IV. VERS UN NOUVEAU DIALOGUE ENTRE LES COMMUNAUTÉS CONFESSIONNELLES ?
A la suite de l'accord de Taëf, la révision de
1990 a inscrit dans le Préambule de la Constitution le principe selon
lequel "
la suppression du confessionnalisme politique constitue
un but
national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire
d'oeuvrer suivant un plan par étapes
".
Le principe de l'abolition du confessionnalisme politique et administratif a
suscité et suscite encore l'inquiétude, voire l'hostilité
des communautés chrétiennes, comme en témoigne le
communiqué final du Synode des églises libanaises réuni
à Rome en décembre 1995 : "
Passer à
l'allégeance nationale, par delà notre allégeance
communautaire, exige que s'affirme un régime politique qui associe
pleinement chaque communauté aux décisions nationales afin
qu'aucune n'impose à la nation ce qui ne convient qu'à une
communauté et ne correspond pas aux traditions des autres
communautés
". "
Ce régime s'accommode donc
d'une démocratie consensuelle et ne peut être à la merci
d'une idéologie majoritaire
".
Lors de l'entretien qu'il a accordé à la délégation
de la commission des Lois, le patriarche maronite ne s'est pas
déclaré par principe hostile à la fin du
confessionnalisme, mais il a tenu à faire observer qu'il faudrait au
moins trois générations pour chasser le réflexe
confessionnel des esprits et des pratiques.
Depuis la fin de la guerre civile,
les chrétiens ne tiennent pas
toute leur place dans le jeu des institutions libanaises
. Les
élections de 1992 ont été marquées par le boycott
des communautés chrétiennes ; en 1996, les chrétiens se
sont profondément divisés sur la question de la participation aux
élections, si bien que nombre d'entre eux ne se sentent pas
représentés au sein du nouveau Parlement.
Cette situation nouvelle comporte en germe
le risque d'une marginalisation
de la communauté maronite
, alors que la nation libanaise est
fondée essentiellement sur le dialogue et la
" convivialité " entre l'ensemble des communautés qui
la composent.
Comme le Liban s'efforce d'effacer les séquelles de la guerre civile, le
moment est peut-être venu d'engager plus avant la réflexion sur la
déconfessionnalisation du Liban pour dépasser les clivages
traditionnels entre les dix-sept communautés.
Cette nouvelle réflexion permettrait ainsi d'ouvrir le débat sur
la question du statut personnel des Libanais.
A l'heure actuelle, le droit civil ne régit que le droit patrimonial de
la famille et la succession des biens.
En revanche, pour les rapports personnels issus du mariage, les musulmans sont
soumis à la Charia avec des variantes entre les sunnites, les chiites et
les druzes tandis que les chrétiens relèvent du droit canon qui
notamment prohibe le divorce et n'offre que l'option entre l'annulation et la
séparation de corps laissant intacte le lien matrimonial.
Il n'existe pas de mariage civil ou laïque si bien que les Libanais
désireux de se marier sont tenus de se rattacher à une
communauté existante, faute de quoi ils devront se rendre par exemple
à Chypre pour contracter leur union.
Dans la présentation de son ouvrage " Statut personnel et
compétence judiciaire des communautés confessionnelles au
Liban ", le Doyen de la Faculté de Droit de l'Université
Saint-Esprit de Kaslik (USEK), le Père Basile Basile a
évoqué les " possibilités d'un dialogue
intercommunautaire fructueux et d'explorer les chances d'une éventuelle
unification raisonnée du système de statut personnel
communautaire ". " C'est seulement à travers un dialogue
ouvert d'une unification raisonnée du système de statut personnel
du pays sous l'égide d'un Etat de droit qui tient compte des richesses,
des particularités, des traditions, du sentiment religieux et de la
liberté de conscience de chacune des communautés
confessionnelles, sans inégalité ni discrimination aucune entre
tous les citoyens devant les mêmes lois de l'Etat " que la
" convivialité " entre toutes les communautés
confessionnelles du Liban triomphera et sera fortement et complètement
consolidée. "
L'objectif est ainsi de rechercher le dénominateur commun à cette
mosaïque de législations et de compétences judiciaires.
Certes, les fanatismes musulmans ou chrétiens seront autant d'obstacles
à l'unification des statuts personnels, notamment de la part de ceux
qui, comme les islamistes, rejettent la dualité des pouvoirs temporel et
spirituel.
A terme, ce rapprochement entre les statuts personnels pourrait conduire
à l'élaboration d'un code civil commun à tous les Libanais
et permettre, lorsque les Libanais y seront prêts, d'ouvrir la voie
à une meilleure délimitation de la référence
communautaire dans la vie institutionnelle libanaise.