ALLOCUTION DE CLÔTURE DE M. ALAIN JUPPÉ, PREMIER MINISTRE
M. Alain Juppé, premier ministre
.-
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs, c'est avec un grand et réel plaisir que je
participe à la conclusion de votre colloque consacré à la
loi sur l'aménagement et le développement du territoire.
Je voudrais tout d'abord remercier le Président du Sénat de son
hospitalité et adresser à Jean François-Poncet mes
félicitations pour avoir eu l'idée de cette journée et
avoir assumé la lourde tâche de son organisation.
Conclure une journée de débats intenses -je le sais- me donne
l'occasion d'intervenir sur un sujet qui va droit au coeur des
sénateurs, compte tenu notamment de leur rôle auprès de nos
élus locaux.
En installant le Conseil national pour l'aménagement et le
développement du territoire, le 5 février 1996, aux
côtés d'Olivier Guichard, un an jour pour jour après la
promulgation de la loi pour l'aménagement et le développement du
territoire, j'avais eu l'occasion de rappeler la filiation entre cette loi et
la politique mise en place il y a trente ans par le général de
Gaulle. S'il ne devait y avoir pour mon Gouvernement qu'une seule raison de
s'intéresser à ce sujet, ce serait déjà celle
là, et elle serait à soit seule suffisante. Mais le bilan qui
vous a été présenté au cours de cette
journée vous a montré que nous nous y étions
engagés avec beaucoup d'ardeur, au point que votre question, tout
à l'heure, Monsieur le Président, m'a paru un peu oratoire. C'est
la règle du jeu...
Nous avons pu vous montrer tout au long de la journée l'importance du
travail mené depuis un an par Bernard Pons, puis par Jean-Claude Gaudin,
pour mettre en oeuvre les différents outils d'aménagement du
territoire prévus par la loi, qu'il s'agisse des mesures fiscales
dérogatoires en faveur des zones de redynamisation urbaines et des zones
de revitalisation rurale, ou des fonds de péréquation, notamment
dans le domaine des transports.
Je ne vais pas reprendre ici en détail le bilan. Je voudrais
malgré tout souligner que la tâche accomplie a déjà
été importante et souvent difficile.
Dès la prise de fonctions du Gouvernement, je me suis personnellement
soucié de négocier avec la Commission européenne, pour
qu'elle autorise les dispositifs fiscaux dérogatoires, ce qui
était une condition sine qua non de la mise en application de la loi que
vous aviez votée.
Bernard Pons est allé personnellement à Bruxelles plaider notre
cause auprès du commissaire européen chargé de la
concurrence, pour le convaincre d'accepter une dérogation aux
règles habituelles d'analyse de ces services. Dieu sait si cela n'a pas
été facile ! Il a fallu de longs mois de négociation, et
c'est finalement le 27 décembre 1995, six mois après, que le
Gouvernement a obtenu une décision favorable, ce qui lui a permis de
publier, le 15 février, le décret relatif aux zones de
revitalisation rurale.
Ainsi, les mesures fiscales destinées à aider la création
et le développement d'entreprises sont en place dans les zones rurales
et elles précèdent de quelques mois les mesures en faveur des
quartiers en difficultés, prévues dans le cadre du pacte de
relance pour la ville.
Le 4 août 1995, deux mois à peine après la constitution du
Gouvernement, nous avons engagé l'opération de
préfiguration relative aux pays. Fin août, j'ai lancé
personnellement la démarche d'élaboration du schéma
national pour l'aménagement et le développement du territoire,
à laquelle j'ai souhaité associer très largement les
parlementaires.
Le 23 octobre, Bernard Pons a réuni pour la première fois le
comité de gestion du fonds d'investissement des transports terrestres et
des voies navigables, après avoir modifié le décret
correspondant, afin de mieux associer les parlementaires à la gestion de
ce fonds.
J'ai donné là quelques exemples de notre volonté de mettre
la loi en oeuvre. Cette volonté a rythmé toute l'action
gouvernementale depuis un an, d'abord sous l'impulsion d'Edouard Balladur, puis
sous la mienne.
Quant à l'évolution du fonds national pour l'aménagement
et le développement du territoire, elle fera l'objet d'un suivi attentif
tout au long de cette année, dans un contexte budgétaire que vous
connaissez, et dont je ne peux vous dissimuler la difficulté, même
si j'en mesure les conséquences pour certains projets de
collectivités locales...
De nombreux chantiers restent ouverts devant nous, car la loi est fort
ambitieuse, et prévoyait de nombreux autres dispositifs. Ces chantiers,
nous allons les attaquer ensemble, Gouvernement et Parlement, et je sais
pouvoir compter sur votre soutien face à des réformes difficiles
et complexes, et surtout sur votre capacité de propositions.
Le dossier que je souhaite traiter par priorité avec vous est celui de
la situation des collectivités locales. Je l'ai rappelé hier
à Bordeaux. Je souhaite mettre en oeuvre au 1er janvier 1998 la
révision des valeurs locatives qui servent de base aux taxes directes
locales.
De même, il est indispensable de procéder à une
réforme de la taxe professionnelle, que nous appelons tous de nos voeux.
Elle est inscrite dans l'article 74 de la loi. Le ministère des finances
a reçu commande de propositions en ce sens.
Dans cette réflexion sur les finances locales, je compte m'appuyer sur
la commission consultative d'évaluation des charges, qui n'a pas
été réunie depuis longtemps et qui sera très
prochainement saisie par Dominique Perben d'un rapport sur l'évolution
des charges transférées -en avance sur le calendrier fixé
par la loi- combiné avec la prévisibilité des dotations de
l'Etat aux collectivités, assurée par le pacte de
stabilité. Voilà qui permettra de procéder, thème
par thème, à une clarification des compétences pour
améliorer l'efficacité de l'Etat et des collectivités
locales, dans le but d'améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.
C'est dans ce même état d'esprit que j'ai souhaité que
l'ensemble des parlementaires soient associés à toutes les
étapes de l'élaboration du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire, à travers
les commissions régionales et nationale thématiques.
Ce schéma constitue en effet la clef de voûte de notre ambition
d'une meilleure cohésion républicaine. C'est lui qui doit
permettre, par une approche décloisonnée, de fixer à tous
les acteurs de l'aménagement du territoire un cap pour les années
à venir ; c'est lui qui doit permettre de concrétiser
l'impression si juste de Charles Pasqua : il ne peut y avoir
d'aménagement du territoire sans développement des territoires.
C'est lui qui montrera que l'on ne peut opposer des investissements culturels
réalisés à Paris et qui contribuent à renforcer
l'image internationale de notre pays à des projets culturels
réalisés à travers tout le territoire, et qui visent
à donner à tous l'accès à la culture, sans oublier
les habitants de bourgs ruraux, ni les jeunes de quartiers en difficulté.
C'est également lui qui permettra de faire prévaloir une approche
intermodale des transports, qui s'appuiera sur une analyse objective des
besoins de déplacement des Français, sans a priori sur le choix
entre tel ou tel mode de transport, sans dupliquer mécaniquement des
solutions adaptées à une région et non à une autre.
A travers l'élaboration du schéma national et de l'ensemble des
schémas sectoriels prévus par la loi, c'est tout le Gouvernement
qui veillera à inscrire son action dans cette ambition d'un pays plus
solidaire et plus compétitif.
Jean-Claude Gaudin, dans son intervention de ce matin, a lancé le
débat sur ces mesures. Je souhaite qu'il soit intense et vivant. Je
souhaite y associer particulièrement les présidents des grandes
associations d'élus, l'association des maires de France, celle des
présidents de conseils généraux, celle des
présidents de conseils régionaux, car les communes, les
départements, les régions ont un rôle irremplaçable
à jouer dans la définition des grandes orientations de notre
politique d'aménagement du territoire, qui doit être par
excellence une politique concertée.
Cette ambition nous permettra d'aller au-delà de ce qui a
déjà été prévu par la loi, comme le
Gouvernement a déjà commencé à le faire, et je
voudrais en donner deux ou trois exemples...
Tout d'abord, s'agissant de la nécessité de soutenir la
création d'entreprises, nous sommes allés beaucoup plus loin que
bien des points évoqués par Charles Pasqua. Ainsi, le plan pour
les PME, que j'ai rendu public le 27 novembre, complète et amplifie
considérablement une véritable politique des PME-PMI. Qu'il
s'agisse de leurs financements, de leur fiscalité ou des conditions de
concurrence qu'elles subissent vis-à-vis de la grande distribution en
particulier, nous avons encore amélioré les dispositifs.
On a parlé de renforcement des fonds propres. La disposition fiscale
votée dans le dernier DDOEF, qui, pour la première fois dans
notre système fiscal, introduit la notion d'un impôt progressif
sur les sociétés, en taxant à 19 % la part des
bénéfices des PME-PMI mise en réserve pour
améliorer les fonds propres, cette disposition est tout à fait
originale. Elle est votée et entrera en application au 1er janvier 1997.
C'est une réponse à cette recherche de fonds propres et à
l'amélioration du capital-risque.
Il en va de même des dispositions que nous avons prises dans le cadre de
ce plan destiné à renforcer les interventions de la SOFARIS, ou
de la réforme du crédit d'équipement aux PME, dont j'ai
souhaité faire une véritable banque des PME-PMI. Cette nouvelle
initiative du Gouvernement est donc venue compléter fort
opportunément ce qui était déjà inscrit dans la loi
au titre de la création d'entreprise.
Charles Pasqua évoquait l'intérêt de s'endetter par les
temps qui courent pour financer de grands projets de développement. J'ai
interprété cela comme un hommage rendu à la politique du
Gouvernement, qui a permis une détente historique des taux
d'intérêt. Quelle n'a pas été ma
stupéfaction, à Bordeaux, alors que je présidais le
Conseil de communauté, d'entendre un membre communiste de mon opposition
me dire qu'il fallait s'endetter, l'argent n'ayant jamais été
aussi bon marché ! C'est vrai, et c'est une bonne chose pour le
développement de nos collectivités et de nos entreprises...
Je ne citerai pas le pacte de réforme pour la ville, dont j'imagine que
Jean-Claude Gaudin a abondamment parlé tout à l'heure.
Troisième exemple, encore en gestation : la réforme de l'Etat,
qui comportera des simplifications dans les relations entre l'usager et
l'administration, mais aussi un pas décisif sur la voie de la
déconcentration. Notre ambition est de faire ce qui a été
fait pour la décentralisation dans les années 1980, et ce sera,
j'en suis sûr, en termes d'aménagement du territoire, une nouvelle
avancée extrêmement significative.
C'est d'une certaine manière être fidèle à l'esprit
de la loi d'orientation que de chercher au-delà de la lettre de la loi,
à adapter nos réponses aux enjeux de l'aménagement du
territoire. Des défis nouveaux se présentent d'ores et
déjà à nous -je pense à la réforme de notre
défense et à la modification du format de nos armées, qui,
en termes d'aménagement du territoire, vont avoir des implications
extrêmement importantes.
Le Président de la République m'a demandé de faire de
cette réforme une opération exemplaire au regard de
l'aménagement du territoire. C'est dans cet esprit que, dès
demain, je proposerai au Conseil des ministres la création d'un
comité interministériel pour les restructurations de
défense et la nomination d'un délégué
interministériel qui en sera le rapporteur et l'animateur.
Dans le même temps, les fonds d'accompagnement prévus pour la
reconversion de notre dispositif seront très sensiblement
majorés. Il s'agit là aussi pour notre pays d'une très
grande affaire d'aménagement du territoire, bien perçue par les
jeunes et par leurs parents, qui suscite souvent l'inquiétude des
élus, notamment dans les villes moyennes. Je mesure cette
inquiétude. Le Gouvernement fera tout pour que les décisions
prises en ce domaine n'aboutissent pas à remettre en cause les objectifs
de la politique d'aménagement du territoire, mais les confortent !
Voilà un nouveau défi, qui était -et pour cause-
ignoré par la loi du 4 février 1995, et qu'il nous faut
aussi relever.
C'est en adaptant nos réponses aux évolutions économiques
et institutionnelles que nous pourrons réussir dans notre ambitieux
projet d'une France plus juste et plus solidaire, ensemble, car, je le
répète, le Gouvernement fait toujours de cette politique une de
ses priorités.
Parce que les élus que vous êtes y sont passionnément
attachés, parce qu'elle peut être une parfaite expression du voeu
du Président de la République de construire la France pour tous,
nous aurons à coeur de donner à la politique d'aménagement
du territoire et à la loi du 4 février 1995 -à laquelle
s'attache désormais pour l'éternité le nom de Charles
Pasqua- la dimension d'une réalité forte, perçue en tant
que telle par nos concitoyens !
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président
.- Avec le
discours du Premier ministre se termine notre colloque. A toutes et à
tous, je donne rendez-vous au printemps de l'année prochaine. Où
et comment ? Nous le verrons d'ici là !
La séance est levée à 18 heures 20.