C. POURSUIVRE LE RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DE L'UNIVERSITÉ ET DE LA RECHERCHE FACE AUX OPÉRATIONS D'INFLUENCE
Eu égard à son exposition aux opérations d'influence étrangères malveillantes, le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche est appelé à constituer un axe majeur de la stratégie appelée de ses voeux par la commission d'enquête.
Cette stratégie doit d'abord permettre, comme cela a été évoqué au I de la présente partie, de mieux structurer les dispositifs de détection des menaces au sein des établissements, ce qui passe par une poursuite du renforcement du service de défense et de sécurité (SDS) ainsi que du réseau des fonctionnaires de sécurité et de défense, une meilleure adaptation des outils, tels que la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA) aux menaces liées aux influences étrangères, et surtout la formalisation de lignes directrices pour la mise en oeuvre de procédures harmonisées de détection au sein des établissements, dont l'application opérationnelle relèverait de la compétence du chef d'établissement. La commission d'enquête considère en outre que cette stratégie doit s'efforcer d'inclure au maximum, avec des moyens adaptés, les établissements d'enseignement supérieur et de recherche privés.
Par ailleurs, le ministère doit s'attacher à poursuivre la mise en oeuvre des recommandations du « rapport Gattolin »413(*), dont l'état d'application a été analysé supra (voir Deuxième partie, III, C) et le détail annexé au présent rapport.
La commission d'enquête souligne en particulier la nécessité de progresser sur les quatre points suivants.
En premier lieu, une meilleure protection des sciences humaines et sociales, qui constituent une cible privilégiée des opérations d'influence étrangères est nécessaires. Ne pas le faire serait méconnaître la nature réelle de cette menace.
L'atteinte de cet objectif peut notamment passer par une poursuite de l'élargissement du dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPST).
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère a indiqué que le « le SDS mène, en interne, des réflexions ayant pour objectif de mieux protéger les travaux de recherche les plus sensibles en sciences, au-delà du dispositif PPST. Il s'agirait, grâce à un groupe d'experts, d'analyser plus systématiquement le contenu des travaux menés dans certaines matières stratégiques afin d'évaluer leur criticité (travaux sur les services de renseignement, sur les capacités militaires, etc.) et de réfléchir à des possibilités de protection plus accessibles que celles uniquement permises par la classification au titre du secret de la défense nationale », telles que le PPST. Ces réflexions méritent également d'être poursuivies.
En deuxième lieu, il convient de poursuivre le renforcement du contrôle des projets d'accords internationaux passés par les universités.
Les exigences de transmissions diligentes pour examen aux ministères compétents sur le fondement de l'article L. 123-7-1 du code de l'éducation doivent être réaffirmés. Le délai d'un mois prévu par cet article devrait être porté à trois mois pour laisser davantage de temps d'expertise au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Les travaux annoncés visant à instaurer, par voie règlementaire, une obligation de saisine pour avis sur les projets de coopération internationale en cas d'implication d'une unité de recherche protégée par le PPST à peine de contravention doivent être menés à leur terme.
Enfin, il conviendrait d'élargir le champ du dispositif de transmission en modifiant l'article L. 123-7-1 précité de façon à prévoir que les accords de recherche passés avec les filiales françaises des entreprises étrangères extra-européennes soient soumis systématiquement à la procédure d'examen des projets d'accord par le ministère.
En troisième lieu, il est nécessaire d'instaurer un régime de transparence sur les financements et les liens d'intérêts extra-européens des chercheurs.
Le cadre aujourd'hui prévu à l'article 411-5 du code de la recherche est à ce jour trop restrictif puisqu'il se limite aux expertises réalisées auprès du Parlement ou des pouvoirs publics constitutionnels.
Le HFDS a indiqué à cet égard qu'un groupe de travail, piloté par le SGDSN avait été constitué et travaille à pouvoir instaurer, de manière effective, une exigence la déclaration par les candidats de leurs éventuels conflits d'intérêts dans les demandes d'accès aux zones à régime restrictif (ZRR). Cette initiative doit aller de pair avec l'élargissement du dispositif PPST, et partant des ZRR, à la protection des sciences humaines et sociales.
Enfin, en quatrième lieu, il faut achever la mise en oeuvre de la recommandation du rapport tendant à prévoir un dispositif de transparence sur les financements étrangers octroyés aux laboratoires d'idées (think tanks) et aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche privés.
La récente loi « Ingérences étrangères » a bien institué un dispositif de transparence s'agissant des financements étrangers perçus par les laboratoires d'idées, qui serait géré par la HATVP.
Il convient donc de concevoir un dispositif d'inspiration similaire, qui pourrait être géré par le SDS du ministère, s'agissant des établissements privés. Une telle évolution, qui implique la mise en oeuvre de procédures déclaratives et le cas échéant par des sanctions pénales en cas de non-respect, passerait également par une modification législative.
En sus de l'application des recommandations du rapport Gattolin, la commission d'enquête propose, suite à l'alerte faite sur le sujet par la ministre de l'enseignement Supérieur et de la recherche lors de son audition, à mieux encadrer les bourses à financement étatique ou para-étatique - ainsi celles proposées par le China Scholarship Council, s'agissant desquelles il est documenté que les bénéficiaires doivent rendre compte à l'ambassade de Chine ou à ses proxys.
Recommandation n° 37 : Mener un travail de structuration des dispositifs de détection des menaces liées aux influences étrangères au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche piloté au niveau ministériel, en incluant les établissements privés.
Recommandation n° 38 : Poursuivre la mise en oeuvre des recommandations du « rapport Gattolin », notamment en matière de la protection des sciences humaines et sociales, de contrôle des accords internationaux, et de transparence sur les liens d'intérêts des chercheurs ainsi que sur les financements extra-européens des établissements privés.
Recommandation n° 39 : Prévoir une procédure d'encadrement systématique des bourses à financement étatique ou para-étatique.
* 413 Rapport d'information n° 873 (2020-2021) fait par André Gattolin au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, déposé le 29 septembre 2021.