N° 636

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mai 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le financement public
de la filière forêt-bois,

Par MM. Christian KLINGER et Victorin LUREL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné le mercredi 29 mai 2024 le rapport de MM. Christian Klinger, Sénateur du Haut-Rhin et Victorin Lurel, Sénateur de Guadeloupe, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », sur les résultats de leur contrôle sur le financement public de la filière forêt et bois.

« La forêt jurassienne est condamnée », « les feux de forêt de 2022 ne sont qu'un avant-goût de ce que connaîtra annuellement la France », « de plus en plus de forêts sont émettrices de carbone », « les élus locaux n'ont pas pris conscience du risque pénal majeur qu'ils encourent à ne pas entretenir leurs forêts », « les obligations liées aux plans de gestion forestière ne sont pas respectées » : plusieurs propos alarmistes, mais particulièrement étayés, ont nourri la série d'auditions conduites par MM. Christian Klinger et Victorin Lurel, rapporteurs spéciaux chargés des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », qui ont présenté le 29 mai 2024 devant la commission des finances, leur contrôle consacré au financement public de la filière forêt-bois. Ils mettent particulièrement en exergue le décalage croissant entre le montant important des financements publics en jeu (1,45 milliard d'euros par an) et le devenir, de plus en plus incertain, de la forêt française, la 4e forêt européenne.

La France est l'un des rares pays au monde à connaître tous les types de climat forestier (forêt tempérée, tropicale, subtropicale mais aussi boréale) au sein duquel cohabitent un très grand nombre d'essences (on estime qu'il y a davantage d'essences d'arbres sur un hectare en Guyane que sur l'ensemble du continent européen). Cette situation est le résultat d'une politique volontariste initiée dès la « grande réformation » de Colbert qui aboutit à l'édiction, en 1669, d'une ordonnance unifiant le régime applicable aux forêts, qui deviendra par la suite le « régime forestier ». Cette politique de grands investissements d'État pour tenir compte d'une caractéristique essentielle des forêts, le « temps long », et contribuer à les rentabiliser dans la durée nous bénéficie aujourd'hui encore.

I. LA FILIÈRE FRANÇAISE FORÊT - BOIS : UN MAQUIS DE FINANCEMENTS PUBLICS PARTICULIÈREMENT COMPLEXE À APPRÉHENDER

A. LA FORÊT FRANÇAISE : UN PATRIMOINE EXCEPTIONNEL...À PRÉSERVER

En 2022, la surface boisée au sol s'étendait sur plus de 26,9 millions d'hectares, dont 17,6 millions d'hectares en France hexagonale et 8,3 millions d'hectares dans les Outre-mer, soit le tiers de la superficie totale du territoire national, trois fois plus qu'en 1661. Les essences feuillues (principalement des châtaigniers, des chênes et des hêtres) occupent 67 % de la surface des forêt et 65 % du volume de bois. Toutefois, l'inventaire forestier n'est finement connu, grâce à l'IGN, que pour l'Hexagone, depuis 65 ans. L'inventaire forestier des Outre-Mer n'a, quant à lui, pas encore débuté malgré le vote d'un crédit de 15 millions d'euros en loi de finances pour 2024.

Les trois-quarts de la forêt française hexagonale (environ 12,8 millions d'hectares) appartiennent à des propriétaires privés, le quart restant étant réparti au sein de 17 847 forêts publiques relevant de l'ONF, avec huit types de propriétaires publics différents, principalement les communes.

Part de la surface forestière publique dans les régions hexagonales

Source : Institut national de l'information géographique et forestière (IGN)

Seul le quart des forêt privées hexagonales (3 millions d'hectares) fait l'objet d'un plan de gestion agréé par le Conseil national de la propriété forestière (CNPF) tandis que les forêts publiques, qui représentent 55 % des forêts, sont gérées avec un document de gestion durable établi par l'Office national des forêts (ONF). Or, l'absence d'une gestion pro-active durable entraîne, à moyen terme, la disparition de la forêt concernée, compte tenu de l'incapacité des espaces boisés, dans leur configuration actuelle, à résister aux aléas de plus en plus contraignants.

Type de gestion des forêts en France, en Europe et dans le Monde

Source : INRAE

En effet, le taux de mortalité des arbres augmente en raison des aléas climatiques (tempête, réchauffement, inondations), des incendies, des nuisibles et de la densification giboyeuse. Malgré la mobilisation d'un grand nombre d'acteurs (Météo France, direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises), ces aléas sont de plus en plus difficiles à anticiper. Les politiques publiques doivent donc principalement viser à une gestion durable et dynamique des espaces boisés.

Taux de mortalité des arbres en France

(en millions de m3)

Source : Commission des finances du Sénat

B. UN ENCHEVÊTREMENT DE POLITIQUES ET DE DÉPENSES PUBLIQUES SANS QU'ON PUISSE PARADOXALEMENT IDENTIFIER UNE POLITIQUE FORESTIÈRE.

À la croisée des chemins d'un très grand nombre de politiques publiques (environnement, décarbonation, sécurité civile, exploitation économique, tourisme, biodiversité, paysages, construction et ameublement, etc.), la filière forêt-bois fait l'objet d'un financement public qu'aucun acteur n'est capable de mesurer avec précision et exhaustivité. Une évaluation de la Cour des comptes de 2020 existe toutefois et doit être mise à jour.

Les rapporteurs spéciaux ont donc cherché à recenser le total des dépenses publiques liées à la filière : ils évaluent à 1,45 milliard d'euros le total des dépenses publiques annuelles consacrées à la filière forêt-bois : 816 millions d'euros de crédits budgétaires, 403 millions d'euros de dépenses fiscales, 60 millions d'euros de financements européens, 28 millions de financements interprofessionnels. À ces sommes relativement identifiées s'ajoutent des dépenses pour lesquelles une quote-part destinée aux forêts doit être estimée, mais sans que les montants ne soient absolument certains : les rapporteurs spéciaux ont pu évaluer les dépenses des collectivités territoriales consacrées aux forêts à 47 millions d'euros, les dépenses forestières issues de divers programmes à 48 millions d'euros environ par an (programme de « graines et plants », etc.) ainsi que quelques dépenses liées à des parcs naturels nationaux, à la lutte contre les incendies ou au soutien à des industries du bois. Au total, environ 15 % des dépenses de la filière sont donc partiellement estimatives. Mieux identifier le total du financement public et mieux connaitre les caractéristiques de la forêt semble un prérequis indispensable pour aider au mieux la filière à contrer les difficultés qui s'imposent à elle.

II. FAIRE DE LA FRANCE LA PUISSANCE FORESTIÈRE QU'ELLE DEVRAIT ÊTRE PAR UNE MEILLEURE ORIENTATION DES EFFORTS

A. MIEUX MESURER L'IMPACT DES POLITIQUES PUBLIQUES FORESTIÈRES

Les données publiques relatives à la forêt sont incomplètes : les moyens doivent être davantage orientés pour mettre à jour l'inventaire dans l'Hexagone (par le biais de mécanismes comme le Lidar), initier enfin un inventaire des forêts d'outre-mer et mettre à jour le cadastre : 3,6 millions d'hectares de superficie forestière sont manquants sur le cadastre par rapport aux relevés effectués. Par ailleurs, les compétences en matière forestière relèvent d'un nombre trop important d'organismes qu'il faudra rationaliser : une trentaine d'organismes principaux ont un rôle en lien avec la filière forêt-bois. La répartition de la compétence et la gouvernance qui en résulte est trop complexe, malgré l'indéniable volonté des acteurs de travailler en bonne intelligence au sein de structures dédiées, comme le réseau mixte technologique pour l'adaptation des forêts au changement climatique (RMT AFORCE).

Les missions successives du RMT AFORCE depuis sa création

Source : RMT AFORCE dans sa réponse au questionnaire transmis aux rapporteurs spéciaux

B. POURSUIVRE LA STRUCTURATION DE LA FILIÈRE ÉCONOMIQUE DU BOIS : UN SECTEUR QUI PÈSE DANS L'ÉCONOMIE MAIS QUI CONNAÎT UN DÉFICIT STRUCTUREL DE SA BALANCE COMMERCIALE

La filière du bois constitue un moteur important de l'économie française : en 2021, la filière forêt-bois a généré 27,6 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit 1,1 % du PIB. En seulement 5 ans (2016-2021), la filière a augmenté sa valeur ajoutée de 3 milliards d'euros, correspondant à un rebond plus rapide que l'économie française dans son ensemble après le ralentissement généré par la pandémie de covid-19. Les emplois directs de la filière bois représentaient plus de 415 000 équivalents temps plein (ETP). La filière a généré plus de 20 000 ETP depuis 2019. C'est l'équivalent de 1,38 % de la population en emploi et surtout 12,4 % du total des emplois des filières à base industrielle de la France.

L'emploi dans la filière forêt bois

Source : l'interprofession France bois forêt

Malgré ces chiffres, la situation économique du secteur inquiète. Le déficit commercial du secteur en 2022 s'est établi à 9,5 milliards d'euros, en hausse de 900 millions d'euros par rapport à 2021. Cette augmentation résulte notamment du creusement du déficit des pâtes, papiers et cartons (ces trois activités expliquent le déficit à hauteur de 3,9 milliards) et du niveau toujours élevé mais stable du déficit des meubles et sièges en bois (3,4 milliards d'euros). En revanche, la balance commerciale s'améliore légèrement pour les produits des industries du bois, les bois ronds, les sciages et connexes.

Solde déficitaire de la balance commerciale de la filière forêt-bois

Source : interprofession France bois-forêt

Une meilleure structuration d'une partie de la filière est indispensable : en particulier, les activités de transformation doivent faire l'objet d'un plan national de soutien. La meilleure structuration repose également sur l'augmentation de la taille des propriétés forestières exploitées. Ce dernier point est essentiel : 60 % de la production française de bois d'oeuvre et d'industrie est concentrée dans les propriétés de plus de cent hectares, alors qu'elles représentent 30 % des surfaces.

C. GÉNÉRALISER L'IMPÉRATIF DE GESTION DURABLE DES FORÊTS

L'entretien des forêts conditionne leur capacité de renouvellement et leur avenir. Un élargissement des objectifs de gestion durable passe, en premier lieu, par l'agrandissement de la taille moyenne des parcelles forestières privées. Cet objectif de lutte contre l'éparpillement forestier est régulièrement avancé mais force est de constater que le problème demeure. Le morcellement a même tendance à augmenter du fait des transmissions successives par voie successorale qui contribuent à diviser le foncier entre plusieurs héritiers et parce que la forêt progresse avec le boisement de terres agricoles abandonnées sur un parcellaire plus morcelé que la moyenne.

Jusqu'à présent, l'État s'est refusé à utiliser les quelques leviers incitatifs dont ils disposent, notamment fiscaux, pour remédier réellement à cette situation qui devient problématique en raison de la corrélation entre la taille de la parcelle et le degré effectif d'entretien et de gestion. Les rapporteurs spéciaux préconisent que l'État soit davantage coercitif dans la détermination et le contrôle de ces objectifs de gestion des parcelles forestières.

D. ACTUALISER CERTAINS DES CRITÈRES DE PERFORMANCE DU PRINCIPAL PROGRAMME BUDGÉTAIRE PORTEUR DES CRÉDITS CONSACRÉS À LA FILIÈRE

Au regard des effets du changement climatique et des priorités de la planification écologique, la pertinence de certains indicateurs de performance du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » de la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) pourrait être questionnée : ces indicateurs doivent être mieux corrélés aux nouvelles caractéristiques des forêts.

LES RECOMMANDATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 (Gouvernement, IGN) : Prévoir, au premier semestre 2025, un bilan d'étape de l'inventaire forestier ultra-marin et élargir l'ensemble des missions de l'IGN aux outre-mer.

Recommandation n° 2 (ONF, Ministère de l'intérieur) : Assurer une gestion pro-active de la forêt et une exploitation forestière efficace, notamment en luttant mieux contre les opérations sauvages visant à empêcher l'action des propriétaires exploitants.

Recommandation n° 3 (Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse) : Encourager les opérations de sensibilisation à la cause forestière, en développant notamment les classes de découverte forestière qui pourraient bénéficier pour partie d'un financement public à destination des familles les moins aisées.

Recommandation n° 4 (Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire) : Lier davantage les contraintes de gestion forestière à la durabilité de la forêt et non aux seules caractéristiques des propriétés.

Recommandation n° 5 (Parlement, ministère de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) : Questionner la pertinence des dépenses fiscales à destination de la filière forêt-bois, en particulier l'exonération de 75 % de la valeur des droits de mutations à titre gratuit (donation, leg, succession) pour les terrains en nature de bois et forêt (dispositif dit « Sérot-Monichon »).

Recommandation n° 6 (Parlement, DGFiP, FNCOFOR) : Déterminer, en lien avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), des modalités d'identification plus précises, par les collectivités territoriales, de leurs ressources et dépenses forestières.

Recommandation n° 7 (Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) : Produire un recensement exhaustif des dépenses publiques de l'État consacrées à la filière permettant de déterminer un coût annuel de la politique forestière de la France, par exemple en créant une nouvelle annexe au projet de loi de finances (« jaune budgétaire »).

Recommandation n° 8 (DGFiP) : Lancer à court terme une campagne de régularisation du cadastre forestier afin de le fiabiliser, en comparant les données géographiques et cadastrales.

Recommandation n° 9 (Gouvernement, délégué interministériel) : Prévoir, de la part du délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages qu'il rende compte des actions conduites pour améliorer la structuration de la filière économique du bois et initier une véritable politique publique pluriannuelle de restructuration.

Recommandation n° 10 (Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) : Modifier les indicateurs de performance économique liés à la forêt du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » de la mission « AAFAR ».

AVANT-PROPOS

« La forêt jurassienne est condamnée », « les feux de forêt de 2022 ne sont qu'un avant-goût de ce que connaîtra annuellement la France », « de plus en plus de forêts sont émettrices de carbone », « les élus locaux n'ont pas pris conscience du risque pénal majeur qu'ils encourent à ne pas entretenir leurs forêts », « les obligations liées aux plans de gestion forestière ne sont pas respectées » : plusieurs propos alarmistes, mais particulièrement étayés, ont nourri la série d'auditions conduites par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du présent contrôle portant sur le financement public de la filière forêt-bois1(*), mettant en exergue le décalage croissant entre le montant important des financements publics en jeu et le devenir, de plus en plus incertain, de la forêt française. Cette situation est d'autant plus paradoxale que la forêt française dispose d'atouts considérables. Elle est caractérisée par une diversité très importante, s'appuyant sur le fait que la France est l'un des rares pays au monde à connaître tous les types de climat forestier (forêt tempérée, tropicale, subtropicale mais aussi boréale) au sein duquel cohabitent un très grand nombre d'essences (on estime qu'il y a davantage d'essences d'arbres sur un hectare en Guyane que sur l'ensemble du continent européen). Cette situation devrait d'autant plus contribuer au dynamisme du secteur que la forêt ne cesse de s'étendre : le recul progressif de la surface agricole se traduit par une extension permanente et naturelle du taux de boisement. Même si des disparités territoriales importantes subsistent, le tiers du territoire national est aujourd'hui couvert par des forêts, davantage encore qu'au moyen-âge. Cette situation est le résultat d'une politique volontariste initiée par la « grande réformation » de Colbert initiée en 1661 et qui aboutit à l'édiction, en 1669, d'une ordonnance unifiant le régime applicable aux forêts, après qu'une grande série de crises forestières a frappé la France, pour constituer le socle de ce qui deviendra par la suite le « régime forestier ». Cette politique de grands investissements d'État pour tenir compte d'une caractéristique essentielle des forêts, le « temps long », et contribuer à les rentabiliser dans la durée nous bénéficie aujourd'hui encore.

De même, contrairement aux idées reçues, les forêts françaises ont régulièrement progressé en qualité, que ce soit en diversité ou en volume sur pied. On compte ainsi environ 200 espèces d'arbres au sein de l'Hexagone (et on estime qu'il doit y en avoir au moins 2 000 différentes rien qu'en Guyane mais l'inventaire forestier ultra-marin, qui doit débuter en 2024, a vocation à le confirmer) ce qui permet à la France d'avoir des forêts plus variées que ses voisins européens. C'est un avantage comparatif considérable quand on sait que les forêts de certains pays d'Europe de l'Est sont actuellement décimées par le réchauffement climatique du fait de la présence d'un nombre restreint d'espèces qui s'avèrent très sensibles aux effets de la chaleur.

En théorie, toutes les conditions sont donc réunies pour que la France dispose à travers ses forêts d'un atout environnemental et économique majeur.

Pourtant, la sonnette d'alarme doit être tirée. Depuis 20 ans, les aléas que subissent les forêts se multiplient : tempêtes, réchauffement climatique, nuisibles, inondations, destructions liées à la densification giboyeuse, etc. À ceci s'ajoute le fait que l'on se trouve actuellement dans un contexte de moins en moins favorable, caractérisé par une structuration insuffisante des acteurs économiques et par une tentation, que les rapporteurs spéciaux regrettent, de vouloir « mettre la forêt sous cloche ».

Ils ont en effet acquis la conviction qu'une politique de gestion dynamique de la forêt est indispensable à son renouvellement. Celle-ci suppose d'exploiter davantage le bois et de penser le renouvellement en anticipant davantage les conditions futures, ce qui ne peut passer que par une meilleure coordination des acteurs concernés, lesquels ont pris du retard même s'ils ont désormais engagé un vrai dialogue pour agir de concert.

Il ressort en effet des travaux menés que les moyens publics dédiés à la filière forêt-bois sont considérables, et en augmentation, compte tenu du nombre important de politiques publiques auxquelles elle contribue et des enjeux auxquels elle fait face. Pour autant, ces moyens sont difficiles à recenser de manière exhaustive parce qu'ils relèvent d'un nombre d'acteurs très important, sans que ces derniers ne disposent tous d'une comptabilité analytique leur permettant d'évaluer, même approximativement, la part de leur budget ou de leurs moyens humains consacrés à la forêt.

Les rapporteurs s'étaient donc fixés un double objectif initial : parvenir à évaluer le total des dépenses publiques, budgétaires et fiscales, consacrées à la filière forêt-bois en France et s'interroger sur la suffisance et l'adéquation de ces moyens au regard des nombreux objectifs poursuivis (décarbonation, reboisement, lutte contre les incendies, soutien à la filière sylvicole, appui à la biodiversité, forte augmentation de la demande de bois énergie, etc) en examinant les conditions d'une meilleure coordination.

Alors que les rapports sur le sujet se sont succédé à un rythme effréné2(*), soulignant autant le vif intérêt pour la question forestière que l'ampleur des défis à relever, les rapporteurs spéciaux ont été surpris par certaines lacunes caractérisant la filière, dont la responsabilité ne saurait être imputée à tel ou tel acteur mais émane davantage d'une situation d'ensemble.

En premier lieu, personne n'est en capacité d'évaluer avec précision le coût annuel pour les finances publiques de notre politique forestière, ce qui a d'ailleurs conforté les rapporteurs spéciaux dans l'idée qu'une telle politique n'a pas réellement été définie. Subsiste un enchevêtrement de règles, d'acteurs et de dépenses dont ils considèrent qu'ils gagneraient à être pilotés avec davantage de volontarisme.

Dans un contexte de raréfaction de la source de financement public, et d'un niveau d'endettement devenu intenable, le secteur ne saurait considérer comme acquis des financements qui doivent désormais faire la preuve de leur efficacité. Le respect strict des obligations, en particulier en matière de plan de gestion et d'entretien doit devenir la contrepartie sine qua non de tout avantage budgétaire ou fiscal alloué au secteur. Il ne s'agit pas de diminuer le montant total de la dépense publique consacrée à la forêt mais bien de faire en sorte que ces aides atteignent leurs objectifs. En particulier, les rapporteurs spéciaux considèrent que l'on ne se donne absolument pas les moyens de regrouper des parcelles forestières beaucoup trop petites et réparties entre un nombre de propriétaires bien trop important, ce qui a pour conséquence qu'une part considérable de l'espace boisé ne fait l'objet d'aucun entretien dynamique ni d'un quelconque plan de gestion et reste à l'abandon, ce qui explique pour partie le non-respect des obligations de débroussaillement, la hausse du nombre d'incendies ainsi que l'augmentation considérable du taux de mortalité des arbres.

La forêt française présente en effet cette particularité d'être possédée aux trois-quarts par de petits propriétaires privés (pour environ 13 millions d'hectares de forêts privées dans l'Hexagone), qui possèdent en moyenne moins de quatre hectares. Dans trois régions (Bretagne, Pays-de-la-Loire et Nouvelle-Aquitaine), la superficie publique forestière est même inférieure à 10 %.

La forêt publique représente un quart des forêts hexagonales (environ 3,5 millions d'hectares dans l'Hexagone), mais 55 % des forêts gérées avec un document de gestion durable. Elle se répartit entre les forêts domaniales (de l'État, 1,5 million d'hectares), et les autres forêts publiques (2,8 millions d'hectares), essentiellement des forêts communales. Par ailleurs, quel que soit le régime de propriété, pour des raisons très variées, un grand nombre d'espaces boisés sont dispensés d'un quelconque plan de gestion ce qui altère considérablement le devenir des espaces forestiers.

Les règles ne favorisent pas le fait de regrouper les propriétés, alors qu'une superficie de 100 hectares est jugée comme la taille critique à partir de laquelle une véritable gestion dynamique devient possible. Ainsi que l'a formulé le délégué ministériel forêt-bois3(*) lors de son audition, M. François Bonnet, « une parcelle de 100 hectares constitue une unité de gestion cible en deçà de laquelle les arbres sont, en pratique, globalement abandonnés à leur sort ».

Enfin, les rapporteurs spéciaux ne peuvent que constater que le secteur économique autour de la filière forêt-bois n`est pas encore structuré de manière à répondre à l'intégralité de la forte demande française, en croissance constante. C'est pourquoi le déficit commercial du secteur augmente, tiré par le creusement du déficit des pâtes, papiers et cartons. Il est regrettable qu'une part aussi importante du bois produit en France continue à partir à l'étranger pour subir des opérations de transformation avant que les produits finis ne soient réexportés vers la France. Notre pays produit donc un effort conséquent pour soutenir, budgétairement et fiscalement, des acteurs principalement privés, qui produisent un bois de qualité partiellement capté par des opérateurs intermédiaires étrangers, conduisant finalement à creuser notre déficit commercial.

Les rapporteurs spéciaux considèrent que c'est pour le moins insatisfaisant et invitent donc à s'interroger sur le décalage entre le niveau des efforts fournis, par l'État et par les collectivités, et le degré insuffisant de structuration de la filière française du bois. Pour autant, cet effort national est loin d'être vain puisque la valeur ajoutée produite par le secteur augmente, tout comme les créations nettes d'emploi : les rapporteurs spéciaux ne remettent donc pas en cause l'utilité d'un effort national à destination des acteurs de la filière mais ont acquis la conviction qu'un même niveau d'effort mieux orienté pourrait produire davantage de résultats. Ils soulignent enfin le risque d'effet d'aubaine de la part de certains acteurs qui peut résulter d'investissements publics ne faisant pas l'objet de contreparties suffisamment poussées. C'est pourquoi ils souhaitent que le délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages qui vient de prendre ses fonctions et dont c'est l'une des missions soit amené, à moyen terme, à rendre compte de son action sur le sujet.

I. LA FILIÈRE FRANÇAISE FORÊT - BOIS : UN MAQUIS DE FINANCEMENTS PUBLICS PARTICULIÈREMENT COMPLEXE À APPRÉHENDER

La forêt française dispose d'atouts considérables qui justifient l'investissement que les pouvoirs publics lui consacrent. Elle constitue un patrimoine à la croisée des chemins de très nombreuses politiques publiques qui doit relever des défis tels qu'il conviendrait d'affiner encore la connaissance qu'on en a, tant pour mieux mesurer ses caractéristiques sur l'ensemble du territoire que pour disposer d'une photographie plus précise du niveau de l'effort public qui lui est dédié.

A. LA FORÊT FRANÇAISE : UN PATRIMOINE EXCEPTIONNEL... À PRÉSERVER

1. La France, un pays forestier

Les « guerres de religion en France »4(*) ont entraîné une désorganisation dans l'administration des biens royaux et un besoin de financement conséquent qui s'est traduit par la vente massive d'une partie du patrimoine royal et du patrimoine ecclésiastique, le roi et le Clergé étant les deux des principaux propriétaires forestiers de la première moitié du XVIIsiècle. Ce contexte génère une raréfaction de la ressource en bois, de chêne notamment, alors même qu'il s'agit d'une matière première essentielle pour la construction navale que Louis XIV souhaite relancer dans la perspective de conflits militaires à venir. On estime alors que seuls 10 % du territoire est recouvert de surfaces boisées. La résolution de cette crise forestière devient dès lors un impératif de sécurité nationale dont les autorités se saisissent : « Le désordre qui s'était glissé dans les Eaux et Forêts de notre royaume fût si universel et si invétéré que le remède en paraissait presque impossible.5(*) »

C'est ainsi que Jean-Baptiste Colbert, alors contrôleur général des finances, lance en 1661 une grande « réformation » consistant à repenser toute la chaîne d'approvisionnement en bois en uniformisant le mode d'exploitation des forêts sur le territoire. Les forêts royales, les forêts ecclésiastiques et les forêts des communautés sont progressivement placées sous la protection du Roi. Une grande partie des 70 000 officiers forestiers est révoquée et toute vente de bois fait, dès lors, l'objet d'une autorisation préalable. La réformation aboutit à la promulgation d'une Ordonnance de Louis XIV « sur le fait des Eaux et Forêts », en 1669, qui marque une étape fondatrice vers le régime forestier que nous connaissons aujourd'hui.

Depuis, l'État prête une attention particulière à l'entretien, dans un temps long, des forêts dont la surface au sol a constamment augmenté. En 2022, dernière année pour laquelle nous disposons d'une donnée chiffrée complète, la surface boisée au sol s'étendait sur plus de 26,9 millions d'hectares dont 17,6 millions d'hectares dans l'Hexagone et 8,3 millions d'hectares dans les outre-mer, soit le tiers de la superficie totale du territoire national. Depuis la crise forestière qui a précédé la réformation engagée en 1661, la proportion du territoire recouverte par des forêts a donc triplé. Cette progression s'est accélérée depuis 1985 (+ 3 millions d'hectares au rythme moyen de 80 000 ha supplémentaires/an).

Ces 17,6 millions d'hectares font de la France le quatrième pays forestier du continent européen, hors Russie, derrière la Suède, la Finlande, et moins intuitivement l'Espagne, mais devant la Norvège ou l'Allemagne.

Toutefois, pour des raisons historiques, géographiques et climatiques, cette réalité masque des disparités importantes. Non seulement la proportion de surfaces forestières varie fortement d'un territoire français à un autre mais la progression globale de cette superficie n'a pas été homogène au cours de la dernière décennie. Pour schématiser, la surface forestière augmente dans l'Hexagone, de manière « naturelle » à mesure que les surfaces agricoles reculent. À l'inverse, depuis 10 ans, à l'exception de la Martinique et de La Réunion, les outre-mer voient globalement leur superficie forestière stagner ou diminuer.

L'Hexagone compte 65,6 % de la superficie forestière globale et la Guyane 29,7 % alors que l'ensemble des outre-mer hors Guyane comptabilise moins de 5 % des forêts en superficie.

Ces données ont été confirmées aux rapporteurs par l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) lors de l'audition de ses représentants, cet organisme assurant un suivi de l'état de la forêt française depuis 65 ans.

Répartition et évolution de la surface forestière en France
entre 2010 et 2022

 

En 2010

En 2022 

Par superficie décroissante

Différence

France hexagonale (incluant la Corse)

16 632 000

17 643 000 

(65,6 %)

+ 1 011 000

Guyane

8 036 000

8 003 000

(29,7 %)

- 33 000

Nouvelle-Calédonie

839 020

838 020

(3,1 %)

- 1000

Polynésie française

149 460

149 460

(0,6 %)

0

La Réunion

93 990

98 440

(0,4 %)

+ 4 450

Guadeloupe

74 550

71 920

(0,3 %)

- 2 630

Martinique

50 290

52 290

(0,2 %)

+ 2 000

Mayotte

14 410

13 890

(0,05 %)

- 520

Wallis-et-Futuna

5 820

5 830

(0,02 %)

+ 10

Saint-Martin

1 240

1 240

(0,004 %)

0

Saint-Pierre et Miquelon

1 440

1 220

(0,004 %)

- 220

Saint-Barthélemy

170

170

(0,0006 %)

0

Total

25 898 390

26 878 480

+ 980 990

Source : Commission des finances du Sénat à partir de données transmises par l'IGN

Ce suivi a débouché sur le lancement en juillet 2023, dans le prolongement des « assises nationales de la forêt et du bois » du 16 mars 2022, d'un Observatoire des forêts françaises, géré par l'IGN, en partenariat avec l'Office national des forêts (ONF), le Centre national de la propriété forestière (CNPF), l'Office français de la biodiversité (OFB) et des représentants de la filière forêt-bois.

Cet observatoire met à disposition, en open data, un très grand nombre de données sur les caractéristiques de la Forêt en France et contribue à une prise de conscience généralisée des enjeux autour de la forêt. L'observatoire dispose d'une plateforme6(*) qui a vocation à devenir le lieu de partage des principales ressources et données fiables sur les forêts françaises. Les rapporteurs spéciaux considèrent que cette plateforme devrait effectivement contribuer à objectiver les données sur la forêt française et faciliter le contrôle de l'efficacité des différentes politiques publiques, contrepartie indispensable au haut niveau d'investissement public que les forêts captent (cf. infra).

La facette forestière de la France ne saurait toutefois s'apprécier à l'aune de la seule superficie de bois au sol.

En premier lieu, ces superficies deviennent progressivement moins révélatrices dans la mesure où l'on cherche de plus en plus à faire co-exister diverses activités sur un même terrain compte tenu des bienfaits de l'agroforesterie. Il s'agit d'associer des arbres, des cultures, des prairies et des haies sur une même parcelle pour permettre une meilleure utilisation des ressources : le feuillage fait office de brise-vent pour protéger les cultures et les animaux et stocke le carbone, l'enracinement des arbres améliore la structure du sol, la chute des feuilles restitue la matière organique, les racines retiennent l'eau et irriguent le sol, l'ombre participe au rafraîchissement du terrain et donc au bien-être animal. Enfin, les haies et les arbustes contribuent à la biodiversité et à la présence d'insectes pollinisateurs. Ainsi, même un contrôle satellite ne permet plus de mesurer avec exactitude la superficie au sol consacrée à une même activité.

En second lieu, les forêts françaises sont caractérisées par une variété d'essences plus marquée que chez nos voisins européens. Sa présence sur tous les continents explique que la France bénéficie de forêts tempérées, tropicales, subtropicales mais aussi boréales, ce qui génère une biodiversité qui compte peu d'équivalents dans le monde. Le détail par essences d'arbre fait ainsi l'objet d'un suivi statistique précis assuré par l'IGN. Dans l'Hexagone, les essences feuillues (principalement des châtaigniers, des chênes et des hêtres) occupent 67 % de la surface des forêt et 65 % du volume de bois. Le chêne est l'essence feuillue la plus fréquente. Les conifères se situent essentiellement en zone montagneuse (Alpes, Massif central, Jura et Vosges), dans le massif landais et dans des plantations plus récentes de l'Ouest de la France.

Principales essences d'arbres classées par catégorie
(feuillus, résineux et peuplier)

Les principaux feuillus

Le châtaignier en Bretagne

Le châtaignier en Pays de la Loire

Le chêne chevelu

Le chêne liège

Le chêne pédonculé

Le chêne rouge d'Amérique

Le chêne sessile

Le chêne vert

Le hêtre

Les autres feuillus

L'aulne à feuilles en coeur

L'aulne glutineux

L'alisier torminal

Les bouleaux

Le cerisier tardif

Le charme

Le cormier

L'érable champêtre

L'érable plane

L'érable sycomore

Les eucalyptus

Le frêne commun

Le ginko biloba

Le grisard

Le marronnier « d'Inde »

Le merisier

Les noyers

Les ormes

Le platane hybride

Le poirier sauvage

Le robinier faux acacia

Le saule blanc

Le tilleul à petites feuilles

Le tulipier de Virginie

Le tremble

Les principaux résineux

Le douglas vert

L'épicéa de Sitka

Le pin maritime

Le pin maritime

Le pin sylvestre

Les autres résineux

Le cèdre de l'Atlas

Le cryptomère du Japon

Le cyprès chauve

Le cyprès de Lawson

Le cyprès de Lambert

L'épicéa commun

L'if commun

Les mélèzes

Le pin de Monterey

Le pin de Murray

Le pin Laricio de Corse

Le pin parasol

Le pin Weymouth

Le sapin de Nordmann

Le sapin géant de Vancouver

Le sapin pectiné

Le séquoia géant

Le séquoia toujours vert

Le thuya géant

Le peuplier

 

Source : Centre national de la propriété forestière

Parmi les grandes catégories et les différentes espèces, sont aujourd'hui recensées entre 190 et 220 espèces d'arbres en France hexagonale7(*). Là aussi, cette diversité n'empêche pas 13 essences d'occuper 80 % de la surface boisée hexagonale : chêne sessile, pédonculé, pubescent et vert, hêtre, châtaignier, frêne, et pin maritime, sylvestre, sapin pectiné, épicéa commun et douglas et charme.

Répartition du volume des arbres vivants
en France hexagonale par essence

Source : IGN

L'écologie de ces espèces et la sylviculture pratiquée conduisent à une répartition très inégale de ces essences : par endroits, une seule essence occupe plus de 75 % du couvert (c'est le cas de 7,1 millions d'hectares, soit les deux-tiers des surfaces boisées de France hexagonale), tandis que 5,7 millions d'hectares sont recouverts par au moins deux essences principales. Seul le quart de la forêt hexagonale comprend donc une moyenne supérieure ou égale à trois essences principales (3,4 millions d'hectares), principalement dans l'Est de la France.

Superficie par région administrative hexagonale
selon le nombre d'essences d'arbres présentes (en hectares)

Source : IGN

Cette diversité est plus grande encore si on ne se focalise pas sur les seules essences principales et que l'on prend en compte la totalité des essences présentes en France hexagonale. Un « indicateur de gestion durable sur la diversité des essences » a été mis en place pour mesurer cette donnée. Celui-ci progresse favorablement puisque la richesse locale moyenne en essences forestières est de cinq essences sur 0,2 ha. Ce niveau de richesse est intermédiaire entre celui des forêts boréales, moins diversifiées, et celui des forêts tropicales, beaucoup plus diversifiées (on estime par exemple que la forêt guyanaise compte plus de 1 783 essences différentes, dix fois plus que la France hexagonale8(*)). La diversification est d'ailleurs une orientation portée dans les cahiers des charges des aides au reboisement, face au changement climatique.

Les rapporteurs spéciaux considèrent que cette diversité est un atout indéniable pour la France : elle permet aux forêts françaises de mieux résister que ses voisins, pour l'instant, aux nombreux aléas rencontrés (cf. infra) et elle constitue un terreau fertile pour la biodiversité. Ils auraient toutefois apprécié pouvoir présenter ces données pour l'ensemble du territoire national. Ils regrettent donc vivement que cette connaissance fine des caractéristiques forestières s'arrête à l'Hexagone. En effet, à la date de publication du présent rapport, l'inventaire forestier de l'IGN n'existe toujours pas pour les outre-mer.

À ce jour, les données relatives aux forêts des outre-mer proviennent donc d'autres sources, principalement des travaux du groupement d'intérêt public « écosystèmes forestiers » (GIP Ecofor9(*)) qui a réalisé des monographies sur les forêts de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion et de l'organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qui réalise tous les cinq ans un état des forêts mondiales incluant celles des cinq collectivités précitées.

L'inventaire forestier ultra-marin, reporté depuis des années pour des raisons budgétaires, est censé débuter en 2024, la loi de finances pour 2024 ayant ouvert une ligne de crédits dans cette optique : 15 millions d'euros devraient ainsi permettre de couvrir le lancement de l'inventaire forestier, d'abord en Guyane, au second semestre 202410(*).

Pourtant, malgré les assurances fournies par plusieurs des interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs spéciaux, cet inventaire forestier ultra-marin tarde de nouveau à être lancé.

Tout en comprenant parfaitement que des considérations techniques11(*) puisse expliquer ces délais, les rapporteurs spéciaux seront particulièrement attentifs à son lancement effectif au cours de l'année 2024. Une meilleure connaissance des forêts dans les outre-mer, en particulier en Guyane, est trop importante au regard des enjeux (biodiversité, capacité à déterminer quelles essences locales sont susceptibles d'être utilisées dans le cadre de travaux de construction, conséquences de divers trafics animaliers, d'orpaillage ou de circuits de passages de produits stupéfiants venant d'Amérique du Sud...) pour être de nouveaux abandonnés ou bâclés.

Les rapporteurs spéciaux préconisent de solliciter de l'IGN un premier bilan d'étape de l'inventaire forestier ultra-marin en début d'année 2025. Ils considèrent que les coupes budgétaires engagées pour pallier la mauvaise gestion gouvernementale des dernières années, et qui s'est entre autres traduite par la publication du décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits12(*) et par des annonces de gel et de surgel de crédits, fait peser le risque d'un énième report de cet inventaire sans que les garanties apportées à ce stade n'apparaissent convaincantes.

Recommandation n° 1 (Gouvernement, IGN) : Prévoir, au premier semestre 2025, un bilan d'étape de l'inventaire forestier ultra-marin et élargir l'ensemble des missions de l'IGN aux outre-mer.

L'exclusion des outre-mer de la politique forestière nationale est d'ailleurs devenue une constante regrettable. Au cours de leurs auditions, les rapporteurs spéciaux ont eu l'occasion de le constater à de multiples reprises. Outre cet exemple emblématique de l'inventaire forestier, leur attention a en particulier été attirée sur l'exclusion des forêts d'outre-mer de la mise en oeuvre du renouvellement forestier, signé le 17 mars 202313(*), dans le cadre du programme « Financement des investissements stratégiques » de la mission Investir pour la France 2030. Les forêts ultra-marines ne doivent pas présenter un intérêt moins stratégique que le reste des forêts françaises.

Cette situation est d'autant plus insatisfaisante que, statistiquement, l'essentiel de la diversité forestière française repose sur les forêts des outre-mer, en particulier la forêt guyanaise. On estime ainsi que les forêts ultra-marines, pourtant deux fois moins étendues que les forêts hexagonales regorgent d'un stock de bois et donc de carbone équivalent.

Un inventaire forestier en outre-mer constitue aussi un préalable à une meilleure application de certaines règles protectrices. Il est en effet avéré que ces règles, pourtant particulièrement strictes (interdiction de prélèvement de plusieurs dizaines d'espèces d'arbres14(*), limitation du nombre de tiges prélevables par hectare sur une durée donnée en fonction du statut et de l'emplacement des espaces forestiers concernés, etc.) n'ont à ce jour pas permis de résorber ce recul de la superficie forestière, principalement en raison des trafics, de l'accroissement de la population locale et du besoin de logements qui en résulte, ainsi que du manque de moyens de contrôle dans une partie des outre-mer.

2. Une propriété forestière essentiellement privée et aux modalités de gestion très éparpillée

Les trois-quarts de la forêt française hexagonale (environ 12,8 millions d'hectares) appartiennent à des propriétaires privés. Les forêts privées sont morcelées en de multiples propriétés d'une taille moyenne inférieure à quatre hectares dont beaucoup de propriétaires ignorent même l'existence. La forêt publique représente donc un quart des forêts hexagonales. Elle se répartit entre les forêts domaniales de l'État (1,5 million d'hectares) et les autres forêts publiques (2,8 millions d'hectares), essentiellement des forêts communales. 17 847 forêts publiques sont gérées par l'ONF, se décomposant en 1 433 forêts domaniales (dont 80 forêts affectées, parmi elles, 66 relevant du ministère des armées), 53 forêts départementalo-domaniales, 11 766 forêts communales (pour 11 089 propriétaires), 501 forêts départementales (pour 90 propriétaires), 261 forêts d'intercommunalités (pour 242 propriétaires), 78 forêts régionales (pour 9 propriétaires), 436 forêts d'établissement publics (pour 301 propriétaires) et 3 319 forêts sectionales15(*) (pour 3.234 propriétaires), soit huit catégories principales de propriétaires forestiers publics.

Répartition des 17 847 forêts publiques hexagonales
par catégorie de propriétaire

Source : Commission des finances du Sénat

Cette moyenne nationale masque également de fortes disparités régionales. On peut schématiquement constater une césure Est/Ouest : plus on va vers l'Est, plus la part de propriétaires forestiers publics croît. Trois régions de France hexagonale (Bretagne, Pays-de-la-Loire et Nouvelle aquitaine) comptent ainsi moins de 10 % de surface forestière publique.

Part de la surface forestière publique dans les régions hexagonales

Source : Institut national de l'information géographique et forestière (IGN)

Cette extrême diversité des situations explique, pour partie, le degré très inégal de gestion qui caractérise les forêts françaises même si, globalement, le législateur a progressivement élargi les obligations de gestion incombant aux propriétaires forestiers. En particulier, la loi n° 2001-602 du 9 juillet 2001 d'orientation sur la forêt16(*) a repensé l'organisation des documents cadres qui permettent de traduire au niveau régional de nouveaux objectifs de gestion multifonctionnelle assignés aux propriétaires privés.

Pour simplifier, il existe trois principaux documents de gestion forestière durable : le plan simple de gestion (PSG), un document propre à chaque forêt de plus de 20 ha qui doit faire l'objet d'un agrément par le CNPF, le code de bonnes pratiques sylvicoles (CBPS), un document généraliste comprenant des recommandations pour les propriétaires de petites surfaces boisées et le règlement type de gestion (RTG) pour les propriétaires ne rentrant pas dans le cadre d'une obligation de PSG et qui font gérer leur bois par un organisme de gestion (coopérative...) ou un expert.

En fonction de la superficie de la propriété forestière concernée et selon les engagements propres au régime dont relève la propriété, incombent au propriétaire forestier des obligations de gestion qui varient.

Type de documents de gestion durable
s'appliquant aux propriétés forestières privées

 

Propriété forestière inférieure à 10 ha

Propriété forestière comprise entre 10 et 20 ha 

Propriété forestière supérieure à 20 ha

Aucun engagement particulier

CBPS17(*) ou RTG18(*) 
facultatif

CBPS, PSG19(*) ou RTG 
facultatif

PSG

Exonérations fiscales -
IFI ou régime Monichon20(*)

CBPS ou RTG 
pendant 30 ans

CBPS, PSG ou RTG 
pendant 30 ans

PSG 
pendant 30 ans

Aides publiques à l'investissement forestier

CBPS ou RTG

CBPS, PSG ou RTG 
pendant 15 ans

PSG 
pendant 15 ans

Adhésion à la certification (PEFC)21(*)

CBPS ou RTG 
si surface > 4 ha

CBPS ou RTG facultatif
si surface < 4 ha

CBPS, PSG ou RTG

PSG 
pendant la durée de l'adhésion

Source : Site internet du Conseil national de la propriété forestière

Compte tenu de ces règles, seul le quart des forêt privées hexagonales (3 millions d'hectares) fait l'objet d'un plan de gestion agréé par le Conseil national de la propriété forestière (CNPF) tandis que les forêts publiques représentent 55 % des forêts gérées avec un document de gestion durable dont l'Office national des forêts (ONF) est chargé de la mise en oeuvre.

Sur le territoire hexagonal, les surfaces gérées par l'ONF s'élèvent à 1 795 765 hectares en forêts domaniales et à 2 992 103 hectares en forêts des collectivités ou des établissements publics. Dans les outre-mer, les surfaces de forêts domaniales représentent 5 975 231 hectares, tandis que celles des forêts des collectivités atteignent 19 748 hectares.

L'augmentation de la surface forestière française susmentionnée (+ 1 million d'hectares en une décennie) est surtout le fait de la forêt privée, la surface de forêts publiques relevant du régime forestier n'ayant progressé que de 150.000 hectares sur la période 2012-2022.

L'Office national des forêts (ONF)

Créé par le législateur22(*) simultanément aux agences de l'eau, l'ONF a pris le relai de l'administration des Eaux et des Forêts. Codifiées au titre II du Livre II des parties législative et règlementaire du code forestier, ses compétences recouvrent principalement la gestion et la police de l'eau, de la pêche, de la chasse et de la forêt.

Sur ce dernier point, l'ONF est chargé de la mise en oeuvre du régime forestier dans les forêts publiques.

Il élabore les documents de gestion durable pour les forêts domaniales et les forêts des collectivités relevant du régime forestier. Ces documents sont ensuite validés par le ministère de tutelle, en l'espèce le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Il s'assure du bon déroulement du document d'aménagement et de son effectivité : il est garant de la bonne réalisation du programme de coupes, qui doit rester compatible avec l'accroissement des peuplements et garantir le renouvellement de la forêt pour assurer sa transmission aux générations futures.

Il commercialise le bois des forêts domaniales et le bois des forêts des collectivités. La recette du bois issu de la forêt domaniale alimente le budget de l'ONF et la recette du bois des collectivités revient aux collectivités, qui versent un pourcentage de ces ventes (frais de garderie) à l'ONF. Les frais de garderie qui représentent entre 10 et 12 % du produit des forêts communales, et la contribution forfaitaire de 2 euros/ha versée par les collectivités propriétaires sont inférieurs au coût de gestion par l'ONF ; c'est la raison pour laquelle, l'État verse une contrepartie financière à l'ONF au titre du temps passé pour assurer la surveillance et la gestion des forêts des collectivités (versement compensateur). En moyenne sur les cinq dernières années, les frais de garderie et la contribution représentent 30 millions d'euros tandis que le versement compensateur s'est élevé à environ 150 millions d'euros en 2023.

L'ONF organise et met en oeuvre les opérations de renouvellement des peuplements en forêt domaniale et propose les travaux nécessaires aux collectivités, qui restent néanmoins libres de s'adresser à des tiers pour la réalisation de ces travaux.

Certains agents de l'ONF sont dotés de compétence de police judiciaire pour constater les infractions au code forestier ou à certaines dispositions du code de l'environnement.

Enfin, l'État peut lui confier des missions d'intérêt général allant au-delà des obligations liées au régime forestier, c'est le cas en matière de défense des forêts contre les incendies, de restauration des terrains de montagne, de gestion des dunes littorales, de préservation de la biodiversité, de gestion du pôle national de ressources génétiques forestières, du suivi de la santé des forêts ou encore d'actions spécifiques dans les territoires ultra-marins.

Pour la période 2021-2025, dans le cadre d'un contrat pluriannuel avec l'État, quatre priorités ont été assignées à l'ONF :

- l'adaptation de la forêt publique au changement climatique ;

- le soutien à la structuration de la filière au travers du développement de la contractualisation des ventes de bois ;

- l'accompagnement de la politique en matière de biodiversité, en particulier la mise en oeuvre de la stratégie nationale des aires protégées en forêt domaniale et la préservation de la biodiversité en outre-mer ;

- l'amélioration de la gouvernance avec les partenaires et la réduction de l'endettement.

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Le renouvellement forestier suppose une meilleure anticipation sur les espèces les plus à même de résister, territoire par territoire, aux nombreux alinéas rencontrés (cf infra). Le seul moyen d'assurer l'avenir de la forêt, ainsi que l'ont confirmé tous les professionnels rencontrés, est donc d'assurer une gestion active des espaces forestiers. Toute « mise sous cloche » d'une forêt entrainera à moyen terme sa disparition, compte tenu de l'incapacité des espaces boisés, dans leur configuration actuelle, à résister aux nouvelles conditions.

Les rapporteurs spéciaux sont particulièrement inquiets de la diffusion d'un mouvement, propagé par des acteurs insuffisamment sensibilisés à l'effet de leurs actions, qui cherche à empêcher toute opération d'exploitation forestière par l'humain. Entendu, le cabinet du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a notamment fait état d'une multiplication d'opérations sauvages23(*) destinées à nuire aux acteurs, publics comme privés, qui interviennent en vue d'une gestion pro-active de la forêt (arrachage d'arbres malades, prélèvement de certaines tiges pour favoriser la propagation d'autres essences, etc). En pensant « protéger » quelques arbres, les intéressés nuisent en réalité à l'espace forestier dans son ensemble. C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux considèrent qu'une réflexion doit être engagée sur le durcissement du régime de sanctions applicables aux délits commis à l'encontre des opérations d'exploitation forestière et sur une meilleure lutte contre ces opérations sauvages

ce stade, volontairement, ils ont retenu une formulation suffisamment vaste pour ne pas orienter démesurément la proposition mais il s'agit de dissuader les particuliers qui dégradent les opérations d'exploitation forestière alors-même que ces dernières constituent désormais un préalable au renouvellement forestier.

Recommandation n° 2 (ONF, Ministère de l'intérieur) : Assurer une gestion pro-active de la forêt et une exploitation forestière efficace, notamment en luttant mieux contre les opérations sauvages visant à empêcher l'action des propriétaires exploitants.

Parallèlement, les rapporteurs spéciaux reconnaissent l'efficacité des opérations de prévention et de sensibilisation des publics notamment les plus jeunes à la nécessité d'une intervention humaine sur les espaces boisés. En effet, les acteurs forestiers organisent des opérations à destination du jeune public qui permettent de présenter les actions destinées à favoriser une forêt durable. Sans prétendre à l'exhaustivité, ils relèvent, parmi ces programmes récents et durablement porteurs, une action de la fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) intitulée « Dans 1 000 communes, la forêt fait école ».

Il s'agit de confier à des enfants (élèves des écoles, membres d'un conseil municipal de jeunes...) une parcelle de forêt de leur commune. Pour appréhender la gestion durable et multifonctionnelle de la forêt et le rôle de leur commune dans celle-ci, les enfants se rendent régulièrement sur la parcelle, rencontrent des acteurs forestiers, font des propositions pour leur forêt pédagogique et transmettent la parcelle à un nouveau groupe d'enfants en fin d'année. Ce programme comprend même un volet international en proposant à des classes françaises de partager leur expérience avec des élèves au Québec, afin d'appréhender la diversité des espaces forestiers et des enjeux globaux tel que le changement climatique.

D'autres programmes nationaux, comme « Un jeune, un arbre » ou encore l'engagement présidentiel à « planter un milliard d'arbres en dix ans » qui associe tout particulièrement les jeunes publics, sont désormais portés par les opérateurs forestiers.

À terme, les rapporteurs spéciaux sont convaincus que les classes de neige ou les programmes scolaire de correspondance internationale ont vocation à être remplacés par des activités thématiques d'intérêt planétaire. C'est pourquoi ils préconisent de systématiser les programmes scolaires de préservation du vivant et de découverte forestière qui ne peuvent reposer sur le seul bénévolat et doivent faire l'objet de financement publics nationaux : la question forestière ne peut faire l'objet d'une sensibilisation dans les seuls départements forestiers ou suffisamment riches.

Recommandation n° 3 (Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Ministère de l'éducation nationale) : Encourager les opérations de sensibilisation à la cause forestière, en développant notamment les classes de découverte forestière qui pourraient bénéficier pour partie d'un financement public à destination des familles les moins aisées.

Les rapporteurs spéciaux considèrent en outre qu'un régime plus contraignant de gestion durable des forêts devient indispensable. Il n'est plus envisageable que les règles de gestion durable soient principalement assises sur la superficie des propriétés forestières concernées (autrement dit pour les seules propriétés forestières de plus de 20 ha) Ils considèrent que la gestion durable des forêts doit reposer sur des critères objectifs et liés à la situation de la forêt concernée et non aux seules caractéristiques du propriétaire.

Recommandation n° 4 (Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire) : Lier davantage les contraintes de gestion forestière à la durabilité de la forêt et non aux seules caractéristiques des propriétés.

3. La forêt française, cible d'aléas toujours plus menaçants

Malgré les atouts considérables dont jouit la forêt française, les pouvoirs publics anticipent une accélération et une intensification d'un certain nombre d'aléas qui invitent les rapporteurs spéciaux à s'interroger sur la suffisance des moyens qui leur sont opposés.

Au cours des auditions conduites, quatre aléas principaux ont été mis en exergue par les professionnels du secteur pour expliquer cette situation paradoxale qui veut que la superficie forestière augmente alors même que le taux de mortalité des arbres français croît considérablement. Pour le dire très simplement, il y a de plus en plus d'arbres en France mais, parmi eux, la part des arbres morts augmente plus vite encore. Ainsi, depuis 2018, une nette dégradation de l'état de santé des forêts françaises, imputable à ces quatre facteurs, est constatée. Le taux de mortalité arboricole augmente donc massivement en France. Cette situation est en premier lieu due aux sécheresses à répétition, visible sur le terrain avec des mortalités massives de certaines types d'essences plus sensibles dans certains contextes édaphiques à faible réserve utile en eau.

La mortalité annuelle s'est élevée en moyenne à 13,1 millions de mètres cubes (Mm/an) sur la période 2013-202124(*) soit un taux supérieur à la période antérieure : sur la période 2005-2013, la mortalité était de 7,4 Mm/an. Cette hausse de près de 80 % est principalement due aux crises sanitaires liées à des conditions climatiques à la fois difficiles pour les arbres (sécheresses) et propices aux insectes xylophages, notamment les scolytes. Mais la mortalité n'est qu'un des symptômes de l'effet délétère du réchauffement climatique sur nos forêts. Il faut aussi prendre en compte le ralentissement de la croissance des arbres qui a chuté de 10 % en 10 ans, les deux évolutions expliquant la baisse du puits de carbone25(*) divisé par deux depuis 2015, avec des projections toujours plus pessimistes. Dans certaines régions, les forêts deviennent même émettrices de carbone du fait de la présence d'un grand nombre d'arbres morts, ce qui doit inciter à accélérer les politiques d'adaptations des forêts, ce que recommande d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport annuel publié le 12 mars dernier26(*).

Taux de mortalité des arbres en France (en millions de m3)

Source : Commission des finances du Sénat

Le premier facteur de dégât des forêts sont les aléas climatiques (tempêtes, inondations, réchauffement de la planète). Ceux-ci font l'objet d'un suivi attentif, en particulier par les prévisionnistes de Météo France. Les tempêtes constituent ainsi le premier facteur de mortalité des arbres devant les inondations. Certaines tempêtes, comme celle de 1999, ont particulièrement marqué les esprits. Les effets du réchauffement climatique sont manifestes sur certaines essences qui ne sont absolument pas adaptées à des températures élevées et qui disparaissent progressivement à mesure que les épisodes caniculaires se multiplient.

Les incendies constituent en France le second facteur de mortalité des forêts, principalement causés par le facteur humain et par des risques météorologiques. L'indice forêt météo (IFM) permet de caractériser les facteurs météorologiques influençant les départs de feux, leur propagation et leur intensification. Indice développé initialement pour le Canada, il est aujourd'hui utilisé dans de nombreux pays. Il est calculé à partir de données météorologiques (pluie, température, humidité de l'air et vent). La variante utilisée en France estime cet indice au moment le plus défavorable de la journée. Il doit être complété par d'autres informations car il n'est pas toujours adapté à toutes nos régions et saisons. D'autres indices sont également utilisés par Météo France pour caractériser par exemple la sécheresse de la végétation vivante correspondant à la strate arbustive de nos régions, un indice de propagation intégrant la sécheresse des sols.

Les prévisionnistes de Météo France et le risque incendie

L'appui de prévisionnistes de Météo-France pour la lutte contre les incendies a débuté dans les années 1960 dans les Bouches-du-Rhône. Cet appui s'est étendu en 1979 aux départements de la zone de défense et de sécurité Sud. En 2023, aux 15 départements de l'arc méditerranéen bénéficiant de l'appui renforcé « feux de forêts » sont venus s'ajouter 20 départements, couvrant ainsi l'intégralité de la zone de défense Sud et la zone de défense Sud-Ouest. Une assistance nationale, avec un prévisionniste dédié, en appui au Centre national de la sécurité civile (CNCASC), a aussi été mise en en place en 2023.

L'appui renforcé « feux de forêts » a été étendu à la zone de défense Ouest en 2024. Au total, 55 départements (zones de défense Sud, Sud-Ouest, Ouest, Ardèche et Drôme) seront ainsi couverts par l'appui renforcé en fin d'année. L'appui renforcé « feux de forêts » aux zones de défense et de sécurité mobilise quotidiennement un prévisionniste spécialisé sr le risque « feux de forêts » dans chacune des trois zones de défense. Trois prévisionnistes sont ainsi présents simultanément au sein du Centre zonal opérationnel de crise (CEZOC) à Marseille, de l'État major interministériel (EMIZ) à Rennes et à Bordeaux. Au total, une quinzaine de prévisionnistes se relaient sur toute la période estivale (juin-septembre) pour assurer les vacations de 12h/j, 7j/7.

L'appui au CNCASC mobilise chaque jour un prévisionniste spécialisé sur le risque feux de forêts. Une équipe de 5 prévisionnistes assure cette assistance au niveau national tous les jours entre juin et septembre, avec une présence au sein du CNCASC sur la base de la sécurité civile à Nîmes-Garons. Les prévisionnistes spécialisés « feux de forêt » réalisent une expertise de la sécheresse de la végétation et du danger météorologique feux pour la journée en cours et pour le lendemain sur tout l'Hexagone, avec une expertise plus fine à une échelle infra-départementale pour les 55 départements couverts par l'appui renforcé. Il intègre dans son analyse les retours de l'ONF sur l'état de sécheresse de la végétation mesuré sur le terrain. La tendance en termes d'évolution des conditions météorologiques et des niveaux de danger sur les sept prochains jours fait aussi partie de la production quotidienne des prévisionnistes. Les prévisionnistes spécialisés « feux de forêt » apportent également une assistance en temps réel pour la lutte contre les feux.

Du fait de l'élargissement de l'appui renforcé aux zones Sud-Ouest et Ouest et de la mise en place de la météo des forêts, le plafond d'emploi de Météo-France a été augmenté de 17 ETP en 2023, puis de 2 ETP supplémentaires en 2024 pour renforcer l'appui en présentiel sur le site de Nimes-Garons. Au total, Météo France estime que 28 de ses 2548 ETP sont consacrés à la forêt :

- Prévisionnistes : 15 ETP ;

- Coordination - préparation saison - relation/formation Sécurité civile et acteurs de la lutte contre les incendies : 4 ETP ;

- Développement et maintien en conditions opérationnelles des chaines de prévision et outils : 5 ETP ;

- Études sur l'évolution et l'adaptation au changement climatique : 1 ETP ;

- « Météo des Forêts » : 3 ETP

Cela peut sembler proportionnellement peu mais c'est en constante augmentation.

Source : réponse de Météo France au questionnaire des rapporteurs spéciaux

En outre, les forêts font face à un grand nombre de parasites : on inclut dans cette catégorie les champignons et autres pathogènes, les insectes et acariens, des causes abiotiques27(*), des mammifères, certains types de dépérissements ainsi que des nématodes28(*).

Enfin, les dégâts de gibier mal contrôlés constituent un aléa conséquent et mettent en péril l'efficience des dépenses budgétaires de soutien au renouvellement forestier. L'équilibre forêt-gibier se dégrade en effet continuellement. Les populations d'ongulés continuent incessamment de progresser. La part des surfaces de forêts domaniales en déséquilibre a progressé de 11 points entre 2019 et 2022 : les coûts des reboisements sont majorés de 30 % en raison du coût prohibitif des protections et ce sont 15 % des crédits consacrés à l'agriculture qui ont été consacrés à la protection contre le gibier soit 28 millions d'euros, sans compter les échecs. Un chantier volontariste de restauration de l'équilibre forêt-gibier reste donc à conduire.

B. UN ENCHEVÊTREMENT DE POLITIQUES ET DE DÉPENSES PUBLIQUES SANS QU'ON PUISSE PARADOXALEMENT DÉCELER UNE POLITIQUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

1. La filière forêt-bois, un lieu d'actions pour de nombreuses politiques publiques

La politique forestière relève du ministère de l'agriculture et est principalement portée par le programme 149 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Toutefois, la politique forestière doit également s'articuler avec les politiques du climat, de l'énergie renouvelable (portée par la direction gérable de l'énergie et du climat - DGEC), de la sylviculture, de la biodiversité (portée par la direction de l'eau et de la biodiversité - DEB), des paysages (conduite par la direction de l'habitat de l'urbanisme et des paysages - DHUP), de la construction durable et décarbonée (DHUP), de la prévention des risques (direction générale de prévention des crises - DGPR), de l'économie circulaire avec les responsabilités élargies du producteur (REP) ameublement et bâtiment et de la lutte contre la déforestation importée (Commissariat général au développement durable - CGDD), toutes portées par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT), sans parler des politiques industrielle et des outre-mer. Sont également amenés à intervenir dans les forêts les professionnels travaillant dans le domaine de la sécurité civile et du secours à la personne, de la lutte contre les incendies (les points de rencontres des secours en forêt), ainsi que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.

2. La difficile évaluation du financement public dont bénéficie la filière forêt bois

La Cour des comptes s'était attachée, en 2020, à évaluer les dépenses publiques du secteur forêt-bois dans le cadre de son rapport sur la structuration de la filière forêt-bois29(*). Elle procède actuellement à une actualisation de cette évaluation, dont les données n'ont pas encore été rendues publiques. Ce rapport de 2020 confère néanmoins une évaluation relativement précise du montant total d'argent public consacré à cette filière. Ce financement public recouvre à la fois les dépenses budgétaires, directes ou indirectes, consacrées à des acteurs privés comme publics. Il comprend également des dépenses fiscales.

La Cour avait ainsi évalué les crédits publics alloués à tous les acteurs de la filière à un total annuel moyen de 1,16 milliard d'euros.

Ce total est obtenu par la Cour en faisant la moyenne du total des dépenses budgétaires, sur la période 2015-2018 (à destination d'opérateurs, de particuliers, de propriétaires forestiers et d'entreprises). Il comprend les crédits budgétaire portés par les différents ministères, les dépenses fiscales, une évaluation des dépenses portées par les collectivités territoriales, divers fonds européens, des financements interprofessionnels et des fonds portés par d'autres organismes publics.

Total annuel des dépenses publiques à destination de la filière forêt-bois
(sur la période 2015-2018)

Source : Cour des comptes

Depuis ce rapport, les crédits budgétaires, restant portés principalement par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires au titre du bois énergie, et par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, ont évolué. De plus, les rapporteurs spéciaux estiment que le périmètre total des dépenses allouées à la filière doit être envisagé plus largement.

C'est pourquoi ils ont souhaité procéder à une évaluation de ce total mis à jour s'appuyant cette fois-ci sur la période 2019-2022 et incluant d'autres dépenses qu'ils estiment de nature forestière. Ils évaluent le total annuel des dépenses publiques désormais consacré à la filière forêt-bois à 1,45 milliard d'euros environ.

Les crédits budgétaires directement consacrés à la filière sont ainsi évalués à 816 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent les dépenses fiscales, relativement stables, à 403 millions d'euros, divers financements émanant d'organismes publics comme Bpifrance à destination de la filière pour environ 58 millions d'euros par an, les financements européens à hauteur de 60 millions d'euros, les financements interprofessionnels pour 28 millions d'euros et environ 47 millions d'euros de dépenses des collectivités territoriales.

La hausse des crédits budgétaires a concerné la plupart des programmes en jeu. Par exemple, plusieurs actions relevant du programme 113 « paysages, eau et biodiversité » de la mission « développement et mobilité durables » consacrent des crédits en lien avec la forêt. Alors que la dimension environnementale de l'exploitation forestière est importante, les moyens du P113 consacrés à la forêt étaient limités jusqu'en 2021 (4,7 millions d'euros). Ils ont toutefois progressé passant à 17 millions d'euros (en 2023) puis 19 millions d'euros (2024) pour le financement d'une mission d'intérêt général (MIG « biodiversité ») à l'ONF conforme à la trajectoire du COP.

Les rapporteurs spéciaux évaluent par ailleurs les dépenses fiscales à 403 millions d'euros par an, sur le fondement du total des dépenses fiscales de la période 2019-2022, soit un niveau quasiment comparable à celui de la période précédente 2015-2018 (400 millions d'euros). Ce montant inclut notamment trois mécanismes :

- la vente du bois de chauffage bénéficie d'un taux réduit de TVA de 10 %, soit 148 millions d'euros par an sur la période 2019-2022 ;

- le régime fiscal dit « Sérot-Monichon30(*) », qui remonte à 1930, et exonère à hauteur de 75 % le montant des droits dus à l'État lors des successions et donations entre vifs. Il représente 91 millions d'euros en 2022 ;

- une exonération de 75 % de l'assiette imposable de la valeur de la Forêt pour les contribuables redevables de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI)31(*).

En tout, ce sont donc 403 millions d'euros de dépenses fiscales consacrés annuellement à la forêt, dont 240 millions d'euros qui relèvent de la mission « Agriculture, l'alimentation, forêt et affaires rurales ». Les constats établis par la Cour des comptes sont globalement partagés par les rapporteurs : ces dépenses fiscales sont d'abord motivées par une vision patrimoniale, les dispositifs visant à dynamiser l'exploitation forestière restant marginaux. Dans la perspective d'effets délétères du réchauffement climatique, une incitation à une gestion plus active de la forêt s'impose comme objectif des stratégies actuelles. Au contraire, ce dispositif favorise des comportements d'investissements à fins d'optimisation fiscale. La déconnexion croissante entre les prix de transaction foncière et la valeur liée à la production forestière constitue un indice d'un tel effet qui contribue à affaiblir le potentiel de mobilisation du bois et de renouvellement forestier. La Cour relevait déjà l'insuffisance des vérifications des obligations associées à ces avantages fiscaux.

Certes, ils partagent certains des arguments employés par les acteurs du secteur, en particulier sur la nécessité de disposer de régimes fiscaux stables dans le temps. Il faut aussi rappeler que l'investissement dans les forêts est un investissement à faible rentabilité financière et objectivement plus risqué que d'autres en raison des aléas.

Néanmoins, beaucoup d'acteurs auditionnés se sont contentés d'indiquer que les dispositifs existants (dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI), dispositif Sérot-Monichon, impôt sur la fortune immobilière ...) « avaient fait leurs preuves », ce qui est vrai pour partie mais ne saurait constituer un argument d'autorité dans un contexte budgétaire devenu très contraint. De plus, le lien entre le niveau des dépenses fiscales et l'effectivité de l'entretien et de la gestion des forêts par les acteurs est loin d'être évident. Les rapporteurs spéciaux s'interrogent donc sur l'efficience de certaines de ces dépenses fiscales qu'ils préconisent de questionner, au moins pour ne pas considérer comme acquis des dispositifs parfois très anciens dans un contexte qui a beaucoup changé.

Recommandation n° 5 (Parlement, ministère de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) : Questionner la pertinence des dépenses fiscales à destination de la filière forêt-bois, en particulier l'exonération de 75 % de la valeur des droits de mutations à titre gratuit (donation, leg, succession) pour les terrains en nature de bois et forêt (dispositif dit « Sérot-Monichon »).

L'un des points les plus difficiles à évaluer demeure le total des moyens consacrés à la forêt par les 11.000 collectivités territoriales qui sont propriétaires de forêts et qui doivent être comptabilisés.

Ceux-ci ne sont pas évalués de façon fiable. Dans son rapport annuel récent sur l'adaptation au changement climatique, la Cour des comptes recommande d'ailleurs que les collectivités forestières généralisent des budgets annexes « forêt », ce qui aiderait à évaluer les moyens consacrés à la forêt par les communes forestières et à mesurer les capacités d'autofinancement par les recettes d'exploitation. Compte tenu de la lourdeur administrative que cette piste générerait pour certaines communes dont l'activité forestière est marginale, les rapporteurs spéciaux n'ont pas souhaité reprendre cette proposition à leur compte. La fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) a mis en avant les contraintes qui résulteraient de la mise en place d'une telle obligation, en particulier pour celles dont l'activité forestière est subsidiaire.

Toutefois, les rapporteurs spéciaux estiment qu'il appartient aux communes d'évaluer leurs dépenses forestières avec davantage de précision et préconise d'élaborer en lien avec la FNCOFOR un seuil d'activité à partir duquel certaines communes forestières auraient l'obligation de connaître le montant de leurs dépenses et de leurs recettes liées à l'activité forestière.

Recommandation n° 6 (Parlement, DGFiP, FNCOFOR) : Déterminer, en lien avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), des modalités d'identification plus précises, par les collectivités territoriales, de leurs ressources et dépenses forestières.

Par ailleurs, le dispositif de soutien aux centrales utilisant du combustible de la filière bois (résidus de papeterie, plaquettes forestières, produits connexes des industries de première transformation ainsi que des produits bois en fin de vie et déchets bois) a généré non pas des coûts en 2022 mais une recette pour le budget de l'État en raison de la forte hausse des coûts de l'énergie. Ainsi, alors que les dépenses s'élevaient à 282 millions d'euros en 2019, ce poste génère des recettes pour le budget général de l'État à hauteur de 160 millions d'euros en 2022. Toutefois, compte tenu de l'irrégularité de ces recettes, il est difficile d'en tirer une conclusion à terme.

À ces sommes s'ajoutent les financements issus de divers programmes de relance (France relance, France 2030, etc.) s'élevant à 95 millions d'euros décaissés sur la période 2021-2022 pour la filière forêt-bois, dont 73 millions d'euros pour le renouvellement forestier, 16 millions d'euros pour le soutien à l'aval de la filière bois et 6 millions d'euros pour la filière graines et plants, soit presque 48 millions d'euros par an. Les rapporteurs spéciaux considèrent qu'il faut inclure ces dépenses dans le périmètre en raison de leur nature forestière.

Il est donc particulièrement complexe d'évaluer exhaustivement les dépenses publiques consacrées à la forêt. Certaines dépenses « indirectes » qui ne relèvent pas du programme 149 du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, mais des programmes pilotés par le ministère de l'écologie, bénéficient aussi au secteur forestier sans relever expressément d'une mission dédiée au secteur forêt-bois. C'est le cas par exemple des moyens du fonds chaleur consacré à la forêt. Certaines publications considèrent à tort que la totalité de la dépense du fonds chaleur constituerait un soutien au bois énergie. En fait, le fonds chaleur (350 millions d'euros avant 2022) finance des investissements de chaudière et de réseaux de chaleurs à partir de biomasse à concurrence de 93 millions d'euros en moyenne annuelle. Il importe donc de veiller à ne pas assimiler l'ensemble des enveloppes du fonds chaleur à un soutien au bois énergie.

Devraient également être comptabilisées dans le total des dépenses forestières le coût du récent Parc National32(*) « Feuillu de Plaine » situé à cheval sur la Côte-d'Or et la Haute-Marne, en Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est. Ainsi que le délégué ministériel forêt-bois l'a souligné lors de son audition, avant que ne soit nommé un délégué interministériel, ce parc pourrait être considéré comme contribuant à la politique de protection des forêts.

Il en est de même des crédits soutenant l'industrie du bois sur des dispositifs du ministère délégué à l'industrie (programme 134), qui ont bénéficié à des PME du bois y compris des dispositifs non spécifiquement dédiés au secteur bois (on peut citer l'exemple de « territoires d'industrie »).

Enfin, plusieurs autres politiques publiques en lien avec la forêt, bénéficient de financements publics : les moyens de lutte contre les feux de forêts, en progression depuis l'été 2022, relèvent de la politique de sécurité civile et concourent aussi à la défense de la forêt contre les incendies (DFCI). Des moyens du programme 380 (fond vert) sur le volet prévention des risques (pilotage DGPR) contribuent également à la prévention des feux de forêt.

Pour la programmation 2021-2027, les régions interviennent désormais en qualité d'autorité de gestion du FEADER et bénéficient de contreparties alors que ces politiques étaient précédemment gérées par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. S'ajoutent enfin à ce total quelques dépenses interprofessionnelles.

Au global, les rapporteurs spéciaux estiment donc que la France consacre annuellement 1,45 milliard d'euros de dépenses publiques à la filière forêt bois. Toutefois, il ne s'agit que d'une évaluation, en raison de l'incertitude quant au montant exact de certaines dépenses, notamment celles des collectivités territoriales. Les rapporteurs considèrent, dans un premier temps, que la publication d'un « jaune budgétaire » consacré au financement public de la filière, en annexe au projet de loi de finances, pourrait être de nature à inciter les personnes publiques étatiques à évaluer plus précisément leurs dépenses liées à la forêt.

Recommandation n° 7 (Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) : Produire un recensement exhaustif des dépenses publiques de l'État consacrées à la filière permettant de déterminer un coût annuel de la politique forestière de la France, par exemple en créant une nouvelle annexe au projet de loi de finances (« jaune budgétaire »).

II. FAIRE DE LA FRANCE LA PUISSANCE FORESTIÈRE QU'ELLE DEVRAIT ÊTRE PAR UNE MEILLEURE ORIENTATION DES EFFORTS

Les rapporteurs spéciaux considèrent que la France ne s'est pas donnée les moyens de conduire une véritable politique publique forestière. Trois axes mériteraient d'être approfondis : mieux connaître nos forêts, s'interroger sur la pertinence de certaines dépenses et enfin faire en sorte que la filière du bois soit à la hauteur de la qualité de nos forêts.

A. MIEUX MESURER L'IMPACT DES POLITIQUES PUBLIQUES FORESTIÈRES

La pertinence des dépenses que nous engageons suppose une véritable évaluation de nos politiques publiques. Or, leur efficacité suppose de connaître parfaitement les caractéristiques de nos forêts.

1. Mettre à jour toutes les données publiques relatives à la forêt

Outre l'absence d'un inventaire forestier ultra-marin, plusieurs handicaps empêchent d'approfondir notre connaissance des forêts françaises. Les rapporteurs spéciaux préconisent en premier lieu la mise à jour du cadastre forestier. Ils ont en effet été particulièrement surpris d'apprendre qu'il existe, sur le territoire hexagonal, un écart d'approximativement 3,6 millions d'hectares de surfaces boisées entre les données cadastrales et l'inventaire forestier de l'IGN. La correspondance entre la nature d'occupation des sols effective et celle inscrite au cadastre s'avère donc largement erronée.

La surface de la forêt privée inscrite au cadastre en 2022 est ainsi sous-estimée de 38 % (3,6 millions d'hectares) par rapport aux surfaces relevées. Les différences sont pour les trois-quarts concentrées sur cinq régions (Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nouvelle-Aquitaine et Corse). Cette situation s'explique par l'importance de la déprise agricole dans ces régions de montagne au cours des dernières décennies et par le fait que les propriétaires n'ont pas renseigné les changements d'affectation des sols. La sous-estimation de la surface forestière par le cadastre (3,6 millions d'hectares) a pour conséquence de réduire les surfaces soumises aux obligations de gestion durable. Il convient donc de les fiabiliser.

Une campagne de régularisation portée par la DGFiP en comparant les données géographiques et cadastrales pourrait permettre une fiabilisation d'ampleur du cadastre forestier à court terme.

Recommandation n° 8 (DGFiP) : Lancer à court terme une campagne de régularisation du cadastre forestier afin de le fiabiliser, en comparant les données géographiques et cadastrales.

Par ailleurs, l'inventaire forestier au niveau national doit être renouvelé et ne peut pas s'appuyer sur des relevés ponctuels par sondage effectué par des agents. C'est pourquoi l'acquisition par la France d'un système Lidar constitue une bonne nouvelle : il s'agit d'une sorte de drone qui procède à l'inventaire terrestre des activités au sol par un sonar et qui permet de réaliser un inventaire forestier, mais aussi d'autres types d'inventaire (il peut donc être mutualisé entre plusieurs recensements des sols). Toutefois, alors que la France en est à son premier millésime, plusieurs pays développés33(*) ont initié et pour certains déjà terminé une, deux, voire trois couvertures nationales complètes (cas des Pays-Bas) avec parfois une très haute densité (jusque 15 à 20 points par m²).

2. Un éclatement des compétences en matière forestière qui rend peu lisible l'action de chacun des acteurs

À ce stade, les rapporteurs considèrent qu'un travail d'évaluation du champ de compétence de chacun des acteurs du secteur doit être conduit. La gouvernance du secteur leur semble en effet particulièrement complexe du fait du très grand nombre d'opérateurs amenés à intervenir. Cette situation conduit à une interpénétration des compétences et à d'inévitables doublons. Cette réflexion devrait pouvoir être menée par le nouveau délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages34(*). S'ils disposent chacun d'une grande expertise, force est de constater qu'une rationalisation des opérateurs en présence pourrait avoir des vertus.

La fusion des deux principaux opérateurs, l'ONF, qui gère les forêts publiques soumises au régime forestier et le CNPF, qui encadre l'action des propriétaires forestiers privés, fait l'objet d'un débat ancien35(*). Elle est régulièrement avancée comme une évolution souhaitable. Il est vrai toutefois que cette fusion générerait à moyen terme des difficultés :

- la différence de statut et de contrat d'objectif (un EPIC d'un côté qui peut produire des actes commerciaux, un EPA de l'autre, davantage centré sur le conseil et l'agrément de documents dont il n'aura pas à assurer la gestion).

- la disparité de nature de propriété entre une forêt domaniale, des forêts communales et une multitude de forêts privées. Derrière cette disparité il y a des notions d'intérêt privé ou public, de propriété privée avec la liberté, même contrainte, que cela implique, mais aussi d'approche sylvicole.

C'est la raison pour laquelle les rapporteurs spéciaux n'ont pas repris cette proposition à leur compte. Le rapprochement technique et scientifique des deux établissements doit toutefois être encouragé. C'est pourquoi les échanges réguliers entre les deux organismes36(*) doivent se poursuivre. Ces échanges sont d'ailleurs facilités par l'instauration de structures thématiques de coopération.

S'agissant de l'adaptation des forêts au changement climatique, compte tenu de la diversité des enjeux en présence, seize opérateurs ont d'ailleurs décidé de structurer leurs échanges au sein du réseau mixte technologique pour l'adaptation des forêts au changement climatique (RMT AFORCE).

RMT AFORCE

Lancé en 2008 par des forestiers, le RMT AFORCE est un réseau coordonné par le service de R&D du CNPF. Il associe 16 partenaires issus de la recherche, du développement, de la gestion et de l'enseignement supérieur et technique : l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), AgroParisTech, la chambre d'agriculture des Pays de la Loire, le centre national de la propriété forestière, Experts forestiers de France (EFF), l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) des Vosges, l'institut technologique FCBA, le groupe Grands chais de France (GCF), le groupement d'intérêt public écosystèmes forestiers, l'Institut européen de la forêt cultivée (IEFC), l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), Le lycée d'enseignement général et technologique professionnel agricole de Meymac, Météo-France, l'Office national des forêts (ONF) et la société forestière (SF). Le Ministère de l'Agriculture est également représenté via le département de la santé des Forêts.

Le réseau a vocation à favoriser les échanges entre les professionnels forestiers et les spécialistes du changement climatique.

Source : réponse apportée au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Les missions successives du RMT AFORCE depuis sa création

Source : RMT AFORCE dans sa réponse au questionnaire transmis aux rapporteurs spéciaux

Une politique volontariste pour accentuer encore la concertation entre les acteurs de la filière forestière doit être menée. C'est pourquoi, à l'issue de ce travail de recensement des compétences, se posera de nouveau la question de la création d'une entité qui pourrait regrouper des compétences exercées de manière éparse.

La création d'une agence forestière qui absorberait les compétences aujourd'hui dévolues à une quarantaine d'organismes a été évoquée à l'occasion des auditions conduites par les rapporteurs spéciaux. Cette hypothèse récurrente présente toutefois des inconvénients. La grande technicité des enjeux forestiers suppose une spécialisation poussée dans des secteurs très variés qui s'exprime sans doute mieux dans l'organisation actuelle. Toutefois, cette dissémination des compétences n'est efficace qu'à la condition de fluidifier au maximum les rapports entre les organismes. Les tensions qui ont pu exister entre l'ONF et d'autres acteurs du secteur ont parfois constitué un frein au bon déroulement des politiques forestières. Cette situation est heureusement révolue et la structuration des échanges se poursuit. Les rapporteurs spéciaux considèrent que l'État doit impulser ces lieux d'échanges élargis qui ont vocation à croiser des données encore trop sectorielles. Ils invitent les acteurs concernés à s'en saisir pleinement, y compris les acteurs privés : il est par exemple regrettable qu'au professionnel du bois, malgré le poids économique de la filière, n'ait rejoint le RMT AFORCE malgré un appel à candidatures émis par ce dernier.

B. POURSUIVRE LA STRUCTURATION DE LA FILIÈRE ÉCONOMIQUE DU BOIS : UN SECTEUR QUI PÈSE DANS L'ÉCONOMIE MAIS QUI CONNAÎT UN DÉFICIT STRUCTUREL DE SA BALANCE COMMERCIALE

La sylviculture constitue un secteur économique de poids en France. Selon l'interprofession France bois-forêt qui agrège ces données via la Veille Économique Mutualisée FBF37(*), en 2021, les emplois directs de la filière bois représentaient plus de 415 000 équivalents temps plein (ETP) direct. La filière a généré plus de 20 000 ETP depuis 2019. C'est l'équivalent de 1,38 % de la population en emploi et surtout cela représente 12,4 % du total des emplois des filières à base industrielle de la France.

L'emploi dans la filière forêt bois

Source : l'interprofession France bois forêt

Le manifeste de la filière forêt-bois rédigé à l'occasion des élections présidentielle et législatives de 2022 mentionnait en outre plus de 60 000 emplois indirects. En tout, ce sont environ 60 000 entreprises qui interviennent dans le secteur.

En 2021, la filière forêt-bois a généré 27,6 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit 1,1 % du PIB. En seulement 5 ans (2016-2021), la filière a augmenté sa valeur ajoutée de 3 milliards d'euros. En comparaison, la filière forêt-bois a rebondi plus rapidement que l'économie française dans son ensemble après le ralentissement généré par la pandémie de covid-19.

Toutefois cette situation est loin d'être idéale. En premier lieu, le secteur présente de très importantes disparités. Globalement, l'amont forestier, le secteur des panneaux ainsi que le bois énergie se portent bien et tire la croissance du secteur. En revanche, le secteur intermédiaire qui regroupe les activités de transformation, constitue le talon d'Achille de la filière bois française. Plusieurs auditionnés ont souligné que, selon eux, les entreprises de transformation en France ne seraient pas à la hauteur de ce que la qualité des forêts françaises pourrait laisser supposer. Pour schématiser, il s'agit principalement de petites scieries à l'activité très locale. Ils ont également mis en avant le manque d'équipements, en particulier de séchoirs à bois, pour répondre à toutes les facettes de la demande mais aussi les difficultés de recrutement en raison du manque d'attractivité et de l'offre insuffisante du réseau de formation. Les activités de transformation ne représentent donc « que » 1 500 des 60 000 entreprises et 50 000 emplois.

Ce « trou dans la raquette » explique l'ampleur du déficit commercial du secteur. En 2022, il s'établit à 9,5 milliards d'euros, en hausse de 900 millions d'euros par rapport à 2021. Cette augmentation résulte du creusement du déficit des pâtes, papiers et cartons (ces trois activités expliquent le déficit à hauteur de 3,9 milliards) et du niveau toujours élevé mais stable du déficit des meubles et sièges en bois (3,4 milliards d'euros).

En revanche, la balance commerciale s'améliore légèrement pour les produits des industries du bois, les bois ronds, les sciages et connexes. Le déficit pourrait même légèrement diminuer pour l'année 2023 (à ce jour les chiffres ne sont connus que jusqu'à septembre 2023, moi où le déficit était en recul de 7 % par rapport à septembre 2022, à 6,6 milliards d'euros sur les 9 premiers mois de l'année)38(*).

Solde déficitaire de la balance commerciale de la filière forêt-bois

Source : interprofession France bois-forêt

Les différents produits de la consommation finale française des filières d'usage « bois énergie » et « bois d'oeuvre » sont réalisés avec une part importante de bois provenant de ressources françaises (produits de la forêt, produits connexes de scieries et bois recyclés) : respectivement 84 % et 59 %. Il s'agit donc de filières à dominantes locales avec les retombées socio-économiques associées (réduction des émissions de carbone, emplois et valeur ajoutée créés dans les territoires). Plusieurs projets emblématiques de construction ont ainsi permis de mettre en avant la filière française du bois : les rapporteurs spéciaux se réjouissent du recours à un bois 100 % français pour la reconstruction de la chapelle de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Ils regrettent qu'il n'en ait pas été de même pour la construction du village olympique construit en vue des jeux de 2024 et qui a vocation à être transformé en logements par la suite.

En revanche, la filière d'usage « bois d'industrie » est beaucoup plus ouverte aux échanges internationaux avec un recours au bois français bien plus faible. En 2022, le poste des bois ronds (bois ronds d'oeuvre et de trituration, bois ronds énergie et bois ronds traités - poteaux), matière première de la filière bois, est le seul dégageant un solde commercial positif. Il est en hausse sur un an (+ 93 millions d'euros).

Import-export annuel de bois rond

en tonnes (2019-2022)

en milliers d'euros

Source : Agreste, le portail des statistqiues agricole

Les rapporteurs spéciaux considèrent que la qualité de la forêt française ne se traduit pas suffisamment sur le plan économique. Une meilleure structuration d'une partie de la filière est indispensable. Il est inenvisageable que la balance commerciale demeure aussi importante, alors même que nous importons parfois des produits finis réalisés avec du bois français. La qualité des bois français, grâce à une politique de long terme est internationalement reconnue. L'achat massif de bois de chênes par des entreprises étrangères, notamment chinoises, demeure une réalité qu'il convient de transformer en un atout.

Figurent d'ailleurs parmi les compétences du délégué interministériel « le renforcement de la structuration des filières de transformation et de leur articulation entre usages ». Cette structuration devra notamment passer par des propositions sur l'amélioration de l'offre de formation, sur des propositions pour concentrer davantage les entreprises de transformation du bois afin de favoriser l'émergence de groupe d'envergure internationale. Les rapporteurs notent avec intérêt la conduite à leur terme de deux projets en lien avec les entreprises de la transformation du bois, portés par l'ADEME, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir : « SCIERIE 4.0 » (développement d'un établissement recevant un public dans une scierie) et « SCIERIE DU FUTUR » (développement et mise en fonctionnement sur trois scieries de process innovants, intelligents et connectés de sciage de gros bois).

La meilleure structuration repose également sur l'augmentation de la taille des propriétés forestières exploitées. Ce dernier point est essentiel : 60 % de la production française de bois d'oeuvre et d'industrie est concentrée dans les propriétés de plus de cent hectares, alors qu'elles représentent 30 % des surfaces. Ces éléments montrent l'intérêt de regrouper de petites forêts privées pour constituer des unités de gestion d'une taille suffisante, au moins cent hectares, afin de les valoriser économiquement tout en protégeant leur biodiversité et en luttant contre le dépérissement et les incendies. Les rapporteurs spéciaux le perçoivent comme un axe de travail autant économique que sécuritaire et écologique.

Pour toutes ces raisons, les rapporteurs spéciaux souhaitent que délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages qui vient de prendre ses fonctions et dont c'est l'une des missions soit amené, à moyen terme à rendre compte de son action sur le sujet.

Recommandation n° 09 (Gouvernement, délégué interministériel) : Prévoir, de la part du délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages qu'il rende compte des actions conduites pour améliorer la structuration de la filière économique du bois et initier une véritable politique publique pluriannuelle de restructuration.

C. GÉNÉRALISER L'IMPÉRATIF DE GESTION DURABLE DES FORÊTS

Sans se prononcer sur la pertinence des dépenses fiscales précitées, qui ne relèvent pas directement de leurs compétences, les rapporteurs spéciaux constatent que les contreparties à ces dépenses sont respectées de manière très aléatoire. Ils considèrent que leur contrôle doit faire l'objet d'un volontarisme plus marqué, en particulier en matière de gestion durable.

La mise en place d'un plan de gestion durable des parcelles forestières privées, lesquelles représentent les trois-quarts de la superficie forestière française, est conditionnée par plusieurs facteurs dont la superficie de la parcelle (la mise en place d'un plan simple de gestion s'applique à partir de 20 ha) et la situation fiscale et patrimoniale du propriétaire qui le lie, en théorie, par certains engagements de gestion durable (cf. supra). Dans les faits, le niveau de gestion effective des forêts dépend beaucoup des types de propriétés, des zones géographiques et de l'accessibilité des forêts39(*).

S'ajoutent des obligations légales de débroussaillement (OLD) sur les massifs classés à risque feux de forêt dès lors qu'un arrêté préfectoral spécifique le prévoit40(*).

Un élargissement des objectifs de gestion durable passe donc, en premier lieu, par l'agrandissement de la taille moyenne des parcelles forestières privées. Cet objectif de lutte contre l'éparpillement forestier est régulièrement avancé mais force est de constater que le problème demeure.

Le morcellement a même tendance à augmenter du fait des transmissions successives par voie successorale qui contribuent à diviser le foncier entre plusieurs héritiers et parce que la forêt progresse avec le boisement de terres agricoles abandonnées sur un parcellaire plus morcelé que la moyenne. En 1999, les propriétaires de plus de 25 ha représentaient 6,7 % des propriétaires (pour 55 % de la surface forestière), en 2012 ils ne sont plus que 5 % (pour 50 % de la surface) pour une moyenne inférieure à 4 ha. Toutefois, cette réalité masque des disparités très importantes. Parmi les 3 millions de propriétaires forestiers privés, 5 % détient 50 % de la surface privée. Cohabitent donc de très grandes propriétés forestières et une multitude de très petites parcelles. Toutefois, les propriétaires de ces petites parcelles ne sont absolument pas enclins à les céder en raison de leur attachement viscéral à la forêt et au sol, plus marqué encore en France qu'ailleurs. Un grand nombre d'auditionnés a souligné le lien parfois irrationnel que les Français entretiennent avec la forêt.

Jusqu'à présent, l'État s'est refusé à utiliser les quelques leviers incitatifs dont ils disposent, notamment fiscaux, pour remédier réellement à cette situation qui devient problématique en raison de la corrélation entre la taille de la parcelle et le degré effectif d'entretien et de gestion.

Toutefois, il est peu réaliste de considérer que les dix délégations du CNPF au niveau régional ou interrégional, les centres régionaux de la propriété forestière (CRPF), qui procèdent aux agréments des plans de gestion, seraient en mesure de vérifier l'effectivité du respect de ces plans par les propriétaires. C'est pourquoi l'autre levier qui aurait pu être employé, à savoir abaisser de nouveau le seuil surfacique à partir duquel un plan de gestion est obligatoire, n'aurait sans doute, dans les faits, pas les effets escomptés à moins de renforcer les moyens du CNPF en ce sens.

La gestion durable des parcelles forestières ne repose pas que sur l'agrément des documents de gestion par le CNPF pour les forêts privées et sur le suivi assuré par l'ONF pour les forêts publiques. Elle suppose aussi l'adoption de réflexes adaptés auxquels plusieurs organismes contribuent à chacune des étapes de la vie des forêts.

En amont, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) travaille ainsi à la définition de politique de gestion durable des forêts par des travaux de recherche cherchant notamment à déterminer les essences les plus à même de s'adapter à un contexte de plus en plus contraint par des aléas mortifères (cf. supra). Il s'agit de mettre en place une gestion active, la régénération naturelle devenant, dans ce contexte, un mode de gestion qui a vocation à être de moins en moins efficace. Le fait que la part des forêts françaises gérées par replantation soit supérieure à celle de ses voisins européens constitue plutôt un signe positif.

Type de gestion des forêts en France, en Europe et dans le Monde

Source : INRAE

Ces travaux scientifiques se font en partenariat avec l'Office français de la biodiversité (OFB) pour faire en sorte que la diversité des espèces dont c'est l'habitat soit prise en compte et qui figurent également parmi les organismes ayant une compétence en matière forestière. Ses travaux ne sont pas étrangers à la volonté de réimplanter des haies pour favoriser la biodiversité en assurant une certaine continuité entre les différents espaces forestiers (la mission AAFAR de la loi de finances pour 2024 porte 110 millions d'euros pour replanter 50 000 km de haies d'ici 2030). La prise en compte de la biodiversité, tout en constituant un objectif aujourd'hui incontournable, est longtemps apparu comme un poids pour certains acteurs. L'OFB, par le passé, a pu apparaitre comme un organisme ne prenant pas suffisamment en compte les contraintes propres aux autres interlocuteurs, ce qui a pu générer des tensions, aujourd'hui globalement apaisées.

Dans la même optique, l'agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME) contribue au développement de la filière forêt bois avec le soutien au bois énergie, notamment dans le cadre du fonds chaleur. Dans l'objectif de développer des filières à haute performance environnementale intégrant l'ensemble des enjeux environnementaux, l'agence a mis en oeuvre des actions visant à intégrer l'ensemble de la filière, de la ressource aux usages. Elle a développé une stratégie d'action sur la bioéconomie, qui intègre l'ensemble de la filière forêt-bois. Il s'agit de contribuer à ce que les entreprises de la filière bois prennent davantage en compte le changement climatique, la protection des sols et la transition énergétique.

Les secteurs de la bioéconomie durable - dont la sylviculture et l'utilisation des biomasses qui en sont issues - permettent de répondre à des besoins divers (alimentaires, matériaux, énergies). Néanmoins, parce que les ressources et les milieux (notamment les sols et l'eau) pour produire ces biomasses sont limités et menacés par les défis environnementaux, dont le changement climatique, la bioéconomie cherche à se développer en tenant compte de l'équilibre et de l'articulation entre les productions et les usages, et en intégrant les enjeux environnementaux, dont la préservation des milieux (biodiversité notamment).

D. ACTUALISER CERTAINS DES CRITÈRES DE PERFORMANCE DU PRINCIPAL PROGRAMME BUDGÉTAIRE PORTEUR DES CRÉDITS CONSACRÉS À LA FILIÈRE

Au regard des effets du changement climatique et des priorités de la planification écologique, la pertinence de certains indicateurs de performance du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » de la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) pourrait être questionnée.

Les objectifs de transition écologique ont en effet donné lieu à l'établissement d'une feuille de route forêt-bois qui vise à adapter la forêt au changement climatique et à maximiser les effets de la décarbonation de la filière bois pour la décarbonation. Cinq axes prioritaires ont été définis : (i) mieux prévenir les risques et lutter contre les incendies, (ii) adapter la forêt au changement climatique, (iii) Gérer les forêts durablement, (iv) restaurer et préserver la biodiversité et les sols et enfin (v) structurer et développer la filière bois.

Les rapporteurs spéciaux partagent le point de vue des acteurs du secteur qui considèrent que les indicateurs de performance du programme 149 devraient davantage tenir compte de ces priorités.

Ils préconisent ainsi de modifier trois des huit indicateurs du programme.

L'indicateur 1.4 relatif à la récolte de bois rapporté à la production annuelle pourrait évoluer. La baisse structurelle de la croissance biologique des forêt, liée au changement climatique, entraîne une diminution mécanique du dénominateur, faisant progresser l'indicateur indépendamment des effets des politiques publiques. Dans cette perspective, le volume récolté aurait davantage de sens, en cohérence avec les indicateurs forêt-bois de la future stratégie nationale bas carbone (SNBC).

L'indicateur 2.2 relatif à la part de forêts gérées durablement pourrait être centré sur un double objectif prioritaire de maintien d'un taux élevé en forêt publique, pour afficher une exemplarité étatique, et d'un indicateur en forêt privée rapporté aux seules forêts de plus de 20 ha. En effet, le calcul actuel qui prend en compte toutes les parcelles, y compris celles qui ne sont pas concernées par des obligations de gestion, apparait en décalage avec la réalité. Par ailleurs, cet objectif ne comporte pas de cible en progression (il mentionne toujours 3,535 millions d'ha) alors que l'abaissement du seuil de 25 à 20 hectares voté par le Parlement dans le cadre de la loi « incendie »41(*) devrait conduire à fixer un objectif volontariste au moins égal aux surfaces de forêts de plus de 20 ha en défaut à date. Interrogées à ce sujet, les personnes auditionnées évaluent à 545.000 ha la superficie totale des forêts de plus de 25 ha sans PSG et à 300.000 ha les forêts entre 20 et 25 ha sans PSG.

L'indicateur 2.3 sur le taux de bois commercialisé contractualisé en forêt domaniale (en progression constante de 58,5 % en 2022 et qui devrait tendre vers 75 % en 2025) pourrait être étendu aux bois commercialisés dans les forêts des collectivités voire même dans les forêts privées, où des progrès en matière de contractualisation sont attendus. Les rapporteurs spéciaux considèrent en effet que la contractualisation est un paramètre important de la compétitivité des entreprises.

Recommandation n° 10 (Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) : Modifier les indicateurs de performance économique liés à la forêt du programme 149 de la mission « AAFAR ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 mai 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Christian Klinger et Victorin Lurel, rapporteurs spéciaux, sur le financement public de la filière forêt-bois.

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons la communication de nos collègues Christian Klinger et Victorin Lurel, rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », sur le financement public de la filière forêt-bois.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Le rapport que les Français entretiennent à leur forêt est empreint de passion ; nous le savions et les auditions que nous avons conduites l'ont confirmé. Ce rapport passionné explique sans doute pourquoi nos interlocuteurs, quelles que soient leurs fonctions, ont souvent tenu des propos alarmistes sur le devenir de la forêt française. Nous avons notamment entendu ces phrases : « la forêt jurassienne est condamnée », « les feux de forêt de 2022 ne sont qu'un avant-goût de la suite », « de plus en plus de forêts sont émettrices de carbone », « les élus locaux risquent gros sur le plan pénal s'ils n'entretiennent pas leurs forêts » et « les obligations liées aux plans de gestion forestière ne sont absolument pas respectées ».

Ces remarques pourraient paraître exagérées. Après tout, la France est un pays forestier et nos atouts en la matière sont considérables. La France est l'un des rares pays au monde à connaître tous les types de climat forestier : forêt tempérée, tropicale, subtropicale mais aussi boréale. On estime aussi qu'un hectare de forêt guyanaise compte davantage d'essences d'arbres que l'ensemble du continent européen.

Cette situation est le résultat d'une politique initiée depuis Colbert, qui a été à l'origine du régime forestier tel que nous le connaissons, même si toutes ses initiatives n'ont pas été aussi heureuses

Il nous faut préserver ce patrimoine exceptionnel et le défi est de taille puisque nous comptons 26,9 millions d'hectares de forêt, dont 17,6 millions d'hectares sont dans l'Hexagone et 8,3 millions d'hectares dans les outre-mer. Les forêts couvrent un tiers de la surface de la France.

Ce défi sera difficile à relever. D'abord, il nous faut améliorer notre connaissance de la forêt française. Nous avons la chance de pouvoir compter sur l'Observatoire des forêts françaises, placé sous l'égide de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Depuis soixante-cinq ans, l'IGN tient un inventaire précis des forêts mais uniquement dans l'Hexagone. L'inventaire forestier des outre-mer n'a pas encore débuté, malgré le vote d'un crédit de 15 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances pour 2024. Notre première proposition vise à établir un traitement juste de tout le territoire national. Il s'agit de prévoir, au premier semestre 2025, un bilan d'étape de l'inventaire forestier ultramarin et d'élargir l'ensemble des missions de l'IGN aux outre-mer.

Le deuxième défi tient au fait que, depuis vingt ans, les aléas que subissent les forêts se multiplient : tempêtes, réchauffement climatique, nuisibles, inondations ou destructions liées à la densification giboyeuse. Par ailleurs, les acteurs économiques concernés sont insuffisamment structurés. De plus, nous regrettons la tentation parfois observée de « mettre la forêt sous cloche » et certains individus - des militants - refusent l'idée même d'un entretien de la forêt, qui suppose de couper des arbres et d'en replanter. Il faut être plus sévère pour réprimer les opérations sauvages visant à empêcher l'action des propriétaires exploitants.

Ce volet répressif doit s'accompagner d'un volet préventif, qui suppose d'éduquer les jeunes générations en les sensibilisant à la cause forestière. Notre troisième proposition vise donc à développer les classes de découverte forestière, qui pourraient bénéficier, pour partie, d'un financement public à destination des familles les moins aisées.

La forêt française compte bien d'autres handicaps. Certes, elle ne cesse de s'étendre, surtout parce que des terres agricoles disparaissent, remplacées de façon naturelle par des espaces boisés. Mais, dans l'Hexagone, les trois quarts des surfaces forestières appartiennent à des propriétaires privés. Ainsi, 3 millions de petits propriétaires privés possèdent en moyenne moins de quatre hectares. Or, dans les faits, un lien existe entre la superficie des parcelles et l'utilisation de documents de gestion. La tenue d'un plan simple de gestion n'est obligatoire qu'à partir de 20 hectares. Les contraintes de gestion ne peuvent pas seulement être liées à ce type de critères et doivent avant tout dépendre de données plus pertinentes et environnementales. C'est le sens de notre quatrième proposition : lier davantage les contraintes de gestion forestière à la durabilité de la forêt et non aux seules caractéristiques des propriétés. Ces propositions supposeront de coordonner un grand nombre d'acteurs. Or, nous avons constaté un certain éparpillement des compétences.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - La gestion de la forêt se trouve à la croisée d'un grand nombre de politiques publiques, qui touchent notamment aux domaines de l'environnement, de la décarbonation, de la sécurité civile, de l'exploitation économique, du tourisme, de la biodiversité, des paysages ou encore de la construction et de l'ameublement. Un grand nombre d'acteurs sont donc amenés à intervenir dans le secteur forestier et une multitude de financements publics différents en résulte. Aucun de ces acteurs n'est réellement capable de mesurer avec précision et exhaustivité le total des financements publics consacrés à la filière forêt-bois, pas même Bercy.

Nous avons donc décidé de le faire nous-même. Nous sommes partis d'une première évaluation de la Cour des comptes, datant de 2020 et en cours de mise à jour, pour intégrer certaines dépenses. À l'issue de nos travaux, nous évaluons le total des dépenses publiques annuelles consacrées à la filière forêt-bois à 1,45 milliard d'euros, qui se décomposent ainsi : 816 millions d'euros de crédits budgétaires, qui reposent sur un grand nombre de programmes, 60 millions d'euros de financements européens, 28 millions d'euros de financements interprofessionnels et 403 millions d'euros de dépenses fiscales. Concernant ces dernières dépenses, nous nous interrogeons sur la pertinence de certains dispositifs, en particulier celui de l'exonération de 75 % de la valeur des droits de mutation à titre gratuit pour les terrains en nature de bois et forêt, connu sous le nom de dispositif « Sérot-Monichon ». À ce stade, nous nous contentons de questionner mais, s'il fallait trouver des sources d'économies dans les mois à venir, cette piste pourrait être pertinente.

À ces sommes identifiées s'ajoutent des dépenses dont les montants ne sont pas certains. Pour certains postes, il faut évaluer la nature forestière de la dépense, ce qui pose problème. Il faut soit figer une quote-part au sein d'une dépense plus large, soit être plus précis dans certaines évaluations. Pour ce qui concerne les dépenses que les collectivités territoriales consacrent aux forêts, nous les évaluons à 47 millions d'euros par an mais ce montant demeure partiellement estimatif. Notre sixième proposition vise donc à déterminer, en lien avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), des modalités d'identification plus précises de la nature forestière de certaines dépenses, pour que les collectivités territoriales puissent les évaluer.

À tous les montants cités s'ajoutent des dépenses issues de programmes divers, que nous détaillons dans le rapport et qui s'élèvent à environ 48 millions d'euros par an, ainsi que quelques dépenses liées à des parcs naturels nationaux, à la lutte contre les incendies ou au soutien à des industries du bois. Au total, environ 15 % des dépenses de la filière sont donc partiellement estimatives.

Nous avons cherché à être complets mais l'exercice est difficile. C'est pourquoi nous demandons au Gouvernement de produire un recensement exhaustif des dépenses publiques consacrées à la filière, afin de déterminer un coût annuel de la politique forestière de la France, en créant par exemple une nouvelle annexe au projet de loi de finances. Il s'agit de notre septième proposition.

Plus globalement, nous considérons que ce total de 1,45 milliard d'euros pourrait être orienté plus efficacement, pour faire de la France la puissance forestière qu'elle devrait être.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - En premier lieu, nous considérons que ces moyens doivent permettre de mieux connaitre l'impact des politiques publiques forestières. À titre d'exemple, la France doit rattraper son retard dans le recours à certains outils, dont le Lidar, une sorte de sonar ayant vocation à compléter les relevés humains, pour mettre à jour l'inventaire forestier en permanence, y compris dans les outre-mer.

De la même manière, nous avons appris qu'il existait un différentiel de 3,6 millions d'hectares entre le cadastre et les relevés opérés par l'IGN. Cette différence incroyable est due au fait que les surfaces nouvellement boisées ne sont pas déclarées. Nous demandons donc à la DGFiP de lancer à court terme une campagne de régularisation du cadastre forestier, afin de le fiabiliser, en comparant les données géographiques et cadastrales. Il s'agit de notre huitième proposition.

Par ailleurs, une trentaine d'établissements sont liés à la filière forêt-bois. Malgré l'indéniable volonté de ces acteurs de travailler en bonne intelligence, la répartition des compétences et la gouvernance sont trop complexes et gagneraient à être rationalisées.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Nous avons aussi eu l'occasion de mesurer les obstacles rencontrés par la filière bois, qui constitue un moteur important de l'économie française. En 2021, elle a généré 27,6 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit 1,1 % du PIB. De plus, les emplois directs de la filière bois représentaient plus de 415 000 équivalents temps plein (ETP), ce qui correspond à 1,38 % de la population en emploi et à 12,4 % du total des emplois des filières à base industrielle de la France.

Malgré ces chiffres, la situation économique de la filière inquiète. En 2022, le déficit commercial du secteur s'est établi à 9,5 milliards d'euros, ce qui représentait une dégradation de 900 millions d'euros par rapport à 2021. Cette augmentation du déficit résulte principalement du déficit lié aux pâtes, papiers et cartons, ainsi qu'aux meubles et sièges en bois. Une meilleure structuration d'une partie de la filière semble indispensable et cette nécessité motive notre neuvième proposition : les activités de transformation doivent faire l'objet d'un plan national de soutien. Une meilleure structuration repose également sur l'augmentation de la taille des propriétés forestières exploitées. Ce dernier point est essentiel puisque 60 % de la production française de bois d'oeuvre et d'industrie est concentrée dans les propriétés de plus de 100 hectares, alors qu'elles ne représentent que 30 % des surfaces forestières.

Compte tenu des effets du changement climatique et des priorités de la planification écologique, certains indicateurs de performance du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt », de la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », méritent d'évoluer pour mieux correspondre aux nouvelles caractéristiques des forêts. C'est notre dixième et dernière proposition.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce travail me rappelle celui de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air. Il est intéressant de se concentrer sur les aspects économiques et budgétaires de ces questions. Il n'y a rien de tel pour préparer l'examen des prochains projets de lois de finances que d'entrer dans le détail des chiffres comme l'ont fait les rapporteurs spéciaux.

Quant à la cinquième recommandation, qui porte sur les dépenses fiscales, elle constitue une bonne suggestion. La disposition aura bientôt un siècle et il nous faudra étudier les raisons qui avaient motivé la création de ce dispositif, qui méritera une mise à jour et sans doute des évolutions.

M. Antoine Lefèvre. - Vous évoquez la nécessité d'une rationalisation en ce qui concerne le grand nombre d'acteurs jouant un rôle dans la filière. Que pensez-vous d'une éventuelle fusion entre l'Office national des forêts (ONF) et le Centre national de la propriété forestière (CNPF) ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Concernant la dixième recommandation, prendrez-vous en considération les externalités positives, c'est-à-dire les services systémiques rendus par la forêt, dans l'appréciation de ce que vous appelez la « performance économique » ?

Vous avez souligné la nécessité de faire connaître la forêt à des fins pédagogiques. De nombreuses initiatives sont déjà menées et je mentionnerai le programme « Dans 1 000 communes la forêt fait école », développé par la FNCOFOR. Je voudrais que tous les collèges de l'Aube aient une forêt pédagogique de référence car il s'agit d'un outil extraordinaire. Pour financer ces projets, nous utilisons une disposition que nous avons votée : le mécénat au profit des communes forestières. Il faut dynamiser ce mécanisme fiscal et en faire un outil pour développer les connaissances des élèves sur les atouts de notre forêt.

Mme Isabelle Briquet. - Par rapport à votre estimation du montant total des dépenses publiques annuelles, à quel niveau se situe l'estimation de la Cour des comptes en 2020 ?

M. Grégory Blanc. - Dans mon territoire de pépiniéristes, fortement touché par les feux de forêts en 2022, nous constatons une difficulté à produire des plants d'arbres, ce que vous ne mentionnez pas. Cependant, si nous souhaitons structurer la filière de manière durable et replanter, il s'agit d'un sujet important ; quel est votre avis sur la question ?

M. Marc Laménie. - Un opérateur important est souvent évoqué : l'ONF, qui a perdu beaucoup de moyens humains au fil des années. L'Office est en charge des forêts domaniales et communales et sa perte d'effectifs est problématique. Quel regard portez-vous sur son devenir ?

Concernant la huitième recommandation, qui vise à mettre à jour le cadastre forestier, la tâche est immense tant les propriétaires et les petites parcelles sont nombreux ; comment procéder ?

M. Michel Canévet. - Vous avez évoqué le nombre important d'organismes concernés. Quelles considérations ont conduit à leur création ?

Vous avez mentionné un déficit commercial significatif et croissant, qui semble paradoxal compte tenu des atouts dont nous disposons. Comment améliorer la situation ?

Enfin, concernant l'agrandissement proposé de la taille moyenne des parcelles forestières privées, des conflits d'usage ne risquent-ils pas d'apparaître, notamment en raison des besoins en terres agricoles ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Vous n'avez pas évoqué le vol du bois en forêt, qui a tendance à se développer et devient inquiétant. Votre rapport ne serait-il pas l'occasion de proposer des mesures pour lutter contre ce phénomène, qui représente une source de préjudice grave pour les propriétaires et les communes concernés ?

M. Olivier Paccaud. - Ma question porte sur la huitième recommandation, qui vise à lancer une campagne de régularisation du cadastre forestier. Lors de vos auditions, avez-vous eu affaire à des représentants de la DGFiP ou des directions départementales des finances publiques (DDFiP) ? Des bureaux sont-ils dédiés à la problématique de la forêt ? En matière de cartographie, la forêt est très bien documentée et depuis longtemps. Je suis étonné que des lacunes existent. La DGFiP a-t-elle oublié de faire son travail ? L'a-t-elle mal fait ?

M. Georges Patient. - Comment expliquer les particularités de la forêt de Guyane ? Elle continue d'appartenir à 95 % à l'État et les communes n'en sont pas propriétaires, contrairement à ce qui se passe dans l'Hexagone. De plus, il n'existe toujours pas d'inventaire forestier ultramarin malgré l'importance reconnue de notre forêt, qui s'étend sur plus de 8 millions d'hectares, ce qui représente une large part des 27 millions d'hectares que compte la France entière. Par conséquent, l'ONF est omnipotent en Guyane et n'hésite pas à mettre ces surfaces sous cloche, interdisant quasiment toute exploitation.

Mme Sylvie Vermeillet. - Vous avez évoqué la prévisibilité de la disparition des forêts du Jura, sujet m'inquiète. De manière plus générale, les forêts du Grand Est sont confrontées au réchauffement climatique et doivent faire face aux incendies, mais aussi à un insecte, le scolyte, qui les ravage et décime 3 millions de mètres cubes de bois par an. L'ONF semble s'organiser pour se débarrasser des arbres touchés par le scolyte, ou les traiter, mais ne se préoccupe pas du problème en amont. Où en sont la recherche et la science sur ce phénomène, qui ne doit pas être perçu comme une fatalité ?

M. Bernard Delcros. - J'aurai deux questions portant sur les aspects financiers. D'abord, vous avez rappelé le morcellement de la forêt privée, qui en complique la gestion. Des dispositifs financiers ont existé, notamment fiscaux, pour encourager les regroupements et l'agrandissement des parcelles à travers des acquisitions ; connaît-on l'efficacité de ces dispositifs ?

Concernant les dépenses fiscales, vous avez évoqué la somme de 403 millions d'euros et l'exonération de 75 % sur les droits de mutation. Il existe aussi des réductions d'impôt. Quelle lisibilité avons-nous de l'ensemble de ces dispositifs ? Leur efficacité a-t-elle été évaluée ?

M. Claude Raynal, président. - Je ferai une remarque sur la recommandation portant sur les indicateurs de performance. De nombreuses demandes ont été formulées lors de différents examens de projets de lois de finances, via des amendements, qui ont été rejetés d'un revers de main. Sur cette question, il faudrait négocier au préalable avec le Gouvernement.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Antoine Lefèvre, concernant la possible fusion entre l'ONF et le CNPF, la loi de 1963 pour l'amélioration de la production et de la structure foncière des forêts françaises, dite « loi Pisani », visait à opérer une distinction entre un opérateur public et un opérateur dédié aux propriétaires forestiers privés, pour prendre en compte des perceptions différentes d'une même nature d'occupation du sol. La fusion fait l'objet d'un débat ancien et est régulièrement présentée comme une évolution souhaitable. À moyen terme, elle génèrerait des difficultés, compte tenu des différences de statuts, de contrats d'objectifs et de natures de propriété entre forêts domaniales, communales et privées. Par conséquent, nous n'avons pas repris cette proposition.

Cependant, le rapprochement technique et scientifique des deux établissements doit être encouragé et les échanges doivent se poursuivre. Ces échanges sont facilités par une structure de coopération, le réseau mixte technologique (RMT) pour l'adaptation des forêts au changement climatique (Aforce), qui réunit un certain nombre d'opérateurs, parmi lesquels l'Office français de la biodiversité (OFB), le CNPF ou l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), qui travaillent ensemble à la pérennité de notre forêt.

Vanina Paoli-Gagin, les externalités positives ne figurent pas dans les indicateurs économiques. Nous souhaitons notamment prendre en compte le volume récolté, la part des forêts gérées durablement et les bois commercialisés.

Grégory Blanc, vous avez mentionné les difficultés rencontrées pour produire des plants. Effectivement, il en faut beaucoup et la production ne suit pas. Les crédits budgétaires ont augmenté en la matière. Nous avons pris en compte cette question dans le cadre de la restructuration de la filière bois. Par ailleurs, nous rencontrons des difficultés à trouver de la main d'oeuvre pour planter.

Michel Canévet, en ce qui concerne le déficit commercial, la forêt produit mais, souvent, le bois part à l'étranger pour revenir transformé. Différents plans ont été mis en place, qui doivent notamment permettre d'accroître nos capacités de séchage, qui devrait entraîner le développement de la filière de transformation et de commercialisation. Le déficit commercial de 9,5 milliards d'euros est largement dû aux activités de production des pâtes, papiers et cartons, qui représentent un déficit de 3,9 milliards d'euros, mais aussi aux activités liées à l'ameublement et aux sièges en bois, qui enregistrent un déficit de 3,4 milliards d'euros. En revanche, la balance commerciale s'améliore légèrement pour les produits des industries du bois et le déficit pourrait même légèrement diminuer. Il nous faut restructurer la filière et faire de la France un champion de la transformation du bois. Notre réseau s'appuie sur de trop petites structures : nous comptons 1 500 scieries en France mais aucune n'est capable de rivaliser sur le plan international.

Jean-Marie Mizzon, nous n'avons pas directement abordé la question du vol de bois en forêt. Cependant, nous avons traité celle du renforcement des sanctions contre les militants qui saccagent le matériel forestier, elle pourrait y être adjointe.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Madame Paoli-Gagin, le mécénat aux communes et les forêts pédagogiques sont de bonnes mesures, mais elles rencontrent des problèmes de financement. L'intervention de financements privés n'est pas du tout une mauvaise idée. Il y a encore des problèmes de conception et d'efficacité des outils pour intégrer les externalités positives aux évaluations : c'est un vieux problème en économie.

Isabelle Briquet, la Cour des comptes a évalué en 2020 à 1,16 milliard d'euros les dépenses totales en faveur de la filière forêt-bois. La cour procède depuis à une réévaluation sur la base de chiffres plus récents, comme nous l'avons fait. Comme nous l'expliquons dans le rapport, nous avons une approche plus large que la Cour de la notion de « dépense forestière », d'où cette évaluation de 1,45 milliard d'euros dispersés dans toute sorte de programmes et d'opérateurs.

Monsieur Laménie, il faut évidemment améliorer les données statistiques. Il y a là un problème de conception, de coordination et d'attribution des moyens aux différents opérateurs. Nous avons tous protesté contre la réduction trop importante des effectifs de l'ONF et la situation s'améliore, la loi de finances initiale pour 2024 ayant octroyé des ETP supplémentaires.

En ce qui concerne le cadastre, un énorme travail est à faire. L'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) ont fait des propositions chiffrées dans la campagne de régularisation cadastrale pour créer 100 postes de techniciens d'animation forestière pour un budget de 7 millions d'euros par an. Un appel à projets pour la création d'associations syndicales de gestion foncière a été lancé dans les documents-cadres de gestion de la forêt. Les propositions émises dans leur rapport de mars 2024 sont intéressantes.

Il n'est pas normal qu'avec 27 millions d'hectares de surface de forêts la filière soit déficitaire de 9,5 milliards d'euros ni que nous vendions du bois brut tout en important du bois travaillé de Chine ou d'ailleurs. Manifestement, il faut renforcer les structures intermédiaires et revoir l'organisation de la filière : il faut une grande politique forestière sur le temps long. Il y a des financements importants, mais il faut mieux coordonner les opérateurs et préciser les indicateurs de performance.

En ce qui concerne l'agrandissement des parcelles, plus de 60 % des volumes de bois livrés proviennent des parcelles de plus de 100 hectares. Il y a un seuil de rentabilité, et il faudrait, par des dispositifs fiscaux incitatifs, favoriser le regroupement des parcelles pour que celles-ci fassent plus de 4 hectares. Il faudrait également imposer des documents-cadres de gestion, notamment des plans simples de gestion (PSG). Ceux-ci sont actuellement obligatoires pour les parcelles forestières privées de plus de 20 hectares, mais faut-il également les rendre obligatoires en deçà de ce seuil ?

Monsieur Paccaud, un bureau doit peut-être se consacrer au dégel du cadastre. L'IGN doit y réfléchir : l'absence de coordination entre la DGFiP, les DDFiP et l'IGN est curieuse. Avec les nouveaux outils technologiques, notamment le Lidar, on devrait pouvoir augmenter la précision des mesures.

Georges Patient a expliqué les particularités de la Guyane, où la forêt est possédée à 95 % par l'État. Le décret qui fixe les missions initiales de l'IGN ne concerne que l'hexagone et ne prend pas en compte les outre-mer. Pourtant, sur les 27 millions d'hectares de forêts, il y en a plus de 8 millions en Guyane ; on y trouve plus de 2 000 espèces végétales, contre 200 en métropole. Cela fait des années que l'inventaire est repoussé. La nouvelle génération d Lidar est supposée être un outil révolutionnaire. Le Gouvernement doit prendre l'engagement de commencer l'inventaire au deuxième semestre 2024 pour qu'il y ait quelques résultats à la fin de 2025. Comment faire pour concilier préservation de la biodiversité et exploitation économique en Guyane ? Il faudra trancher ce sujet.

Sylvie Vermeillet a posé la question de la prévisibilité de la disparition des forêts du Grand Est. Je connais moins le sujet qu'elle, mais je suis également moins pessimiste. En ce qui concerne les scolytes, je suis incapable de répondre sur l'état de la recherche. De Gaulle disait en substance que, en France, il y a beaucoup de chercheurs, mais pas assez de trouveurs... La science va à son rythme, mais il faut peut-être davantage de recherche appliquée.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Le dégel du cadastre sous le prisme forestier est le cadet des soucis de la DGFiP. Bien souvent, les propriétaires ne font pas les démarches nécessaires en cas de changement d'affectation des terrains et de déprise agricole. Peut-être l'intelligence artificielle permettra-t-elle un jour de recouper les données du cadastre avec des images satellites, afin d'envoyer directement des courriers aux propriétaires fonciers ?

Georges Patient, le recul de la forêt est alarmant en Guyane, où 30 000 hectares ont été perdus ces dix dernières années, mais le rapport établit que ce recul concerne presque tous les outre-mer : 1 000 hectares perdus en Nouvelle-Calédonie, 2 600 hectares en Guadeloupe... La situation est préoccupante non seulement dans l'hexagone, mais également dans les outre-mer.

Sylvie Vermeillet, l'Inrae et l'OFB tentent de trouver des solutions sur le temps long pour faire face à l'invasion des scolytes, mais il n'y a pas de recette miracle. Les scolytes se trouvent aussi dans le massif vosgien. La seule solution est actuellement de couper à blanc pour éviter leur progression dans les parcelles limitrophes, avant de replanter, mais cette solution présente des limites.

Bernard Delcros, les dispositifs fiscaux, s'agissant de la lutte contre le morcellement, ne fonctionnent pas, car celui-ci s'accentue. Ils sont assez coûteux : le régime fiscal dit « Monichon » coûte effectivement 91 millions d'euros par an, mais son efficacité est sujette à caution. Peut-être faudrait-il conditionner l'exonération fiscale à un plan simple de gestion et favoriser la vente de parcelles provisoirement exonérées pour créer des associations de gestion par massif ? Il faut trouver une solution pour regrouper le petit parcellaire inexploité, qui ne profite à personne ni économiquement ni écologiquement. Ces questions excèdent un peu notre mission de contrôle budgétaire...

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Ce dispositif pèse tout de même 91 millions d'euros sur 403 millions d'euros de dépenses fiscales.

Isabelle Briquet demandait pour quelles raisons notre évaluation différait de celle de la Cour des comptes. Pour arriver à un total de 1,16 milliard d'euros, la Cour des comptes fait la moyenne totale des dépenses budgétaires entre 2015 et 2018, alors que nous avons travaillé sur la période entre 2019 et 2022. La Cour des comptes prend en considération des crédits budgétaires portés par les différents ministères concernés, ainsi que les dépenses fiscales mais en retenant un périmètre moins large que nous. Par ailleurs, elle fait face, comme nous, à une évaluation floue des dépenses forestières des collectivités territoriales. Elle prend également en compte divers fonds européens, des financements interprofessionnels ou des fonds portés par d'autres organismes publics, ainsi que, parfois, le mécénat.

Le ministère de l'agriculture a publié un document officiel, « alim'agri », qui indique qu'il y a 17 millions d'hectares de forêts en métropole en 2021, qu'environ 138 espèces d'arbres se trouvent dans la forêt métropolitaine - il y en a en réalité environ 200 d'après ce qui nous a été dit -, et que 72 % de ces forêts sont composées de feuillus et 28 % de résineux. À l'époque, l'industrie du bois produisait 37 millions de mètres cubes - nos chiffres sont actualisés ; elle comportait 395 000 emplois et la construction en bois 28 000 emplois, soit un peu plus que les 415 000 emplois que nous avons comptés. En 2020, la filière comptait 2 336 entreprises, qui produisaient 19 millions de mètres cubes de bois d'oeuvre, 10 millions de mètres cubes de bois d'industrie et 8 millions de mètres cubes de bois d'énergie. Aujourd'hui, ces chiffres ont un peu augmenté, car des emplois ont été créés.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire - Cabinet de M. Marc Fesneau, ministre

- M. Tom MICHON, conseiller budgétaire, emploi, protection sociale et gestion des risques ;

- M. Louis de REDON de COLOMBIER, conseiller ressources naturelles, biodiversité, forêt-bois.

Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire - Sous-direction Filières forêt-bois, cheval et bioéconomie de la direction générale des entreprises de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises

- Mme Marie-Aude STOFER, adjointe au sous-directeur.

Ministère de la Transition écologique - Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature

- M. François BONNET, délégué ministériel forêt-bois.

Groupe d'études sénatorial « Forêt et filière bois »

- Mme Anne-Catherine LOISIER, présidente.

Office national des forêts (ONF)

- M. Jean-Yves CAULLET, président du conseil d'administration ;

- Mme Valérie METRICH-HECQUET, directrice générale.

Centre national de la propriété forestière (CNPF)

- Mme Anne-Marie BAREAU, présidente ;

- M. Roland de LARY, directeur général.

Fédération nationale des Communes forestières (FNCOFOR)

- M. Philippe CANOT, président ;

- M. Alain LESTURGEZ, directeur général ;

- Mme Françoise ALRIC, directrice adjointe.

Interprofession France Bois Forêt

- Mme Anne-Catherine LOISIER, présidente du groupe forêt-bois et représentante de la FNCOFOR au conseil d'administration de France Bois Forêt ;

- M. Nicolas DOUZAIN-DIDIER, délégué général de la fédération nationale du bois représentant les exploitants forestiers, les scieurs et les industriels du bois (secteurs de la construction, de l'énergie et de la palette) ;

- M. Maxime CHAUMET, directeur général.

Météo France

- M. Benoît THOMÉ, directeur des relations institutionnelles.

Institut national de l'information géographique et forestière (IGN)

- M. Sébastien SORIANO, directeur général ;

- Mme Nathalie ELTCHANINOFF, directrice adjointe opérationnelle à la direction des programmes et de l'appui aux politiques publiques.

Réseau Mixte Technologique français pour l'adaptation des forêts au changement climatique (RMT AFORCE)

- M. François MORNEAU, coordinateur du réseau ;

- Mme Cécile NIVET, animatrice du réseau.

Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA)

- M. Jérôme BOUTANG, directeur général ;

- M. Étienne MATHIAS, chef du département « Agriculture - forêt » ;

- Mme Mélanie JUILLARD, ingénieure en charge du secteur des terres.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Office français de la biodiversité (OFB)

- M. Olivier THIBAULT, directeur général ;

- M. Denis CHARISSOUX, directeur général délégué Ressources.

Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

- M. Thierry CAQUET, directeur scientifique environnement ;

- M. Marc GAUCHÉE, conseiller pour les relations parlementaires et institutionnelles.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Prévoir, au premier semestre 2025, un bilan d'étape de l'inventaire forestier ultra marin et élargir l'ensemble des missions de l'IGN aux outre-mer.

Gouvernement, IGN

1er semestre 2025

Publication d'un rapport d'étape

2

Assurer une gestion pro-active de la forêt et une exploitation forestière efficace, notamment en luttant mieux contre les opérations sauvages visant à empêcher l'action des propriétaires exploitants.

ONF, Ministère de l'intérieur

Immédiat

Tous moyens

3

Encourager les opérations de sensibilisation à la cause forestière, en développant notamment les classes de découverte forestière qui pourraient bénéficier pour partie d'un financement public à destination des familles les moins aisées.

Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Automne 2024

PLF 2025

4

Lier davantage les contraintes de gestion forestière à la durabilité de la forêt et non aux seules caractéristiques des propriétés.

Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Courant 2025

Loi, pouvoir règlementaire

5

Questionner la pertinence des dépenses fiscales à destination de la filière forêt bois, en particulier l'exonération de 75 % de la valeur des droits de mutations à titre gratuit (donation, leg, succession) pour les terrains en nature de bois et forêt (dispositif dit « Sérot Monichon »).

Parlement, ministère de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Automne 2024

PLF 2025

6

Déterminer, en lien avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), des modalités d'identification plus précises, par les collectivités territoriales, de leurs ressources et dépenses forestières.

Parlement, DGFiP, FNCOFOR

Courant 2025

Circulaire, instruction

7

Produire un recensement exhaustif des dépenses publiques de l'État consacrées à la filière permettant de déterminer un coût annuel de la politique forestière de la France, par exemple en créant une nouvelle annexe au projet de loi de finances (« jaune budgétaire »).

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Automne 2024

PLF 2025, instruction

8

Lancer à court terme une campagne de régularisation du cadastre forestier afin de le fiabiliser, en comparant les données géographiques et cadastrales.

DGFiP

Immédiat

Instruction

9

Prévoir, de la part du délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages qu'il rende compte des actions conduites pour améliorer la structuration de la filière économique du bois et initier une véritable politique publique pluriannuelle de restructuration.

Gouvernement, délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages

Courant 2025

Publication d'un document

10

Modifier les indicateurs de performance économique liés à la forêt du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » de la mission « AAFAR ».

Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Automne 2024

PLF 2025


* 1 Conformément à l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, « les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances suivent et contrôlent l'exécution des lois de finances et procèdent à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques. Cette mission est confiée à leur président, à leur rapporteur général ainsi que, dans leurs domaines d'attributions, à leurs rapporteurs spéciaux et chaque année, pour un objet et une durée déterminés, à un ou plusieurs membres d'une de ces commissions obligatoirement désignés par elle à cet effet. À cet effet, ils procèdent à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles. »

* 2 Les rapporteurs ont notamment pris connaissance, sans prétendre à l'exhaustivité, des rapports suivants :

- Vers une filière intégrée de la forêt et du bois - Rapport CGEDD n° 008736-01, CGAAER n° 12163, CGEIET n° 2012/35, avril 2013 ;

- La filière forêt bois - Synthèse de rapports, Rapport CGAAER n°14060, mai 2015 (méta analyse réalisée à partir de vingt rapports publiés entre 2003 et 2014) ;

- Pour une meilleure valorisation économique de la filière bois forêt en France - Rapport d'information n° 3131 de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale de Mme Pascale Got et M. Damien Abad, octobre 2015 ;

- Rapport de mission de la déléguée interministérielle à la forêt et au bois - Rapport CGEDD n° 011010-01, mars 2017 ;

- Une nouvelle stratégie pour l'office national des forêts et les forêts françaises - Rapport d'information n° 563 (2018-2019) de Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques, juin 2019 ;

- La structuration de la filière forêt-bois, ses performances économiques et environnementales - Communication de la Cour des comptes à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, avril 2020 ;

-L'avenir de la forêt et de la filière bois - Rapport de Mme Anne-Laure Cattelot députée, remis au Ministre de l'agriculture et à la secrétaire d'État chargée de la biodiversité, septembre 2020 ;

- Feux de forêt et de végétation - prévenir l'embrasement Rapport d'information n° 856 (2021-2022) de M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin et Olivier RIETMANN, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, août 2022 ;

- L'action publique en faveur de l'adaptation au changement climatique - Rapport public annuel de la Cour des comptes, mars 2024 ;

- Mise en gestion durable de la forêt française privée - rapport conjoint de l'IGF, l'IGEDD et du CGAAER remis au Premier ministre, avril 2024.

* 3 Il a, depuis cette audition, été remplacé par un délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages par un décret du 10 avril 2024, M. Jean-Michel SERVANT, une évolution vers l'inter-ministérialité dont les rapporteurs spéciaux se réjouissent tout en soulignant qu'elle traduit une prise conscience gouvernementale bien tardive.

* 4 Les « guerres de religion en France » qualifient une série de huit conflits religieux entre 1562 et 1598.

* 5 Phrase extraite du préambule de « l'Ordonnance de Louis XIV, roi de France et de Navarre, sur le fait des Eaux et forests, donnée à S. Germain en Laye au mois d'août 1669 ».

* 6 Cette plateforme en ligne est consultable via le présent lien.

* 7 Le nombre d'espèces d'arbres diffère selon les organismes sollicités, selon que l'on prend en compte les sous-espèces et que l'on exclut ou non quelques espèces présentes marginalement.

* 8 Cf. la page consacrée à la forêt guyanaise sur le site Internet de l'IGN, consultable via le présent lien.

* 9 Le GIP Ecofor a été créé en 1993 pour dix ans, renouvelé en 2003 et en 2013, qui regroupe plusieurs organismes forestiers français.

* 10 Ces 15 millions d'euros sont inscrits au sein de la sous-action 29.10 « Forêt en outre-mer » du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agroalimentaire et de la forêt » de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » de la loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 11 Entre le vote des crédits et le lancement effectif de l'inventaire, la préparation des équipes amenées à réaliser l'inventaire forestier, dans des zones ultra-marines particulièrement reculées et inhospitalières en Guyane, prend un temps considérable. Le directeur général de l'IGN dont les équipes réaliseront l'inventaire a eu l'occasion de présenter aux rapporteurs spéciaux les contraintes particulières qui s'attachent à une telle opération.

* 12 Ce décret annule, pour 2024, des crédits d'un montant de 10 000 000 000 d'euros en autorisations d'engagement et de 10 175 995 162 d'euros en crédits de paiement applicables à plusieurs programmes votés en loi de finances moins de deux mois plus tôt, dont environ 70,5 millions d'euros pour la seule mission « Agriculture, Alimentation, forêt et affaires rurales ».

* 13 Un grand nombre de parlementaires des outre-mer a, depuis, attiré l'attention du ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire. Tout en indiquant regretter cette situation, M. le ministre Marc Fesneau n'a pas, à ce jour, résorbé cette situation.

* 14 Cf. par exemple l'arrêté du 5 mai 2017 modifiant l'arrêté du 9 avril 2001 relatif à la liste des espèces végétales protégées en région Guyane , consultable via le présent lien.

* 15 Il s'agit d'une forêt relevant d'une section de commune, au sens de l'article L. 2411-1 du Code général des collectivités territoriales : « Constitue une section de commune toute partie d'une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune. » 

* 16 La loi n° 2001-602 d'orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 est consultable via le présent lien.

* 17 Code de bonnes pratiques sylvicoles.

* 18 Règlement type de gestion.

* 19 Plan simple de gestion.

* 20 Cf infra.

* 21 « Programme de reconnaissance des certifications forestières ».

* 22 Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

* 23 Concrètement, ce sont parfois plusieurs millions d'euros de matériel forestier qui sont détruits avec un simple cutter dans des zones.

* 24 Pour une incertitude statistique de l'ordre de 0,6 Mm/an.

* 25 Cf la page de l'IGN à ce sujet : https://foret.ign.fr/themes/attenuation-effet-de-serre.

* 26 Ce rapport est consultable via le présent lien.

* 27 Des facteurs chimiques ayant un impact sur le vivant.

* 28 Il s'agit pour simplifier de petits vers.

* 29 Cf. rapport précité.

* 30 L'article 793 du code général des impôts (CGI) institue le dispositif dit Monichon correspondant à une exonération des 3/4 de la valeur des droits de mutations à titre gratuit (donation, leg, succession) pour les terrains en nature de bois et forêt. La demande est effectuée par le notaire en charge de la mutation à titre gratuit. Ce dispositif est tiré du nom de Max Monichon, ancien sénateur de la Gironde.

* 31 L'article 976 du CGI prévoit une exonération des 3/4 de l'assiette imposable (valeur de la Forêt) pour les contribuables redevables de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). La demande est effectuée par le propriétaire.

* 32 Les sources de financement des parcs nationaux sont multiples : État, OFB, collectivités territoriales, Union européenne mais aussi recettes propres.

* 33 L'IGN a fourni une liste non exhaustive de onze pays en avance sur la France dans l'utilisation de Lidar.

* 34 Anticipant une préconisation des rapporteurs spéciaux, le Gouvernement a conféré par un décret du 5 avril une compétence interministérielle au délégué, lequel a pris s'est substitué au délégué ministériel forêt-bois.

* 35 La loi Pisani de 1963 a voulu cette distinction entre un opérateur des forêts publiques et un opérateur dédié aux propriétaires forestiers privés pour différencier ces perceptions différentes d'une même nature d'occupation du sol.

* 36 Interrogés à ce sujet, l'ONF et le CNPF ont confirmé échanger régulièrement sur la R&D, le dérèglement climatique, la pression du gibier et les sujets sanitaires.

* 37 La valeur ajoutée et les ETP du secteur sont calculés chaque année à partir du Tableau Emploi Ressource (TER) élaboré par la Veille Économique Mutualisée de la filière forêt-bois. D'après les éléments transmis aux rapporteurs spéciaux ce TER, créé à partir de l'étude Lochu (2015), est en cours de refonte pour mieux représenter la réalité.

* 38 Les caractéristiques de la balance commerciale du secteur sont détaillées sur les publications du SSP-Agreste (organisme de statistique agricole): https://www.agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/SynBoi23407/consyn407202306-Bois.pdf et les données brutes sont accessibles sur Agreste : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/COMEXTBOIS/detail/.

* 39 Les éléments disponibles sont analysés par l'IGN dans les rapports périodiques sur les indicateurs de gestion durable des forêts françaises : https://foret.ign.fr/IGD/fr/.

* 40 Cf. les articles L. 131-10 à L 131-16 et L.134-5 à L.134-18 du code forestier.

* 41 Loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.

Partager cette page