DEUXIÈME PARTIE
:
UN DISPOSITIF INSTITUTIONNEL INADAPTÉ
Il serait trop aisé de faire porter sur les seules insuffisances du traité de Maastricht, les désillusions liées à la mise en oeuvre de la PESC.
Il n'en demeure pas moins que le dispositif juridique conçu par les négociateurs s'est révélé, à l'expérience, inadapté.
Le processus de décision, d'abord, les conditions de mise en oeuvre de la PESC ensuite, ne permettent de garantir ni la cohérence ni l'efficacité de l'intervention de l'Union européenne, deux conditions pourtant requises pour une politique extérieure commune.
I. LE PROCESSUS DE DÉCISION : LA DIFFICULTÉ D'EXPRIMER UNE VOLONTÉ COMMUNE
La logique intergouvernementale retenue pour le second pilier ne favorise guère la rapidité des procédures de décision et la capacité d'initiative des Quinze.
Il appartient au Conseil, réuni dans sa formation « Affaires générales » 6 ( * ) , compétent pour l'ensemble de la politique extérieure de l'Union (PESC et relations extérieures communautaires), de définir et de mettre en oeuvre, notamment à travers les positions communes ou les actions communes, les décisions relatives à la PESC (article J 8 paragraphe 2).
Il assure également l'unité, la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Union.
Dans les situations d'urgence, le Conseil peut se réunir à la demande de la Commission ou d'un Etat membre dans un délai de 48 heures, ou un délai plus court encore « en cas de nécessité absolue ».
Le Conseil ne saurait toutefois constituer le cadre où s'élabore la décision. Tout au plus représente-t-il l'instance d'arbitrage de dernier ressort. Il ne peut pas davantage représenter l'Union sur la scène internationale : ni sa composition -encore élargie à de nouveaux Etats membres- ni son mode de fonctionnement ne le désignent comme l'interlocuteur des Etats tiers avec lesquels l'Union entretient un dialogue politique.
Les formules prévues par les dispositions du second pilier, ou instaurées à la faveur de la pratique institutionnelle, se sont efforcées de concilier principes de coopération intergouvernementale et efficacité. Le résultat apparaît pour le moins contrasté.
A. EN AMONT, L'UNIFICATION DES PROCÉDURES DE DÉCISION RESTE PROBLÉMATIQUE
Le nombre des Etats membres et la diversité des opinions qu'ils représentent constitue, on le sait, un obstacle pour la définition d'une diplomatie cohérente. Or, la multiplicité des organes intéressés au processus de décision, jugée sans doute nécessaire pour parvenir à une attitude commune entre des parties prenantes si nombreuses, ne fait, en définitive, que redoubler les difficultés.
Il convient en effet de distinguer d'une part le secrétariat général du Conseil, organe permanent au service du Conseil, des trois niveaux de réunion préparatoires au Conseil (les groupes de travail, le Comité politique, le Comité des représentants permanents). Chacune de ces instances jouent un rôle dans la préparation des décisions liées à la PESC. Le tableau, toutefois serait incomplet s'il n'évoquait pas le réseau des télégrammes chiffrés consacrés à la correspondance européenne (« COREU » dans le jargon de Bruxelles) dont le rôle s'est révélé utile dans la mise en place de la politique extérieure commune.
Le réseau coreu permet en effet aux partenaires de l'Union européenne d'entretenir un dialogue télégraphique permanent, notamment entre les réunions (Conseil européen, Conseil Affaires Générales, Comité politique, réunions des groupes de travail ...). Le réseau coreu sert à échanger des informations sur ces réunions (ordre du jour, relevés de conclusions, renseignements pratiques ...) mais aussi d'autres documents au titre de la PESC (projets de déclarations, projets d'interventions de l'Union européenne devant les instances internationales ou lors de conférences internationales, démarches, rapports de chefs de mission en pays tiers, comptes rendus de visites de la Troïka). Conformément au règlement intérieur du Conseil (article 8.4), il permet également d'arrêter dans certaines conditions des décisions, pour autant qu'elles n'aient pas de portée communautaire.
Il constitue à ce titre un outil indispensable d'information, de consultation et de gestion quotidienne de la PESC.
1. Le secrétariat général du Conseil : un rouage important mais méconnu
a) La place du Secrétariat général dans les institutions européennes
Le secrétariat général du Conseil s'était constitué, en marge du Traité de Rome, pour répondre aux besoins du Conseil et de sa présidence sollicité toujours davantage par l'essor des activités de l'Union. Le Traité a consacré ce développement institutionnel (article 151 paragraphe 2 CE) et reconnaît également la fonction de secrétaire général.
Ce dernier, nommé à l' unanimité par le Conseil, dirige un ensemble de services dans l'ensemble peu étoffés. Ainsi, après la fusion du secrétariat général de la Coopération politique européenne au sein du secrétariat général du Conseil, l'unité PESC placée sous l'autorité d'une direction générale des relations extérieures et de la PESC, ne compte guère plus d'une vingtaine de personnes.
b) Le rôle du secrétariat général
Son rôle est d'assister la présidence, au niveau des réunions préparatoires du Conseil comme du Conseil lui-même, en lui fournissant les notes qui permettent d'orienter les débats et finalement, souvent, la position adoptée.
Le secrétariat joue de la sorte un rôle décisif non seulement en organisant les travaux liés à la PESC, mais aussi en contribuant à définir la teneur de la politique adoptée. Ce point mérite toute l'attention, comme on le verra dans la dernière partie du rapport, au moment où se pose la question de la pertinence d'un mandat confié à un « M. PESC » et où certains considèrent que ce mandat pourrait se confondre avec celui de secrétaire général du Conseil.
2. Les instances préparatoires du Conseil : la difficile conciliation entre l'impératif d'efficacité et les principes d'une coopération intergouvernementale
L'organisation des travaux liés à la PESC fait intervenir des groupes de travail et le Comité des représentants permanents. Rien ne distingue, à ce stade, le domaine de la politique étrangère des autres questions soumises au Conseil. Cependant, à ce schéma classique, s'ajoute l'intervention du Comité politique dont il importe de préciser le rôle.
Cette particularité, liée en fait à l'héritage de la CPE, manifeste la primauté, consacrée dans le cadre du second pilier, à l'intergouvernemental. La logique intergouvernementale inspire d'ailleurs, de façon plus implicite, l'organisation des groupes de travail.
a) Les groupes de travail
En effet, bien que les procédures s'organisent selon des modalités différentes dans le premier et le second piliers, le cadre institutionnel obéit au principe de l'unicité. Ce principe commandait en conséquence la fusion des groupes de travail de l'ancienne coopération politique avec le groupe de travail du Conseil compétents pour les relations extérieures communautaires.
Les groupes de travail réunissent les fonctionnaires des capitales à ceux des représentations permanentes nationales installées à Bruxelles. La Commission et le secrétaire général du Conseil sont par ailleurs pleinement associés à leurs travaux.
Le rôle du groupe de travail est de parvenir à un accord à trois niveaux différents d'élaboration d'une politique étrangère commune :
- analyse commune sur la situation d'un pays tiers ou sur une question multilatérale et sur l'attitude qu'il convient d'adopter en conséquence ;
- propositions soumises à l'approbation du Comité politique sur les conditions pratiques de mise en oeuvre de la PESC (démarches, déclarations) ;
- recommandations pour des initiatives ultérieures reprises, le cas échéant, par le Comité politique dans le cadre d'un avis au Conseil.
La fusion des groupes de travail est restée problématique au point que le Conseil du 12 juin 1994 a dû rappeler la nécessité d'insérer « tous les groupes de travail dans un processus préparatoire unifié, conforme au cadre institutionnel unique établi par le traité et destiné à assurer la cohérence de l'ensemble de l'action extérieure de l'Union » 7 ( * ) . Ces retards témoignent de l'inertie des structures administratives mais aussi des difficultés soulevées par la conciliation entre l'unicité du cadre institutionnel et la double logique, communautaire pour les relations extérieures du premier pilier, intergouvernementale pour la PESC dans le cadre du second pilier.
A ces difficultés, s'ajoute le problème de l'articulation des compétences entre le Comité politique et le Comité des représentants permanents.
b) Comité politique et Comité des représentants permanents
Le Comité politique composé des directeurs des affaires politiques des ministères des affaires étrangères des Quinze exerce sa fonction traditionnelle d'organe de consultation et concertation dont il se trouvait investi par la CPE. Au terme de l'article J 8 paragraphe 2, il suit la situation internationale, contribue à la définition de la politique étrangère en soumettant des avis au Conseil à la demande de celui-ci ou de sa propre initiative et il veille enfin à la mise en oeuvre des décisions adoptées par le Conseil dans le domaine de la politique étrangère.
En un mot le Comité politique exerce les compétences dévolues dans l'ordre communautaire par le COREPER. Or le COREPER intervient également dans le domaine de la politique étrangère. Comment s'articule dès lors les compétences entre les deux instances ?
En fait, il revient au COREPER d'assurer la responsabilité de préparer l'ordre du jour du Conseil -dont tous les points doivent figurer au préalable sur son propre ordre du jour-. Cette compétence constitue une innovation 8 ( * ) par rapport à l'Acte unique qui confiait au comité politique une compétence exclusive pour la préparation de l'ordre du jour du Conseil pour les questions de politique étrangère.
L'examen de cette organisation institutionnelle révèle la tension entre deux tendances contradictoires : d'une part le souci d'assurer la cohésion du processus décisionnel à travers le maintien d'un cadre institutionnel unique, d'autre part la logique intergouvernementale peu compatible avec la mécanique institutionnelle de l'Union européenne.
* 6 Le Conseil « Affaires générales » associe en principe les ministres des Affaires étrangères des Etats membres.
* 7 Mise au point par le Conseil des "méthodes de travail dans le domaine des relations extérieures de l'Union"
* 8 Innovation qui résulte de la référence de l'article J 8 paragraphe 5 à l'article 151 du traité CE