N° 65
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 octobre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1)
sur la
préparation de
l'échéance des
contrats de concessions
autoroutières,
Par M. Hervé MAUREY,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mme Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
La commission des finances a entendu, le mercredi 23 octobre 2024, la communication de M. Hervé Maurey, rapporteur spécial pour les crédits des transports terrestres de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur son contrôle budgétaire relatif à la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières.
I. DES CONTRATS DE CONCESSIONS DÉSÉQUILIBRÉS QUI DEVRAIENT SE TRADUIRE PAR DES RENTABILITÉS TRÈS ÉLEVÉES DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES
A. LES CONTRATS HISTORIQUES PRÉSENTENT DES DÉFAUTS MAJEURS
Les contrats des concessions historiques sont très anciens. Conclus entre la fin des années 1950 et le début des années 1970 entre l'État et des entités publiques, ils n'ont pas été révisés lors de la privatisation de 2006. Là est la principale origine du déséquilibre qui s'est instauré entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires. La faiblesse principale des contrats tient en effet à leur durée : entre 64 et 75 ans après une série de prolongations. Or il est irréaliste d'envisager pouvoir sérieusement anticiper sur des durées si longues l'évolution de paramètres aussi incertains que le trafic poids lourd, l'inflation ou encore les taux d'intérêt. De telles durées induisent par ailleurs nécessairement de procéder à des modifications par avenants. Or les négociations de ces avenants, principalement car elles ne sont pas encadrées par la pression concurrentielle, placent l'État concédant dans une situation de faiblesse et tournent systématiquement à l'avantage des sociétés d'autoroutes1(*).
Le déséquilibre inhérent à cette situation a été accentué par un suivi économique et financier des contrats en cours quasi inexistant. À l'heure actuelle, aucun suivi ex-post de la réalisation effective des hypothèses prévues dans les plans d'affaires initiaux n'est réalisé par l'État concédant et la DGITM estime qu'il serait superfétatoire. Le ministère de l'économie et des finances a fini par développer, en 2023, une capacité autonome de suivi de la rentabilité des concessions autoroutières, toutefois encore insuffisante.
B. LES CONCESSIONS HISTORIQUES SERONT VRAISEMBLABLEMENT PLUS RENTABLES QU'ANTICIPÉ
La rentabilité des concessions peut être mesurée par deux indicateurs principaux : le taux de rentabilité interne (TRI) « projet » ou le TRI actionnaire. Le premier, utilisé notamment par l'Autorité de régulation des transports (ART), mesure la rentabilité « intrinsèque » de la concession sans prendre en compte les stratégies de financement adoptées par les actionnaires. Le TRI actionnaire mesure quant à lui la rentabilité financière réelle des concessions pour les actionnaires des sociétés d'autoroutes en intégrant notamment d'éventuels gains liés au refinancement des dettes associées à ces concessions. Compte-tenu des volumes de dettes significatifs qui les accompagnaient au moment de la privatisation, des volumes majorés ensuite par le recours à l'emprunt qui a servi à financer l'acquisition des actions des sociétés d'autoroutes historiques, dans les faits, les concessions sont devenues d'énormes « objets financiers ». L'optimisation de la gestion de la dette colossale associée à ces concessions est ainsi devenu le principal facteur d'accroissement de la rentabilité des sociétés d'autoroutes. Aussi, de toute évidence, et en dépit de ce que certaines d'entre-elles peuvent affirmer, le TRI actionnaire est-il bien celui qui intéresse au premier chef les sociétés d'autoroutes et leurs actionnaires.
La commission d'enquête sénatoriale de 2020 puis un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) en 20212(*) ont conclu que les TRI actionnaires prévisionnels des concessions détenues par les groupes Vinci et Eiffage pourraient être très significativement supérieurs aux estimations réalisées en 2006. Le nouveau modèle de suivi de la rentabilité des concessions d'autoroutes développé par le ministère chargé de l'économie et des finances en 2023 confirme ces analyses. L'ART qui analyse la rentabilité des concessions sous l'angle des TRI projets note également une amélioration prévisionnelle de l'équilibre économique des contrats de concessions. Si cet écart reste faible en point de pourcentage, l'ART souligne que les montants qu'il recouvre n'en sont pas moins « conséquents en valeur absolue » et pourraient représenter jusqu'à 40 milliards d'euros de revenus supplémentaires pour les sociétés d'autoroutes. Pour autant, malgré son ampleur, l'ART considère que « cet écart apparaît compatible avec les aléas normaux d'une concession » et qu'en cela, il ne traduirait pas une « rentabilité excessive » des concessions.
La surperformance financière de certaines sociétés d'autoroutes s'expliquerait essentiellement par les gains de refinancement qu'elles ont réalisés en optimisant la gestion de leurs dettes dans un contexte de réduction historique des taux d'intérêt.
Par ailleurs, les résultats des concessions occupent souvent une part considérable dans les bénéfices réalisés par les groupes actionnaires des sociétés d'autoroutes. Ainsi, à titre d'exemple, en 2023, l'activité de la filiale Vinci autoroutes ne représentait-elle que 9 % du chiffre d'affaires3(*) du groupe Vinci mais, dans le même temps, 43 % de son résultat net4(*).
Il convient cependant d'observer que l'État lui-même a profité de la hausse du chiffre d'affaires des autoroutes dans la mesure où il capte en moyenne 36 % des péages via la fiscalité.
Malgré le constat d'une amélioration vraisemblablement significative de la rentabilité des concessions autoroutières, l'analyse développée par le rapport de l'IGF et du CGEDD comme un avis du Conseil d'État du 8 juin 2023 soulignent les risques juridiques manifestement excessif pour l'État d'une décision de résiliation unilatérale anticipée de certaines concessions. En effet, le Conseil d'État souligne notamment que le transfert des risques économiques au concessionnaire, qui inclut le risque de taux, « doit jouer également dans les cas d'évolutions favorables à ce dernier ». Aussi, plutôt que d'envisager une très hypothétique fin anticipée des concessions historiques actuelles, il est plus raisonnable de se concentrer sur les procédures à conduire d'ici à leur échéance et sur la définition d'un nouveau modèle de gestion des autoroutes à cet horizon, sachant que la première concession arrivera à échéance en 2031.
la durée du contrat de la concession ASF |
la part de fiscalité dans les péages autoroutiers |
de hausses de péages injustifiées depuis 20165(*) |
de rentabilité supplémentaire des concessions6(*) |
II. LA FIN DES CONCESSIONS EN COURS, UNE ÉCHÉANCE MAJEURE MAL APPRÉHENDÉE PAR L'ÉTAT
A. SUR L'ENJEU CRUCIAL DE LA DÉFINITION DU « BON ÉTAT » DES BIENS DE RETOUR, L'APPROCHE ACTUELLE DE L'ÉTAT CONCÉDANT EST TRÈS INQUIÉTANTE
À l'expiration d'une concession, les « biens de retours », qui composent la quasi-intégralité de son patrimoine, reviennent à l'État. Les contrats prévoient que le concessionnaire supporte à ses frais exclusifs tous les investissements nécessaires à la remise de ces biens en « bon état d'entretien ». Les contrats des concessions historiques se limitaient à cette expression sibylline sans lui donner de définition. Or, l'autorité de régulation a souligné dans ses rapports que le « bon état » des biens de retour, sans aller jusqu'à « l'état neuf », pouvait revêtir plusieurs acceptions plus ou moins exigeantes. Alors qu'en 2020 l'ART comme la commission d'enquête du Sénat appelaient l'État à combler de façon urgente cette lacune en déterminant sa doctrine en la matière, beaucoup de retard a été accumulé.
Aujourd'hui, compte-tenu des échéances, l'État concédant se retrouve « dos au mur » pour définir cette doctrine si fondamentale dans la procédure de fin des concessions. Dans ces conditions, le risque est grand qu'il retienne une approche insuffisamment protectrice de ses intérêts patrimoniaux. Pourtant, en la matière, les stipulations contractuelles confèrent à l'État des prérogatives de puissance publique exceptionnelles. En effet, c'est à lui de fixer le niveau d'exigence relatif à l'état de restitution des infrastructures et de notifier aux sociétés d'autoroutes le programme de travaux nécessaires.
Si la remise en état des chaussées ne semble pas poser de difficultés grâce à la création d'un nouvel indicateur de suivi de l'état de leur structure, il en va tout autrement des ouvrages d'art. Ainsi, l'enjeu principal de la définition de la doctrine du « bon état » porte-t-il sur les ouvrages d'art dits « évolutifs ». Il s'agit d'ouvrages qui ne posent pas de problèmes de sécurité immédiats mais sont susceptibles de voir leur structure se dégrader de façon accélérée, exigeant alors des travaux de remise en état coûteux. Ces ouvrages évolutifs représentent un quart du total des ouvrages d'art du réseau concédé pour des enjeux financiers liés aux travaux de remise en état d'au moins un milliard d'euros selon l'ART pour qui « une lecture exigeante des contrats devrait permettre » que l'essentiel voire la totalité des ouvrages évolutifs soient traités d'ici à la fin des concessions.
Malheureusement, aujourd'hui, le rapporteur ne cache pas sa très vive préoccupation sur cette question. En effet, en dépit des prérogatives qu'il détient et au détriment de ses intérêts patrimoniaux, l'État concédant s'apprête à mettre en application une doctrine bien moins exigeante que les recommandations faites par le régulateur avec lequel il est en profond désaccord. L'État concédant accepterait ainsi de se voir remettre des infrastructures dont il sait que seulement quelques années plus tard elles devront faire l'objet de lourds travaux de remise en état. Le rapporteur observe que cette définition du « bon état » retenue par l'État concédant a de quoi surprendre. Comme il le redoutait, l'État craint par-dessus tout que les sociétés d'autoroutes n'engagent des contentieux au long cours. Quitte à sacrifier une part de ses intérêts patrimoniaux, l'État concédant est avant tout soucieux de parvenir à un accord avec les sociétés d'autoroutes. Le rapporteur tient à rappeler que dans cette phase décisive, l'État n'est pas sur un pied d'égalité avec les sociétés d'autoroutes. Les prérogatives de puissance publique dont il dispose ne devraient pas être négociables et ce dernier se doit de les défendre, le cas échéant devant le juge. Cette perspective ne doit pas l'intimider comme il semble que ce soit le cas aujourd'hui.
B. L'ÉTAT SE RETROUVE AUJOURD'HUI DANS UNE POSITION INCONFORTABLE EN RAISON D'UNE MISE EN ROUTE TARDIVE
L'État concédant a pris du retard dans la préparation des procédures de fin des concessions, une phase qui a déjà commencée et qui se prolongera sur cinq ans, d'ici à la notification du programme de travaux de la dernière des sept concessions historiques. Il se retrouve aujourd'hui dans une situation inconfortable, mis sous la pression de délais très contraints puisqu'il doit notifier d'ici à la fin de l'année le programme de travaux de la première concession arrivant à échéance, celle de la société SANEF. Or, l'approche qui sera adoptée pour la première concession sera largement irréversible et déterminera la teneur des procédures d'expiration des six autres concessions historiques.
Aujourd'hui, la DGITM s'est mise en ordre de bataille mais ses effectifs habituels ne sont bien entendu pas dimensionnés pour faire face au pic d'activité considérable que représente les opérations de fin des concessions historiques. Elle doit ainsi fortement solliciter la communauté technique publique, en particulier le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) mais aussi des bureaux d'études privés. Bien qu'incontournable, la mobilisation de ces bureaux privés ne va pas sans poser certaines difficultés. Premièrement, puisqu'ils travaillent habituellement pour les sociétés d'autoroutes, il convient de s'assurer de leur indépendance. Deuxièmement, les premiers travaux réalisés présentent des défauts de fiabilité, en particulier du fait des fragilités et au manque d'harmonisation des pratiques de la filière.
C. LES INVESTISSEMENTS DE « SECONDE GÉNÉRATION » : DE 1 À 5 MILLIARDS D'EUROS SERAIENT DUS PAR LES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES
D'ici à la fin des concessions, l'État concédant doit traiter une autre problématique méconnue mais dont les enjeux financiers sont potentiellement extrêmement significatifs : celle des investissements dits de « seconde génération ». Il s'agit d'opérations d'investissements prévues dans les contrats et financées par les péages mais non réalisées à ce jour par les sociétés d'autoroutes et qui correspondraient, selon un premier recensement réalisé par l'ART, à 37 élargissements représentant environ 1 000 kilomètres de linéaire, soit plus d'un dixième du réseau. Il s'agit désormais de vérifier, opération par opération, celles qui ont été intégrées dans l'équilibre financier des contrats et donc déjà financées par les péages.
D'après des éléments qu'a pu recueillir le rapporteur, ces investissements pourraient selon les avis représenter de 1 à 5 milliards d'euros. Il est probable que la réalisation de nombre de ces investissements ne serait plus pertinente7(*). C'est d'ailleurs vraisemblablement la raison qui explique qu'ils n'aient jamais été exécutés. Il n'en demeure pas moins que s'ils n'étaient jamais réalisés, de tels investissements constitueraient un avantage financier indu pour les sociétés d'autoroutes.
Aussi, le rapporteur recommande-t-il à l'État de réaliser sans délai un recensement de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concessions et déjà financés par les péages puis de s'assurer qu'ils soient effectivement réalisés par les concessionnaires ou, le cas échéant, remplacés par d'autres investissements plus pertinents, notamment en lien avec la transition écologique des infrastructures autoroutières.
l'enjeu financier de la remise en état des ouvrages d'art « évolutifs »8(*) |
l'estimation de la valeur du réseau autoroutier concédé dans les comptes de l'État |
les investissements financés par les péages
mais |
la longueur de linéaire du plus long des réseaux concédés (concession ASF) |
III. POUR UN MODÈLE CONCESSIF PROFONDÉMENT RÉFORMÉ QUI CONTRIBUERAIT AU FINANCEMENT DES MOBILITÉS DANS LEUR ENSEMBLE ET À LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
A. POUR UN MODÈLE CONCESSIF RÉFORMÉ ET RÉÉQUILIBRÉ
1. La gratuité : un piège démagogique à éviter
L'un des préalables à toute réflexion sur le modèle de gestion du patrimoine autoroutier consiste à déterminer le modèle de financement des infrastructures autoroutières. Deux alternatives sont possibles : un financement par l'usager à travers les péages selon une logique « d'utilisateur-payeur » ou bien un financement par l'ensemble des contribuables à travers le budget de l'État. Pour le rapporteur, aussi attractive soit-elle au premier abord, la gratuité constitue un piège aux conséquences en chaîne aussi étendues que néfastes pour le réseau autoroutier mais plus largement pour la transition écologique du secteur des transports dans son ensemble. Elle suppose en effet :
- une charge pesant sur les contribuables, qui seraient amenés à financer les autoroutes en lieu et place des usagers ;
- un transfert financier massif des contribuables français au bénéfice des transporteurs routiers et touristes étrangers qui empruntent chaque année le réseau autoroutier national et qui, de fait, ne contribueraient plus à son entretien ;
- une perte de recettes fiscales massive pour l'État conjuguée à une augmentation de ses dépenses ;
- le risque d'enclencher une spirale de dégradation rapide et irrémédiable de l'état des infrastructures autoroutières, eu égard notamment au contre-exemple du réseau routier national non concédé dont l'état est aujourd'hui très préoccupant ;
- un inévitable report modal inversé au détriment du transport ferroviaire et des transports collectifs urbains.
2. Parmi les options envisageables, le modèle concessif présente d'indéniables atouts
Dans le cadre des réflexions sur le futur modèle de gestion des autoroutes, trois options principales s'offrent à nous : la gestion en régie par l'État, les marchés de partenariat (les anciens partenariats public-privé ou « PPP ») ou le modèle concessif. Les systèmes de régie et des marchés de partenariat pourraient notamment s'accompagner de la création d'un nouvel établissement public qui gérerait l'ensemble des réseaux routiers et autoroutiers nationaux. Pour le rapporteur, la gestion en régie serait « une fausse bonne solution » tant elle présente de défauts : risques financiers portés par l'État, augmentation des dépenses, des emplois et de la dette publics, désincitation à la performance, fragilisation de la légitimité du principe « d'utilisateur-payeur » et, par voie de conséquence, un risque accru sur l'état d'entretien des infrastructures. Les marchés de partenariats sont quant à eux très peu utilisés à ce jour dans le domaine des infrastructures de transport et se traduiraient aussi par une augmentation des dépenses et de la dette publique9(*).
Le rapporteur estime en revanche que le modèle concessif ne doit pas être sacrifié sur l'autel des défaillances manifestes des contrats historiques. Aussi, préconise-t-il que le futur modèle autoroutier s'appuie sur un système de concessions très profondément réformé. Ce choix ne génèrerait pas d'augmentation des dépenses, des emplois et de la dette publics. Ce système permet à l'État de se voir remettre à titre gratuit et en bon état d'entretien des infrastructures dont la construction a été couverte sur fonds privés. En outre, le système concessif permet d'asseoir la légitimité d'un modèle de financement vertueux de type « utilisateur-payeur » qui sécurise les investissements dans l'entretien des infrastructures, un gage essentiel de maintien en bon état du réseau.
3. Pour un nouveau système concessif très profondément réformé et rééquilibré
Profondément réformé et rééquilibré au bénéfice de l'État et des usagers, le nouveau système devra s'appuyer sur des concessions beaucoup plus courtes (de 15 à 20 ans) recouvrant des périmètres géographiques revus et dont les paramètres économiques et financiers, précisément définis, feront l'objet d'un encadrement, d'un suivi approfondi ainsi que d'une révision quinquennale de façon à prévenir le phénomène de surrentabilité.
En outre, pour sortir du « tête à tête » technique entre la DGITM et les sociétés d'autoroutes et afin d'insuffler une dimension économique et financière plus affirmée dans les opérations relatives aux concessions, un nouveau modèle de gouvernance devra prévoir une association beaucoup plus forte des services des ministères économiques et financiers à travers une participation à la fois plus poussée et plus formalisée ainsi qu'une intervention bien plus en amont des procédures.
B. L'EXPLOITATION DES AUTOROUTES DEVRA DAVANTAGE CONTRIBUER AU FINANCEMENT DES MOBILITÉS DANS LEUR ENSEMBLE
Aujourd'hui, moins de 15 % du chiffre d'affaires générés par l'exploitation des autoroutes (c'est-à-dire les péages) est affecté au financement des infrastructures de transport via l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT-France). Alors que d'une part l'état de nombreuses infrastructures de transport tend à se dégrader, en particulier les réseaux routiers non concédés, et que d'autre part les besoins d'investissements nécessaires à la transition écologique des mobilités sont considérables, le contexte budgétaire contraint empêche les pouvoirs publics de dégager des modèles de financement pérennes. Aussi est-il essentiel que l'État se saisisse de l'occasion offerte par l'expiration des concessions historiques.
Moyennant les incertitudes qui entourent encore les enjeux de décarbonation et d'adaptation au changement climatique dans le futur et sans anticiper la nécessaire construction partagée d'une stratégie routière de long terme, il apparait à ce jour vraisemblable que, compte-tenu de la maturité du réseau, les investissements à venir dans les autoroutes seront inférieurs à ceux qui ont prévalus dans le cadre des contrats historiques.
Aussi, en maintenant les recettes de péages à leur niveau actuel, il pourrait être possible d'en affecter une part bien plus substantielle aux enjeux des mobilités dans leur ensemble. Cette manne pourrait non seulement permettre d'enrayer la dégradation inquiétante des infrastructures routières non concédées mais aussi plus largement contribuer au financement des infrastructures ferroviaires ainsi que des transports en commun du quotidien.
Le rapporteur tient à souligner que, parce qu'elles sont éminemment structurantes pour l'avenir de nos mobilités, l'ensemble des réflexions relatives au devenir du réseau autoroutier et plus largement à la stratégie de long terme des infrastructures routières ne peuvent pas être restreintes à un dialogue entre les services de l'État et quelques experts. Ces questions majeures doivent nécessairement être discutées dans le cadre d'une grande concertation élargie à l'ensemble des parties prenantes incluant notamment les collectivités locales, les usagers, les professionnels, etc. Cette concertation devra notamment porter sur le nouveau modèle et l'avenir des autoroutes, sur sa gouvernance, sur le périmètre des concessions, sur les enjeux de décarbonation des réseaux ainsi que sur les investissements nécessaires à celle-ci.
* 1 L'intervention de l'Autorité de régulation des transports (ART) a certes contribué à un certain rééquilibrage mais elle estime néanmoins à 500 millions d'euros le montant de péages indus depuis 2016.
* 2 Le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, IGF et CGEDD, février 2021.
* 3 6,3 milliards d'euros sur un total de 68,9 milliards d'euros.
* 4 2 milliards d'euros sur 4,7 milliards d'euros.
* 5 Selon l'ART.
* 6 Hausse prévisionnelle d'après les estimations de l'ART.
* 7 Tant au regard de l'évolution des conditions de circulation que des habitudes de mobilité.
* 8 Selon l'ART.
* 9 D'après les analyses, notamment des services du ministère chargé de l'économie et des finances, compte-tenu du transfert de risques limité vers le secteur privé, ce modèle conduirait vraisemblablement, à consolider au sein de la dette publique dite « Maastrichtienne », la dette relative aux infrastructures autoroutières.