B. DEUXIÈME PARTIE : L'APPLICATION DES LOIS PAR SECTEUR DE COMPÉTENCES
1. Enseignement scolaire et enseignement supérieur
6 lois font, cette année, l'objet d'une analyse détaillée au titre des secteurs de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur. Trois d'entre elles sont désormais pleinement applicables quand les trois autres, dont celle visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré issue du texte déposé par Pierre-Antoine Levi, sont toujours en attente de l'ensemble de leurs mesures d'application.
a) Loi n° 2023-265 du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
D'initiative sénatoriale465(*), la loi n° 2023-265 du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, dite « loi Levi », consacre le principe d'un accès de tous les étudiants à une restauration à tarification modérée et prévoit le versement d'une aide financière à ceux qui en seraient privés.
Cette loi est née de la volonté de combattre la précarité alimentaire des étudiants mise en lumière lors de la crise sanitaire. Elle vise à permettre à tous les étudiants, en particulier dans les villes moyennes et en zone rurale, de pouvoir se nourrir à des prix abordables. Dans cet objectif, elle prévoit que les étudiants peuvent manger dans un restaurant universitaire ou dans des structures, publiques ou privées, conventionnées par le réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) - comme des lycées, des mairies, des hôpitaux ou des restaurants conventionnés privés. Les conventions de restauration, qui existent déjà dans certains territoires, ont ainsi vocation à être généralisées pour éviter l'existence de « zones blanches » de la restauration universitaire. Les étudiants concernés disposeront d'une aide financière pour pouvoir payer tout ou partie d'un repas auprès d'une structure conventionnée.
L'article 1er de la loi renvoie à un décret en Conseil d'État la définition des modalités de mise en oeuvre de ce dispositif.
La commission constate avec regret que ce décret n'a pas été encore pris, alors que la question de l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré revêt un vrai degré d'urgence.
Elle note toutefois que, dans l'attente de la publication de ce décret, une circulaire de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) du 4 décembre 2023 est venue préciser le cadre de ce texte. Dans cette circulaire, la Dgesip demande aux recteurs de se mobiliser « sans attendre » pour mettre oeuvre cette loi. Les recteurs sont tenus de soutenir les Crous pour développer de nouveaux conventionnements, et d'établir une cartographie des sites de formation où, faute d'offre de restauration universitaire, une aide financière devra être versée aux étudiants.
L'article 2 de la loi prévoit la remise au Parlement d'un rapport annuel sur le bilan de l'accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré. Le dispositif n'étant pas encore entré en application, ce rapport n'a logiquement pas été rendu.
b) Loi n° 2022-1574 du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation
Cette proposition de loi, qui ouvre la possibilité de recruter les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) en contrat à durée indéterminée à l'issue d'un seul contrat à durée déterminée, contre deux précédemment, comprenait deux mesures d'application qui ont été rapidement publiées.
Concernant la CDIsation des AESH ayant exercé cette fonction pendant six ans, le décret n° 2023-597 du 13 juillet 2023 est venu préciser les modalités d'application de cette mesure. Celui-ci, pris à quelques semaines de la rentrée scolaire, était attendu par les AESH, mais aussi par les chefs d'établissement466(*).
En ce qui concerne la CDIsation des assistants d'éducation (AED), la commission a rappelé lors de l'examen du texte que cette disposition était entrée en vigueur entre temps par l'article 10 de la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire.
Le décret d'application a été pris le 9 août 2022. Néanmoins, la commission a souhaité maintenir l'article 2 du texte au regard des difficultés d'application de la mesure sur le terrain, et a appelé à la rédaction d'une circulaire ministérielle pour « inciter les rectorats et les chefs d'établissement à se saisir de cette disposition »467(*).
Si aucune circulaire ministérielle n'a été prise, plusieurs circulaires académiques relatives à ce sujet ont été publiées pour rappeler les modalités de CDIsation des AED ayant six ans d'ancienneté. Tel est le cas de la circulaire académique du 14 décembre 2022 du recteur de Nantes - publié le jour de l'adoption en séance de ce texte au Sénat -, mais aussi de la circulaire académique du 26 janvier 2023 du recteur de Grenoble ou encore de celle du 9 mai 2023 par le recteur de l'académie de Toulouse.
c) Loi n° 2021-1716 du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d'école
Sur les 6 mesures d'application attendues, 3 n'avaient pas été prises lors du dernier contrôle de l'application des lois en avril 2023, pour cette loi datant de la session 2021-2022. Le décret du 14 août 2023 est venu préciser les trois mesures attendues restantes, rendant la loi pleinement applicable.
Ce texte réglementaire précise notamment les conditions dans lesquelles les enseignants nommés dans un emploi de directeur d'école bénéficient d'un avancement accéléré au sein de leur corps. Les directeurs d'école ainsi que les enseignants faisant fonction de directeur d'école ont une bonification de trois mois par année entière de direction.
Il précise également les conditions dans lesquelles le directeur d'école est nommé parmi les personnes inscrites sur une liste d'aptitude. Ce décret a également précisé les conditions dans lesquelles, dans le cas de vacances d'emplois de directeur d'école, des instituteurs et des professeurs des écoles non-inscrits sur la liste d'aptitude peuvent être nommés à leur demande. Il s'agissait d'un apport majeur du Sénat, permettant d'assouplir les conditions de nomination des directeurs d'école : en effet, en raison de vacances de postes, entre 20 et 25 % des écoles ont un enseignant « faisant fonction » de directeur d'école qui n'est donc pas inscrit sur la liste d'aptitude avant leur prise de fonction.
Lors de l'examen de ce texte, la commission avait insisté sur la nécessité de mieux former et accompagner les directeurs d'école. Au cours de la navette parlementaire, une disposition sénatoriale relative à ce sujet a été supprimée. Néanmoins, répondant à la demande de la commission, le décret est venu préciser les conditions de formation des directeurs d'école : tout directeur nouvellement reçoit une formation dans les six mois qui suivent sa prise de fonction, en complément de celle dont il a bénéficié avec son inscription sur la liste d'aptitude. Par ailleurs, tout enseignant faisant fonction de directeur doit également bénéficier d'une formation dans les quatre mois suivant sa prise de fonction.
Enfin, ce décret définit les missions des directeurs d'écoles des écoles maternelles et élémentaires permettant la mise à jour du référentiel de leurs tâches qui date de plus de dix ans, alors que leurs tâches n'ont eu de cesse de se complexifier et leurs responsabilités de se renforcer. Il précise qu'il a autorité sur l'ensemble des personnes présentes dans l'école pendant le temps scolaire, incluant les personnels des collectivités territoriales et qu'il organise notamment « le travail des agents communaux ». Le texte prévoit également une évaluation des directeurs nouvellement nommés dans les trois ans qui suivent la prise de fonction, puis au moins une fois tous les cinq ans.
d) Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur
La loi de programmation de la recherche (LPR), dont l'examen a constitué une étape majeure pour le secteur de la recherche publique en planifiant une augmentation progressive de son budget de 5 milliards d'euros en dix ans, a été promulguée le 24 décembre 2020.
En dépit d'un retard substantiel par rapport au calendrier annoncé (achèvement du programme de publication initialement prévu pour l'automne 2021), la majorité des textes d'application a été publiée entre le quatrième trimestre 2021 et le premier semestre 2022.
L'année dernière, la commission constatait que deux textes d'application faisaient encore défaut, ce qui est toujours le cas à ce jour. Il s'agit :
- du décret relatif à l'application spécifique des chaires de professeur junior (CPJ) aux personnels enseignants et hospitaliers ;
- de l'arrêté portant sur la diversification du recrutement des étudiants par les établissements d'enseignement supérieur.
Interrogé sur le sujet, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche indique qu'un travail est en cours sur ces mesures réglementaires, mais qu'il n'est pas en mesure de donner une date précise de publication.
e) Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance
Deux dispositions de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance restent à ce jour en attente d'application : l'une concerne l'élaboration de conventions relatives à la coopération entre les établissements et services sociaux et médico-sociaux et les établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap (article 30) et l'autre vise à mettre en place un dispositif intégrant les établissements scolaires et les services médico-sociaux pour accompagner les élèves, adolescents et jeunes adultes présentant des difficultés psychologiques dont l'expression perturbe gravement la socialisation et les apprentissages (article 31).
Cet article prévoit notamment la conclusion d'une convention entre les établissements et services intéressés dans le cas où le dispositif intégré fait appel à plusieurs établissements ou services.
Sollicités les années précédentes sur les raisons de ce retard, les services du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse ont souligné la complexité d'élaboration de ces mesures. Un premier projet de décret avait été rédigé début 2021. Néanmoins, à la suite de la réaction négative du Conseil national des personnes handicapées (CNCPH) en juin 2021, sa rédaction a dû être revue.
À ce jour, les textes d'application n'ont pas encore été pris. Toutefois, le 3 avril dernier, un projet de décret a été examiné au sein du conseil supérieur de l'éducation qui vise à « éviter les ruptures de parcours de scolarisation des enfants et adolescents en situation de handicap ». Ce texte prévoit notamment les modalités de fonctionnement en dispositif intégré des établissements de services médico-sociaux à travers l'élaboration d'un cahier des charges permettant d'unifier les pratiques, ainsi qu'une facilitation des parcours entre les différentes modalités d'accompagnement.
Par ailleurs, il prévoit la mise en place d'une convention-cadre réunissant la direction académique des services de l'éducation nationale, la maison départementale des personnes handicapées ainsi que l'agence régionale de santé. Les collectivités locales peuvent également être signataires.
f) Loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique
L'article 14 de la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique prévoit pour les personnes titularisées dans un corps enseignant une prise en compte, pour la constitution et la liquidation de leur droit à pension de retraite, des périodes pendant lesquelles un étudiant a perçu une allocation d'enseignement ou une allocation de première année d'IUFM (institut universitaire de formation des maîtres). Toutefois, ce dispositif était inapplicable par défaut d'un texte d'application et ces périodes non prises en compte dans le calcul de la retraite des personnes concernées.
L'absence de publication de ce décret a fait l'objet d'un débat au Sénat à l'occasion de la discussion en mars 2023 en séance publique de l'amendement de M. Rietmann et plusieurs de ses collègues468(*) lors l'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, portant notamment la réforme des retraites. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a indiqué à cette occasion que le gouvernement avait « découvert la nécessité de ce chantier avec la présente réforme »469(*).
Plus de 32 ans après le vote de la loi, le décret n° 2023-1355 du 28 décembre 2023 est venu préciser les conditions d'application de l'article 14 mentionné ci-dessus. Il précise que pour la constitution du droit à pension et la liquidation de celle-ci est prise en compte la moitié de la période de perception de l'allocation d'enseignement. Interrogé par la sénatrice Laure Darcos à ce sujet470(*), le ministère a justifié ce mode de calcul par le fait qu'un « rapport du Sénat de 1991 sur le projet de loi montre que l'intention initiale du législateur visait à prendre en compte les durées pour le tiers. La décision du Gouvernement est donc plus favorable que celle qui avait été envisagée lors de la création du dispositif ».
La demande de prise en compte de ces périodes doit être effectuée au plus tard douze mois avant la date à laquelle la personne est éligible à un départ à la retraite471(*).
2. Culture
Deux lois consacrées au secteur de la culture font l'objet cette année d'une analyse détaillée. La première, adoptée lors de la session 2022-2023, est désormais totalement applicable. La seconde, issue du texte déposé au Sénat en 2021 par Laure Darcos et visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs, ne l'est encore que partiellement.
a) Loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
La loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 a simplifié le dispositif de restitution des biens culturels spoliés pendant la période nazie en instituant dans le code du patrimoine les procédures de restitution ou de réparation de la spoliation applicables :
- d'une part aux biens culturels appartenant aux collections de l'État et des collectivités territoriales, pour lesquels elle a par ailleurs créé une dérogation au principe d'inaliénabilité des biens culturels du domaine public (article 1er). Les décisions portant sur la sortie des collections de ces biens aux fins de leur restitution, ou sur d'autres modalités de réparation définies par voie conventionnelle, interviennent après avis public d'une commission administrative placée sous l'autorité du Premier ministre ;
- d'autre part aux biens relevant des collections des propriétaires de musées privés ayant reçu l'appellation « musée de France », selon les mêmes modalités (article 2).
A été renvoyée à la voie réglementaire la définition du champ de compétence, de la composition et des modalités de fonctionnement de cette commission administrative, celle des modalités de réparation autres que la restitution, et enfin celle de la procédure applicable aux biens des musées privés, qui devaient toutes être déterminées par décret en Conseil d'État.
En précisant l'ensemble des éléments attendus, le décret n° 2024-11 du 5 janvier 2024 a rendu cette loi pleinement applicable. Ce texte institue la commission pour la restitution des biens et l'indemnisation des victimes de spoliations antisémites (article 1er), dont il précise les compétences (article 2) ainsi que la composition (articles 3 à 5). Les modalités de la saisine individuelle de cette commission sont déterminées par son article 6 ; les conditions dans lesquelles elle se prononce sur ces demandes sont prévues par les articles 7 à 14. La procédure d'avis sur la restitution des biens culturels est prévue par les articles 17 à 21. Le décret comporte enfin des dispositions relatives aux crédits de fonctionnement de la commission (article 15) et à son rapport d'activité annuel (article 16), ainsi que des dispositions d'harmonisation (articles 22 et 23) et transitoires (articles 25 et 26).
b) Loi n° 2021-1901 du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs
La proposition de loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs a été déposée au Sénat par Laure Darcos le 21 décembre 2020. Elle a été examinée en commission de la culture le 2 juin 2021 sur le rapport de Céline Boulay-Espéronnier, et adoptée en séance publique le 8 juin 2021. La proposition a ensuite été examinée par l'Assemblée nationale en séance publique le 6 octobre 2021, puis adoptée sans modification au Sénat le 16 décembre 2021, après un examen suivant la procédure de législation en commission le 23 novembre 2021.
La loi a été promulguée le 30 décembre 2021.
En plus d'apporter diverses améliorations aux relations contractuelles entre auteurs et éditeurs et de fixer des règles sur le dépôt légal numérique, la loi insère dans notre droit une mesure emblématique, la fixation de frais de port minimum pour l'envoi de livres, afin de permettre aux libraires de résister face à la concurrence des plateformes exclusivement en ligne.
La loi du 30 décembre 2021 appelait à quatre interventions réglementaires. Il n'en reste à ce jour plus qu'une à prendre.
L'arrêté prévu à l'article 1er et fixant un montant minimal de tarification pour l'envoi a été publié le 4 avril 2023.
Après notification à la Commission européenne, le décret n° 2023-497 du 22 juin 2023 relatif aux modalités de communication au public du prix des offres de livres neufs et de livres d'occasion est entré en vigueur le 23 décembre 2023.
À l'article 2, le décret n° 2022-921 du 21 juin 2022 a fixé les conditions dans lesquelles les communes, leurs groupements, la collectivité de Saint-Barthélemy et la collectivité de Saint-Martin peuvent attribuer des subventions à des établissements existants ayant pour objet la vente au détail de livres neufs.
En revanche, le décret prévu à l'article 5 sur les modalités d'application du dépôt légal des contenus numériques est encore en cours de préparation, avec des échanges denses entre les différents opérateurs concernés et les administrations.
3. Communication
Deux lois relatives à la communication méritent cette année de faire l'objet d'une analyse détaillée. La loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, adoptée en 2023, rencontre d'importantes difficultés d'application. La seconde, visant à réguler l'activité des enfants « YouTubers », attend depuis 2020 la publication d'un décret qui rend l'ensemble de ses dispositions inapplicables.
a) Loi n° 2023-566 du vendredi 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne
La proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne a été déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 17 janvier 2023 à l'initiative de Laurent Marcangeli et adoptée en séance publique le 2 mars 2023.
Saisie de ce texte, la commission de la culture a désigné Alexandra Borchio Fontimp rapporteure. Le Sénat a adopté la proposition de loi le 23 mai 2023. Suite à une commission mixte paritaire conclusive, la loi a finalement été promulguée le 8 juillet 2023.
Cette loi a pour principal objectif de réguler l'accès des mineurs de 15 ans aux réseaux sociaux, en instaurant un contrôle obligatoire par les plateformes et l'obligation, avant l'âge requis, de recueillir l'accord des responsables légaux.
Son application, comme l'avait pressenti le Sénat, et au-delà de ses objectifs parfaitement légitimes, s'est cependant heurtée à deux écueils qui n'ont jusqu'à présent pas permis son application.
D'une part, des difficultés techniques à mettre en place un mécanisme de vérification de l'âge des internautes au moment de l'inscription sur la plateforme compatible avec le respect de la protection de la vie privée. On peut remarquer qu'une même incertitude plane en matière de contrôle de l'accès aux sites pornographiques pour les mineurs, comme l'ont illustré les débats sur le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique. À ce jour, il n'existe en effet pas de système qui remplisse l'ensemble des contraintes, en dépit de quelques avancées technologiques.
D'autre part, des difficultés juridiques. Le projet de loi a fait l'objet d'une procédure de notification auprès de la Commission européenne en application de la directive du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information.
Par précaution, le Sénat avait d'ailleurs introduit une disposition suspendant l'application de la loi à la prise en compte des observations de la Commission. Cependant, la Commission européenne a dans sa réponse adressée au gouvernement français dénoncé pour la première fois ce mécanisme législatif qui lui parait dorénavant contraire à l'esprit communautaire. Plus contraignant, sur le fond, la Commission a jugé cette loi, ainsi que celle du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, largement incompatibles avec le droit européen, notamment le Règlement sur les services numériques (RSN). Par ailleurs, le 9 novembre 2023, la Cour de Justice de l'Union européenne a rendu un très important arrêt dans l'affaire « KommAustria » opposant le gouvernement autrichien aux grandes plateformes Tik tok, Meta et Google. Cet arrêt est fondamental, car la Cour y limite très fortement le pouvoir des États quant à leur faculté d'imposer au niveau national des obligations aux plateformes établies dans un autre État membre de l'Union européenne, que ce soit par des mesures générales et abstraites, mais également par des mesures individuelles.
Dès lors, et à date, il n'a pas été possible d'appliquer la loi sur la majorité numérique.
L'article 35 du projet de loi d'adaptation au droit de l'Union (DADUE), tel qui résulte des travaux de la commission mixte paritaire conclusive du 4 avril 2024, fixe un délai de 3 mois au Gouvernement pour remettre un rapport au Parlement comportant les mesures législatives nécessaires à l'entrée en vigueur de cette loi.
b) Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne
La proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne a été présentée le 17 décembre 2019 par Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, et adoptée à l'unanimité le 12 février 2020. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a examiné le 17 juin 2020 le rapport de Jean-Raymond Hugonet, et a adopté un texte légèrement modifié également à l'unanimité le 25 juin 2020. L'Assemblée nationale a définitivement adopté le texte du Sénat le 6 octobre 2020.
Cette loi vise à donner un statut aux enfants dits « Youtubers ». Des parents mettent en effet en ligne sur les plateformes des vidéos souvent ludiques de leurs enfants, et peuvent en certains cas en retirer des sommes conséquentes, que ce soit par la monétisation publicitaire des contenus ou bien par le biais de partenariats avec des marques. Or s'il existe un statut spécifique pour les « enfants du spectacle », tel n'est pas le cas ici, ce qui peut inciter à des dérives préjudiciables à terme aux mineurs précocement exposés et qui ne bénéficient d'aucune garantie de pouvoir un jour percevoir les sommes encaissées par leurs tuteurs légaux.
Le rapport, prévu à l'article 7 du texte, qui prévoit la remise dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi (soit pour avril 2021), d'une évaluation du renforcement de la protection des données des mineurs depuis la mise en place de la loi dite « RGPD a finalement été remis au Parlement le 6 septembre 2023.
L'application de cette loi doit cependant faire l'objet d'une mesure réglementaire qui n'a toujours pas été prise. Il s'agit du décret en Conseil d'État prévu à l'article 3 fixant le seuil de durée cumulée ou de nombre des contenus au-dessus duquel la diffusion de l'image d'un enfant de moins de seize ans sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l'enfant en est le sujet principal, est soumise à une déclaration auprès de l'autorité compétente par les représentants légaux n'a toujours pas été publié. L'absence de ce décret rend caduc l'essentiel de la loi.
4. Jeunesse et sports
Deux lois consacrées aux secteurs de la jeunesse et du sport font l'objet cette année d'une analyse détaillée. Si un des articles délégués au fond à la commission de la culture sur la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques nécessite encore la publication d'un décret pour être applicable, toutes les mesures réglementaires de la loi de 2022 visant à démocratiser le sport en France ont quant à elles étaient prises.
a) Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions (délégation au fond sur les articles 17, 18 et 21)
La commission a été saisie d'une délégation au fond sur les articles 12, 13 et 14 du projet de loi, devenus les articles 17, 18 et 21 du texte définitif.
Si les articles 18 et 21 sont d'application directe, l'article 17 nécessite des mesures d'application. Est particulièrement attendu le décret fixant les conditions dans lesquelles les organisateurs de manifestations sportives doivent prévoir des titres nominatifs, dématérialisés et infalsifiables. La loi dispose que cette mesure doit entrer en vigueur avant le 1er juillet 2024, c'est-à-dire avant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris.
- le décret n° 2023-750 du 9 août 2023, non prévu par la loi, porte création de contraventions relatives aux atteintes à la sécurité des manifestations sportives. D'une part, il crée une contravention applicable aux personnes qui font usage de la force ou qui utilisent des subterfuges pour pénétrer sans billet au sein d'une enceinte lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive. D'autre part, il crée une contravention applicable aux personnes qui pénètrent sans motif légitime sur l'aire de compétition d'une enceinte sportive (article 17 de la loi) ;
- un décret en Conseil d'État est attendu sur les conditions dans lesquelles les organisateurs de manifestations sportives exposées à un risque de fraude prévoient des titres nominatifs, dématérialisés et infalsifiables (article 17 de la loi).
b) Loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France
Sur les 59 articles que comporte cette loi, onze articles nécessitaient l'adoption de dispositions réglementaires pour leur mise en oeuvre.
Certaines de ces mesures ont été prises très rapidement, dès 2022 :
- le décret n° 2022-673 du 26 avril 2022 précise les conditions dans lesquelles la durée maximale du premier contrat de travail d'un sportif sortant de formation peut être portée de trois à cinq ans, lorsque l'accord collectif de discipline le prévoit ;
- le décret n° 2022-747 du 28 avril 2022 liste les catégories de personnes ne pouvant pas détenir de participation au capital ni de droits de vote au sein de la société commerciale créée par une ligue sportive professionnelle ;
- le décret n° 2022-925 du 22 juin 2022 précise les modalités d'obtention et de renouvellement d'une licence ainsi que les modalités d'inscription à une compétition sportive.
Plusieurs décrets d'application supplémentaires ont été pris en 2023, permettant notamment la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'activité physique adaptée (APA) et aux maisons sport-santé.
- le décret n° 2023-234 du 30 mars 2023 tire les conséquences de l'élargissement de la prescription de l'APA au-delà des patients atteints d'une affection de longue durée. Il élargit les catégories de médecins prescripteurs. Il prévoit les conditions du renouvellement et de l'adaptation de la prescription médicale initiale par le masseur-kinésithérapeute. Il précise les conditions de dispensation de cette activité par des personnes qualifiées. Ce décret est complété par le décret n° 2023-235 du même jour qui fixe la liste des maladies chroniques, des facteurs de risque et des situations de perte d'autonomie ouvrant droit à la prescription d'activités physiques adaptées ;
- le décret n° 2023-170 du 8 mars 2023 détermine les conditions et les modalités de l'habilitation des maisons sport-santé ;
- le décret n° 2023-216 du 28 mars 2023 fixe les conditions de mise en oeuvre d'une expérimentation, sur une période de trois ans, visant à permettre aux clubs sportifs professionnels d'organiser des animations pyrotechniques dans un cadre prédéterminé, encadré et sécurisé. Cette expérimentation a ainsi pour objectif de tendre vers la disparition de l'utilisation illégale et non sécurisée d'articles pyrotechniques dans les tribunes des stades ;
- le décret n° 2023-442 du 5 juin 2023 est relatif à l'aménagement d'un accès indépendant aux locaux et équipements affectés à la pratique d'activités physiques ou sportives dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d'enseignement. Cet aménagement est rendu obligatoire en cas de travaux importants de rénovation desdits locaux ou équipements, et sous réserve que le montant des travaux portant sur l'aménagement de l'accès soit inférieur à un certain pourcentage du montant total estimé des travaux de rénovation (fixé à 5 %) ;
- le décret n° 2023-621 du 17 juillet 2023 précise les conditions de désignation et la mission du référent pour l'activité physique et sportive en établissement social et médicosocial ;
- le décret n° 2023-648 du 20 juillet 2023 précise les conditions et limites de la commercialisation, par les sociétés commerciales des ligues sportives professionnelles, des droits d'exploitation des manifestations et compétitions sportives organisées par ces ligues ;
- le décret n° 2023-1432 du 29 décembre 2023 est relatif à l'organisation, au fonctionnement et aux échanges d'informations de la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives.
La loi du 2 mars 2022 prévoit, en outre, plusieurs rapports au parlement :
- un rapport sur la prise en charge par l'assurance maladie des séances d'APA (article 3 de la loi). Ce rapport est toujours attendu. À ce sujet, alors que l'assurance-maladie a proposé des hypothèses de prise en charge de l'activité physique adaptée, le gouvernement y a renoncé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 ;
- un rapport sur les voies d'accès aux parcours sportifs de haut niveau en outre-mer (article 28 de la loi) : il s'agit du rapport n° 52 du 17 janvier 2023 sur le sport de haut niveau en outre-mer ;
- un rapport public annuel du ministère de l'Intérieur sur la mise en oeuvre des dispositions relatives aux interdictions de stade et aux limitations des déplacements de supporters (article 55 de la loi) ;
- un rapport concernant l'impact de la crise actuelle sur les dépenses de partenariat sportif des entreprises et les moyens de les encourager dans la perspective de l'accueil des JOP de Paris en 2024 (article 58 de la loi). Ce rapport a été transmis au Sénat le 28 septembre 2023.
* 465 Proposition de loi n° 422 (2021-2022) visant à créer un ticket restaurant étudiant, déposée par Pierre-Antoine Levi le 3 mars 2021.
* 466 En application de l'article L. 917-1 du code de l'éducation, les AESH sont recrutés par l'État mais aussi directement par les établissements publics locaux d'enseignement après accord du directeur académique des services de l'éducation nationale.
* 467 Rapport n° 171 de Mme Marie-Pierre Monier, session 2022-2023.
* 468 Amendement n° 3108.
* 469 Compte rendu de la séance publique du 5 mars 2023.
* 470 Question n° 10 303 de Mme Laure Darcos publiée le 22 février 2024 - Réponse du ministère de l'éducation nationale publiée le 11 avril 2024, p. 1543 JO Sénat.
* 471 Ce délai est de six mois à compter de la notification de la décision initiale de concession de la pension pour les admissions à la retraite prévues moins de 12 mois après l'entrée en vigueur du décret. Les personnes déjà à la retraite au moment de la publication de ce décret disposent d'un délai de 12 mois pour déposer leur demande.