professeur, vous avez la parole...
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Je suis actuellement directeur de
l'évaluation à l'Agence du médicament, qui comprend cinq
directions correspondant aux trois activités de base, et portant
essentiellement sur le médicament.
La direction de l'évaluation, dans laquelle je travaille, procède
à l'évaluation des médicaments avant l'autorisation de
mise sur le marché. La deuxième direction est celle des
études et de l'information pharmaco-économique. Il s'agit aussi
d'évaluation, mais avec une composante économique pour la
publicité et la transparence du médicament. La direction des
laboratoires et des contrôles a pour objet de contrôler, dans des
laboratoires d'analyse, les produits pharmaceutiques et les
spécialités. La quatrième direction est celle des
établissements et de l'inspection, celle-ci pouvant être
diligentée dans des établissements pour vérifier et
contrôler les modes de production et de fabrication, faire des
prélèvements qui sont envoyés au laboratoire de
contrôle. Enfin, la direction des affaires générales
s'occupe du budget des personnels, de l'informatique et de toute la logistique.
Je suis entré dans cette administration dès sa création,
en 1993. Précédemment, j'étais l'un des experts de la
direction de la pharmacie et du médicament. J'avais commencé
à collaborer avec le ministère de la santé en 1976, en
tant que pharmacologue à l'hôpital Broussais, où je suis
actuellement chef de service, pour encore 25 % de mes activités.
Mme Veil avait demandé la création d'une commission de
contrôle des dictionnaires de spécialités pharmaceutiques,
et, de 1976 à 1985, nous avons refait le dictionnaire Vidal.
En 1985, j'ai pris la présidence de la commission d'autorisation de mise
sur le marché. J'étais à ce titre expert externe à
l'administration. Parallèlement, j'étais membre de la
représentation française du médicament à Bruxelles,
au comité pharmaceutique et, progressivement, je suis devenu
vice-président puis président de ce comité.
Du fait de cet ancrage européen et de la création, en 1993, de
l'Agence du médicament, mon choix a été de consacrer
l'essentiel de mes activités aux tâches administratives, à
la fois françaises et européennes, dans la mesure où
démarrait en même temps l'Agence française du
médicament et, en 1995, le nouveau système européen du
médicament.
Il s'agit donc d'un passage dans l'administration, et je retournerai
très certainement pour un certain nombre de mois ou d'années
à mes activités initiales hospitalo-universitaires...
L'Agence du médicament est considérée au niveau
international comme l'une des plus performantes. Sur les quinze Etats membres
de l'Union européenne, trois à quatre agences tiennent
actuellement le haut du pavé grâce à leurs performances
dans tous les domaines, et essentiellement dans les domaines indissociables de
l'autorisation de mise sur le marché et de la pharmaco-vigilance.
Il s'agit du Royaume-Uni, de la Suède, de la France. La
République fédérale allemande a d'énormes moyens,
mais des performances très médiocres, qui ont valu une visite de
parlementaires au ministère de la santé et à l'Agence du
médicament, pour savoir comment améliorer le système
allemand, qui est malheureusement scindé en deux entités, l'une
traitant des médicaments d'origine chimique et des dispositifs
médicaux, et l'autre s'occupant des produits biologiques.
Certains pays, disposant de moyens plus réduits, sont néanmoins
considérés comme efficaces (les Pays-Bas, le Danemark et
l'Irlande sont dotés de moyens nouveaux...).
L'Agence du médicament construit la sécurité sanitaire, la
surveille et corrige s'il y a lieu. Ce sont des activités
indissociables. La sécurité se construit dès lors qu'il
est demandé aux firmes pharmaceutiques désirant mettre un
médicament sur le marché de répondre à des
exigences, tant en termes de qualité que d'efficacité et de
sécurité.
Le dispositif d'évaluation et d'autorisation de mise sur le
marché, qui comprend la commission d'autorisation de mise sur le
marché, s'attache à vérifier que ces exigences sont
satisfaites dans les trois domaines, comme par exemple, pour un produit
biologique, la sécurité virale : quels sont les tissus d'origine
humaine ou animale qui ont servi à préparer un médicament,
leur origine -par exemple bovine ? Quelles sont les garanties sur le cheptel de
départ, les tissus utilisés ? Quelles sont les modalités
de production ? Comment vérifie-t-on la sécurité virale ?
Quels sont les tests utilisés ? Comment suit-on cette
sécurité virale ? Ceci touche au dossier pharmaceutique...
Les études chez l'animal et chez l'homme précèdent ensuite
l'autorisation de mise sur le marché. Les produits ne peuvent être
commercialisés qu'après une autorisation, qui repose sur une
évaluation technique très poussée des meilleurs experts
français dans les différents domaines.
Bien entendu, il est dès lors mis sous surveillance sanitaire ou
pharmaco-vigilance. Cela consiste à suivre le médicament dans le
domaine de la sécurité, de la collecte des effets
indésirables, de leur évaluation, à des fins pratiques, et
à prendre des décisions, chaque fois qu'il en est besoin,
veillant, qui consistent dans les cas les plus simples, à modifier une
information -la rubrique des effets indésirables, le mode d'utilisation-
ou à attirer l'attention sur les précautions d'utilisation, ou
mettre en garde contre tel et tel facteur de risque, ou aussi à
contre-indiquer.
S'il en est besoin, les indications sont restreintes en fonction du rapport
bénéfice-risque, et s'il en est toujours besoin, le
médicament est suspendu ou retiré du marché. De plus en
plus, ces actions réglementaires initiées au niveau national sont
poursuivies au niveau communautaire et international.
Nous avons grossièrement les mêmes médicaments dans les
différents Etats membres. Dès lors qu'un problème de
santé publique est apparent dans l'un des Etats, le même
problème existe donc dans les Etats voisins. Une démarche
harmonisée vers le même processus de décision est de plus
en plus nécessaire.
Le système français est loin d'être parfait, mais cependant
tout à fait efficace pour la collecte des effets indésirables.
Ainsi, l'année dernière, nous avons dû avoir 30.000 effets
indésirables pour les 5.000 principes actifs, 8.000
spécialités et 12.000 présentations. Dix mille effets
indésirables plus ou moins liés aux médicaments, dans le
cadre des essais cliniques, ont été considérés
comme graves. Les effets indésirables graves nous sont notifiés
dans le cadre des autorisations temporaires d'utilisation, qui correspondent
à l'usage compassionnel ou à une utilisation relativement large
de cohortes faites avant l'autorisation de mise sur le marché, comme
pour les inhibiteurs dans le traitement du sida.
On a en effet traité en France, avant l'autorisation de mise sur le
marché, selon des protocoles thérapeutiques, 13.000 à
15.000 malades. A partir de l'expérience française, des effets
hémorragiques accrus ont été mis en évidence chez
les hémophiles, et toute la Communauté internationale a
bénéficié de ces observations.
Bien entendu, ces données ne sont pas exhaustives et ne peuvent jamais
l'être.
Au Royaume-Uni, la pharmaco-vigilance a une efficacité comparable. Les
autres pays sont loin derrière. La liste de la moitié des effets
indésirables émane directement des médecins prescripteurs,
par l'intermédiaire des centres régionaux. L'autre moitié
provient des industriels. On vérifie qu'il n'existe pas de
recoupements...
Ce recueil des effets indésirables performant, même s'il n'est pas
exhaustif, est lié en France à l'existence de 31 centres. C'est
un exemple de décentralisation. Nous recevons parfois la visite de
collègues étrangers qui veulent monter leur système et
prennent la décentralisation et les centres régionaux en exemple.
Ce réseau à larges mailles -chaque centre doit couvrir 2 millions
d'habitants- permet de faire remonter à l'Agence du médicament le
plus rapidement possible les effets indésirables graves, sur lesquels il
est nécessaire de prendre des mesures.
L'expérience montre que lorsqu'un médicament nouveau est mis sur
le marché, les effets qui ne pouvaient apparaître dans le dossier
d'autorisation de mise sur le marché, lorsqu'ils sont très
graves, sont mis en évidence par le système dans les 6 à
12 mois.
Certes, ce réseau peut être amélioré. On peut,
à l'intérieur de chaque maille, envisager des
sous-réseaux, avec des pharmaciens d'officine, ou un réseau plus
fin de généralistes, permettant de recueillir des informations
sur le mode d'utilisation de certains médicaments et les posologies
ainsi que des informations sur tel et tel type de médicament.
Il s'agit de signaux, et ces signaux sont de nature à déclencher
une alerte. Ils ne nécessitent pas l'exhaustivité. On ne pourra
de toute façon jamais forcer les médecins prescripteurs à
notifier. Il faut les sensibiliser... Le système fonctionne dès
lors qu'une partie significative des prescripteurs, par l'intermédiaire
des centres régionaux ou des firmes pharmaceutiques, nous font remonter
les effets indésirables.
Ce sont là les données de base. Beaucoup de pays ne les ont pas,
et je crois qu'on peut être tout à fait satisfait de ce
système de recueil, même s'il peut être
amélioré.
Par ailleurs, si l'on tarde à évaluer ou si l'on évalue
mal, le système ne fonctionne pas.
Enfin, le plus difficile est le processus de prise de décision. Lorsque
la décision n'est pas bonne, on arrive à des catastrophes !
Ainsi, l'année dernière, trois publications correspondant
à des études épidémiologiques ont montré une
augmentation des thromboses veineuses des membres inférieurs -des
phlébites- chez les femmes prenant des contraceptifs oraux incluant des
progestérones de troisième génération, par rapport
à d'autres pilules contenant des progestatifs plus anciens de
première et seconde génération.
L'augmentation du risque était faible -facteur 2. On passait de 15
incidents sur 100.000 à 30, sachant que ces accidents ne sont mortels
que dans 1 % des cas, soit une augmentation faible du risque, le risque
était lui-même relativement modéré au départ.
La décision, au Royaume-Uni, a été pratiquement de
contre-indiquer du jour au lendemain les pilules de troisième
génération, malgré les biais qui peuvent expliquer les
différences. Cette décision a déclenché une panique
dans le public : des centaines de milliers de femmes ont arrêté la
prise de contraceptifs. Le nombre d'interruptions volontaires de grossesse a
augmenté de façon drastique et, 9 mois après, on a
assisté à une poussée de natalité.
La même chose s'est produite en Allemagne, où 700.000 femmes ont
arrêté leur contraception, avec malheureusement des avortements et
aussi des naissances. Les autres pays n'ont pas bougé. Nous avons fourni
l'information la plus précise possible en expliquant ce qui avait
été observé, précisant que, pour l'instant, il n'y
avait pas de réponse et que le niveau de risques, même si on
pouvait lier les éléments observés à la pilule, ne
méritait pas de prendre des mesures draconiennes.
La vigilance ne se résume donc pas seulement à la collecte des
effets indésirables et à leur évaluation, mais consiste
aussi en une prise de décision. J'ai personnellement assisté
assez souvent au comité des spécialités pharmaceutiques
où, à partie de la même évaluation, on arrive
à des prises de décisions différentes.
J'ajoute que ces prises de décision reposent sur une évaluation
du risque par rapport au bénéfice. De toute façon, les
modifications réglementaires se font par le biais de l'autorisation de
mise sur le marché, qu'il s'agisse de l'information contenue dans les
dictionnaires de spécialités ou sur les notices de
conditionnement, de restrictions du domaine d'utilisation ou de mises en garde.
Cette fonction d'observatoire un peu statique n'est toutefois pas suffisante en
elle-même. Il existe certains domaines ou les signaux permettent de
déclencher une alerte, mais en aucune façon de conclure. Pour
pouvoir avancer dans le domaine de la connaissance et en matière de
sécurité sanitaire, il convient de démarrer des
études épidémiologiques, complément de la
notification spontanée.
Second exemple : les substances dites anorexigènes ou coupes-faims.
Depuis dix ans au moins, nous possédons des notifications d'hypertension
artérielle pulmonaire associée à la prise
d'anorexigènes. L'association dans le temps ne suffit pas à
démontrer totalement la relation de cause à effet, d'autres
facteurs pouvant intervenir, d'autant que la tension artérielle
pulmonaire est une pathologie mal connue. De plus, le niveau d'observation
était modeste, puisqu'on dénombre deux cas d'hypertension
artérielle pulmonaire par million d'habitants. Même en multipliant
le risque par cinq, cela ne fait que peu d'observations...
Il a fallu une étude épidémiologique pour démontrer
que le risque relatif était augmenté de cinq à dix fois
-quelquefois plus. La veille sanitaire doit donc être
complétée chaque fois que de besoin par des études
épidémiologiques.
Ceci pour dire qu'en matière de médicament, la
sécurité sanitaire se construit par la bonne maîtrise d'un
produit biologique en aval. Sauf accident ou incident non prévisible, il
ne doit pas y avoir de transmission de maladies virales.
Par ailleurs, la vigilance doit être intégrée à
l'évaluation permanente du médicament pour une meilleure
définition du rapport bénéfice-risque.
La séparation entre l'évaluation d'une part et la vigilance de
l'autre ne paraît donc pas justifiée. Je pense que ceci n'existe
dans aucun pays au monde, bien au contraire, puisqu'on a besoin à tout
moment de connaître les effets indésirables pour adapter
l'information et réguler le statut du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur - Certes, les deux démarches sont
très liées, mais le champ de notre réflexion doit-il
être le même pour ce qui est sécurité sanitaire des
produits et pour ce qui est veille sanitaire ?
En effet, certains incidents ou événements pathologiques peuvent
être liés à autre chose qu'à un produit à
finalité thérapeutique. Si l'on établit un système
de plus en plus performant en ce qui concerne la veille sanitaire pour les
produits à finalité thérapeutique, qu'adviendra-t-il
d'autres domaines comme l'alimentation ou les produits industriels ? ... Le
système de veille peut donc avoir un champ plus large que le champ dans
lequel doit se situer principalement la réflexion quant à la
sécurité sanitaire des produits...
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Il existe des coordinations avec
l'hémo-vigilance, la matério-vigilance, et celles-ci fonctionnent
très bien.
La toxico-vigilance, par contre, est une catastrophe ! Elle devrait être
gérée par la DGS. Nous n'y avons pas accès. Les
comités ne se réunissent pas. L'Agence a demandé à
en faire partie, mais on lui a répondu que cela ne la regardait pas. La
gestion des centres anti-poison par la DGS n'est pas la meilleure possible. La
DGS nous renvoie sur les centres anti-poison, que l'on connaît pour
travailler avec eux, mais on rencontre des problèmes de ce
côté là !
Des structures spécifiques, telle la DGS, qui ont en charge beaucoup
d'activités, sans spécialisations poussées ni moyens
adéquats, paraissent donc -à tort peut-être- à
moitié fonctionnelles...
Quant à la bio-vigilance, celle-ci va probablement se monter. Nous
sommes tout à fait au départ. Pour ce qui concerne l'Agence, tout
ce qu'on applique déjà aux produits biologiques s'appliquera
rigoureusement de la même façon aux vaccins.
Aux Etats-Unis, l'administration a en charge les retraites, les aides, les
enfants et la famille, les personnes âgés. Il existe
également des centres pour le contrôle et la prévention des
maladies -dont je ne suis pas persuadé qu'on a l'équivalent en
France- des instituts de recherche sur différentes pathologies, sorte
d'INSERM à vocation de recherche plus appliquée, ainsi qu'une
agence sur l'hygiène de l'environnement et sur la médecine du
travail...
A l'intérieur de la "food and drug administration", on trouve une
direction chargée des produits chimiques, une direction chargée
des produits incluant la thérapie génique et cellulaire, un
centre de médecine vétérinaire. Il existe également
un centre pour la sécurité des aliments et la nutrition
appliquée, un centre pour les dispositifs médicaux et les
produits de radiologie, un centre pour la toxicologie de recherche et, enfin,
un centre pour les médicaments orphelins.
Des réunions d'évaluation communes sont organisées entre
centres traitant des médicaments chimiques, des produits biologiques,
vétérinaires, aliments et dispositifs médicaux. Tout ceci
a été fait au sein d'un même organisme qui avait tous les
moyens de recueil et de collecte des informations, d'évaluation, de
contrôle et d'inspection. Cela a constitué une force de frappe
considérable...
Même si on a toujours reproché à la "food and drug
administration" un dispositif atrocement lourd, doté de milliers de
fonctionnaires, il faut reconnaître que ces structures sont quelquefois
fort efficaces et composées de professionnels de la
sécurité pharmaceutique, médicale et scientifique. On sort
là des agents d'administration centrale, qui ont une culture plus
réglementaire et de gestion : il s'agit de structures très
techniques, très scientifiques, qui peuvent d'emblée
déclencher l'alerte, procéder à l'évaluation et
préparer les instances décisionnelles à la décision.
La prise de décision est d'autant plus facile que l'on trouve en aval
des structures techniques relevant du service public et faisant appel à
des experts externes tout à fait performants, sachant que le processus
de décision est l'étape la plus contraignante, la plus difficile
et la plus dangereuse.
Je crois qu'il avait été envisagé dans le rapport de M.
Serrou qu'une coordination soit établie à la DGS... Je ne suis
pas sûr qu'une structure supplémentaire permette
d'améliorer les choses ! Il faut en fait des structures
spécialisées destinées à évaluer les
bénéfices et les risques.
Ainsi, si l'on est prêt à accepter certains effets
indésirables de la chimiothérapie, en revanche, lorsqu'on veut
traiter une affection bénigne, le niveau d'effets indésirables
est très bas. On ne peut se couper de tout effet indésirable -il
en existe toujours avec les médicaments- mais ils doivent être
ramenés au niveau du bénéfice. Dès lors que le
rapport bénéfice-risque apparaît contestable, ou
négatif, des mesures réglementaires s'imposent.
Je crois donc que ce serait une erreur profonde de dissocier la vigilance de
l'évaluation qui doit être menée au quotidien...
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS - Je suis préoccupée par
l'indépendance de l'Agence du médicament. Quels sont aujourd'hui
les règles qui vous permettent de porter l'appréciation la plus
objective possible et de prendre des décisions en dehors de pressions
d'ordre économique ?
D'autre part, devrait-on selon vous créer des structures performantes,
comme celles du sang, dans le domaine de la toxico-vigilance ou plutôt
vous confier un champ plus large dans ce domaine ? Pourriez-vous
l'intégrer ? Revendiquez-vous un élargissement de vos
compétences, et dans quels domaines ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - La pression économique ne s'exerce pas. La
direction de l'évaluation et de l'information pharmaco-économique
intègre une composante économique, mais il est demandé
à la commission de la transparence de donner un avis aussi objectif que
possible sur le service médical rendu et amélioration de celui-ci.
Depuis 1978, aucune pression n'a jamais été exercée -sauf
peut-être dans deux cas tout à fait exceptionnels.
L'évaluation porte en effet uniquement sur trois critères :
qualité, efficacité, sécurité. La notion
économique intervient en aval, mais à chacun sa
responsabilité, car, dès lors qu'on mélange les genres, il
n'y a aucune façon de s'en sortir !
Bien entendu, c'est le directeur général de l'Agence qui prend la
décision d'autoriser la mise sur le marché, mais les
autorisations doivent être adressées au ministère de la
santé quinze jours avant, et le ministre peut s'y opposer en cas de
problème de santé publique.
Dans le dispositif précédent, c'était le ministre qui
prenait la décision de mise sur le marché. En tant qu'individu,
il me paraîtrait déplacé qu'une structure -même
indépendante- soit totalement coupée du ministre de la
santé...
Par ailleurs, pour ce qui concerne la thérapie cellulaire et
génique, la coordination entre les établissements de transfusion
sanguine, l'Etablissement français des greffes et l'Agence
française du sang se mettra en place progressivement. On ne peut faire
autrement que de travailler avec eux. En matière de
sécurité virale, l'Agence du médicament a
déjà aidé à résoudre un certain nombre de
problèmes... Ceci continuera, car il ne peut en être autrement.
S'agissant de la toxico-vigilance, je ne pense pas que le directeur de l'Agence
a des revendications en la matière... Nous avons un domaine
d'activités et notre objectif est d'y répondre le mieux possible,
mais nous ne sommes pas encore dans une situation totalement stabilisée.
Par ailleurs, nous commençons à consacrés de plus en plus
d'efforts en fonction des moyens qui nous sont alloués aux
activités de fond touchant à la formation et à la
validation des produits...
Je ne pense pas que l'Agence a atteint un palier de fonctionnement, car des
activités nouvelles nous sont confiées -RMO, thérapie
cellulaire et génique. Or, nous manquons toujours d'outils, en
particulier informatiques...
Il n'y a pas encore une pleine synergie entre l'évaluation, le
contrôle et l'inspection, et l'on peut faire beaucoup mieux ensemble,
l'Agence ayant continué sur la même voie que celle de la direction
du médicament et amplifié le système.
En revanche, l'inspection est actuellement en croissance, et je pense que dans
quelque mois, elle sera efficace.
La direction des laboratoires et des contrôles, elle, a
hérité d'une situation foncièrement mauvaise...
Je crois que c'est à vous d'orienter les choses vers la mise en place de
structures performantes et autonomes, dotées de réels moyens
d'actions. Savoir si elles doivent exister séparément ou
être placées dans la même enveloppe est un problème
d'opportunité et de gestion.
Certes, on peut faire des économies de gestion en regroupant les
activités dans la même entité, mais quelle structure sera
capable de coordonner "n" activités de la façon la plus efficace
et la plus rapide ? ... Je ne dis pas qu'on ne pourra relever le pari, mais ce
sera difficile. Peut-être faut-il le faire progressivement -si vous
envisagez de l'ajouter aux activités de l'Agence- pour les
métiers que nous connaissons le mieux, ou du moins pour lesquels nous
avons quelques compétences.
M. François AUTAIN - Concernant la matério-vigilance, nous avons
une communication impressionnante sur le peu de contrôles auxquels
étaient soumis les dispositifs médicaux.
Quel rôle jouez-vous dans ce domaine ? Ne peut-on améliorer les
choses et, si oui, de quelle façon ?
D'autre part, quelle forme revêt le réseau d'informations
chargé de vous communiquer les effets indésirables des produits ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - S'agissant du médicament, on peut tout
envisager pour collecter les informations sur les effets indésirables :
ce qui compte, c'est l'efficacité ! Cela se fait par les réseaux,
les prescripteurs, les pharmaciens. On peut parfaitement imaginer qu'un certain
nombre d'acteurs de santé s'investissent dans une remontée
d'informations de façon plus systématique. L'important serait
qu'ils soient sensibilisés à l'intérêt du
problème et aient une information en retour...
Le système de pharmaco-vigilance est certes performant, mais l'on doit
progresser et conduire plus d'études qu'actuellement. Il faut
également systématiser la collecte d'informations. Cela peut
être fait à l'intérieur d'un département ou d'une
région, sous la forme de réseaux : un centre régional de
pharmaco-vigilance intégré dans un hôpital peut
étendre son domaine d'activités en ville et avoir son
réseau de médecins généralistes, de pharmaciens.
Enfin, on peut améliorer le retour d'informations.
Nous informons mal car l'information, une fois que le problème est
réglé, ne sollicite pas l'attention. Il est difficile, dans une
administration décentralisée, de faire sortir une information. En
effet, une fois l'autorisation obtenue, l'information est
dépassée, mais je crois que notre rôle est d'informer de
façon continuelle et adaptée.
Quant aux dispositifs médicaux, dans certains pays, ceux-ci se trouvent
dans la même structure que l'évaluation du médicament,
comme en Allemagne. Dans certains cas frontières, on a beaucoup de
difficultés à dire ce qui revient au médicament et ce qui
revient aux dispositifs médicaux : ainsi, dans certains problèmes
liés à la qualité et la sécurité virale,
l'élimination des effets indésirables sont très proches.
Certains dispositifs médicaux font appel à des
médicaments, notamment comme produits auxiliaires. De façon
générale, on va, par la certification, vers une garantie de plus
en plus grande de ces dispositifs, et cette évolution se fait dans le
bon sens. Il ne s'agit pas d'une autorisation, mais rien n'empêche de
procéder à une évaluation complexe et sophistiquée
des produits qui le méritent !
Ces évaluations peuvent être réalisées dans une
structure particulière, mais l'on peut également envisager,
immédiatement ou à terme, de prendre les dispositifs
médicaux en charge. C'est une question d'opportunité...
M. François AUTAIN - Cette structure existe-t-elle ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Actuellement, c'est la direction des hôpitaux.
Je ne connais pas les moyens mis en oeuvre, ni comment elle fonctionne... Pour
les contacts et la coopération, les choses se passent actuellement bien,
dans la mesure où l'on a des correspondants et où l'on travaille
ensemble. Je ne sais si la structure actuelle est suffisamment performante,
mais nous ne fonctionnons pas en aveugle.
M. Claude HURIET, rapporteur - La Suisse peut-elle servir d'exemple dans le
domaine du médicament ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Je suis incapable de répondre : en effet, la
Suisse n'étant pas dans l'Union, elle ne se trouve pas à Londres
chaque mois.
M. Claude HURIET, rapporteur - Que proposeriez-vous -en dehors des suggestions
que vous avez déjà émises- pour optimiser les structures
existantes et de celles qui sont agréées ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Ce serait une erreur que de dissocier la vigilance
du reste des activités.
Par ailleurs, l'évaluation des techniques doit se faire avec les
meilleures compétences, et il faut donc des structures adaptées,
très techniques, ce qui pose pour les services relevant du domaine
public des problèmes de recrutement : la grille des fonctionnaires
ignore en effet ce qu'est un chef de clinique, qui est recruté au
même niveau salarial qu'un médecin qui n'est pas passé par
l'internat et qui n'a pas été chef de clinique !
Enfin, il est nécessaire d'établir un contrôle, de disposer
d'une transparence et d'une coordination. On peut, pour ce faire, soit
structurer les coordinations -chose qui se fait en général tout
seul, car on ne peut fonctionner de manière isolée- soit
prévoir des structures communes. C'est à vous d'en voir
l'opportunité. Je suis mal placé pour le faire...