- Avant-propos
- Introduction par Dominique
Vérien,
présidente de la délégation aux droits des femmes
- Remise du prix de la
délégation
à Neil Datta
- Réponse de Neil Datta
- Remise du prix de la
délégation
à Sandra Vizzavona
- Réponse de Sandra Vizzavona
- Remise du prix de la délégation
à Aurélie Tinland
- Réponse d'Aurélie Tinland
- Remise du prix de la délégation
au Samusocial de Paris
représenté par Vanessa Benoit, directrice générale
- Réponse du Samusocial de Paris
- ANNEXE
N° 162
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 novembre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des
femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes (1) sur la cérémonie
de remise du Prix
2024
de la délégation
aux droits des
femmes,
Par Mme Dominique VÉRIEN,
Sénatrice
(1) Cette délégation est composée de : Mme Dominique Vérien, présidente ; Mmes Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin, M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Agnès Evren, Annie Le Houerou, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean-Michel Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne, M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph, Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir, Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.
Avant-propos
Mardi 22 octobre 2024, la délégation aux droits des femmes a remis, au Palais du Luxembourg, pour la sixième année consécutive, le Prix de la délégation aux droits des femmes créé en 2019 à l'occasion de son vingtième anniversaire1(*).
Ce prix récompense chaque année des personnalités ou des structures (associations, ONG, etc.) engagées dans la défense des droits des femmes et ayant contribué à éclairer les réflexions de la délégation. Il s'agit pour la délégation aux droits des femmes et, à travers elle, le Sénat, d'affirmer sa considération pour des acteurs et actrices de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible.
Cette sixième édition a été l'occasion pour la délégation de dresser un bilan de ses travaux, riches et variés, au cours de la session 2023-2024.
Trois thématiques principales parmi celles qui ont structuré les activités de la délégation au cours de cette session ont été retenues pour la promotion 2024 du Prix de la délégation :
- la lutte contre les violences faites aux femmes dans toutes leurs dimensions et plus particulièrement la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le milieu du cinéma ;
- l'accès à l'avortement dans le monde et la constitutionnalisation du droit à l'IVG ;
- les femmes sans domicile et sans abri, invisibles et pourtant exposées à toutes les violences.
Pour l'édition 2024 de son prix, la délégation aux droits des femmes a ainsi choisi de mettre à l'honneur l'actrice, réalisatrice, auteure et militante féministe, Judith Godrèche, dont l'audition devant la délégation le 29 février 2024 aura marqué un tournant dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et la mise en place d'une meilleure protection des mineurs dans le milieu du cinéma.
La délégation a également distingué Neil Datta, directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF), ainsi que Maître Sandra Vizzavona, auteure du livre Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu, adapté au théâtre, tous deux engagés pour la défense du droit à l'avortement et la liberté des femmes à disposer de leur corps.
La délégation a, par ailleurs, souhaité saluer l'engagement et l'action de terrain d'Aurélie Tinland, psychiatre à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (APHM), chercheuse en santé publique et responsable de l'équipe mobile psychiatrie précarité Marss (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social), qui intervient auprès des personnes sans abri de Marseille.
Enfin, la délégation a mis à l'honneur l'action du Samusocial de Paris pour ses multiples actions en faveur des femmes sans domicile. Le prix de la délégation a ainsi été remis à sa directrice générale, Vanessa Benoit.
Le palmarès 2024 du Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat reflète donc les travaux variés et engagements forts de la délégation au cours de la session 2023-2024 et permet de mettre en lumière l'action de femmes et d'hommes pour faire avancer les droits de toutes les femmes.
La cérémonie de remise du Prix, qui marquait également le vingt-cinquième anniversaire de la délégation, a réuni une centaine de personnes.
Ce recueil reproduit les discours échangés, lors de cette cérémonie, entre les lauréats du Prix 2024 et Dominique Vérien, présidente de la délégation.
Introduction par Dominique
Vérien,
présidente de la délégation aux droits
des femmes
Chers collègues,
Chères lauréates et cher lauréat,
Mesdames et Messieurs, c'est avec un grand plaisir que je vous accueille au Palais du Luxembourg pour la sixième cérémonie de remise du Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat, ma première en tant que présidente de la délégation.
Ce prix a été créé en 2019 par notre ancienne présidente Annick Billon à l'occasion du vingtième anniversaire de la délégation. Il vise à affirmer notre considération, et celle du Sénat tout entier, à l'égard d'actrices et d'acteurs de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible. Chaque année, nous honorons des personnalités qui ont enrichi et éclairé nos travaux par leur réflexion et leur engagement.
Comme toujours, nos travaux ont été riches cette année. Au cours de l'année écoulée, nous avons travaillé sur divers sujets, notamment les familles monoparentales - nous venons d'ailleurs de remettre notre rapport sur le sujet à la ministre chargée de la famille et de la petite enfance, Agnès Canayer -, la place des femmes dans l'intelligence artificielle, qui préfigure notre futur travail sur les femmes dans les sciences, les femmes sans abri - sujet de notre dernier rapport, tout juste publié -, la constitutionnalisation de l'accès à l'avortement, les violences sexistes et sexuelles dans les armées ou le cinéma, ou encore l'excision.
Pour l'édition 2024 du Prix de la délégation, nous avons choisi de distinguer des personnalités et une association autour de trois thématiques essentielles, à commencer par la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans toutes leurs dimensions et dans tous les domaines de la société. Ce combat est inscrit dans l'ADN de notre délégation.
L'audition de Judith Godrèche en février dernier nous a particulièrement marqués. À l'occasion de son témoignage et de son appel à une meilleure protection des mineurs sur les plateaux de tournage, nous nous étions engagés à ne pas l'avoir oubliée six mois plus tard. Nous avons tenu parole. Lui remettre notre prix signifie que nous continuons le combat et que nous le poursuivrons tant que nous n'aurons pas obtenu la mise en place d'une protection efficace des victimes.
Malheureusement, Judith Godrèche nous a fait savoir en fin de matinée qu'elle était souffrante et ne pourrait donc pas être présente à notre cérémonie. Nous lui ferons parvenir son prix ultérieurement.
L'accès à l'avortement constitue le deuxième axe majeur de nos travaux. La constitutionnalisation de l'IVG, c'est à dire la liberté des femmes de disposer de leur corps, cinquante ans après l'adoption de la loi Veil, a marqué un nouveau chapitre dans l'histoire des droits des femmes.
C'est cette avancée forte que nous saluons en remettant le prix de la délégation à deux personnalités qui ont nourri nos argumentaires, par les analyses et les témoignages qu'ils ont partagés avec nous : Neil Datta, directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF), ainsi que Maître Sandra Vizzavona, auteure du livre Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu, adapté au théâtre, pièce que nous sommes allés voir en délégation.
Enfin, notre principal rapport de cette année, publié au début du mois, a porté sur les femmes sans domicile et sans abri, ces femmes invisibles, « face cachée de la rue », exposées à toutes les violences.
Pour notre palmarès 2024, nous avons tenu à saluer l'important travail accompli par les salariés et les bénévoles d'associations, les médecins, les travailleurs sociaux, les écoutants du 115 et l'ensemble des personnes qui accueillent et accompagnent ces femmes.
Je suis donc très heureuse de remettre notre prix au Docteur Aurélie Tinland, psychiatre à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (APHM), chercheuse en santé publique et responsable de l'équipe mobile psychiatrie précarité Marss (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social), qui intervient auprès des personnes sans abri de Marseille, ainsi qu'au Samusocial de Paris pour ses multiples actions en faveur des femmes sans domicile.
Chères lauréates, cher lauréat, vos engagements, vos combats et vos actions concrètes incarnent les valeurs que notre délégation s'efforce de défendre quotidiennement. En vous honorant aujourd'hui, nous souhaitons rappeler que la lutte pour les droits des femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes n'est jamais terminée. C'est un combat constant, que nous devons mener ensemble, sans relâche.
Nous vous exprimons aujourd'hui toute notre gratitude pour l'exemple que vous donnez et les pistes de travail que vous partagez avec nous, parlementaires. Merci à vous, et félicitations pour cette reconnaissance plus que méritée.
C'est avec fierté et émotion que je vais maintenant procéder à la remise du prix de la délégation aux lauréates et lauréat de la promotion 2024.
J'invite dans un premier temps notre seul lauréat - puisque nous récompenserons ensuite des lauréates -, Neil Datta, à me rejoindre. Je ne remettrai pas ce prix seule : j'invite mes collègues Sylvie Valente Le Hir et Laurence Rossignol, qui avaient animé nos tables rondes consacrées à l'accès à l'avortement dans le monde en novembre dernier, à me rejoindre.
Remise du prix de la
délégation
à Neil Datta
Cher Neil,
Vous êtes depuis plus de vingt ans le directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs, et, à ce titre, un spécialiste reconnu des mouvements anti-IVG dans le monde. On ne le sait pas nécessairement, mais l'EPF a été fondé au Sénat au début des années 2000, à l'initiative de notre regretté collègue, Lucien Neuwirth.
Je suis ravie de vous retrouver ici aujourd'hui, car nous nous connaissons bien maintenant. Vous êtes un grand connaisseur de l'architecture politique et financière globale des mouvements anti-IVG et de leur impact sur l'accès à l'avortement dans le monde. Votre analyse des stratégies développées par ces mouvements, très organisés au plan international, avait été particulièrement éclairante pour notre délégation lors du colloque organisé le 23 novembre dernier, consacré à l'accès à l'IVG dans le monde, en amont de la constitutionnalisation par la France du droit à l'IVG.
Cette analyse nous avait rappelé qu'en matière de protection du droit des femmes à disposer de leur corps, une vigilance de tous les instants est indispensable.
Vous aviez notamment souligné la nouvelle organisation des contestations de l'IVG au niveau international, émanant d'acteurs tels que des ONG, des think tanks ou des partis politiques nouvellement créés, avec un champ d'action élargi à la santé sexuelle et reproductive.
En effet, il ne faut pas s'y tromper, ces mouvements ne luttent pas uniquement contre le droit à l'avortement, ils militent également contre toute forme de contraception, contre la procréation médicalement assistée et contre l'éducation des enfants à la vie sexuelle et affective. J'en profite pour excuser l'absence de Salima Saa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui rencontrait la ministre de l'éducation nationale pour lui parler, entre autres, des trois séances annuelles d'éducation à la vie affective et sexuelle. Je l'excuse d'autant plus volontiers que la cause en vaut véritablement la peine.
Vous nous aviez également alertés sur la professionnalisation de ces organisations, qui maîtrisent parfaitement le fonctionnement des institutions nationales comme internationales.
Enfin, vous aviez mis au jour l'explosion des moyens financiers de ces mouvements, passés, en Europe, de moins de 20 millions de dollars par an au début des années 2010 à environ 130 millions de dollars par an aujourd'hui.
Par vos analyses, enquêtes et rapports de grande qualité, vous êtes un acteur incontournable de la lutte pour l'accès aux droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe. Vous avez constitué un appui précieux dans notre combat pour la constitutionnalisation de la liberté des femmes à recourir à l'IVG.
Cher Neil Datta, je laisse nos rapporteures vous remettre le prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
[Applaudissements dans la salle.]
Réponse de Neil Datta
Madame la présidente,
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers la délégation aux droits des femmes du Sénat. Cette reconnaissance m'émeut sincèrement. Je ne m'attendais nullement à me retrouver ici aujourd'hui, lorsqu'on m'a invité à témoigner devant la délégation lors du colloque sur l'IVG dans le monde.
Cette reconnaissance a pour moi une dimension personnelle, mais elle souligne avant tout le travail collectif accompli face à la menace que représentent les mouvements anti-genres pour les droits humains, les droits des femmes, et même pour la démocratie que nous avons bâtie en Europe.
C'est la première fois qu'une telle reconnaissance émane d'une institution aussi prestigieuse que le Sénat de la République française. Je tiens donc à vous en remercier et je suis extrêmement fier que cette humble contribution ait pu apporter des arguments supplémentaires en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG. Merci beaucoup.
Dominique Vérien, présidente. - J'en profite pour saluer la présence d'Agathe Hamel, présidente de la délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), et de sa vice-présidente Patricia Blancard. C'est grâce à Agathe Hamel que je vous ai rencontré, que j'ai perçu l'intérêt de vos travaux et que j'ai souhaité les partager avec la délégation aux droits des femmes.
J'invite désormais Maître Sandra Vizzavona à me rejoindre.
Remise du prix de la délégation
à
Sandra Vizzavona
Maître, chère Sandra Vizzavona,
Nous nous sommes rencontrées un soir de décembre 2023 au Théâtre Antoine, après la représentation d'Interruption, pièce adaptée de votre livre paru en février 2021, Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu.
Cette pièce a profondément marqué les sénatrices et sénateurs présents par son originalité, sa sincérité et sa force. En effet, quelques mois avant les débats sur la constitutionnalisation de la liberté d'avorter en France, nous étions plongés dans la vérité du discours de celles qui ont eu recours à un ou plusieurs avortements au cours de leur vie. Un discours puissant sur la liberté des femmes à disposer de leur corps comme elles l'entendent.
Mêlant témoignages, documents d'archives et réflexions intimes sur le rapport des femmes à la sexualité et à la maternité, votre pièce, portée par une mise en scène et des actrices remarquables, constitue un outil précieux pour comprendre les enjeux de la lutte pour le droit à l'avortement. Alors que ce droit est de plus en plus contesté dans le monde, la France a été pionnière en le constitutionnalisant, le protégeant ainsi d'éventuels retours en arrière.
Si nous, politiques, portons une lourde responsabilité dans la protection de ce droit fondamental, des initiatives telles que la vôtre, émanant de la société civile et touchant le grand public, sont tout aussi essentielles pour défendre ce droit acquis de haute lutte.
Nous célébrerons prochainement le cinquantième anniversaire de la promulgation de la loi Veil. Bien que cinquante ans représentent peu à l'échelle de l'humanité, nous pouvons être fiers d'être le premier et seul pays au monde à avoir constitutionnalisé ce droit. Nous constituons un espoir pour toutes les femmes vivant dans des pays où ce droit est menacé ou non reconnu, pas seulement dans des pays du tiers monde.
Chère Sandra Vizavona, pour saluer votre engagement en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps, je suis heureuse de vous remettre, au nom de notre délégation, un prix spécial du jury. En effet, bien que vous n'ayez pas fait partie des personnes auditionnées, votre pièce de théâtre nous a permis d'aborder cette réflexion sous un angle différent. Personnellement, le fait que votre oeuvre se présente comme une boucle m'a profondément touchée. C'est donc avec une grande joie que je vous remets ce prix.
[Applaudissements dans la salle.]
Réponse de Sandra Vizzavona
Je vous remercie vivement pour ce prix spécial et pour le travail remarquable de la délégation aux droits des femmes, ainsi que pour vos votes.
Celui du 1er février 2023 a fait tomber un barrage et a rendu possible une révision constitutionnelle. Il a été suivi de celui du 28 février 2024 sur le projet de loi constitutionnelle. Cette reconnaissance par une délégation parlementaire revêt une importance particulière pour moi, car elle illustre l'évolution de ma démarche.
Initialement, en écrivant mon livre, je n'affichais pas d'ambition militante. Je voulais simplement partager mon expérience et donner la parole aux femmes sur leur IVG, afin de mettre en lumière la diversité de leurs situations sans les juger. Cependant, au fil des témoignages recueillis, j'ai pris conscience de la fragilité du droit à l'avortement et du poids du silence et de la culpabilité qui pèsent sur les femmes. Cette prise de conscience m'a poussée à sortir de ma réserve et à m'engager dans un combat politique.
À la suite de la publication du livre, nous avons développé un projet théâtral avec Hannah Levin, metteuse en scène, et Pascale Arbillot, comédienne. Le festival Paroles Citoyennes nous a offert l'opportunité de présenter notre pièce et de participer à des tables rondes sur l'IVG. Initialement prévue pour une unique représentation le 16 avril 2023, la pièce Interruption a ensuite été programmée au Théâtre Antoine pour une vingtaine de représentations, se prolongeant finalement jusqu'en avril 2024.
Pendant que nous étions en représentation, le calendrier politique s'est accéléré, aboutissant au vote de la loi constitutionnelle par le Congrès le 4 mars 2024. Nous avons observé une évolution dans la réception du public au cours des débats parlementaires. Les représentations qui ont suivi le vote de la loi constitutionnelle ont été accueillies avec une joie et un enthousiasme particuliers. Nous avons ressenti la fierté du public de vivre dans un pays offrant une protection constitutionnelle au droit à l'IVG.
Aujourd'hui, la France fait figure d'exemple dans le monde grâce à votre vote. Néanmoins, la modification du texte constitutionnel n'est pas suffisante. Il est crucial de veiller à l'effectivité de ce droit au quotidien et dans tous les territoires. Nous devons également penser aux femmes au-delà de nos frontières, à toutes celles vivant là où les droits reproductifs stagnent ou régressent de manière alarmante.
La maîtrise des droits reproductifs est par ailleurs une condition nécessaire, mais non suffisante, pour atteindre une égalité réelle entre les femmes et les hommes. D'autres travaux que vous menez sont essentiels. Je pense notamment à la situation des mères isolées et des familles monoparentales.
Je tiens à exprimer ma gratitude envers Chantal Birman, présente aujourd'hui, qui m'a grandement inspirée et m'a accordé un entretien déterminant pour l'écriture de mon livre et la création de la pièce de théâtre. Je suis profondément honorée d'être parmi vous aujourd'hui.
Dominique Vérien, présidente. - Je me suis rendue à la représentation de votre pièce d'abord pour des raisons professionnelles liées à nos débats autour de la constitutionnalisation de l'IVG, et j'ai finalement découvert une pièce exceptionnelle. Je comprends désormais son succès fulgurant, car lorsqu'on y a assisté, on a envie d'y inviter notre entourage.
J'invite désormais la docteure Aurélie Tinland, à me rejoindre, ainsi que mes collègues Olivia Richard et Laurence Rossignol, rapporteures de notre rapport d'information sur les femmes sans abri, que nous avons rendu public le 9 octobre dernier.
Remise du prix de la délégation à Aurélie Tinland
Chère Aurélie Tinland,
Notre déplacement à Marseille au printemps dernier a constitué un temps fort des travaux que nous avons menés cette année sur les femmes sans abri, et a permis de nourrir notre rapport publié le 9 octobre dernier, intitulé Femmes sans abri, la face cachée de la rue.
Grâce à vous, qui nous avez servi de guide et d'intermédiaire, nous avons pu effectuer des maraudes, rencontrer des femmes sans abri ou accueillies à L'Auberge marseillaise et à la pension de famille Claire Lacombe, échanger avec des pair-aidantes, des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux et des professionnels de l'équipe mobile psychiatrie précarité Marss, du programme « Un chez soi d'abord », de l'association « Just » ou encore des « Régisseurs sociaux » ...
Depuis des années, vous êtes engagée en faveur du droit au logement et du droit à la santé, notamment mentale, des personnes sans domicile. Avec l'équipe Marss, vous arpentez les rues de Marseille pour aller à la rencontre des personnes, notamment des femmes, souffrant de troubles psychiques et psychiatriques sévères. Mais comment ne pas en souffrir, lorsqu'on vit dans la rue ?
Lors de notre rencontre à Marseille, vous nous avez fait part d'une réalité glaçante. Vous nous aviez expliqué, en vous fondant sur les témoignages des très nombreuses femmes que vous rencontrez, que « au bout d'un an à la rue, 100 % des femmes ont été victimes d'un viol, et ce quel que soit leur âge et quelle que soit leur apparence ». Cette déclaration percutante, nous avons choisi de la mettre en exergue dans la synthèse de notre rapport, afin de bousculer l'opinion publique et de lui faire prendre conscience de l'infamie des violences subies par les femmes sans abri.
En tant que psychiatre et chercheuse en santé publique, vous ne vous limitez pas à une pratique entre les murs de l'APHM ou de laboratoires. Vous êtes résolument une actrice de terrain. Votre pratique de médecin se nourrit de vos connaissances empiriques et inversement. Vous privilégiez des méthodes pragmatiques et la pair-aidance pour accompagner les personnes en difficulté sociale et psychique.
Aujourd'hui, nous souhaitons saluer votre double engagement de médecin chercheuse et de militante de terrain. C'est avec une grande satisfaction que mes collègues et moi-même vous remettons le prix de notre délégation.
[Applaudissements dans la salle.]
Réponse d'Aurélie Tinland
Merci beaucoup.
J'ai lu vos travaux consacrés aux femmes sans abri et les ai trouvés impressionnants. Ils m'ont donné le sentiment d'être entendue. Depuis des années, nous lançons des alertes sur la situation, évoquant la pénurie de places d'hébergement et les difficultés des femmes à la rue. Nous avions l'impression que rien ne se passait, ce qui était désespérant.
Les femmes sans abri ne sont pas entendues elles non plus. En effet, nous avons mené une étude sur les appels au 115 pour une mise à l'abri. 50 % des appels émanant de femmes n'obtiennent pas de réponse. Nous avons constaté que le sentiment de ne pas être entendu lors d'un appel à l'aide affectait profondément la confiance en la société et les liens sociaux. La détresse qui en résulte est considérable. L'impact de ne pas être écouté est délétère.
À l'inverse, la reconnaissance que vous m'accordez à travers vos recommandations fortes et pragmatiques est réparatrice et réconfortante. J'ai le sentiment d'avoir pu transmettre mes préoccupations. Vous avez repris le terme d'alerte et vous vous êtes engagées fortement. Je trouve ce rapport excellent.
Par ailleurs, aborder le sans-abrisme global par le prisme du sans-abrisme féminin est pertinent. Ces femmes sont vulnérables, mais aussi résilientes, compétentes et pleines de ressources. Nous devons considérer à la fois leur vulnérabilité et leur force.
Ce projet est prometteur et j'ai beaucoup d'espoir dans les travaux que vous avez réussi à faire adopter. Je pense également à mon équipe, car à travers moi, ce sont toutes les actions dont vous avez parlé et toutes ces personnes qui luttent quotidiennement pour plus de justice qui sont reconnues. C'est leur prix. Je le placerai dans notre bureau à Marseille, pour Just, pour HAS (Habitat alternatif et social) et pour l'équipe Marss. Merci.
Dominique Vérien, présidente. - Nous rencontrons la ministre du logement le 27 novembre prochain pour lui remettre notre rapport.
En effet, la priorité nous semble être le logement plutôt que l'hébergement. Nous devons faire en sorte que personne ne passe, ne serait-ce qu'un seul jour, à la rue. Nous savons que nos rapports sont écoutés, comme en témoigne Agnès Canayer qui nous a informés avoir déjà discuté de notre rapport sur les familles monoparentales avec Valérie Létard. Il serait bénéfique de compter plus de sénateurs - et surtout de sénatrices - au Gouvernement pour une meilleure efficacité !
J'invite enfin Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, à me rejoindre. Je salue également Élisabeth Moreno qui vient de se joindre à nous.
Remise du prix de la délégation
au
Samusocial de Paris
représenté par Vanessa Benoit,
directrice générale
Chère Vanessa Benoit,
Mesdames et Messieurs les membres du Samusocial de Paris qui êtes présents parmi nous ce soir,
Chaque année, nous choisissons de distinguer, au-delà de personnalités marquantes, une association ou une structure dont nous souhaitons saluer l'action en faveur des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Cette année, à l'issue de dix mois de travaux sur les femmes sans abri, notre choix s'est très spontanément et unanimement porté sur le Samusocial de Paris, un groupement d'intérêt public.
Nous vous avons rencontrée à deux reprises. Tout d'abord, lors d'une table ronde au Sénat en mars dernier, en compagnie d'autres associations et structures engagées dans l'accompagnement des personnes sans domicile, et dont l'action mérite elle aussi d'être saluée : la Fédération des acteurs de la solidarité, la Fondation Emmaüs et la Croix-Rouge française. Vous nous aviez alors décrit les parcours des femmes sans abri que vous accompagnez, les violences qu'elles subissent et la façon dont les dispositifs actuels vous semblaient inadaptés à ces femmes et à leurs difficultés.
Nous vous avions de nouveau rencontrée trois mois plus tard, cette fois directement dans vos locaux, avec vos équipes, et notamment des écoutants sociaux. Nous avions pu procéder à des doubles écoutes en compagnie de plusieurs écoutants. Nous avions alors été particulièrement marquées par un double constat : d'une part, la bienveillance des écoutants, profondément engagés dans leur mission d'accueil et d'orientation, et d'autre part, un certain découragement face à l'absence de solutions à proposer aux personnes à l'autre bout du fil, y compris des femmes et des couples avec parfois des enfants âgés de 6 ans, de 3 ans, voire de quelques mois.
En remettant aujourd'hui le prix de la délégation au Samusocial de Paris, nous souhaitons leur exprimer notre soutien, ainsi que notre reconnaissance pour leur engagement.
Si tout le monde connaît le Samusocial de Paris, on ignore bien souvent tout ce qu'il accomplit. En effet, il gère le numéro d'urgence 115 pour les appels émis depuis Paris et régule les places d'hébergement d'urgence et les nuitées hôtelières. Il gère également en direct des établissements, assure la coordination de maraudes, accompagne des parcours de la rue au logement et mène des études d'observation sociale.
En outre, le Samusocial de Paris s'est engagé pour apporter aux femmes sans domicile un accueil et un accompagnement adaptés. En partenariat avec diverses associations, des centres d'hébergement et des bains douches dédiés aux femmes ont été créés. Un accompagnement spécifique est également développé afin de prendre en charge la santé physique et mentale de ces femmes, mais aussi la santé périnatale, les violences sexuelles et sexistes, ainsi que la précarité menstruelle.
Si nous avons consacré une partie de notre rapport à l'engagement des travailleurs sociaux, votre organisation n'y est pas pour rien. En effet, nos rencontres nous ont permis de saisir toute la détresse qu'ils peuvent ressentir face au manque de solutions, tout en maintenant leur bienveillance et leur volonté d'accompagnement
Je suis donc très heureuse de remettre aujourd'hui le prix de notre délégation au Samusocial de Paris et, à travers sa directrice générale Vanessa Benoit, à l'ensemble des professionnels qui le font vivre.
[Applaudissements dans la salle.]
Réponse du Samusocial de Paris
Je suis profondément honorée et émue d'accepter ce prix au nom du Samusocial de Paris. Je ne suis pas seule pour le recevoir, nous sommes venus nombreux aujourd'hui pour représenter notre organisation, avec son président, ses professionnels et les personnes que nous accompagnons. Nous vous exprimons notre sincère gratitude pour cette reconnaissance de nos missions et du travail quotidien que nous accomplissons pour les plus démunis.
Nous vous remercions particulièrement d'avoir choisi le sujet des femmes sans domicile et sans abri pour vos travaux. Comme je l'avais souligné lors de l'audition, il est crucial pour nous que cette problématique soit prise en compte. Votre rapport, détaillé et approfondi, formule des propositions fortes et concrètes. Nous espérons qu'elles seront entendues. Vous démontrez que ces questions méritent d'être débattues publiquement et appellent des décisions politiques, transcendant les clivages partisans.
Au Samusocial de Paris, nous sommes convaincus que le sans-domicilisme, en particulier celui des femmes, doit être au coeur du débat public et faire l'objet de décisions pour construire une société plus inclusive. Nous vous remercions d'avoir mis en lumière ce sujet, de l'avoir étudié en profondeur et d'avoir formulé ces propositions.
Par ailleurs, votre invitation symbolise l'accueil des invisibles au sein du Palais de la République. Les femmes sans domicile sont souvent doublement invisibles. En effet, si l'on voit peu les personnes sans abri, les femmes concernées sont encore moins visibles, car elles ont de très bonnes raisons de se cacher. Elles développent des stratégies pour passer inaperçues et sont trop souvent oubliées, y compris dans les actions mises en oeuvre qui leur sont parfois destinées, mais qui, malgré notre bonne volonté, ne répondent pas toujours à leurs besoins spécifiques. Il est donc doublement important qu'elles soient présentes ici aujourd'hui.
Nous vous sommes aussi reconnaissants de n'avoir pas oublié celles et ceux qui les accompagnent et travaillent à leurs côtés au quotidien. Vos dernières paroles, adressées aux professionnels du Samusocial de Paris, témoignent de votre compréhension de leur engagement. Vous avez su percevoir leur dévouement et leur professionnalisme, mais aussi leur désarroi silencieux face à l'impossibilité d'apporter des réponses adaptées. Ces travailleurs, majoritairement des femmes, oeuvrent dans l'ombre, et leur présence aujourd'hui est une forme de reconnaissance. Vos paroles leur seront rapportées. Merci beaucoup.
Dominique Vérien, présidente. - Notre approche du sujet des sans-abri, comme pour tous les thèmes traités par la délégation aux droits des femmes, est résolument transpartisane. Nous sommes en outre convaincus que les avancées pour les droits des femmes bénéficient également aux hommes. Toute simplification mise en place pour les femmes profite aussi aux hommes. Messieurs, vous pouvez nous en être reconnaissants !
Notre cérémonie touche à sa fin. Je tiens à remercier chaleureusement les lauréates et le lauréat, nos invités, ainsi que tous mes collègues pour leur présence cet après-midi.
PHOTOS DE LA CÉRÉMONIE
(c)Sénat/Sonia Kerlidou
ANNEXE
COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU 3 OCTOBRE 2024
PRIX DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES
FEMMES DU SÉNAT :
DES LAURÉATS QUI REFLÈTENT LES
TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION EN 2024
Jeudi 3 octobre 2024, la délégation aux droits des femmes a désigné les lauréats de la promotion 2024 du prix qu'elle a créé en 2019, à l'occasion de son vingtième anniversaire. Ce prix distingue des personnalités ou des associations engagées dans la défense des droits des femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes, et qui ont contribué à éclairer la réflexion de la délégation.
Pour cette sixième édition, la délégation a nommé les lauréats suivants, reflets de ses principales thématiques de travail au cours de l'année 2024 :
- Judith Godrèche, comédienne, réalisatrice, scénariste et militante, pour sa participation aux travaux de la délégation sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma ;
- le docteur Aurélie Tinland, psychiatre de l'AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille), responsable de l'équipe Marss (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social), rencontrée à Marseille dans le cadre des travaux de la délégation sur les femmes sans abri ;
- Neil Datta, directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF), au titre de sa participation aux travaux de la délégation sur l'accès à l'IVG dans le monde ;
- le Samusocial de Paris, représenté par sa directrice générale Vanessa Benoit, pour son action en faveur des femmes sans domicile.
En outre, la délégation a décidé de remettre un prix spécial à Maître Sandra Vizzavona, auteure du livre Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu, adapté au théâtre, que les membres de la délégation avaient rencontrée après une représentation de sa pièce et dans le cadre des débats sur la constitutionnalisation de l'IVG.
Pour Dominique Vérien, présidente de la délégation, « le choix de ces lauréats reflète les sujets d'intérêt et la richesse des travaux et engagements de la délégation au cours de l'année écoulée, dans le domaine de la lutte contre les violences, contre la précarité des femmes sans abri et pour les droits sexuels et reproductifs. Ce choix permet également de saluer l'engagement de femmes et d'hommes pour faire avancer la cause des droits des femmes. »
* 1 Les deux délégations parlementaires aux droits des femmes ont été créées par une loi adoptée en 1999 (lo n° 99-585 du 12 juillet 1999). Les premiers lauréats distingués par la délégation ont reçu leur prix le 10 octobre 2019, lors de la commémoration de la création de la délégation ( Vingtième anniversaire de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, rapport d'information fait par Annick Billon, Laurence Cohen, Marta de Cidrac, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Laurence Rossignol au nom de la délégation aux droits des femmes - n° 148, 2019-2020).