AVANT-PROPOS

L'année 2024 est ponctuée de temps forts et inédits pour la langue française : l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques cet été, la célébration des trente ans de la loi Toubon le 4 août dernier, la tenue du 19ème Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre prochains à Villers-Cotterêts - le premier à se tenir en France depuis 33 ans.

Dans ce contexte d'« effervescence francophone », la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a souhaité apporter sa contribution aux réflexions en cours sur l'évolution de la langue française et de son rayonnement, dans la continuité du premier rapport d'information qu'elle avait publié en 20171(*).

Cette mission d'information, confiée à Catherine Belrhiti, (LR, Moselle), Yan Chantrel (SER, Sénateur représentant les Français établis hors de France) et Pierre-Antoine Levi (UC, Tarn-et-Garonne), avait pour objectif premier de faire une saisie sur le vif de l'état de la francophonie et, ce faisant, de formuler des recommandations en vue du prochain Sommet qui réunira les représentants de près d'une centaine d'États et de gouvernements.

Son second objectif était de dresser un état des lieux de l'application de la loi Toubon et d'identifier les voies d'évolution de ce cadre fondateur. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue française à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.

Sur proposition de ses rapporteurs, la commission formule, dix-sept recommandations visant, d'une part, à oeuvrer en faveur d'une francophonie ouverte, attractive et volontariste, d'autre part, à réactualiser, renforcer et mieux appliquer la loi Toubon.

I. POUR UNE FRANCOPHONIE OUVERTE, ATTRACTIVE ET VOLONTARISTE

A. PANORAMA DE LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE

Sources :  - « La langue française dans le monde », édition 2022, Organisation internationale de la francophonie (OIF)

- Rapport au Parlement sur la langue française, édition 2024, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF)

Ce panorama chiffré de la langue française dans le monde révèle son bon état général, diagnostic partagé par la plupart des acteurs et experts de la francophonie auditionnés par les rapporteurs. La croissance du français à l'international, constatée depuis plusieurs années, se poursuit en effet à un rythme satisfaisant (+ 8 % de francophones entre 2018 et 2022), même s'il faut noter un léger ralentissement par rapport à la période d'étude précédente (2014-2018), au cours de laquelle le nombre de francophones avait crû de près de 10 %. Cet infléchissement relativise ce constat global favorable et invite, selon les rapporteurs, à porter une attention particulière aux conditions nécessaires à la progression de la francophonie, notamment dans les pays où le français n'est pas la langue première.

1. Un dynamisme de la langue française essentiellement porté par le continent africain

La vitalité de la langue française dans le monde doit beaucoup au continent africain, tendance que les statistiques et les études ont commencé à observer il y a une dizaine années.

En 2022, l'Afrique concentrait plus de 60 % des locuteurs quotidiens de français, confirmant sa place centrale dans la francophonie « du quotidien »2(*). En gagnant 2,5 points de pourcentage par rapport à la précédente enquête réalisée en 2018, le continent africain se caractérise par une dynamique qui le distingue des autres zones géographiques où le français progresse à une moindre vitesse.

Source : « La langue française dans le monde », édition 2022,
Organisation internationale de la francophonie (OIF)

Cette dynamique africaine est surtout portée par les pays de l'Afrique subsaharienne qui représentent à eux seuls plus de 80 % de la croissance francophone du continent africain. C'est en effet dans cette zone géographique que l'augmentation du nombre de francophones a été la plus forte ces dernières années (+ 14,5 %).

Source : « La langue française dans le monde », édition 2022,
Organisation internationale de la francophonie (OIF)

2. Une jeunesse africaine potentiellement déterminante pour l'avenir de la langue française

La majorité des francophones d'Afrique de l'Ouest et centrale se situant dans la classe d'âge comprise entre 15 et 24 ans, cette population constitue une potentialité de croissance forte pour la francophonie.

D'après les enquêtes sur lesquelles s'appuie l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) dans son rapport quadriennal, cette jeunesse - en particulier celle habitant dans les villes - maîtrise en outre mieux la langue française que les générations plus âgées. Elle a majoritairement suivi un minimum d'études - au moins primaires, mais surtout secondaires et supérieures -, ce qui montre l'importance de l'enjeu de l'éducation et de la formation en français sur le continent africain.

Le vivier que représente la jeunesse africaine pour l'avenir de la langue française explique en grande partie les prévisions de croissance du nombre de francophones d'ici 2050, estimé par l'OIF à 715 millions d'individus. À cet horizon, près de 90 % de la jeunesse francophone serait africaine selon l'organisation.

Pour les rapporteurs, ces projections optimistes - qui datent de 2022 - doivent cependant être tempérées par la prise en considération des évolutions géopolitiques survenues récemment en Afrique de l'Ouest, où plusieurs prises de pouvoir militaires se sont déroulées dans un climat général anti-France très marqué.

3. Des usages africains de la langue française qui s'inscrivent dans une pratique plurilingue à défendre

Les études sociolinguistiques disponibles font ressortir une autre tendance de fond concernant les usages du français en Afrique : les francophones y sont majoritairement plurilingues et leur première langue n'est que rarement le français. Si dans le monde du travail, la langue française est très présente, voire constitue la langue principale des échanges professionnels (par exemple, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Congo ou au Gabon), dans la sphère familiale et dans la vie quotidienne, les langues africaines sont généralement davantage utilisées.

La langue française est d'ailleurs perçue, par ses locuteurs africains non natifs, essentiellement comme un outil fonctionnel. Cette approche pragmatique est particulièrement perceptible dans les réponses apportées concernant les atouts que ceux-ci attribuent au français. Ainsi, la langue française se trouve très appréciée pour ses capacités à obtenir un travail (entre 67 % et 97 % des avis), faire des études (entre 68 % et 98 %), s'informer (entre 49 % et 98 %), faire des recherches sur Internet (entre 53 % et 97 %), accéder à d'autres cultures (entre 55 % et 96 %)3(*).

Ces résultats montrent que la promotion de la langue française est fortement liée à la valorisation des opportunités que sa maîtrise offre, dans le respect et la défense d'une pratique plurilingue.


* 1 Rapport d'information n° 436 (2016-2017) de M. Louis Duvernois et Mme Claudine Lepage, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

* 2 Notion qui renvoie à une francophonie où le français est utilisé au quotidien, par opposition à une francophonie où le français est exclusivement une langue étrangère.

* 3 Chiffres cités par l'Observatoire de la langue française dans l'édition 2022 de son étude « La langue française dans le monde ».

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