B. DEUXIÈME PILIER : SORTIR DE LA PASSIVITÉ, ET ASSUMER UNE VÉRITABLE POLITIQUE D'INFLUENCE AFFIRMATIVE PORTEUSE DE NARRATIFS DÉFENDANT LES VALEURS ET LES INTÉRÊTS FRANÇAIS

La commission d'enquête considère qu'il nous faut rompre avec une posture défensive, et partant essentiellement passive, qui a jusqu'ici été la nôtre face aux influences étrangères. Il est désormais nécessaire d'assumer une véritable politique d'influence affirmative défendant les valeurs et les intérêts français auprès des opinions publiques internationales.

Le présent rapport a évoqué supra (voir Deuxième partie, II) les lacunes de la politique d'influence française actuelle.

Plusieurs initiatives témoignent certes d'une prise de conscience de la nécessité de la renforcer, au premier rang desquelles :

- la mise en place d'une task force informationnelle interministérielle (TF2I) co-animée par la direction de la communication et de la presse du ministère des Affaires étrangères et le pôle « Anticipation stratégique et orientations » (ASO) au sein de l'État-major des armées ;

- l'adoption d'une Stratégie nationale d'influence (SNI).

Cette dernière comporte toutefois certaines limites, également détaillées supra. De surcroit, le caractère très tardif de son élaboration (printemps 2024), soit près de deux ans après la consécration de la « fonction influence », qui en est à l'origine, dans le cadre de la Revue nationale stratégique 2022347(*), illustre bien la difficulté des pouvoirs publics à pleinement s'emparer de cet enjeu.

Adopter une posture affirmative constitue pourtant une nécessité, alors que la « bataille des narratifs », pour reprendre l'expression employée par le général Ianni, directeur du pôle ASO lors de son audition par la commission d'enquête348(*), est désormais au coeur de la compétition stratégique mondiale.

Notre réussite en la matière, soit le développement de notre « pouvoir discursif » (voir Introduction), pourra être mesurée à l'aune d'une double exigence :

- notre capacité à produire des narratifs authentiques et loyaux, défendant les intérêts français sans chercher à nuire aux autres États, sans chercher à désinformer leurs habitants ou à déstabiliser leurs sociétés ;

- notre capacité à produire des narratifs efficaces, ce qui suppose d'évaluer et de renforcer adéquatement notre diplomatie publique, en étant en mesure d'adapter chacun de nos messages à leurs destinataires. Le travail conduit par Anne-Sophie Avé, ambassadrice pour la diplomatie publique en Afrique, auditionnée par la commission d'enquête349(*), a par exemple permis de mettre en évidence un certain nombre de conditions pour garantir l'efficacité de notre communication dans ce continent.

Pour autant, la politique d'influence affirmative que la commission d'enquête appelle de ses voeux ne peut pas tout.

En effet, il importe de souligner que, de même que l'efficacité des opérations de manipulations de l'information menées sur le territoire français est corrélée à la vigueur des fractures sociales qu'elles instrumentalisent, le succès des opérations menées à destination des opinions publiques de pays étrangers demeure étroitement lié aux failles structurelles de notre propre politique internationale. Comme l'a par exemple souligné le capitaine de vaisseau Yann Briand, sous-directeur des affaires internationales du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) concernant la situation au Sahel, « l'existence, parmi certaines populations africaines, d'un sentiment anti-français ne se réduit pas à une manipulation de l'information par Wagner ; il peut exister des raisons plus profondes. Il faut donc traiter ces problèmes comme une menace hybride, mais également comme une véritable question politique »350(*).

Ainsi, si un renforcement de notre politique d'influence affirmative est bien indispensable pour faire face aux opérations d'influences étrangères malveillantes menées contre nous, il convient dans le même temps de garder à l'esprit qu'elle ne nous dispense pas d'oeuvrer à une amélioration de nos relations diplomatiques stratégiques, bien que ce chantier excède le champ de la commission d'enquête.

Par ailleurs, le rayonnement de la France ne dépend pas uniquement des narratifs développés par les autorités françaises. Notre audiovisuel extérieur, porté en toute indépendance du Gouvernement par France Médias Monde, en assumant une véritable mission de service public international, concourt pleinement à la défense des valeurs de la France et de la démocratie, selon les mots de sa présidente-directrice générale, Marie-Christine Saragosse lors de son audition en offrant « une information libre et indépendante, vérifiée sur le terrain si cela est possible » en portant « les valeurs démocratiques et les principes humanistes qui caractérisent notre pays », en promouvant « le français et la francophonie, tout en respectant et en mettant en valeur les autres langues » ; en accompagnant des médias locaux, par des actions de coopération et de formation, « car plus il y aura de médias indépendants et libres, plus les écosystèmes démocratiques pourront être soutenus »351(*).


* 347 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, Revue nationale stratégique 2022.

* 348 Audition du 2 mai 2024.

* 349 Audition du 30 avril 2024.

* 350 Audition du 27 février 2024.

* 351 Audition du 6 juin 2024.

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