B. AUDITION DE M. PHILIPPE GUÉRIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ALIMENTATION AU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE, ACCOMPAGNÉ DE MM. BERNARD VALLAT, CONTRÔLEUR GÉNÉRAL VÉTÉRINAIRE, CHEF DU SERVICE DE LA QUALITÉ À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ALIMENTATION (DGAL), ET RÉGIS LESEUR, CONTRÔLEUR GÉNÉRAL VÉTÉRINAIRE, DIRECTEUR DE LA BRIGADE D'ENQUÊTES VÉTÉRINAIRES

M. Claude HURIET, rapporteur - Nous pourrions centrer cette audition sur les responsabilités du directeur général de l'alimentation en matière de sécurité et de veille sanitaire. Quelles sont vos attributions dans le domaine des additifs alimentaires et quelles sont les relations entre vos services et ceux d'autres ministères qui ont en charge la veille sanitaire ?

M. Philippe GUÉRIN - S'agissant de la veille sanitaire proprement dite, il faut rappeler que la réglementation française est directement liée à toute la réglementation européenne. Il est difficile de faire une séparation stricte entre les deux. Nous sommes de plus en plus dans une réglementation d'origine communautaire, même si tout n'a pas encore été transposé...

Cette réglementation s'appuie d'une part sur le code de la consommation, notamment à travers la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et les falsifications en matière de produits et de services, et d'autre part sur le code rural, notamment à travers la loi du 8 juillet 1965 relative au marché de la viande. Une autre loi très importante et plus récente est celle du 10 février 1994, relative aux conditions de mise sur le marché et d'introduction en France des produits d'origine animale.

Ces textes sont fondateurs et complémentaires. Cette complémentarité est indispensable à la surveillance de la qualité sanitaire des produits.

Le code de la consommation s'intéresse aux produits et à leur conformité par rapport au référentiel réglementaire. Il s'agit donc de dispositions horizontales et assez générales.

Le code rural que nous sommes chargés d'appliquer, quant à lui, impose un contrôle sanitaire et qualitatif des denrées alimentaires, mais également -et de plus en plus- des conditions de production.

Il y a intégration entre le contrôle du contexte sanitaire dans lequel fonctionnent les établissements de production et le contrôle des produits eux-mêmes. Nous intervenons en particulier pour délivrer les agréments sanitaires pour les établissements de production, au stade de la production et de la transformation. C'est un aspect parfois oublié, mais il serait impensable d'imaginer que l'on puisse contrôler l'intégralité de tous les produits, produit par produit, notamment dans le domaine microbiologique, où tout contrôle suppose une destruction du produit. C'est donc le contrôle des conditions de production qui nous paraît le plus performant et le plus pertinent dans le domaine agro-alimentaire.

Il existe deux types de textes : des textes sectoriels, qui couvrent les aspects spécifiques de certaines productions -abattage, découpe ou transformation des produits- et des arrêtés horizontaux, qui couvrent l'ensemble d'un sujet à travers les différentes activités de transport, d'entreposage et autres.

Quant aux moyens, les agents du ministère de l'agriculture, essentiellement du service vétérinaire, sont qualifiés pour la mise en oeuvre des deux codes dont je viens de parler. Néanmoins, il existe une distinction, notamment vis-à-vis des agents du ministère de l'économie et des finances, nos agents, avec les pouvoirs qui leur sont conférés, ayant la possibilité d'ordonner des mesures immédiates de police administrative.

Ils ont donc des pouvoirs particuliers justifiés par leurs compétences techniques et non pas seulement par leurs compétences réglementaires définies dans les textes.

Ces pouvoirs sont importants. Il s'agit de la consigne des produits ou des animaux, c'est-à-dire la possibilité d'interdire leur commercialisation ou leur déplacement lorsqu'ils sont suspects et nécessitent des examens complémentaires. La saisie, elle, consiste à limiter l'usage de la denrée alimentaire par le propriétaire de celle-ci. Ainsi, une denrée est saisie et retirée du circuit commercial pour être détruite ou destinée à une autre utilisation sous contrôle.

Le troisième pouvoir de ces agents est précisément la détermination de ces utilisations particulières pour des denrées qui, sans être insalubres au sens strict, ne peuvent être en l'état livrés à la consommation humaine, mais peuvent recevoir une autre destination.

Ces trois pouvoirs de police administrative offrent surtout la possibilité d'agir très rapidement pour retirer du marché certains produits dangereux, sans passer par une procédure judiciaire.

Certains problèmes de surveillance et d'organisation des contrôles nécessitant une approche pluri-départementale, il n'est pas impossible que, dans le cadre général de la réforme, une approche régionale soit envisagée dans les mois qui viennent...

Par ailleurs, pour pouvoir mettre un produit sur un marché, une entreprise doit bénéficier d'un agrément sanitaire, matérialisé par un cachet. Il existe différents types d'agréments, suivant que les produits peuvent ou non circuler sur l'ensemble du marché communautaire ou être limités à un marché local.

Ces agréments sont fondés sur des visites des établissements, et également sur l'étude de leurs modes de fonctionnement. Nous avons des pressions de contrôle des établissements différentes selon les risques générés par les types de production ou les clientèles de ces produits, et nous avons par exemple des pressions de contrôle plus fortes sur les maisons de retraite ou sur les établissements de restauration scolaire.

Nous réalisons une inspection systématique spécifique dans les abattoirs de boucherie. A la sortie des chaînes d'abattage, toutes les carcasses sont examinées individuellement. Ceci est valable pour les bovins. En revanche, pour les volailles, il n'est pas possible d'examiner un par un tous les poulets, et nous avons donc des contrôles par lot. Nous progressons vers des systèmes de certifications des élevages permettant de certifier ces contrôles et de les faire de façon plus aléatoire.

De plus, pour les contrôles des produits, des plans de surveillance sont mis en oeuvre chaque année, qu'il s'agisse des produits laitiers, microbiologiques, des résidus de médicaments, des pesticides, des saumons fumés, des facteurs de croissance ou des anabolisants, des miels ou de la radioactivité.

Il existe également un contrôle des importations des pays tiers par le biais de postes d'inspection frontaliers. Pour ce qui est du marché unique, nous réalisons des contrôles à destination en allant contrôler dans les établissements, notamment dans les entrepôts. Nous avons récemment complété notre dispositif pour mieux surveiller les plates-formes de distribution, qui sont toutes répertoriées dans nos fichiers.

Il peut se faire que certaines enquêtes soient ciblées, du fait de suspicions ou du fait des besoins - vache folle, produits de la pêche...

Enfin, en cas d'accidents alimentaires, nous travaillons en étroite liaison avec les autres administrations de la santé ou de la répression des fraudes. Nous pouvons faire appel à d'autres administrations, notamment les douanes, qui peuvent être utilisées lorsque c'est nécessaire.

L'investigation a alors plusieurs buts. Il s'agit bien sûr d'identifier la cause et la raison de l'accident, tant au niveau de l'agent pathogène lui-même. C'est en général le travail du ministère de la santé et le réseau national de santé publique.

Nous intervenons ensuite plus spécialement au niveau des facteurs qui ont favorisé l'accident, en particulier dans les établissements de production, en analysant les causes possibles : rupture de la chaîne de froid, accidents de manipulation...

Nous pouvons ensuite intervenir, par le biais de la répression des fraudes, afin de procéder au retrait des produits susceptibles de répandre l'intoxication.

J'ajoute que les agents des services vétérinaires peuvent être commissionnés pour tout ce qui touche à la protection de l'environnement et au contrôle des établissements classés pour les industries du secteur agro-alimentaire et de l'élevage. On touche là au problème de la pollution de l'air et de l'eau.

En ce qui concerne les maladies animales transmissibles -les "maladies réglementées"- nous avons là-aussi un système de contrôle dans les élevages, où notre réseau s'appuie sur les vétérinaires sanitaires libéraux, qui ont un mandat sanitaire qui leur est donné par les préfets, dans chaque département, sous le contrôle du directeur des services vétérinaires. Il existe, sous l'égide de l'administration centrale, des actions de lutte contre ces maladies, dont nous suivons de façon précise l'évolution. Il s'agit de la brucellose bovine et caprine, de la tuberculose, de la rage.

Enfin, nos partenaires sont la Direction Générale de la Santé, le Réseau National de la Santé Publique, la DGCCRF. Nous nous coordonnons, qu'il s'agisse de l'élaboration de la réglementation, de l'organisation de la mise en oeuvre, afin d'éviter des doublons et pour la bonne exploitation des enquêtes, de façon à recouper toutes les informations.

Il y a en outre des programmes d'enquêtes coordonnées, en liaison avec les services, comme les opérations vacances, qui permettent de lancer des opérations de contrôle spécifique dans des lieux à forte fréquentation touristiques pendant les vacances.

Nous travaillons aussi en étroite liaison avec d'autres ministères, comme celui du commerce et de l'artisanat, notamment pour l'adaptation aux artisans et aux petites entreprises des réglementations d'origine communautaire, qui peuvent se révéler très lourdes.

Nous collaborons également avec les professionnels car, de plus en plus, notre philosophie est celle des auto-contrôles et à la prise en charge par les professionnels eux-mêmes du maximum de responsabilités. Nous n'intervenons alors essentiellement qu'en matière de prévention et de contrôle de second niveau.

Pour ce faire, nous nous appuyons sur des instances scientifiques comme le CNEVA, mais aussi d'autres centres de recherche et d'appuis techniques -CEMAGREF, INRA, CNRS, Institut Pasteur.

Bien sûr, nous avons besoin d'un réseau de laboratoires. Je sais que c'est un sujet qui concerne particulièrement les élus locaux que vous êtes. Nous disposons de laboratoires nationaux de référence, dont certains interviennent mêmes au niveau communautaire, mais nous avons besoin aussi d'un réseau de laboratoires départementaux.

Nous devons poursuivre une réflexion de fond. Celle-ci a été engagée et nous avons lancé une enquête auprès de ces laboratoires départementaux, mais ce n'est pas très probant, et nous avons besoin de fixer notre politique... Autant nous avons besoin d'un maillage assez dense sur le territoire, autant il serait inutile et très coûteux d'entretenir aux frais des départements des laboratoires compétents dans tous les domaines, tous les produits, toutes les méthodes d'analyse, etc. !

La concurrence avec les laboratoires privés se développe, ceux-ci intervenant de plus en plus dans le cadre des auto-contrôles. Très souvent, nous avons des conflits d'ordre commercial, aussi bien dans relations fournisseurs-distributeurs que dans les échanges intra-communautaires ou internationaux, avec des divergences de résultats d'analyses, et des problèmes d'arbitrage qui ne sont pas évidents à régler. Une vraie question se pose donc là...

Les professionnels doivent absolument être responsabilisés dans cette affaire, et nous travaillons énormément avec les fédérations horizontales, comme les coopératives agricoles, mais également avec les fédérations verticales, par secteur de production, ou encore l'artisanat.

Nous avons beaucoup soutenu la création des CLAQ -"centres locaux d'action qualité"- regroupés au niveau national, de façon à faire passer le message et changer la culture même des entreprises, afin qu'elles prennent bien en compte ces problèmes sanitaires.

J'ajoute qu'entre 1995 et 1996, nous avons multiplié par trois les crédits consacrés à ces plans de surveillance, qui touchent des substances aussi différentes que les facteurs de croissance, les résidus de médicament vétérinaires, les métaux lourds, les résidus de pesticide, les micro-toxines, pour toutes les espèces animales domestiques -produits d'aquaculture, volailles- mais également certains produits végétaux, notamment en matière de recherches des métaux lourds.

M. Claude HURIET, rapporteur - Je ne vois qu'une question à vous poser concernant les attributions du laboratoire de la DGCCRF.

Celui-ci a à connaître d'un certain nombre d'incidents concernant les produits alimentaires. Nous savons qu'il a travaillé sur la listériose. Comment ce laboratoire se situe-t-il par rapport à vos moyens propres ? Existe-t-il des relations entre vous ?

M. Bernard VALLAT - Le ministère des finances, par le biais de la DGCCRF, effectue des contrôles de la distribution et a diagnostiqué, au même titre que le ministère de l'agriculture, en son temps, des problèmes d'existence de listériose...

La première étude sur la listériose alimentaire a été menée dans la région de Tours, en 1982-1983. A cette époque, les techniques de laboratoire étaient extrêmement longues et nécessitaient entre trois semaines et un mois pour poser un diagnostic.

Sur des aliments vivants, dont la durée de destruction est de 8 à 10 jours, on connaissait le résultat d'une analyse alors que tout était terminé ! Le problème a été de mettre au point des techniques analytiques beaucoup plus rapides, et a été le fruit d'un très gros travail de l'Institut Pasteur notamment. Les laboratoires de la répression des fraudes ont travaillé cette question, comme beaucoup de laboratoires, mais cela remonte à quinze ans.

La listériose s'est révélée notamment aux Etats-Unis, puis dans le canton de Vaud, en Suisse, et a amené une réflexion extrêmement importante au sein du ministère de l'agriculture. Le germe listérien était alors en devenir et n'avait pas encore émergé. Il a émergé brutalement dans les années 1982-1983. Nous avions à l'époque trois germes en devenir, et l'on surveillait ce qui se passait. C'est le listéria qui est sorti...

M. Claude HURIET, rapporteur - Qui était ce "on" ? L'ensemble de ces laboratoires ? L'Institut Pasteur ?

M. Bernard VALLAT - ... L'Institut Pasteur et nous-même au titre de la production. Aujourd'hui, bien sûr, tout cela est dépassé par les techniques nouvelles...

Déjà, dans les années 1980, et même avant, la veille sanitaire était la priorité du ministère.

M. Philippe GUÉRIN - Il existe plusieurs voies pour signaler ce type de problèmes : d'une part les auto-contrôles de l'entreprise elle-même, d'autre part les accidents sanitaires -et c'est la direction départementale des affaires sociales et de la santé qui le découvre. Aussitôt, le système se met en place.

Nous travaillons avec l'Institut Pasteur parce que c'est notamment au laboratoire de l'Institut Pasteur qu'est conservée la mémoire de toutes les souches. Or, ces germes ont des variabilités très fortes, et il convient de faire très attention pour bien déterminer à quel type on a à faire. C'est indispensable pour les médecins, pour l'entreprise, et pour nous !

Nous disposons nous-mêmes de plusieurs laboratoires, dont le laboratoire central de l'hygiène alimentaire, sous l'égide du CNEVA, ainsi que de deux autres, qui sont directement sous le pilotage de la DGL, l'un à Rungis et l'autre à Lyon. La DGCCRF en a un certain nombre, spécialisés par secteur.

Il ne faut pas se cacher qu'il existe une certaine émulation entre ces laboratoires, et que tout dépend des moyens budgétaires qui peuvent être consacrés à ces affaires. Le ministère des finances est le mieux doté et le premier servi, et bénéficie d'un certain avantage par rapport à notre réseau ou même à celui de la santé...

M. Claude HURIET, rapporteur - N'est-il pas logique, au nom de la sécurité sanitaire et de la fiabilité des résultats, d'avoir plusieurs laboratoires ? Dans nos propositions, il ne faudrait pas, au nom de l'optimisation des moyens, aller dans le sens d'un seul. Y a-t-il une réponse ?

M. Philippe GUÉRIN - Il y a d'abord une réponse au niveau de l'accréditation. Il y a un problème de mise aux normes qui suppose un énorme effort d'investissements et de changement profond des modes de fonctionnement de ces établissements.

Cette accréditation aux normes européennes doit se faire absolument. Elle ne pourra se faire partout, il ne faut pas se le cacher, et c'est d'ailleurs le même problème pour les laboratoires départementaux. Il y a accréditation sur tel type d'analyse ou de recherche. C'est donc là qu'on trouvera les complémentarités indispensables. Il serait ridicule de vouloir couvrir le territoire de laboratoires au top niveau dans tous les domaines.

Cette accréditation doit se faire sous le contrôle d'un organisme indépendant. C'est le comité français pour l'accréditation, le COFRAC, qui a cette responsabilité. En outre, même si la subsidiarité joue, il existe cependant aussi un contrôle communautaire.

Toutefois, il n'existe pas de véritable harmonisation des méthodes d'analyse entre les différents Etats européens. C'est une source de conflits commerciaux, que l'on peut utiliser pour des raisons économiques, des pressions politiques ou autres. C'est un biais dont il faut être conscient..

M. Bernard SEILLIER - Qui va s'occuper du développement des aliments à prétention thérapeutique, les "allégations de santé", notamment les plantes dynamisantes ?

Par ailleurs, pourquoi une telle divergence d'appréhension entre les Etats-Unis et nous-mêmes à propos de l'utilisation d'hormones dans la croissance animale ? Scientifiquement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi...

M. Régis LESEUR - Depuis les accords de Marrakech, ces problèmes entre Etats membres de l'OMC seraient susceptibles d'être réglés par un tribunal genevois. En cas de litige, les scientifiques seront censés départager les belligérants.

Pour pouvoir proposer une barrière tarifaire en matière d'échange sur un produit, il faut donc pouvoir prouver qu'une base scientifique existe.

Ces scientifiques peuvent toutefois être l'objet de pressions ou de manipulations, et il existe donc des normes internationales fixées par l'OIE -l'office international des épidopsies- pour les maladies animales, ainsi que par le Codex alimentarius en matière de produits alimentaires. En théorie, ce tribunal se base sur les normes de l'OIE ou du Codex pour rendre son verdict.

Ceci date de deux ans seulement, et le premier panel qui concerne la France en matière sanitaire est effectivement le panel réclamé par les Américains, les Canadiens, les Australiens et les Néo-zélandais sur le problème des barrières que la Communauté oppose à ces pays utilisateurs d'hormones, dont l'emploi se traduit par un différentiel de compétitivité d'environ 10 %.

Le Codex alimentarius et ses 140 Etats membres, en juin, se sont prononcés pour l'utilisation de certaines hormones ayant fait l'objet d'études scientifiques. Cette assemblée a en effet considéré que ces hormones étaient sans danger pour la santé humaine, pour peu que l'on respecte certains délais dans leur administration avant l'abattage.

La CEE ne tient pas compte de cet avis, ni de l'avis de la majorité de ses propres scientifiques, qui affirment que les hormones sont sans danger si elles sont utilisées correctement. Pourquoi ? ... Les hormones circulent naturellement dans la plupart des organismes vivants, et en administrer davantage suffisamment longtemps avant l'abattage prévient tout danger chez l'animal arrivé à maturité.

M. François SEILLIER - Aux Etats-Unis, on dit qu'il faudrait consommer un boeuf par jour pour encourir un risque quelconque...

M. Régis LESEUR - Il s'agit d'un problème purement éthique, de perception par le consommateur d'un danger imaginaire -on peut l'affirmer au plan scientifique. Cette opinion majoritaire masque certainement une certaine aspiration au retour à la nature, à la recherche du vrai, le mal-être urbain...

M. Philippe GUÉRIN - Concernant les allégations de santé, on assiste en effet à une tendance au développement de ce type de produits. Pour le moment, ceci est rigoureusement interdit en France. Les allégations fonctionnelles sont toutefois permises dans certaines conditions, sous contrôle étroit et étiquetage particulier.

Objectivement, il faut reconnaître que le système de coordination est compliqué. Les trois commissions existantes ont des secteurs de recouvrement de plus en plus importants : commission sur les alimentations particulières, commission sur la publicité et conseil supérieur d'hygiène publique de France. Ces trois groupes sont chargés d'émettre des avis sur l'autorisation, le choix de production et de mise en distribution, sous une forme ou une autre -grande distribution ou filière canalisée- ainsi que sur la publicité ces produits.

On retrouve d'ailleurs les mêmes acteurs : santé et fraudes. Bien sûr, les secrétariats sont différents, les présidents également. La procédure est toutefois un peu lourde...

On voit en effet se développer aujourd'hui la "nutrationique". Il s'agit de tendances qui ont déjà commencé outre-atlantique notamment, et l'on sent effectivement une pression de la part de grands industriels multinationaux pour commercialiser ce type de produits un jour ou l'autre sur notre marché.

Au Sial, on voit des choses étonnantes dans ce domaine. A "Bercy expo", il y a même une sorte de forum permanent d'innovations agro-alimentaires, ou l'on peut voir des produits japonais ou autres à faire dresser les cheveux sur la tête...

C'est une tendance très forte et un enjeu considérable pour nous et pour l'agro-alimentaire français en particulier. Il y a sans doute des questions d'éthique, mais on peut aussi se poser des questions pour la santé du consommateur lorsqu'on voit le pourcentage d'obèses aux Etats-Unis. Tout est permis là-bas, à condition qu'on le mette sur les étiquettes, mais on voit ce que cela donne !

Il faut quand même faire attention dans ce domaine, et ne pas aller trop vite. Il y aura de toute façon des problèmes de contrôle, car on est à la limite du médicament...

M. Dominique LECLERC - Existe-t-il un observatoire ?

M. Philippe GUÉRIN - Oui, nous avons l'observatoire des consommations alimentaires. C'est un exemple de bonne coordination, puisque la consommation alimentaire a un coût annuel de 6 millions de francs et que nous en prenons en charge 35 %, tout comme les fraudes, le reste étant assumé par la santé.

Chaque année, un programme nous permet de suivre l'évolution des consommations et d'évaluer les risques. Le risque, c'est le produit d'une dangerosité par une probabilité. L'observatoire, en fonction de tel ou tel produit, nous permet d'orienter notre politique, notre contrôle, et permet d'aller jusqu'à l'interdiction de mise en vente.

Le risque peut être nul, même avec un danger très fort, si la probabilité est nulle. A l'inverse, si la dangerosité est faible mais la probabilité forte, le risque peut être important.

M. Dominique LECLERC - De quels moyens disposez-vous pour anticiper les risques en termes scientifiques et en termes d'observation ?

M. Philippe GUÉRIN - Nous avons publié un Livre blanc qui dresse l'état de la question après dix ans d'expérience.

Le principe de précaution est appliqué depuis le début dans le domaine des organismes génétiquement modifiés, sous le contrôle d'une commission scientifique composé de gens indépendants, issus de différentes disciplines, qui travaillent en étroite liaison avec le comité national d'éthique.

Les travaux de cette commission sont le point de passage obligé avant tout essai de dissémination d'une plante sur le terrain -et avant même l'autorisation de mise sur le marché, maintenant délivrée par Bruxelles après consultation des Etats membres- ou l'utilisation de vaccins, comme celui contre l'hépatite, également obtenus par génie génétique.

Dans le domaine de la production animale, rien n'a été fait aujourd'hui, car nous sommes extrêmement prudents...

Par ailleurs, nous avons chargé la CNEVA de nous signaler les risques d'apparition de nouvelles maladies à une échelle potentiellement dangereuse pour nos populations.

Il existe donc un système d'anticipation fondé sur des travaux de laboratoire, la surveillance de la littérature scientifique mondiale et la veille scientifique. A cet effet, le CNEVA est relié à Internet.

C'est un autre sujet de débat sur la veille technologique et scientifique, dans le cadre ce qu'on appelle " l'intelligence économique ", dont je pourrais vous parler des heures, faisant partie du comité de pilotage de l'intelligence économique, dirigé par M. Jean Picq, secrétaire général de la défense nationale. C'est un sujet passionnant, et pour lequel il y a beaucoup à faire...

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