C. L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE : UNE MISE EN OEUVRE ENCORE INCOMPLÈTE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT « GATTOLIN »
1. La prise de conscience par le ministère d'un risque d'influences étrangères bien réel
a) L'enseignement supérieur et la recherche, un secteur particulièrement exposé au risque d'influences étrangères
Comme cela a été bien mis en évidence par le rapport fait par André Gattolin au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences (« rapport Gattolin »)290(*) et rappelé par le présent rapport (voir Première partie, I), le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche est particulièrement exposé aux influences étrangères.
Le « rapport Gattolin » distingue cinq modes d'action principaux des opérations d'influence étatiques ciblant l'université :
-la diplomatie d'influence, qui se traduit notamment par la promotion de l'enseignement d'une langue, l'organisation de manifestations culturelles, mais aussi par des liens tissés dans le domaine économique. La Chine est particulièrement active dans ce domaine, au travers des centaines « Instituts Confucius » ouverts dans le monde (plus de 500 dénombrés) ;
- les relations directes entre les États et les universités, qui peut passer par le financement d'établissements (plus rare en France où celui-ci est davantage public qu'ailleurs), ainsi que par les pressions pouvant être exercées par les étudiants ressortissants de cet état au sein de l'université ;
- l'interdépendance tissée dans la recherche, qui explique notamment la volonté des acteurs chinois de nouer des partenariats avec des unités de recherche spécialisées dans des segments technologiques pour lesquelles l'économie chinoise dépend encore de l'extérieur ;
- des méthodes plus coercitives, qui peuvent prendre des formes variées : recours devant les tribunaux, espionnage et pillage de technologies, restrictions d'accès faites aux chercheurs souhaitant mener des recherches dans l'État concerné, pouvant aller jusqu'au refus de visa ;
- la diplomatie publique au travers du financement de structures se trouvant à la frontière de la recherche, notamment les laboratoires d'idées (think tanks), afin que ceux-ci portent des narratifs favorables l'État financeur. À cet égard, le rapport pointe en particulier l'action d'États du Golfe (Qatar, Émirats arabes unis, Arabie saoudite) ainsi que de la Chine. La commission d'enquête relève que la mesure de transparence adoptée à cet égard dans le cadre de la loi « Ingérences étrangères », rappelée supra, répond en partie à cette problématique.
Cette action d'influence procède de quatre objectifs :
- se constituer des aires géographiques d'influence : peuvent à cet égard être mentionnés les 62 Instituts Confucius dénombrés de 45 pays différents en Afrique291(*) ;
- contrôler les diasporas ;
- contrôler les normes d'impulsion de la recherche, le rapport Gattolin relevant que la Chine mène une stratégie ambitieuse d'influence sur la production de normes, qui passe par une action au niveau des organisations internationales compétentes, mais également par le fait de peser dans les programmes d'évaluation internationaux, à l'instar du classement de Shanghai qui cherche à évaluer les établissements d'enseignement supérieur sur leur mérite scientifique, qualifié de « grande réussite de la politique d'influence académique de la Chine » ;
- défendre un modèle de société. Le rapport rattache cette stratégie à la diplomatie publique d'acteurs tels que la Turquie et la Chine : « au niveau académique, cette volonté de remettre les pays émergents au coeur du jeu international passe par la promotion de valeurs substitutives, qui se définissent en opposition aux valeurs des démocraties libérales »
La commission d'enquête tient à souligner que l'exposition des universités françaises aux influences étrangères n'est que la résultante et l'illustration du « désarmement de l'État ». Les sous-financements constatés de façon récurrentes sur certains secteurs de la recherche constituent une brèche dans laquelle s'engouffrent les opérations d'influence. Lors de leur audition par le rapporteur, les responsables de l'Institut national des langues et des cultures orientales (Inalco) ont notamment pris l'exemple de l'action de l'entreprise chinoise Huawei, qui a proposé des bourses de doctorat en faveur de recherches en traitement automatique des langues (TAL).
b) Une prise de conscience affichée par les responsables du ministère
Les principaux responsables du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche auditionnés par la commission d'enquête ont tenu à affirmer leur prise de conscience du phénomène.
La ministre, Sylvie Retailleau, a ainsi pu souligner que « les actes malveillants émanant de puissances étrangères sont incontestablement un enjeu crucial, qui interdisent toute naïveté et nécessitent une forte vigilance ». Elle a fait état d'une « prise en compte accrue des enjeux de sécurité dans mon ministère, et ce pour plusieurs raisons : d'abord, un cadre géopolitique instable, avec la guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient, les prétentions hégémoniques de diverses puissances, dont certaines mènent des entreprises de captation, et l'accroissement des tensions liées aux velléités de prolifération ; ensuite, une conflictualité accrue et une montée en puissance des rapports de force dans les mouvements sociaux, particulièrement dans les universités ; enfin, un contexte général de montée des menaces et des violences aux personnes »292(*).
S'agissant spécifiquement des Instituts Confucius, la Ministre a indiqué lors de son audition que ceux-ci « font l'objet d'une vigilance très particulière, notamment depuis le rapport d'information rédigé par André Gattolin en 2021. Chaque situation fait l'objet d'un suivi au cas par cas, en lien avec le SGDSN et les établissements. Par principe, nous demandons que les instituts disposent d'une personnalité juridique propre et qu'ils ne soient pas adossés aux établissements. Toutefois, par exception, nous acceptons qu'un tel institut soit intégré à un établissement lorsque la convention est de nature à assurer un meilleur contrôle avec un système d'information séparé, des locaux éloignés des laboratoires de recherche sensibles, etc. Nous ne sommes pas opposés, par principe, à la présence des instituts Confucius en France. Nous veillons toutefois à ce que l'activité de tels instituts se cantonne au domaine de la linguistique. Nous ne pouvons pas tolérer une influence dans d'autres champs d'activité de nos établissements d'enseignement supérieur, tels que les choix et méthodes pédagogiques, ou le contenu des enseignements ».
Dans les réponses au questionnaire du rapporteur, le secrétaire général du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, Thierry Le Goff, auditionné en sa qualité de haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) pour ces ministères, affirme également que « le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche exerce une vigilance particulière, sans naïveté, sur les opérations d'influence étrangères dans les établissements ». Il précise en outre que : « la menace est protéiforme et émane principalement d'acteurs étatiques identifiés (Chine, Russie, Turquie) ».
Lors de son audition, l'adjoint à la directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP), Benjamin Leperchey, a étendu la cartographie de l'origine des menaces, indiquant que « les usual suspects sont la Chine, la Russie depuis quelques années, l'Afrique du Nord, beaucoup, et un peu moins le Moyen-Orient, la Turquie ou l'Azerbaïdjan. Les premiers pays cités sont les plus directement intrusifs ». Invité par le rapporteur à préciser son propos sur les actions émanant d'Afrique du Nord, l'action du Maroc a été citée293(*).
Compte tenu de l'actualité récente, plusieurs membres de la commission d'enquête se sont interrogés sur le lien possible entre des opérations d'influence étrangères et les récentes manifestations étudiantes propalestiniennes, lancées dans le contexte du conflit en cours à Gaza. Sur ce point, la Ministre Sylvie Retailleau a indiqué à la commission d'enquête que : « nous ne méconnaissons pas ce que j'appellerai les rumeurs qui existent au sujet d'opérations d'influence étrangères à l'oeuvre dans des actions menées depuis quelques mois dans les campus universitaires à propos du conflit israélo-palestinien. Pour autant, à ma connaissance, aucun lien n'a été établi dans aucun établissement d'enseignement supérieur et de recherche entre de tels mouvements et des puissances étrangères déterminées ».
2. Un dispositif de protection qui repose sur l'action du service de défense et de sécurité du ministère et le volontarisme des établissements, qui n'est pas encore à la hauteur de la menace
a) Un dispositif qui s'inscrit dans les grands principes régissant l'université et sa gouvernance
La lutte contre les influences étrangères dans le domaine de l'enseignement supérieur et la recherche s'inscrit nécessairement dans le cadre des grands principes qui régissent l'université et sa gouvernance.
En premier lieu, toute mesure de protection doit être conciliée avec le respect des libertés académiques, qui sont consacrées par la loi294(*) et qui sont au fondement même de l'université. L'ouverture au monde extérieur, par la voie d'échanges entre établissements, étudiants et chercheurs, est un élément naturel de leur exercice. Dans le même temps, il convient de noter que des influences étrangères malveillantes ou dissimulées, empruntant la voie de l'ingérence, constituent en réalité des menaces pour le plein exercice des libertés académique, et partant que la protection contre celles-ci concourt à les préserver.
En second lieu, le dispositif de protection doit s'articuler avec le principe d'autonomie de gestion des universités, qui rend le chef d'établissement responsable de la politique de défense et de sécurité.
b) Au niveau du ministère, la lutte contre les influences étrangères relève de la compétence du service de défense et de sécurité
(1) Le service de défense et de sécurité : un service qui monte en puissance, mais dont les moyens restent insuffisants
Le service de défense et de sécurité (SDS) est placé sous la responsabilité du secrétaire général du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques en sa qualité de HFDS.
Il est compétent sur le périmètre de ces trois ministères. Le SDS exerce une mission d'animation et de coordination de la politique de sécurité et de défense (conception de plans, conception et diffusion de plans, veille et alerte, protection des biens et des personnes, protection du potentiel scientifique et technique, protection du secret, sécurité des systèmes d'information, intelligence économique) en lien avec tous les services de l'État, notamment le SGDSN et les services de renseignement.
En revanche, il ne mène pas de missions d'enquête, de police ou de renseignement, qui relève des ministères de l'intérieur et de la justice.
Le SDS est structuré en sept pôles, dont aucun n'est spécifiquement dédié à la lutte contre les influences étrangères295(*). Pour mener ses missions, il s'appuie sur un réseau de 143 fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD) en poste dans les universités, auprès des présidents.
Le plafond d'emploi de ce service s'élève à 44 équivalents temps plein (ETP) en 2024, soit un total en nette augmentation au cours des dernières années (+ 23 ETP par rapport à 2017). Si une telle augmentation des effectifs traduit bien une prise de conscience accrue des enjeux de sécurité, le secrétaire général considère que le service n'a pas encore atteint sa « taille critique » eu égard à l'ampleur des besoins, ce d'autant plus que 13 postes ne sont pas pourvus à date. Les besoins supplémentaires sont évalués à 11 ETP supplémentaires au sein du SDS. Au sein du réseau, le besoin de FSD est quant à lui évalué à 140 ETP, soit un doublement. Selon les informations communiquées par le HFDS, ces besoins ont été soumis à un arbitrage budgétaire interministériel.
Au-delà du renforcement de ses effectifs, une professionnalisation du réseau est nécessaire, les FSD cumulant bien souvent cette fonction avec d'autres fonctions administratives.
Alors qu'une réorganisation complète du SDS est envisagé dans le cadre de cette montée en puissance, la commission d'enquête relève que celle-ci serait l'occasion de mieux prendre en compte, dans son organisation, la problématique croissante des influences étrangères.
(2) Le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technique de la Nation n'est pas pleinement adapté à la menace liée aux influences étrangères
L'une des activités majeures du SDS concerne la protection du patrimoine scientifique et technique (PPST) de la Nation, qui peut être ciblé dans le cadre d'opération d'ingérences étrangères. La mise en oeuvre de ce dispositif implique une procédure très encadrée visant à définir des zones à régime restrictif (ZRR), c'est-à-dire des zones d'accès restreint au sein même de l'université, dans les unités de recherche, pour limiter l'accès à des domaines jugés sensibles. Le fait de s'introduire sans autorisation dans une ZRR est caractérisé au plan pénal comme une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et constitue un délit puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
Il existe aujourd'hui 931 ZRR (dont 201 créées en 2023), réparties dans 66 établissements. Environ 38 000 personnes y ont accès. Au total, 17 843 demandes d'accès ont été examinées en 2023, faisant systématiquement l'objet d'une instruction par la DGSI. Parmi elles, 470 demandes ont été refusées. La Ministre Sylvie Retailleau, lors de son audition, a précisé que : « Pour les États les plus sensibles, le nombre d'avis réservés et défavorables a dépassé le nombre d'avis favorables ». Le détail des refus d'accès en fonction des pays d'origine n'a cependant pas été communiqué à la commission d'enquête, au motif qu'il serait couvert par le secret de la défense nationale.
Cependant, le dispositif n'est aujourd'hui pas pleinement adapté aux enjeux de la lutte contre les influences étrangères. En ce qu'il vise avant tout à prévenir le risque d'une captation de savoirs, de savoir-faire et de technologies sensibles à des fins économiques et industriels, celui-ci concerne avant tout les sciences dites « dures », et non les sciences humaines et sociales.
Pourtant, les sciences humaines et sociales constituent bien, comme l'avait souligné le rapport Gattolin précité, le coeur de cible des stratégies d'influence stricto sensu, qui « entendent influer sur les travaux de chercheurs afin d'imposer une vision plus positive de leur modèle, de limiter l'expression académique ou de promouvoir leur doctrine sur certains sujets jugés sensibles, comme par exemple les Ouïghours en Chine ».
L'exclusion des sciences humaines et sociales du champ des PPST témoigne ainsi d'une conception restrictive des intérêts fondamentaux de la Nation, eu égard au durcissement des opérations d'influence à l'oeuvre au cours des dernières décennies.
Il est cependant à noter que ce dispositif est en cours de réforme, avec la parution récente d'un décret du 14 mai 2024296(*) qui en en renforce la portée sur plusieurs points significatifs à compter du 1er janvier 2024 (voir encadré).
Principaux éléments introduits par le décret n° 2024-430 du 14 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation
L'entrée en vigueur du décret n° 2024-430 du 14 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPST) est fixée au 1er janvier 2025.
Ce décret porte principalement les évolutions suivantes :
- il introduit un régime contraventionnel (amende de 5ème catégorie) qui cible, d'une part, les manquements aux obligations de protection et de mise en oeuvre d'une zone à régime restrictif (ZRR) et, d'autre part, le fait de faire obstacle à l'accomplissement des missions des personnels chargés de la protection des ZRR.
- Une contravention de 5ème catégorie pourra être adressée à un établissement de l'enseignement supérieur et de la recherche, relevant des dispositions du code de l'éducation (article L. 123-7-1), ne respectant pas l'obligation d'information des ministères d'un projet d'accord international impliquant des activités conduites au sein d'une ZRR. Cette disposition vient donc renforcer la portée de la circulaire du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche du 18 janvier 2022 sur les modalités de communication préalable des projets d'accords internationaux des établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche.
- toutes les personnes qui bénéficient d'un avis favorable pour l'accès à une zone à régime restrictif afin d'y exercer des activités d'entretien, de gardiennage, de soutien aux activités de recherche (sauf pour les services informatiques) bénéficient d'un avis favorable pour l'accès, aux mêmes fins et dans les mêmes limites, aux autres zones à régime restrictif relevant du même ministre.
- le ministre peut, de sa propre initiative et à tout moment, revenir sur le sens de son avis, y compris lorsque celui-ci est réputé favorable, comme c'est le cas par exemple pour les personnels en place au sein d'une ZRR au moment de sa création (point non prévu actuellement).
- le silence gardé dans un délai de deux mois par le ministère après la réception de la demande d'avis formulée par l'établissement, vaut avis défavorable implicite (il est implicitement favorable aujourd'hui).
- le silence gardé par le chef d'établissement dans un délai de trois mois (deux mois aujourd'hui) suivant la réception par celui-ci d'une demande d'autorisation d'accès vaut décision de rejet.
- le bénéficiaire d'une autorisation d'accès à une ZRR est tenu d'informer le chef d'établissement de tout changement de situation susceptible d'affecter l'appréciation portée sur son droit d'accès. Le chef d'établissement doit en informer sans délai le ministre.
Source : Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
(3) Un dispositif de détection des influences étrangères insuffisant et mal adapté
Les travaux de la commission d'enquête ont mis en évidence la difficulté pour le ministère à recenser les situations et problématiques liées à des ingérences potentielles.
Lors de son audition devant la commission d'enquête, la ministre Sylvie Retailleau a souligné les difficultés rencontrées par le ministère pour détecter les situations problématiques : « le caractère insidieux de ces démarches peut rendre compliquée leur détection. Il n'existe pas de recensement et de suivi exhaustif de ces situations au sein du ministère, car c'est une compétence de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mais des axes de travail permettent de disposer de remontées d'incidents, sans que celles-ci aient un caractère obligatoire : je pense par exemple à l'ouverture de la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA) aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche »297(*).
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, le HFDS ajoute que « l'autonomie de gestion des universités, qui rend le chef d'établissement responsable de la politique de défense et de sécurité, et le principe fondamental de liberté académique font, pour l'heure, obstacle à un recensement et un suivi exhaustif des situations ».
Pour la commission d'enquête, ces réponses ne sauraient être jugées satisfaisantes.
En premier lieu, si le travail d'enquête, de caractérisation et le cas échant d'entrave relève bien de la DGSI, il appartient au ministère et aux universités de se doter de capteurs adéquats pour faire remonter les situations suspectes aux services de renseignement, qui ne peuvent pas surveiller en permanence chaque université.
En deuxième lieu, la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA) n'est aujourd'hui pas outillée pour recenser ces situations.
Gérée par le SDS, cette cellule centralise les incidents survenus dans les écoles et les universités et fonctionne en permanence.
Le rapporteur a sollicité le HFDS pour obtenir le détail des signalements effectuées, qui s'élèvent à 620 entre septembre 2023 et mai 2024. Cela étant, ces éléments sont peu probants pour la commission d'enquête, en ce qu'ils ne permettent pas d'identifier les signalements liés à une influence étrangère. Comme l'indique le HFDS : « aucune typologie ne permet, à ce stade, de mettre particulièrement en exergue les opérations d'influence étrangères ». En effet, le système de signalement repose à ce jour sur les seules catégories suivantes : mouvements sociaux (59 % des signalements), atteintes aux personnes (13 %), atteintes aux valeurs de la République (12 %), atteintes à la sécurité ou au climat (11 %), décès (4 %) et atteintes aux biens (1 %).
Dans ses réponses, le HFDS annonce des évolutions en ce sens, auxquelles il conviendra donc de veiller : « la catégorisation des incidents, qui doit pouvoir permettre de déceler à terme les opérations d'influence étrangères, est en cours de discussion et fera l'objet d'une première stabilisation au mois de septembre 2024 ».
Aussi, le très faible nombre de signalement effectués par le ministère résulte selon toutes vraisemblances des limites de son dispositif de détection. Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, le HFDS énonce clairement que « les établissements font état d'une perception de la menace, mais ne parviennent qu'exceptionnellement, faute d'une grille de lecture opérationnelle, à caractériser des incidents dans les faits ».
Lors de son audition, le HFDS a ainsi indiqué que seuls deux signalements ont été effectués au titre d'opérations d'ingérence en 2023 : « nous avons eu deux cas l'an passé où nous avons caractérisé l'infraction d'ingérence, le premier a déclenché un signalement au procureur ; le deuxième était issu de nos investigations, parce que nous trouvions suspectes les réponses apportées par l'établissement aux questions que nous lui posions, c'est notre questionnement qui nous a conduits à identifier cette ingérence - une procédure disciplinaire est en cours dans ce dossier »298(*).
En sus, la commission d'enquête relève que le dispositif ne couvre pas, ni même n'associe, les établissements d'enseignement supérieur et de recherche privés, qui peuvent pourtant également constituer des cibles stratégiques pour des opérations d'influences étrangères malveillantes.
c) Des présidents d'universités volontaires mais souvent insuffisamment soutenus
(1) Une prise de conscience inégale ?
Compte tenu du principe d'autonomie des universités, les chefs d'établissements sont appelés à jouer un rôle essentiel dans la mise en oeuvre d'actions de prévention des opérations d'influence étrangères malveillantes.
À ce sujet, Benjamin Leperchey, directeur adjoint à la DGESIP, a indiqué lors de son audition que la prise de conscience de ces enjeux était inégale selon les chefs d'établissements : « Il n'y a pas de naïveté sur le sujet, mais la prise de conscience reste hétérogène parmi les présidents d'établissement. (...) Les établissements qui sont le plus au coeur de ces problématiques, comme l'Inalco, sont parfaitement au fait de l'ampleur de la menace et sont bien outillés pour adapter le contenu de leurs enseignements, leur posture et leurs partenariats en fonction du risque d'ingérence. Ils travaillent avec des ministères régaliens particulièrement prescripteurs. Dans les établissements sensibles, le sujet est parfaitement sous contrôle. Dans les établissements plus généralistes, nous pourrions craindre des ingérences moins visibles, plus évanescentes. La prise de conscience est réelle, mais un recensement exhaustif est plus difficile à réaliser que dans le champ des sciences dures »299(*).
Cette déclaration a suscité une grande incompréhension de la part de France Universités, l'association qui représente les chefs d'établissement auprès des pouvoirs publics. Son président a assuré le rapporteur, lors de son audition300(*), de la mobilisation totale des chefs d'établissements, qui pâtiraient plutôt d'un manque d'accompagnement de la part du ministère.
(2) Un manque de formation
En premier lieu, France université pointe une formation insuffisante des chefs d'établissements à ces enjeux, et, au-delà, de la communauté académique dans son ensemble (chercheurs, associations étudiantes...).
Ce constat n'est pas démenti par le HFDS du ministère, qui, lors de son audition, indiquait clairement que : « Depuis quelques années, l'essentiel du travail de formation porte sur les questions de laïcité et de séparatisme, notamment les valeurs de la République. Nous n'avons pas vraiment de formation spécifique sur les ingérences étrangères, hormis une à l'Institut des hautes études de l'éducation et de la formation. Pour autant, il y a des spécialistes de ces sujets dans le monde universitaire »301(*).
(3) Un manque de moyens
France universités a également déploré leur manque de moyens pour mettre pleinement en oeuvre la politique de prévention des ingérences dans les universités.
Ils déplorent l'absence de ligne budgétaire pour les accompagner dans la mise en place des ZRR, qui supposent la mobilisation de moyens conséquents par les universités : surveillance des systèmes d'information, utilisation d'appareils protégés, contrôle des entrées et des sorties...
Lors de son audition, la Ministre a entendu nuancer ce constat, en déclarant que le ministère accompagnait les bien les chefs d'établissements qui seraient placés en difficulté, sans toutefois fournir davantage de précisions sur la nature de cet accompagnement : « oui, les ZRR représentent un surcoût. Le président d'université est le seul qui peut décider de placer un laboratoire ou une partie de laboratoire sous ce statut, mais nous l'accompagnons. J'aimerais avoir la liste des ZRR dont la mise en place serait aujourd'hui impossible pour des raisons de coût. De tels problèmes durent rarement plus d'un semestre, le temps d'élaborer un plan de financement. Nous accompagnons les universités dans ces problématiques, même s'il y a parfois des délais ; je ne crois pas qu'il y ait de réels blocages » 302(*).
La longueur et la complexité des procédures est également mise en cause, de telle sorte qu'environ 150 à 200 ZRR seraient aujourd'hui en attente, ordre de grandeur confirmé par la Ministre au cours de la même audition.
(4) Un défaut de pilotage
Lors de leur audition par le rapporteur, le président de France universités et le président de l'Inalco ont regretté l'absence de directives claires de la part du ministère en matière de prévention des influences étrangères.
En particulier, les représentants de l'Inalco ont indiqué que, face à ces risques, le principal problème n'était pas celui de la « naïveté des chercheurs », dans l'ensemble bien au fait de ces menaces, que de « l'absence de processus balisé pour les aider à savoir comment y faire face »303(*).
C'est la raison pour laquelle l'Inalco, qui est particulièrement exposé aux risques d'influences étrangères, a commencé très récemment, depuis la fin de l'année 2023, à mettre en place son propre dispositif de détection, en formalisant, en lien avec son fonctionnaire de sécurité et de défense (FSD), des « procédures de due diligence (vérifications nécessaires) et de reporting (signalement) pour centraliser les points d'alerte » en matière d'ingérences. L'établissement entend aussi produire un « manuel de bonnes pratiques » à destination de sa communauté.
Si cette initiative ne peut qu'être louée et encouragée, son caractère extrêmement récent indique un certain retard dans la prise de conscience de la menace par le monde académique. Surtout, le fait que ce plan ait dû être conçu de façon autonome par l'université, sans aucunes lignes directrices émises au niveau national, illustre bien l'absence de pilotage de cette politique.
La commission d'enquête ne peut que regretter le fait que la conception de tels dispositifs de détection et de prévention repose sur les seules initiatives des chefs d'établissements, certes en lien avec leurs FSD, alors même qu'ils ne disposent pas nécessairement de la formation adéquate pour le faire. Une initiative nationale, piloté par le HFDS et politiquement portée au niveau du ministre, permettant une généralisation de tels dispositifs serait nécessaire. Dans le respect du principe d'autonomie des universités, toute latitude serait ensuite laissée aux chefs d'établissements pour leur mise en oeuvre opérationnelle.
3. Un dispositif qui reste marqué par d'importantes lacunes, et en particulier par un défaut d'application des recommandations les plus substantielles du « rapport Gattolin »
a) Une mise en oeuvre parcellaire des recommandations du « rapport Gattolin »
Les travaux de la commission d'enquête ont mis en évidence une mise en oeuvre parcellaire des recommandations du « rapport Gattolin » précité fait au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étrangères dans le monde universitaire et académique, trois ans après son adoption.
À sa demande, le HFDS a produit un état des lieux détaillé de leur mise en oeuvre à date, qui figure en annexe du présent rapport (cf. annexes). Le tableau et les éléments ci-après en synthétisent le contenu.
État d'application des recommandations de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences (2021) présenté par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Recommandation |
État d'application selon le ministère |
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1 |
Dresser un état des lieux des alertes, de la volumétrie des signalements et des mesures prises pour y remédier et évaluer le niveau des influences étrangères dans l'enseignement supérieur et la recherche |
Action en cours |
2 |
Constituer un comité scientifique, prenant la forme d'un « observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l'enseignement supérieur et la recherche » qui associerait universitaires, ministères de l'enseignement supérieur et de la recherche, des affaires étrangères, de l'économie, de l'intérieur et des armées, chargé de dresser un état des lieux, d'en assurer le suivi régulier et de formuler des propositions au Gouvernement |
Action non engagée |
3 |
Charger le comité d'élaborer une étude scientifique de référence sur l'état des menaces constatées en France. Ce document, qui ferait l'objet d'un suivi actualisé et d'une analyse des évolutions dynamiques, comporterait une vision globale des menaces extra-européennes et une cartographie des risques à la fois thématiques et géographiques |
Action non engagée |
4 |
Prévoir la transmission de cette étude et de ses versions actualisées au Parlement. Ses constats pourront faire l'objet d'un débat |
Sans objet |
5 |
Étendre le dispositif de protection du PPST à l'ensemble des disciplines universitaires, notamment en les adaptant aux enjeux et influences spécifiques aux sciences humaines et sociales qui en sont exclues |
Action en cours |
6 |
Confier au collège de déontologie de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation une mission renforcée d'animation du réseau des déontologues au sein des établissements et à la procédure d'identification |
Action menée |
7 |
Assurer sur une base régulière un échange d'informations entre le collège de déontologie et le HFDS du MESR, sur toute question relative aux influences étrangères menaçant les libertés académiques |
Action non engagée |
8 |
En lien avec le collège de déontologie, renforcer le service du HFDS et le doter d'une expertise dédiée |
Action en partie engagée |
9 |
Constituer un réseau formalisé des fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD), afin de leur permettre de bénéficier de l'expertise des services des ministères, d'échanger sur leurs pratiques et de centraliser les signalements |
Action menée |
10 |
Confier aux FSD, dont l'autorité et l'expertise seraient réaffirmées, et en lien avec le déontologue, un rôle de formation et de sensibilisation de l'ensemble de la communauté académique sur les risques liés aux influences extra-européennes. Cette action serait renforcée dans les domaines ou les zones identifiées comme potentiellement les plus à risque par le document de référence |
Action menée |
11 |
Élaborer et diffuser auprès des établissements via le réseau des FSD un guide de bonnes pratiques de coopération avec certains pays identifiés, guide qui doit être largement diffusé auprès de toute la communauté académique |
Action en cours |
12 |
Assurer une sensibilisation des collectivités territoriales, notamment régions et les grandes métropoles sur ces sujets, compte tenu de leur place significative dans les conseils d'administration des établissements d'enseignement supérieur |
Action en cours |
13 |
Étendre le bénéfice de la protection fonctionnelle à l'ensemble de la communauté académique (chercheurs non agents publics, institutions) |
Action en cours |
14 |
Généraliser la réalisation par l'Anssi d'un audit sur la sécurité des systèmes informatiques des universités, en y intégrant la question de la confidentialité des cours en ligne |
Action non engagée |
15 |
Renforcer les moyens dédiés à la détection et à la protection du monde universitaire et académique face aux interférences extérieures en inscrivant des crédits dédiés dans les budgets des universités et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères |
Action en cours |
16 |
Prévoir, dans le cadre des décrets qui doivent être publiés au titre de l'article L. 211-2 du code de l'éducation, et en s'inspirant de l'article L. 411-5 du code de la recherche, l'obligation pour les chercheurs de signaler dans leurs thèses, travaux post doctoraux et publications scientifiques les éventuelles aides directes et indirectes dont ils ont pu bénéficier de la part d'États extra-européens |
Action en partie engagée |
17 |
Créer un régime de transparence sur l'origine des financements extra-européens des projets (colloques, contrats doctoraux, chaires...) menés par les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les think-tanks |
Action non engagée |
18 |
Faire valoir au niveau national des exigences de réciprocité dans les échanges universitaires avec les pays extra européens. |
Action menée |
19 |
Inclure systématiquement une clause relative au respect des libertés académiques et de l'intégrité scientifique dans les conventions passées avec les institutions et entreprises extra-européennes |
Action non engagée |
20 |
Modifier l'article L. 123-7-1 et l'article D. 123-19 du code de l'éducation pour prévoir une saisine pour avis des ministères concernés (enseignement supérieur et recherche, économie, affaires étrangères, intérieur et armées s'il y a lieu) sur les projets d'accord |
Action en partie engagée |
21 |
Modifier les mêmes articles pour fixer à trois mois maximum le délai d'examen des projets d'accord, pour permettre des investigations sérieuses |
Action non engagée |
22 |
Prévoir que les accords de recherche passés avec les filiales françaises des entreprises étrangères extra-européennes soient soumis systématiquement à la procédure d'examen |
Action non engagée |
23 |
Au niveau national, étudier l'adoption d'un corpus de moyens juridiques, d'ordre administratif et le cas échéant pénal, visant à sanctionner les interférences portant atteintes aux libertés académiques et à l'intégrité scientifique |
Action en cours |
24 |
Au niveau européen, mettre à profit la Présidence française de l'Union européenne pour proposer une stratégie ambitieuse de diplomatie scientifique, à la fois défensive, mais également offensive, dans la lignée du début de prise de conscience de nos partenaires |
Action menée |
25 |
Inciter au niveau européen et international à la création d'un classement des universités fondé sur le respect des libertés académiques et de l'intégrité scientifique, afin de mettre en lumière nos valeurs, par opposition à un classement de Shanghai devenu trop prescripteur |
Absence d'observation |
26 |
Promouvoir une norme européenne et internationale de clarification des échanges universitaires fondée sur le devoir de diligence (due diligence) et la conformité (compliance) à des lignes directrices fondées sur le respect de la liberté académique et l'intégrité scientifique, en accord avec la déclaration de Bonn du 23 octobre 2020 et les travaux de l'OCDE |
Action menée |
Source : commission d'enquête, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur adressé au Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche
(1) Certaines actions ont bien été menées mais doivent désormais trouver une traduction concrète
Cet état des lieux permet, tout d'abord, de constater que des actions ont bien été menées pour appliquer certaines recommandations du rapport (6 sur 26), même s'il conviendra de veiller à ce que celles-ci se traduisent concrètement dans les faits.
Il s'agit notamment des recommandations tendant à :
- constituer un réseau formalisé des fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD), afin de leur permettre de bénéficier de l'expertise des services des ministères, d'échanger sur leurs pratiques et de centraliser les signalements, même s'il a été montré supra que ce réseau doit encore être fortement renforcé eu égard aux besoins ;
- confier aux FSD, dont l'autorité et l'expertise seraient réaffirmées, et en lien avec le déontologue, un rôle de formation et de sensibilisation de l'ensemble de la communauté académique sur les risques liés aux influences extra-européennes, ce rôle étant conforté par une circulaire SDS /n° 2023-2212 du 25 mai 2023, communiquée à la commission d'enquête. L'enjeu sera ici de mettre en application ce rôle de formation dans les faits, et surtout de prendre en compte dans ce cadre la problématique des influences étrangères ;
(2) Certaines actions ont en partie été engagées
Le bilan du HFDS indique que des actions ont « en partie été engagées » sur certaines recommandations (3 sur 23). La commission d'enquête relève cependant que l'engagement de ces actions est dans deux cas extrêmement récent, alors même que le rapport Gattolin a été publié il y a trois ans.
Il s'agit notamment des recommandations tendant à :
- renforcer le SDS et le doter d'une expertise dédiée : comme cela a été montré supra, les effectifs du SDS ont bien connu une montée en puissance, appelée à se poursuivre. En revanche, celui-ci n'intègre à ce stade pas d'expertise dédiée à la problématique des influences étrangères ;
- instaurer un régime de transparence sur les financements et les liens d'intérêts extra-européens des chercheurs : le HFDS a indiqué à cet égard qu'un groupe de travail, piloté par le SGDSN avait été constitué et travaille à pouvoir instaurer, de manière effective, une exigence la déclaration par les candidats de leurs éventuels conflits d'intérêts dans les demandes d'accès aux zones à régime restrictif. Cette initiative est certes louable, mais encore insuffisante compte tenu de son périmètre limité aux ZRR, à plus forte raison compte tenu du fait que celles-ci ne concernent généralement pas les sciences humaines et sociales, qui sont pourtant une cible de premier plan des opérations d'influence étrangères (voir supra) ;
- prévoir une saisine pour avis des ministères concernés sur les projets d'accord : à nouveau, il est indiqué qu'un groupe de travail piloté par le SGDSN, dont la première réunion s'est tenue le 25 avril 2024, et auquel participent tous les ministères concernés par la règlementation relative à la PPST, travaille à pouvoir instaurer, par voie règlementaire, une obligation de saisine pour avis sur les projets de coopération internationale en cas d'implication d'une unité de recherche protégée par le PPST. Le non-respect de cette obligation donnerait lieu à une contravention.
(3) Certaines actions sont en cours, et doivent être menées à leur terme
Certaines recommandations (7) ont donné lieu à des actions qui sont en cours, et qu'il convient désormais de mener à leur terme.
Il s'agit notamment des recommandations tendant à :
- dresser un état des lieux des alertes, même s'il a été montré supra que le dispositif actuel de détection n'était pas à la hauteur des enjeux ;
- étendre le dispositif de PPST à l'ensemble des disciplines universitaires : à cet égard, il a été indiqué que, dans le sillage de la réforme des PPST, un arrêté interministériel était en cours d'élaboration, et devrait étendre le champ des PPST à de nouveaux domaines (sciences cognitives et neurosciences, sciences du langage, psychologie notamment). Si cette évolution va dans le bon sens, elle est cependant insuffisante puisque l'ensemble des sciences humaines et sociales sont susceptibles de faire l'objet d'opérations d'influence étrangères ;
- élaborer et diffuser auprès des établissements via le réseau des FSD un guide de bonnes pratiques de coopération avec certains pays identifiés : là encore : à nouveau, il est indiqué qu'un groupe de travail piloté par le SGDSN, dont la première réunion s'est tenue le 25 avril 2024 et auquel participent tous les ministères concernés par la règlementation relative à la PPST, travaille à fournir aux entités intéressées, notamment aux établissements d'ESR, un guide et une grille d'auto-évaluation préliminaire des projets de coopération. Le ministère précise qu'il appartient au seul SGDSN, le cas échéant, de mettre à la disposition des établissements des documents relatifs à des États en particulier ;
- assurer une sensibilisation des collectivités territoriales : le ministère indique qu'un plan de sensibilisation a bien été engagé en juillet 2022, mais en précisant que celui-ci se concentre sur les enjeux d'intelligence économique, et ne concerne donc qu'à la marge la thématique des influences étrangères.
- étudier l'adoption d'un corpus de moyens juridiques, d'ordre administratif et le cas échéant pénal, visant à sanctionner les interférences portant atteintes aux libertés académiques et à l'intégrité scientifique : le ministère cite à cet égard la réforme du dispositif de PPST, détaillée supra.
(4) Sur les 26 recommandations, 8 n'ont donné lieu à aucune action à ce jour
Enfin, le document transmis par le ministère indique que 8 recommandations sur 26 n'ont donné lieu à aucune action, ce que la commission d'enquête ne peut que regretter.
Il s'agit principalement des recommandations tendant à :
- créer un observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l'enseignement supérieur et la recherche : à cet égard, le ministère indique que « la diversité et la porosité des moyens et des cibles des opérations d'influence étrangères ne rendent pas pertinente une segmentation de l'action interministérielle sur ces problématiques, qu'il est nécessaire d'envisager dans leur ensemble et leur complexité ». La commission d'enquête souscrit à cette analyse, considérant que la lutte contre les influences étrangères malveillantes requiert une approche globale, s'inscrivant dans le cadre d'une stratégie interministérielle. Tout en restant convaincu de la nécessité de se doter d'instances permettant d'améliorer notre connaissance fondamentale du phénomène, il formulera ainsi infra une recommandation tendant à la création d'un observatoire au périmètre élargi (voir Troisième partie, I).
- créer un régime de transparence sur l'origine des financements extra-européens dont bénéficient établissements d'enseignement supérieur et de recherche privés : recommandation que le ministère juge pertinente dans son principe, mais qui requiert une modification de la loi ;
- prévoir que les accords de recherche passés avec les filiales françaises des entreprises étrangères extra-européennes soient soumis systématiquement à la procédure d'examen des projets d'accord par le ministère : recommandation que le ministère juge pertinente dans son principe, mais qui requiert une modification de la loi.
b) Un nouveau point de fragilité identifié : les bourses à financement étatique ou para-étatique
Les travaux de la commission d'enquête ont permis de mettre en évidence un nouveau point de fragilité des universités vis-à-vis des opérations d'influence étrangères : le contrôle insuffisant des bourses octroyées par des États ou structures para-étatiques.
Lors de son audition, la ministre Sylvie Retailleau a ainsi indiqué que : « une vigilance renforcée est portée sur certaines associations, notamment celles d'étudiants étrangers, qui ont souvent des liens avec les gouvernements de leurs pays respectifs. Nous nous intéressons à certaines bourses à financement étatique, particulièrement celles du China Scholarship Council (CSC), dont il est documenté que les bénéficiaires doivent rendre compte à l'ambassade de Chine ou à ses proxys ».
La commission d'enquête ne peut que partager cette préoccupation. Si la présence en France de chercheurs et d'étudiants étrangers est une richesse indispensable à l'écosystème académique national tant en termes de ressources humaines que financières, les bourses à financement étatique ou para-étatique - ainsi celles proposées par le China Shcolarship Council - doivent probablement être mieux et systématiquement encadrées pour limiter les risques, identifiés par le HFDS du ministère dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, liés à « l'exposition des intérêts fondamentaux de la Nation aux servitudes des boursiers vis- à-vis de leurs financeurs ».
* 290 Rapport d'information n° 873 (2020-2021) fait par André Gattolin au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, déposé le 29 septembre 2021.
* 291 Selon les chiffres donnés par le site officiel des Instituts Confucius.
* 292 Audition du 18 juin 2024.
* 294 Article L. 952-2 du code de l'éducation.
* 295 Les sept pôles concernent : la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPST) ; la protection du secret de défense nationale ; la cellule ministérielle de veille et d'alerte, la planification et la gestion de crise ; la sécurité des systèmes d'information ; les valeurs de l'École de la République et l'administration générale du SDS.
* 296 Décret n° 2024-430 du 14 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation.
* 297 Audition du 18 juin 2024.
* 298 Audition du 14 mai 2024.
* 300 Audition du rapporteur, 3 juin 2024.
* 301 Audition du 14 mai 2024.
* 302 Audition du 18 juin 2024.
* 303 Audition du rapporteur, 3 juin 2024.