N° 604

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 mai 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la Cour nationale du droit d'asile (CNDA),

Par M. Christian BILHAC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Dans le contexte du vote d'un nouveau « pacte migratoire » alors que les États membres de l'Union européenne ont reçu 1,1 million de demandes d'asile en 2023, soit un nombre record depuis sept ans, et de la réforme de la CNDA par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, la présente communication vise à dresser un bilan de la situation de la CNDA et présenter les incidences budgétaires de cette réforme.

I. UNE JURIDICTION QUI A CONSIDÉRABLEMENT GAGNÉ EN EFFICIENCE POUR ATTEINDRE DES DÉLAIS MOYENS DE JUGEMENT SATISFAISANTS

A. UNE JURIDICTIONNALISATION ET UNE PROFESSIONNALISATION SYNCHRONES DE CETTE JURIDICTION UNIQUE SPÉCIALISÉE DANS LE CONTENTIEUX DE L'ASILE

La Cour nationale du droit d'asile est une juridiction administrative spécialisée, créée en 2007, faisant suite à la Commission des recours des réfugiés (CRR). Sa structure et son organisation se sont progressivement adaptées à la hausse du contentieux de l'asile. Elle est composée de 23 chambres, regroupées en 6 sections, et de 32 salles d'audience. Elle s'appuie sur 11 services généraux chargés de gérer les fonctions transversales.

Sur le plan procédural, la réforme la plus importante de la Cour est issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, qui a fixé des délais de jugement, de cinq mois pour les formations collégiales, et de cinq semaines pour les formations à juge unique, introduites par cette loi, compétentes pour connaître des recours des demandeurs d'asile dont la demande a été placée en procédure accélérée devant l'Office français des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ou qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité. Le développement des vidéo-audiences, en outre-mer comme en métropole, illustre également la modernisation procédurale de cette juridiction.

B. UNE AMÉLIORATION SIGNIFICATIVE ET SALUTAIRE DES DÉLAIS MOYENS DE JUGEMENT DANS UN CONTEXTE DE PRESSION CONTENTIEUSE TOUJOURS PLUS INTENSE

En l'espace d'une dizaine d'années, le nombre de recours portés devant la Cour a plus que doublé, avec au moins 60 000 recours par an depuis 2021. Pour faire face à cet afflux, la Cour a augmenté ses capacités de jugement grâce, notamment, à des recrutements importants, à la professionnalisation des juges de l'asile soumis à une norme élevée, à un rythme soutenu du traitement des affaires (13 affaires sont inscrites quotidiennement au rôle des 32 audiences), à la dématérialisation des procédures, complétée par des audiences foraines en outre-mer afin de résorber les stocks. Ainsi, depuis 2021, la Cour a un taux de couverture excédentaire, c'est-à-dire qu'elle juge plus d'affaires que le nombre de recours introduits sur l'année.

Le délai moyen global constaté à la CNDA est correct, dans la mesure où il s'établit à 6 mois et 3 jours pour 2023. Il masque toutefois des disparités territoriales, mais aussi selon le type de procédure : tandis que le délai moyen est de 6 mois et 26 jours en procédure normale en 2023, il est de 4 mois et 29 jours pour les procédures accélérées, loin du délai de cinq semaines fixé par le législateur.

Le rapporteur spécial tient à souligner l'importance de la maîtrise de ces délais, dès lors qu'une réduction d'un mois du délai de jugement peut produire une économie de 91 millions d'euros, qui correspond au coût mensuel de la prise en charge des demandeurs d'asile, hors dépenses de santé et d'éducation.

C. UNE EFFICACITÉ PERMISE PAR L'ALLOCATION CONSTANTE DE MOYENS BUDGÉTAIRES ADAPTÉS

Depuis le 1er janvier 2009, la CNDA est rattachée au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Son budget peut être déduit du croisement de plusieurs documents budgétaires, dont le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » qui mentionne le budget global de la Cour, et l'action 7 du programme 165 dédiée à la CNDA, mais qui ne retrace que les dépenses de personnel.

Il ressort qu'en prenant en compte les dépenses exceptionnelles immobilières (relogement de la CNDA avec le tribunal administratif de Montreuil, estimé à 131,6 millions d'euros en mai 2024), qui ont été lissées sur plusieurs années depuis 2018, le budget de la Cour a été multiplié par 4,3 tandis que le nombre de recours a été multiplié par 2,4 de 2010 à 2023.

Évolution du budget global de la CNDA
en miroir de l'évolution du nombre de recours de 2010 à 2023

(en millions d'euros)

Source : Commission des finances du Sénat, d'après les documents de politique transversale

Toutefois, exceptées ces dépenses d'investissement exceptionnelles, les dépenses agrégées de personnel et de fonctionnement suivent globalement l'évolution du nombre de recours puisqu'elles ont été multipliées par 2,8 depuis 2010. Les moyens humains ont particulièrement été renforcés depuis 2018, la Cour captant en 2018 et en 2019 la quasi-totalité des créations de postes du programme 165.

Hors dépenses d'investissement exceptionnelles, le budget de la Cour pour 2023 est de

Suivant l'évolution des recours, le budget de la Cour depuis 2010 a été multiplié par

Depuis 2020, le budget de la Cour a évolué de

 
 
 

II. UN DÉFI À RELEVER : LA RÉFORME DU CONTENTIEUX DE L'ASILE DOIT ÊTRE MISE EN oeUVRE SANS DÉSTABILISER LES ÉQUILIBRES ATTEINTS CES DERNIÈRES ANNÉES ET DANS LE CADRE D'UN BUDGET CONTRAINT

La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration prévoit la possibilité pour la Cour de se doter de chambres territoriales, et une compétence de principe du juge unique sauf lorsqu'une question justifie un renvoi en formation collégiale, afin de rapprocher le juge des demandeurs et de réduire les délais de jugement. Elle contient aussi d'autres mesures, plus marginales mais qui pourront avoir des incidences en termes d'efficacité de la Cour et de périmètre budgétaire, avec la spécialisation des chambres et la nouvelle procédure de nomination des assesseurs issus du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) par le vice-président du Conseil d'État.

Si la généralisation du recours au juge unique est motivée par la volonté de réduire les délais, l'étude d'impact du projet de loi est toutefois silencieuse sur les prévisions qui sont concrètement attendues. S'agissant des chambres territoriales, sept seront installées d'ici septembre 2025 dans les cours administratives d'appel en région, hors celles de Paris, Versailles et Douai, afin de permettre d'absorber 30 % du contentieux de l'asile en région. Le chiffrage de leur déploiement est aussi un impensé de la réforme, même si le Conseil d'État a précisé que les dépenses seraient a priori limitées. Tout d'abord, la réforme est opérée à effectifs constants, il n'y aura pas de création de postes, mais des redéploiements grâce à des plans de mutation et des recrutements en région. Par ailleurs, un surcoût des frais d'interprétariat de près d'un million d'euros est envisagé par la CNDA pour 2025, et de 1,5 million d'euros à horizon 2026 lorsqu'un tiers des affaires seront audiencées en région, dès lors que les interprètes y sont rémunérées en moyenne 25 % de plus que ceux intervenant à Montreuil. Enfin, l'organisation d'audiences au sein des cours administratives d'appel va nécessiter des frais de travaux et d'aménagement, pour un budget prévisionnel provisoire de l'ordre d'un million d'euros.

Le rapporteur spécial relève que ces ambitions territoriales sont entreprises alors même que le projet de relogement à Montreuil de la CNDA est encore inachevé. Le redimensionnement à la baisse du projet, à raison des sept chambres territoriales situées en région, permettrait une économie de l'ordre de 2,5 millions d'euros.

En outre, la réforme laisse dans l'ombre d'autres problématiques qui pèsent sur l'efficacité de la Cour comme les formations des juges de l'asile et la gestion des ressources humaines, des moyens de communication avec les avocats qui peinent à s'aligner sur ceux utilisés dans les juridictions administratives de droit commun, ou encore le fort taux de renvoi, qui est encore de 25,8 % en 2023, dont toutes les causes ne sont pas traitées par la réforme.

III. UN ACCOMPAGNEMENT NÉCESSAIRE DE LA RÉFORME DE LA COUR, QUI NE POURRA SE PASSER D'UNE JURIDICTIONNALISATION ACCRUE AVEC UN BUDGET MAÎTRISÉ

La généralisation du juge unique ne saurait se passer d'une définition claire des critères de renvoi en formation collégiale, afin d'assurer un traitement équitable de tous les demandeurs d'asile, d'autant plus dans le cadre de la territorialisation de la Cour. De même, la compétence de principe du juge unique met en lumière l'absence de cadre déontologique global applicable à l'ensemble des juges de l'asile, dès lors que seuls les présidents permanents, qui sont des magistrats administratifs, sont soumis à des obligations d'indépendance et d'impartialité conformément au code de justice administrative. Par ailleurs, la territorialisation de la CNDA ne saurait avoir pour conséquence de disposer d'une justice « au rabais » dans les chambres territorialisées, qu'il s'agisse de l'accès matériel aux salles d'audience, ou encore d'autres défis logistiques intrinsèquement liés aux droits de la défense, tels que l'accès effectif aux avocats en région, aux interprètes et aussi aux membres de la formation de jugement en cas d'audience collégiale. À ce titre, le HCR a mentionné que les viviers d'assesseurs n'étaient pas encore constitués dans toutes les villes.

Enfin, la juridictionnalisation de la Cour doit se perfectionner via le développement d'outils informatiques et de formations des juges adaptées, avec un nombre revalorisé de présidents permanents, dans un cadre budgétaire plus transparent et maîtrisé au niveau de la hausse des recours.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Pour garantir l'effet utile de la réforme en termes de maîtrise des délais de jugement et de rapprochement des justiciables en maintenant la qualité des décisions rendues

Recommandation n° 1 (CNDA) : Édicter des lignes directrices d'application de l'article L. 131-7 du CESEDA par le président de la Cour, à destination en particulier des présidents, permanents comme vacataires, afin de définir une jurisprudence claire en matière de renvois en formation collégiale.

Recommandation n° 2 (CNDA) : Adopter un cadre déontologique propre à l'ensemble des juges de l'asile, le cas échéant en surplus des règles déontologiques qui s'appliquent déjà à eux dans le cadre de leur profession parallèle à leur activité de juge de l'asile.

Recommandation n° 3 (Conseil d'État, CNDA et HCR) : Assurer dans les chambres territorialisées un accès à la justice satisfaisant, avec un nombre suffisant de personnels de la Cour mobilisés, ainsi que d'interprètes et d'avocats.

Pour une juridictionnalisation accrue de la Cour nationale du droit d'asile, permettant de renforcer son efficacité

Recommandation n° 4 (Conseil d'État et CNDA) : Déployer les outils informatiques adaptés à la hausse du contentieux, avec la généralisation de l'utilisation de Télérecours pour tous les avocats devant la CNDA à horizon 2026, ainsi qu'un logiciel stable et fiable pour les vidéo-audiences en outre-mer. À cette fin, un audit de l'utilisation pourrait être effectué tous les six mois par le comité de pilotage chargé d'assurer le suivi des vidéo-audiences.

Recommandation n° 5 (pouvoir législatif, puis Conseil d'État et CNDA) : Porter à 40 le nombre de présidents permanents pour assurer une cohérence jurisprudentielle dans le contexte de déploiement des chambres territorialisées.

Recommandation n° 6 (Conseil d'État, CNDA et HCR) : Imposer une formation initiale obligatoire à tous les nouveaux juges siégeant à la CNDA, adapter le contenu des formations initiales et continues à l'oralité et à la vulnérabilité particulière des demandeurs d'asile, lesquelles formations pourraient également être davantage dématérialisées et réalisées en partenariat avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Une formation spécifique d'une journée au moins pourrait utilement conditionner la possibilité de devenir juge unique.

Pour maintenir les moyens alloués à la Cour à un niveau permettant d'absorber correctement la hausse continue des recours

Recommandation n° 7 (Direction du budget et Conseil d'État) : Détailler toutes les dépenses composant le budget de la CNDA dans le projet annuel de performances du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », avant d'envisager, à plus long terme, la création d'une action budgétaire dédiée.

Recommandation n° 8 (Conseil d'État et CNDA) : Maîtriser les coûts de déploiement des chambres territoriales, en termes de travaux mais aussi de prise en charge des frais de déplacement des interprètes et des membres des formations de jugement, en parallèle de l'ouverture du nouveau siège de la CNDA à Montreuil d'ici 2026.

AVANT-PROPOS

« La juridiction du chaos du monde ». C'est par ces mots que Mathieu Herondart désigne, dans un entretien en mars dernier, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qu'il préside, où les juges doivent en effet « juger en toute sérénité, alors que les bruits et les fureurs du monde parviennent jusqu'à la salle d'audience »1(*).

La France s'est affirmée lors la Révolution française comme une terre d'asile, en proclamant dès 1793 que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans »2(*). L'asile désigne ainsi une protection qu'accorde un État à un étranger qui est, ou qui risque d'être persécuté dans son pays, que ce soit par les autorités de ce pays ou par des acteurs non-étatiques. Si l'asile est dès lors intemporel dans la tradition française, le droit d'asile ne l'est quant à lui pas3(*). Il a fallu attendre après la Seconde Guerre mondiale pour qu'il soit entériné dans le droit positif, à l'alinéa 4 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, disposant que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République », puis au niveau international, avec l'adoption de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ratifiée par la France trois ans plus tard. Par ailleurs, ce droit n'est pas intemporel en ce sens qu'il doit en permanence être concilié avec d'autres objectifs constitutionnels, et notamment des exigences d'ordre public.

Les décisions successives du Conseil constitutionnel témoignent toutefois d'un droit d'asile vivace, encore aujourd'hui. Dès 19934(*), le Conseil constitutionnel rappelle la valeur constitutionnelle du droit d'asile consacré par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, à l'aune duquel il effectuera le contrôle de la loi déférée. En 20035(*), le juge constitutionnel précisera que « si certaines garanties attachées à ce droit ont été prévues par des conventions internationales introduites en droit interne [...], il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle », et affirmera que l'indépendance du juge de l'asile constitue une « garantie essentielle du droit d'asile ».

Plusieurs types de protection peuvent être accordées au titre de l'asile, avec tout d'abord le statut de réfugié, sur le fondement de différents textes, répondant à certains critères. Ainsi, l'asile conventionnel, institué par l'article 1er de la Convention de Genève précitée, est accordé à toute personne « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Ensuite, l'asile constitutionnel est accordé à toute personne persécutée à raison de son action en faveur de la liberté, prévu par l'alinéa 4 précité du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et mis en oeuvre par les dispositions des articles L. 511-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Les personnes sur lesquelles le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut se voient également reconnaître la qualité de réfugié. Enfin, le statut de réfugié peut aussi être accordé en application du principe de l'unité familiale à certains membres de la famille d'un réfugié.

En second lieu, le bénéfice de la protection subsidiaire, issu de la directive européenne dite « qualification » de 20046(*), est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié7(*) mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et s'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international8(*).

En France, diverses instances sont ainsi chargées de se prononcer sur l'octroi de ce statut ou de cette protection : l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) tout d'abord, puis la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), juridiction administrative spécialisée, saisie en cas de recours à l'encontre d'une décision de refus de l'OFPRA.

Ainsi, la CNDA, juridiction nationale, est chargée en partie de faire respecter le droit international, reflétant ainsi « un compromis caractéristique de l'ADN du système français de l'asile »9(*), qui avait d'ailleurs présidé lors de l'institution de l'OFPRA en 195210(*). Autre élément d'extranéité, les formations collégiales de jugement à la CNDA comprennent un représentant du HCR, dans le respect de la Constitution11(*).

Outre son essence hybride, la CNDA occupe une place particulière dans notre système judiciaire car elle est sans cesse tiraillée par les exigences de maîtrise des flux migratoires au niveau national et européen, dans un contexte budgétaire toujours plus contraint et face à une situation géopolitique en perpétuelle évolution.

L'activité de la Cour est en effet entièrement tributaire des chaos du monde et ne dispose dès lors pas de pouvoir d'autorégulation de ses flux d'entrées contentieuses. Depuis la fin de la crise sanitaire, la Cour a été saisie chaque année de plus de 60 000 recours et demeure aujourd'hui la première juridiction de France en termes de décisions rendues. Par comparaison, la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie en 2022 d'environ 45 500 requêtes. Le volume de décisions rendues par la Cour nationale du droit d'asile est toutefois en dissonance avec sa visibilité, celle-ci étant finalement assez méconnue du grand public.

À l'heure de la réforme structurelle d'ampleur portée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, et du vote d'un nouveau « pacte migratoire » au niveau européen alors que les États membres de l'Union européenne ont reçu 1,1 million12(*) de demandes d'asile en 2023, soit un nombre record depuis sept ans, le rapporteur spécial a souhaité dresser un bilan de la situation de cette juridiction souvent décriée.

Ce rapport, écrit à la suite d'auditions de diverses parties prenantes au contentieux de l'asile, entend présenter une vision équilibrée de la Cour, dont l'activité juridictionnelle s'inscrit dans une démarche désormais plus performante, loin des préjugés sur sa prétendue lenteur et inefficacité.

L'adoption de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration entend répondre aux enjeux de la gestion, plus globale, des flux migratoires en France. Elle doit être mise en oeuvre tout en maintenant les équilibres progressivement atteints depuis une dizaine d'années.

I. UNE JURIDICTION QUI A CONSIDÉRABLEMENT GAGNÉ EN EFFICIENCE POUR ATTEINDRE DES DÉLAIS MOYENS DE JUGEMENT SATISFAISANTS

A. UNE JURIDICTIONNALISATION ET UNE PROFESSIONNALISATION SYNCHRONES DE CETTE JURIDICTION UNIQUE SPÉCIALISÉE DANS LE CONTENTIEUX DE L'ASILE

1. Un processus de juridictionnalisation largement abouti qui doit se conjuguer avec la particularité du contentieux de l'asile
a) L'émergence de la plus grande juridiction administrative, fruit d'un long processus de juridictionnalisation structurelle

La Cour nationale du droit d'asile est une juridiction récente faisant suite à la Commission des recours des réfugiés (CRR).

Cette juridiction spécialisée a été créée par la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, mais n'était pas dans le projet de loi initial13(*), qui prévoyait uniquement la création d'un établissement public chargé d'appliquer les principes édictés par la Convention de Genève de 1951, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Soucieuse d'accorder plus de garanties aux réfugiés, la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale a introduit par amendement une « Commission des recours »14(*), qui ne figure dès lors pas dans l'intitulé de la loi du 25 juillet 1952, ni même dans le décret d'application n° 53-377 du 2 mai 1953. Par ailleurs, son appellation a évolué15(*), avec la « Commission des recours » dans le texte de 1952, avant d'être dénommée à l'usage « Commission des recours des réfugiés et apatrides », puis « Commission de recours des réfugiés », et enfin, « Commission des recours des réfugiés »16(*).

La CRR s'est progressivement affirmée comme une juridiction17(*), statuant en plein contentieux18(*). Ainsi, elle ne se contente pas d'apprécier la légalité de la décision au moment de son édiction, mais réexamine l'ensemble de la demande d'asile, au besoin en tenant compte des éléments, arguments et documents dont le demandeur n'aurait pas fait état devant l'OFPRA. Ses décisions d'annulation ont pour effet d'accorder automatiquement le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire au demandeur d'asile, sans que le dossier doive à nouveau être examiné par l'OFPRA. Il convient de relever que cette juridiction de l'asile rend ses décisions en premier et dernier ressort, le Conseil d'État étant dès lors compétent pour connaître des recours à l'encontre des décisions de la CNDA, sur lesquelles il exerce un contrôle de cassation.

Un cap est franchi avec la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, mettant fin au rattachement de la CRR à l'OFPRA19(*). Cette dépendance administrative, statutaire et budgétaire vis-à-vis de l'établissement public dont elle contrôlait les décisions constituait une anomalie institutionnelle, de nature à remettre en cause son impartialité. La fin de la tutelle de l'OFPRA s'est également accompagnée d'un changement de dénomination de la juridiction en « Cour nationale du droit d'asile ».

Le changement dans l'organisation de la Cour, faisant suite à la réforme de 2007, est un des éléments les plus flagrants de sa juridictionnalisation.

En premier lieu, le décret n° 2008-1481 du 30 décembre 2008 a formalisé l'autonomie de la Cour en attribuant les fonctions de direction au président de la CNDA20(*), issu du Conseil d'État21(*), qui est responsable de l'organisation et du fonctionnement de la juridiction, assure la direction des services et le maintien de la discipline intérieure et détermine la composition des sections, la répartition des affaires entre chacune d'elles ainsi que l'affectation de leurs membres.

En deuxième lieu, la réforme institutionnelle a aussi été complétée en 200922(*) par l'affectation auprès de la Cour de dix emplois permanents de présidents recrutés dans les corps des magistrats administratifs et judiciaires, dotant pour la première fois cette juridiction de juges professionnels à temps plein. Outre la présidence de formations de jugement, ces présidents assurent l'harmonisation de la jurisprudence de la Cour, tant du fait des échanges qui s'organisent entre eux ou sous l'égide du président de la Cour, que par l'encadrement des rapporteurs affectés dans la chambre à laquelle ils sont rattachés. Il apparaît ainsi que la restructuration de la Cour s'est accompagnée de l'instauration d'un système hiérarchique confiant aux magistrats permanents des missions de coordination des activités juridictionnelles.

En 2023, outre le président de la juridiction, la Cour comprend 25 présidents permanents, qui se répartissent en six présidents de section faisant également fonction de président de chambre pour cinq d'entre eux et 19 présidents de chambre. À ces présidents permanents, s'ajoutent 186 présidents vacataires affectés dans les 23 chambres de la Cour.

En troisième et dernier lieu, l'organisation structurelle de l'activité juridictionnelle a elle aussi évolué. Avant 2015, la Cour nationale du droit d'asile était divisée en sections dénommées « divisions ». Le nombre de divisions a varié entre 10 et 12 entre 2010 et 2015, en fonction de l'activité contentieuse et des effectifs. La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile a instauré une organisation en formations de jugement regroupées, en chambres et en sections, sur le modèle du tribunal administratif de Paris23(*). L'article L. 131-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) dispose désormais que « Les formations de jugement de la Cour nationale du droit d'asile sont regroupées en chambres, elles-mêmes regroupées en sections. Le nombre de sections et de chambres est fixé par décret en Conseil d'État ». La fonction de président de section a donc été créée en 2015.

Par ailleurs et dans le même temps, afin de faire face à l'afflux progressif et continu du nombre de requêtes, la Cour s'est progressivement agrandie, passant ainsi de 11 chambres regroupées en 3 sections, à 22 chambres regroupées en 6 sections. Depuis le 1er janvier 2020, le nombre de chambres s'est stabilisé à 23, regroupées en 6 sections.

Évolution du nombre de sections et de chambres composant la Cour nationale du droit d'asile depuis octobre 2015

Année

Nombre de chambres

Nombre de sections

2 octobre 2015

11

3

1er avril 2017

13

4

1er février 2018

15

5

1er septembre 2018

17

5

1er janvier 2019

22

6

1er janvier 2020

23

6

Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le Conseil d'État

Il en va de même pour le nombre de salles d'audiences, qui a doublé de 2013 à 2023, passant ainsi de 16 à 32 salles d'audiences.

Schéma de l'organisation d'une salle d'audience à la CNDA

Source : GATTET Diane, Travailler à la Cour nationale du droit d'asile - entre justice de masse et rationalisation de l'activité, 2023

Il en résulte dès lors une organisation des services élaborée et adaptée aux spécificités de la matière et aux volumes contentieux.

La Cour dispose d'un service du bureau de l'aide juridictionnelle (BAJ) composé de 20 personnes, traitant presque 56 000 demandes l'an passé, et rendant plus de 61 000 décisions, dont plus de 59 000 décisions d'admission à l'aide juridictionnelle.

En ce qui concerne les activités de greffe, celles-ci sont divisées et impliquent différents services :

- le service du greffe, de l'enregistrement, de la numérisation et des archives (GRENA) réceptionne et enregistre les recours ainsi que toutes les productions des parties et les communique aux chambres ;

- le service central l'enrôlement (SCE) se charge de la confection des rôles d'audience publique ;

- le service d'accueil des parties (SAPA) gère les flux de personnes qui se présentent physiquement pour assister aux audiences, les avocats, les demandeurs d'asile et le public ;

- les secrétaires d'audiences, affectés dans les chambres, sont en charge des actes de procédure à compter de la convocation des affaires jusqu'à leur notification. Les secrétaires assurent également le greffe de l'audience.

La Cour présente la particularité de s'être dotée d'un service central de l'enrôlement (SCE), créé en 2012 afin de rationaliser l'élaboration des rôles pour mieux répondre à l'afflux des requêtes et aux multiples contraintes afférentes liées à la procédure applicable, à l'interprétariat et à la présence des avocats aux audiences. Cette programmation de l'activité juridictionnelle se décompose en trois étapes.

Tout d'abord, le SCE prend en charge la confection des pré-rôles des 32 audiences quotidiennes, à raison de 13 affaires par rôle. Pour cela, le SCE prend en compte la procédure applicable, l'état du dossier à l'OFPRA pour estimer la durée des audiences, le profil des rapporteurs, la spécialisation géographique des chambres, la complexité des dossiers, la langue d'interprétariat, mais aussi la disponibilité des avocats. Ensuite, le SCE met les pré-rôles confectionnés à disposition des chambres en leur laissant un délai de pré-instruction d'une semaine pour les valider. Cette pré-instruction permet de vérifier les dossiers et d'effectuer le cas échéant le retrait de certaines affaires et d'échanger avec d'autres dossiers. Enfin, après validation et convocation par la chambre, le SCE adresse une demande de réservation auprès du service de l'interprétariat.

Le SCE est composé de 17 équivalents temps plein (ETP) : un chef de service de catégorie A, 13 assistants de catégorie B chargés de vérifier la mise en l'état des dossiers et trois secrétaires de catégorie C qui préparent les pré-rôles. En 2023, le SCE a établi 5 957 pré-rôles pour 4 491 audiences collégiales.

Afin d'optimiser le traitement des requêtes, le SCE s'appuie depuis quelques années sur un outil informatique, l'outil d'aide à l'enrôlement (OAE), permettant une optimisation de la construction des rôles en lien avec la disponibilité des salles d'audience. Lors de son déplacement sur le site de Montreuil de la CNDA, le rapporteur spécial a pu constater la performance de cet outil pour construire des pré-rôles avec une visualisation simultanée de la disponibilité des rapporteurs, des chambres et des salles d'audience.

Par ailleurs, la Cour dispose d'un service des ordonnances, qui peut rendre plusieurs types d'ordonnances. D'une part, il existe des ordonnances, dites « classiques » (ORC), prises sur le fondement des 1° à 4° de l'article R. 532-3 du CESEDA. Il s'agit des cas des désistements, d'incompétence de la Cour, de non-lieu à statuer ou d'irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance ou qui n'a pas été régularisée à l'issue du délai imparti. Depuis 2003, conformément au 5° de l'article R. 532-3 du CESEDA, la Cour peut aussi rejeter par ordonnance motivée le recours qui ne présente aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l'OFPRA. Ces ordonnances, dites « nouvelles » (ORN), ne peuvent être prises qu'après que le requérant ait été mis en demeure de consulter les pièces du dossier et après examen de l'affaire par un rapporteur, avant révision pour signature par un président.

L'orientation des dossiers, qui permet de déterminer si le recours peut faire l'objet d'une ORN ou bien si le recours nécessite une audition du requérant, ne peut être effectuée que par un président permanent. Cette orientation n'empêche pas un président de rediriger le cas échéant un recours qui devait originellement faire l'objet d'une ordonnance vers une audience.

Ce service est dirigé par le vice-président de la Cour et comprend en outre un président permanent. Il est composé de 33 ETP, dont 22 rapporteurs confirmés, auxquels des rapporteurs en chambre peuvent apporter chaque mois un renfort selon la charge d'activité du service des ordonnances. Ces rapporteurs confirmés, de catégorie A, sont en charge des ordonnances « nouvelles », tandis que trois rapporteurs, de catégorie B, sont en charge des ordonnances « classiques ». Enfin, six secrétaires composent le service des ordonnances.

Enfin, les chambres constituent le coeur battant de l'activité juridictionnelle, dont l'organisation démontre, là encore, une adaptation à l'ampleur du nombre de requêtes. Outre le président permanent d'une chambre, celle-ci est composée d'un chef de chambre, d'une quinzaine de rapporteurs, d'un responsable de pôle de catégorie B, et de cinq secrétaires d'audience, qui sont des agents de catégorie C.

Une direction bicéphale atypique des chambres à la CNDA.

De façon originale, les chambres de la CNDA sont co-animées par un président de chambre, mais aussi un chef de chambre, fonction propre à la Cour et qui n'existe pas dans les autres juridictions administratives. Ce bicéphalisme dans la direction d'une chambre est issu de l'évolution historique de la CNDA. À l'origine, les chefs de division au sein de la Commission de recours des réfugiés étaient les seuls encadrants permanents des divisions, et ont ensuite dû coexister avec les présidents permanents, lors de leur arrivée.

Tous deux veillent au bon fonctionnement général de la chambre, avec des périmètres d'action différents.

Les présidents de chambre, placés sous l'autorité hiérarchique du président de la CNDA, sont les responsables hiérarchiques des rapporteurs, avec lesquels ils siègent régulièrement en audience. Leur fonction est donc d'instruire au fond les dossiers, avant et pendant l'audience, avec les rapporteurs. Ils assurent aussi un rôle de suivi des relations avec les présidents vacataires et les assesseurs du Conseil d'État affectés à leurs chambres, en les sensibilisant notamment sur des questions pratiques et méthodologiques (tenue de l'audience, police de l'audience, harmonisation des décisions, pratique des renvois...), mais aussi les évolutions jurisprudentielles.

Les chefs de chambre, placés quant à eux sous l'autorité du secrétaire général de la CNDA, sont les supérieurs hiérarchiques directs des membres du secrétariat. Les chefs de chambre ne sont pas des magistrats mais des agents de catégorie A, titulaires ou contractuels. Il peut souvent s'agir d'anciens rapporteurs expérimentés.

Cette fonction atypique et propre à la CNDA se reflète également dans les missions du chef de chambre. Il veille au respect des règles de procédure, et encadre ainsi le secrétariat qui est en charge des actes de procédures, et prépare en amont les plannings des audiences. De façon originale, les chefs de chambre relisent de façon systématique toutes les décisions rédigées par les rapporteurs, avec qui ils entretiennent de fait une relation fonctionnelle, si ce n'est hiérarchique. Il en résulte dès lors une situation assez paradoxale où le chef de chambre, qui n'assiste ni à l'audience, ni au délibéré, est un relecteur à part entière des projets de décision.

Cette situation est toutefois un palliatif au fait qu'une relecture sous l'entière responsabilité des présidents de formation de jugement et des présidents de chambre engendrerait un alourdissement conséquent de leur charge de travail, difficilement envisageable en l'état, au regard du nombre de décisions rendues. Par ailleurs, un recentrage de l'activité du chef de chambre sur le suivi de la procédure impliquerait de repenser son articulation avec le responsable de pôle de catégorie B, qui intervient sur le même périmètre.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires

S'agissant plus particulièrement des formations de jugement, celles-ci sont composées d'un président, permanent ou « vacataire »24(*), et de deux assesseurs :

- l'une est une personnalité qualifiée nommée par le HRC25(*) sur avis conforme du vice-président du Conseil d'État, à raison de ses compétences dans les domaines juridiques ou géopolitiques26(*). Ces « assesseurs HCR » sont, pour l'heure, gérés administrativement par le HCR, qui organise le processus de recrutement via des appels à candidatures lancés plusieurs fois par an, mais aussi budgétairement, dès lors que c'est le HRC qui le rémunère ;

- l'autre est une personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d'État, à raison de ses compétences dans les domaines juridiques ou géopolitiques. Le recrutement de ces « assesseurs CE » est géré par le Conseil d'État, avec des appels à candidatures lancés une à deux fois par an. Un comité de sélection, composé d'un conseiller d'État, d'un président de section de la CNDA et d'une personnalité qualifiée, apprécie le mérite des candidats et évalue leur capacité à exercer les fonctions d'assesseur.

En principe, les assesseurs HCR sont affectés à une des six sections, tandis que les assesseurs CE sont rattachés à une chambre. Dans les faits, cette affectation n'est pas toujours respectée afin de prendre en compte les besoins mouvants de la juridiction. Les assesseurs sont donc souvent amenés à être mobiles et peuvent siéger dans une chambre à laquelle ils ne sont pas affectés en principe, notamment lorsque la chambre rencontre des difficultés à pourvoir l'une de ses audiences en assesseurs. Le nombre d'assesseurs HCR a rapidement augmenté, passant ainsi d'une quarantaine en 2010 à 173 assesseurs HCR aujourd'hui. Le nombre d'assesseurs CE a suivi cette même évolution tendancielle, et ils étaient au nombre de 136 en 2023.

Les différentes auditions menées par le rapporteur spécial ont pu confirmer que la disponibilité des assesseurs est un problème récurrent auquel la Cour est confrontée, dans la mesure où ils exercent majoritairement une activité professionnelle en parallèle.

Pour l'ensemble de ces raisons, les assesseurs, de même que les présidents vacataires, sont présents quasi-exclusivement aux audiences, et participent peu au fonctionnement quotidien des chambres, qu'il s'agisse des questions de fond ou de procédure, à la différence des présidents permanents, des chefs de chambre et du secrétariat.

Décision de rejet du directeur général de l'OFPRA

Si le recours est irrecevable

Si aucun élément sérieux n'est susceptible de remettre en cause la décision de l'OFPRA, le recours est rejeté par ordonnance2

Le SCE oriente ensuite, au regard de la procédure suivie devant l'OFPRA conformément à l'article L. 531-24 du CESEDA, l'affaire en procédure normale (PN), ou bien en procédure accélérée (PA)

Le SCE confectionne le rôle des audiences publiques28(*)

Le dossier est transmis à la chambre en charge de l'audience et est affecté à un rapporteur

Le service de l'interprétariat réceptionne les rôles confectionnés par le SCE pour trouver des interprètes auprès des sociétés prestataires

Une audience publique précède le rendu de la décision

Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le Conseil d'État

b) Une juridictionnalisation procédurale subséquente

Sur le plan procédural, la juridictionnalisation de la CNDA a pris les traits d'un affermissement du principe du contradictoire, et d'une mise en place de procédures de nature à réduire les délais de jugement.

Dès 1987, le Conseil d'État reconnaît que la Commission de recours des réfugiés doit observer toutes les règles générales de procédure applicables à l'ensemble des juridictions administratives, et plus particulièrement le respect du caractère contradictoire de la procédure29(*). Seule une disposition formelle propre à cette juridiction ou bien le caractère inconciliable avec l'organisation de la juridiction peuvent faire obstacle à l'application de ces règles générales de procédure au juge de l'asile.

Certaines règles minimales de l'instruction, du contradictoire et de publicité de l'audience ont été codifiées en 200630(*) dans la partie règlementaire du CESEDA.

Postérieurement à la mise en place de la CNDA, la procédure a été complètement refondue par le décret n° 2013-751 du 16 août 2013 relatif à la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d'asile. Il a repris et consolidé toute la partie règlementaire du CESEDA concernant la procédure contentieuse, en remédiant à des lacunes dans son organisation, aujourd'hui très largement alignée sur la procédure suivie devant les juridictions administratives de droit commun. Ainsi, ce décret a :

- codifié et organisé le caractère contradictoire de la procédure ;

- adapté les délais de recours pour les requérants en outre-mer, avec un « délai de distance » doublé par rapport à ceux applicables en métropole ;

- précisé les règles de notification des actes de procédure ;

- mis fin au caractère conclusif du rapport lu à l'audience du rapporteur ;

- prévu qu'un exemplaire du rôle de l'audience mentionnant le sens de la décision soit signé par l'ensemble des membres de la formation de jugement, permettant ainsi d'attester le sens de la décision adoptée.

Afin de prendre en compte les spécificités du contentieux de l'asile, l'application du principe du contradictoire est toutefois adaptée.

En premier lieu, une fois la requête communiquée, l'OFPRA est tenu de verser le dossier de demande d'asile du requérant au contradictoire31(*), par le biais d'une « autoroute numérique », c'est-à-dire d'une liaison informatique automatique entre l'OFPRA et la CNDA, et ce, même s'il n'est quasiment jamais représenté à l'audience.

En second lieu, des règles dérogatoires à la clôture d'instruction sont prévues, avec la possibilité de poursuivre le débat contradictoire à l'audience32(*) voire même après l'audience33(*) lorsque des éléments du débat oral apparaissent nécessaires.

D'autres réformes de la procédure ont eu pour objectif d'optimiser le traitement des requêtes afin de réduire les délais de jugement, dont la plus importante est celle issue de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

En premier lieu, cette loi a instauré l'attribution de plein droit de l'aide juridictionnelle, si la demande est déposée dans les 15 jours suivants la notification de la décision de rejet de l'OFPRA, et sauf en cas d'irrecevabilité manifeste du recours. En simplifiant la procédure, cette mesure a permis de raccourcir les délais de traitement des recours, les demandeurs n'ayant plus besoin de prouver leur situation et leurs ressources, ni de fournir un bref exposé des faits à présenter devant la Cour. Seule la décision attaquée est requise désormais lors du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle. Le délai moyen pour obtenir une décision d'aide juridictionnelle varie depuis quelques années entre 10 et 18 jours, dans le respect global du délai de 15 jours prévu par le législateur34(*).

En deuxième lieu, la loi du 29 juillet 2015 introduit une différenciation de la procédure selon le type de dossier, en créant, à côté de la formation collégiale, une formation à juge unique compétente pour connaître des recours des demandeurs d'asile dont la demande a été placée en procédure accélérée devant l'OFPRA ou qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité.

En outre, la loi a instauré des délais de jugement variables avec un délai de cinq mois pour les formations collégiales et un délai de cinq semaines pour les formations à juge unique35(*).

Le développement de la vidéo-audience est aussi une évolution procédurale, permise à compter de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, l'intégration et à la nationalité. Dans un objectif de bonne administration de la justice, le président de la CNDA peut décider de tenir des vidéo-audiences dans une salle d'audience spécialement aménagée à cet effet, située dans des locaux relevant du ministère de la justice. La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie élargit les possibilités de recours à la vidéo-audience en métropole puisqu'elle supprime les dispositions qui prévoyaient la possibilité pour le requérant séjournant en France métropolitaine de refuser « d'être entendu par un moyen de communication audiovisuelle » afin qu'il soit « convoqué, à sa demande, dans les locaux de la cour ».

Le développement de la vidéo-audience par la CNDA

La mise en place progressive des vidéo-audiences suite à la loi du 16 juin 2011 autorisant le recours à ces audiences

Les premières vidéo-audiences se sont tenues en 2014, le temps pour la Cour de développer les moyens de communication audiovisuelle à même de garantir la confidentialité des échanges entre les deux salles d'audience situées à distance l'une de l'autre. Elles ont eu lieu entre le siège de Montreuil et le tribunal administratif de Guyane. Elles ont ensuite été étendues à Mayotte à compter de juin 2015, puis à la Guadeloupe et à la Martinique à compter respectivement de janvier et juin 2016. Le nombre de vidéo-audiences en outre-mer est passé de 49 en 2014 à 131 en 2017.

À partir de 2021, les vidéo-audiences se sont développées en métropole, à Lyon et Nancy.

Selon le rapport public annuel de la Cour pour 2023, celle-ci a tenu 263 vidéo-audiences, dont 196 en outre-mer. 25 se sont tenues à Lyon et 42 à Nancy.

La formation des personnels à la vidéo-audience

Les secrétaires d'audiences sont en principe formés à la procédure et à l'utilisation du logiciel de la vidéo-audience, dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue. Depuis janvier 2024, un référent vidéo-audience a été désigné au sein des secrétariats des 23 chambres.

Le déroulement d'une audience par visio-conférence

Les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel avec lesquels la Cour organise des vidéo-audiences sont prévenus, tous les deux mois, du planning des vidéo-audiences sur les deux prochains mois. Dès l'envoi des convocations, le secrétariat de la chambre qui organise la vidéo-audience envoie à la juridiction « hôte » le rôle des affaires qui seront appelées lors de la vidéo-audience, ainsi que les dossiers numérisés.

Le jour de l'audience, un agent de greffe du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel est présent pendant toute la durée de la vidéo-audience. Il est chargé d'accueillir les requérants accompagnés de leur avocat ainsi que d'un interprète mis à disposition par la Cour, et de rédiger un procès-verbal pour chaque affaire afin de faire état, le cas échéant, des dysfonctionnements techniques rencontrés36(*). Ce procès-verbal est ensuite envoyé par l'agent de greffe à la Cour à l'issue de l'audience.

Des fiches procédures ont été mises en place en 2023 par la Cour à destination des agents de greffe des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel pour récapituler les tâches de chacun dans l'organisation et le bon déroulé de la vidéo-audience. La CNDA a mentionné qu'une formation dédiée leur sera également proposée chaque année.

Les coûts des vidéo-audiences

La formation des personnels internes à la CNDA n'a pas nécessité de coût supplémentaire. En revanche, l'installation d'une salle de vidéo-audience représente un investissement de 58 000 euros TTC, auquel s'ajoute un contrat de maintenance pour garantir des délais d'intervention en cas d'incident, pour un coût annuel de 5 500 euros TTC par salle. La mobilisation de deux agents de greffe, en lieu et place d'un seul à Montreuil, engendre aussi des coûts supplémentaires.

Les perspectives d'intensification des vidéo-audiences en outre-mer

Depuis 2023, afin de s'adapter à l'augmentation du contentieux de l'asile à Mayotte, le rythme des vidéo-audiences s'est intensifié. Une salle d'audience au tribunal administratif de Mayotte a été dédiée à l'organisation de ces vidéo-audiences, permettant ainsi d'en tenir quatre par semaine.

Compte tenu de l'augmentation du contentieux de l'asile en Guyane, un dispositif similaire sera mis en place en 2024 permettant d'augmenter de manière pérenne le nombre de vidéo-audiences organisées avec le tribunal administratif de Guyane, sur un rythme similaire à Mayotte.

En revanche, en hexagone, les vidéo-audiences sont amenées à disparaître avec le déploiement de chambres territoriales de la Cour.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses transmises par le Conseil d'État

Pour garantir le bon usage de cet outil, la CNDA a élaboré en décembre 2020, en concertation avec les avocats, un vademecum37(*) sur les vidéo-audiences, qui détaille les conditions dans lesquelles elles doivent se dérouler pour ne pas faire obstacle au respect des garanties fondamentales inhérentes au droit du requérant à un recours effectif. Alors même que les nouvelles dispositions du CESEDA issues de la réforme de 2018 permettent à la CNDA de recourir à la vidéo-audience sans le consentement du demandeur d'asile résidant dans l'hexagone, le vademecum prévoit toutefois son consentement, qui ne peut être tacite. En effet, en l'absence d'expression d'un choix, le demandeur d'asile est convoqué en présentiel. Les garanties particulièrement détaillées du recours à ces audiences et de leur déroulement, élaborées en étroite collaboration avec la profession d'avocat, attestent une nouvelle fois de la juridictionnalisation de la Cour.

2. Une professionnalisation toujours en demi-teinte des juges et rapporteurs de l'asile
a) Une professionnalisation insuffisante à raison du statut

Si la CNDA s'est progressivement dotée de personnels plus pérennes, notamment en augmentant son nombre de présidents permanents, force est de constater que la majorité des juges de l'asile ne sont pas ancrés à la CNDA, et largement de passage. S'agissant des présidents, les « vacataires » représentent 88 % des effectifs globaux. Par ailleurs, les membres des formations de jugement doivent uniquement assurer au moins treize audiences par an. Dans la pratique, il leur est plutôt demandé d'assurer deux audiences par mois, ce qui représente toujours une présence assez faible des présidents vacataires et des assesseurs à la Cour, rendant dès lors leur participation à la vie de la juridiction très limitée.

Par ailleurs, la place centrale du rapporteur dans le traitement des recours, qui n'est pas membre de la formation de jugement, est en dissonance avec son statut et son évolution de carrière au sein de la juridiction.

La fonction de rapporteur à la CNDA est reconnue dans la loi. L'article L. 532-11 du CESEDA dispose que « les débats devant la Cour nationale du droit d'asile ont lieu en audience publique après lecture du rapport par le rapporteur ». Pivot de la procédure, le rapporteur est chargé de l'instruction des recours, de la mise en état des dossiers, jusqu'à la rédaction et la présentation lors de l'audience de son rapport faisant état de l'objet de la demande, des éléments de fait et de droit exposés par les parties et des éléments propres à éclairer le débat, sans prendre parti sur le sens de la décision à retenir38(*).

Il apparaît ainsi que leur fonction est hybride au regard des catégories de droit commun des juridictions administratives. D'un côté, leurs missions d'instruction, de participation au délibéré et de rédaction du projet de décision, laissent penser que le rapporteur à la CNDA fait office de magistrat rapporteur. De l'autre, la présentation de son rapport à l'audience et son positionnement hors formation de jugement, laissent penser qu'il s'agit plutôt d'un rapporteur public.

Ce statut sui generis ressort également du fait que, bien que soumis à une norme soutenue39(*), il ne s'agit pas d'un magistrat, mais d'un agent de catégorie A, titulaire ou contractuel. Sur ce point, le rapporteur révèle que la contractualisation massive peut être un frein à la professionnalisation de la Cour, à raison notamment du renouvellement continu de ces agents embauchés pour une courte durée, même si de nombreux efforts ont été opérés depuis 2018. En effet, sur les 320 rapporteurs de la CNDA au 1er janvier 2024 - 296 en chambres et 24 au service des ordonnances - environ 50 % sont contractuels recrutés pour une durée de deux à trois ans. La CNDA a réussi à atteindre ce taux de 50 % de titulaires en 202240(*) grâce à la mise en place d'un concours d'accès direct aux corps des attachés d'administration rattachés au Conseil d'État et à la CNDA ayant pour première affectation la CNDA en qualité de rapporteur, pour les années 2019, 2020 et 2021, et l'ouverture d'un plus grand nombre de postes d'attaché d'administration sortant des instituts régionaux d'administration (IRA) pour le Conseil d'État et la CNDA, soit 20 postes. Le rapporteur spécial salue cette démarche, bien qu'il soit bien conscient que la titularisation par le biais des IRA ne constitue pas la panacée. Elle peut poser des difficultés à raison du faible intérêt pour la matière et de l'absence de compétences juridiques. La motivation à entrer à la Cour peut parfois résider dans sa position géographique en région parisienne et dans le fait qu'il s'agit d'un corps interministériel permettant une ouverture intéressante pour des mobilités à venir. De fait, des rapporteurs recrutés par la voie d'un concours ne restent pas nécessairement beaucoup plus longtemps à la Cour que des contractuels.

Le rapporteur spécial ne doute dès lors pas que la contractualisation permet une certaine souplesse pour s'adapter aux fluctuations de la demande d'asile, et que le recours à des présidents vacataires et assesseurs, avec des expériences professionnelles diverses et variées, peut enrichir la Cour. Toutefois, il constate que ces exigences de souplesse et d'enrichissement ne sauraient se retourner contre la Cour et son efficacité, compte tenu de la disponibilité relative des membres de la formation de jugement pouvant compliquer l'enrôlement des affaires, et d'un renouvellement trop important de rapporteurs contractuels, qui peuvent difficilement se former et acquérir des compétences dans la durée.

b) Une formation de facto partielle et pas toujours obligatoire

Les rapporteurs bénéficient à leur arrivée à la Cour d'une formation initiale obligatoire de quatre à cinq semaines, qui comprend des modules juridiques, géopolitiques, pratiques et d'explication de l'organisation de la Cour. Pour les présidents des formations de jugement et les assesseurs CE, la formation initiale d'une durée de deux semaines comprend un rappel des bases du droit d'asile et de la procédure contentieuse applicable devant la Cour, mais aussi des repères méthodologiques dans l'approche des dossiers et la conduite des audiences, ainsi que la présentation du circuit d'un dossier et le rôle joué par les différents services centraux de la Cour dans son traitement.

La formation continue des rapporteurs et des membres de la formation de jugement prend la forme de « cafés d'actualité », qui sont de courtes sessions de présentation, organisées par les présidents permanents ou les chargés d'études du centre de recherche et de documentation (CEREDOC) de la CNDA, d'un point d'actualité, suivi d'un échange avec les participants. Ils portent alternativement sur un thème géopolitique et sur un thème juridique.

Il ressort des éléments transmis par la CNDA ainsi que des diverses auditions menées par le rapporteur spécial que la formation des nouveaux juges, à destination des présidents vacataires et des assesseurs CE, est facultative et sommaire. Raphaël Maurel, secrétaire général de l'observatoire de l'éthique publique (OEP) et ancien assesseur CE à la CNDA, constate à propos de cette formation, qu'elle ne contient « aucun module relatif à l'identification et à la gestion des troubles liés à un stress post-traumatique. Même la formation au contentieux de l'asile est rapide, la Cour comptant sur l'expérience des présidents de formation et la capacité des assesseurs nommés par le Conseil d'État à acquérir les compétences nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. La formation géopolitique, quant à elle, est absente à l'arrivée des juges, malgré la réception de nombreux courriels faisant, chaque semaine, état des évolutions des différentes situations géopolitiques pertinentes »41(*). De plus, cette formation n'est pas ouverte aux assesseurs HRC, mais ces derniers bénéficient d'une formation obligatoire en interne et de formations continues obligatoires tout au long de leur mandat, dispensées par le HCR.

Les formations internes assurées par le HCR à destination de leurs assesseurs

Les assesseurs HCR doivent obligatoirement suivre une formation initiale, dispensée par les équipes du HCR en France et par des juges assesseurs universitaires. Cette formation conditionne leur entrée à la CNDA. Elle se déroule sur trois jours et permet d'aborder les fondamentaux du droit des réfugiés et la jurisprudence française et européenne en la matière. Une large place est consacrée aussi à la notion de crédibilité, qui est au coeur du contentieux de l'asile, dans la mesure où la collecte des informations nécessaires pour étayer la demande d'asile, ainsi que leur appréciation au regard des déclarations du demandeur et des éléments de sa demande constituent un processus particulièrement complexe, à raison notamment de l'éloignement géographique et culturel avec le pays d'origine du demandeur. Cette formation est précédée de modules de formation qui auront dû être suivis en ligne, afin de rendre la formation plus poussée.

La formation théorique est complétée par des interventions de l'OFPRA après une participation concrète aux entretiens de demandeurs d'asile sur une journée et des interventions de présidents de la CNDA sur l'office du juge et le fonctionnement de la juridiction notamment. Les assesseurs HCR vont ainsi une demi-journée à la Cour à leur entrée officielle en fonction, et peuvent assister à un délibéré.

La formation continue est également obligatoire. Les assesseurs HCR se voient proposer des séances d'actualité par visio-conférence tout au long de l'année, sur la base de cinq par an en moyenne. Il est attendu une participation à au moins trois séances sur cinq. Elles sont consacrées à l'actualité au niveau mondial, européen et français, avec un accent mis sur les lignes directrices diffusées par le HCR sur les thématiques géopolitiques, ou celles de l'Agence européenne pour l'asile42(*). Une session par an est consacrée à l'effet du trauma dans le cadre de la procédure d'asile en recourant aux services d'experts sur le sujet.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses transmises par le HCR.

Enfin, les présidents vacataires et les assesseurs, qui viennent à la CNDA en parallèle de leurs autres activités professionnelles, ne peuvent dans la pratique que très rarement assister aux « cafés d'actualité », qui se déroulent uniquement en présentiel. En tout état de cause, ces rencontres ne constituent pas une formation continue obligatoire pour les juges de l'asile et les rapporteurs.

3. Une juridiction reconnue au niveau international
a) Le modèle majoritaire en Europe : un contentieux de l'asile confié aux juridictions administratives de droit commun

À l'échelle européenne, la majorité des États européens confient le contentieux de l'asile aux juridictions administratives de droit commun, avec le cas échéant, quelques spécificités procédurales propres au contentieux de l'asile. C'est le cas en Allemagne, où les tribunaux administratifs sont compétents pour connaître des recours à l'encontre de l'Office fédéral pour l'immigration et les réfugiés (le BAMF - Bundesamt für Migration und Flüchtlinge). Le tribunal compétent du Land est celui du lieu de résidence du demandeur d'asile. L'intéressé peut faire appel de la décision du tribunal administratif en déposant une demande d'admission de l'appel devant le tribunal administratif supérieur du Land (Oberverwaltungsgericht), qui statue sur cette demande par une décision non motivée et autorise l'appel si une question de droit significative est en jeu, si le jugement rendu diffère dela jurisprudence des instances supérieures ou s'il existe un vice de procédure. Enfin, un pourvoi en cassation contre la décision du tribunal administratif supérieur du Land est possible devant la Cour fédérale administrative (Bundesverwaltungsgericht). Il en va de même aux Pays-Bas où les recours contre les décisions du service de l'Immigration et de la naturalisation du ministère de l'Intérieur (Immigratie en Naturalisatiedienst, IND) sont portés devant des tribunaux administratifs régionaux, qui disposent d'une chambre spécialisée dans l'immigration et l'asile, avant un appel possible devant le Conseil d'État, qui a lui aussi une chambre dédiée au contentieux des étrangers. En Suisse également, les recours dirigés contre les décisions du secrétariat d'État des migrations relèvent de la compétence du tribunal administratif fédéral. Il en va de même en Slovénie devant la Cour administrative de la République, ou encore en Finlande devant les tribunaux administratifs, avec une possibilité d'interjeter appel auprès de la Cour administrative suprême.

Plus marginalement, dans d'autres États, les recours sont portés devant des juridictions spécialisées en contentieux des étrangers. Il s'agit notamment de la Belgique, où le Conseil du contentieux des étrangers (CALL), tribunal administratif spécialisé, est compétent pour traiter les recours contre toutes sortes de décisions administratives dans le domaine de la migration. C'est le cas également en Suède, qui dispose de quatre tribunaux de migration (Göteborg, Lulea, Malmö et Stockholm).

Enfin, quelques rares États confient le contentieux de l'asile aux juridictions judiciaires, à l'instar de l'Italie, où les recours sont exercés devant les tribunaux civils puis devant la Cour de cassation.

b) En France, le choix d'une juridiction spécialisée dans le contentieux de l'asile, modèle original en Europe et aujourd'hui peu contesté

La France a fait le choix, original en Europe, et très peu répandu, de confier le contentieux de l'asile à une juridiction administrative uniquement dédiée à cette matière. Il existe également en Irlande d'un tribunal d'appel de la protection internationale (International protection appeals tribunal - IPAT), qui statue à juge unique, et peut recevoir des observations de la part du ministre de la justice ou bien du HCR. La plupart des membres de ce tribunal ne sont pas des juges, mais des « quasi-judicial », et pratiquent également le droit en tant qu'avocat ou juriste. Le Danemark s'est doté quant à lui d'une commission de recours pour les réfugiés et les apatrides, composée de sept membres dont le président est un juge, trois membres sont désignés sur proposition du ministère des affaires sociales, du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'intérieur, deux membres sur proposition de l'aide nationale aux réfugiés et un membre sur proposition de l'association des avocats danois. Les affaires sont entendues par un conseil composé de trois membres, sauf dans le cas de la procédure accélérée où les affaires sont jugées par un juge unique43(*). Enfin, alors que l'Autriche disposait d'une Cour d'asile, celle-ci a été supprimée par le législateur en 2015. Ce sont donc désormais les juridictions administratives de droit commun qui gèrent le contentieux de l'asile.

Cet exemple autrichien démontre que l'institution d'une cour spécialisée ne va pas de soi. Deux facteurs principaux ont orienté en 1952 le choix du législateur vers l'institution d'une autorité juridictionnelle ad hoc. D'une part, l'importance, déjà préoccupante, du contentieux devant le Conseil d'État, aurait pu engendrer un réel engorgement de cette juridiction. D'autre part, la spécificité du contentieux de l'asile a présidé à ce choix car « l'existence de magistrats spécialisés est gage d'efficacité pour les justiciables et de cohérence de la jurisprudence »44(*).

Ce modèle a été toutefois questionné en 2013, dans le rapport sur la réforme de l'asile de Mme Valérie Létard, sénatrice, et de M. Jean-Louis Touraine, député45(*). Les deux parlementaires ont proposé de conduire, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, une expérimentation de transfert du contentieux de l'asile à la juridiction de droit commun, soit dans une ou deux régions à forte demande d'asile, soit pour l'ensemble du contentieux en procédure prioritaire.

Aujourd'hui, force est de constater que le choix de la CNDA est peu contesté. Toutes les associations, magistrats et instances auditionnées par le rapporteur spécial reconnaissent la pertinence de ce modèle, dont le coût est d'ailleurs plus faible pour les finances publiques qu'un transfert aux juridictions administratives de droit commun46(*). Ce transfert a également été écarté dans l'étude d'impact du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration47(*), dans la mesure notamment où il entraînerait pour les tribunaux administratifs, qui jugent déjà 230 000 affaires par an, un surcroît de 70 000 recours (soit + 30 %), et un coût de transition très élevé. Un risque aussi de perte de cohérence de la jurisprudence de l'asile a été soulevé.

La CNDA est par ailleurs reconnue au niveau international, notamment à raison de sa collégialité, mais aussi du fait de la présence d'un représentant du HCR dans les formations de jugement, selon la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)48(*).

B. UNE AMÉLIORATION SIGNIFICATIVE ET SALUTAIRE DES DÉLAIS MOYENS DE JUGEMENT DANS UN CONTEXTE DE PRESSION CONTENTIEUSE TOUJOURS PLUS INTENSE

1. Une augmentation des capacités de jugement de la Cour dans un contexte de hausse continue du nombre de recours
a) Un nombre de recours ayant plus que doublé en l'espace d'une dizaine d'années

Alors que la CNDA était saisie de 27 000 recours en 2010, l'évolution du nombre de recours a été exponentielle, avec au moins 60 000 recours par an depuis la sortie de la crise sanitaire. En 2023, 64 685 recours ont été adressés à la CNDA, soit une hausse de 5 % par rapport à 2022, et une progression de 10 % par rapport à 2019. Le rythme de progression des recours depuis 2010 est de l'ordre de 5 % par an.

Afin de faire face à cette hausse, la Cour a augmenté ses capacités de jugement, en particulier à partir de 2019. Hors année 2020 de crise sanitaire, la CNDA rend plus de 66 000 décisions par an depuis 2019, faisant de la CNDA la première juridiction de France en termes de décisions rendues. De même, le bureau de l'aide juridictionnelle rend environ 60 000 décisions par an depuis 2021, dont 59 415 décisions d'admission à l'aide juridictionnelle en 2023.

D'après le rapport d'activité de la CNDA pour 2023, s'agissant de la répartition de ces décisions, sur les 66 358 affaires jugées en 2023, 45 205 l'ont été au cours d'une audience, ce qui représente 68 % du nombre total de décisions. 77 % de ces 45 205 décisions ont été prises par une formation collégiale et 23 % par une formation à juge unique. Traditionnellement comprise entre 30 et 35 %, la part de décisions prises par ordonnance a représenté 32 % en 2023, contre 27 % en 2022.

La répartition des décisions rendues par la CNDA de 2014 à 2023

Source : Rapport d'activité de la CNDA pour 2023

Outre les réformes susmentionnées de juridictionnalisation et de professionnalisation de la CNDA, celle-ci a aussi pu augmenter ses capacités de jugement grâce à un nombre soutenu d'affaires par audience, 13 affaires sont inscrites quotidiennement au rôle des 32 audiences. En outre, les magistrats sont soumis à des objectifs de performance élevé, au même titre que ceux mentionnés pour les rapporteurs. Ainsi, les présidents permanents de la Cour sont tenus au respect d'une norme, de 70 audiences par an et de 100 ordonnances par mois49(*).

b) Un déstockage massif conduisant aujourd'hui la Cour à un taux de couverture excédentaire

L'augmentation du nombre de recours a eu pour conséquence mécanique d'augmenter les stocks, avec une perturbation importante engendrée par la crise sanitaire à raison d'une réduction importante du nombre des audiences en 2020, puis d'une augmentation importante des recours en 2021 à la suite d'un rattrapage de l'activité de l'OFPRA. Depuis 2022, la CNDA a jugé un nombre plus important de recours qu'elle n'en a enregistrés, entraînant par suite une diminution importante du stock.

Actuellement, la Cour connaît un niveau historiquement bas de ses stocks et son taux de couverture est excédentaire depuis 2022, de l'ordre de 109 % en 2022 et 103 % en 2023, ce qui signifie qu'elle juge plus d'affaires que le nombre de recours introduits sur l'année. L'apurement des stocks a été conséquent depuis 2020, passant ainsi d'un stock de 33 513 dossiers à 26 132 dossiers en stock restant en 2023.

Nombre de décisions rendues par la CNDA
par rapport au nombre de recours de 2015 à 2023

Source : Commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le Conseil d'État

Plusieurs types de mesures ont été mises en oeuvre par la Cour pour atteindre ces résultats. Outre une action spécifique pour prioriser les dossiers anciens, la CNDA a mis en place un système de suivi des dossiers anciens, ce qui a permis de diviser par deux les recours de plus d'un an, part qui s'établit désormais à 8,7 %. Des opérations de suivi et d'apurement du stock sont trimestriellement menées par les services et les chambres afin de veiller à l'enrôlement rapide des recours. La Cour a également mis en place, en lien avec les avocats, des audiences à juge unique dédiées aux recours des demandeurs somaliens et afghans au 1er semestre 2023. Enfin, la Cour a aussi mis en place en outre-mer des audiences foraines afin d'apurer des stocks anciens à Mayotte et en Guyane, en parallèle d'un recours accru à la vidéo-audiences dans ces territoires.

L'organisation d'audiences foraines en outre-mer

Des audiences foraines, c'est-à-dire une série d'audiences décentralisées, sont organisées en outre-mer lorsque le recours à la vidéo-audience est insuffisant pour résorber un stock important. Ces audiences, dénommées également « missions foraines » ont été mises en place par la Cour depuis 2006, avec près de 20 missions depuis cette date organisées en Guadeloupe, à Mayotte, en Martinique et en Guyane. Du fait de l'augmentation de la demande d'asile à Mayotte, la Cour a mis en oeuvre trois missions foraines dans ce département entre 2021 et 2022. Pour l'heure, compte tenu du rythme des vidéo-audiences avec le tribunal administratif de Mayotte, aucune mission foraine n'est prévue pour 2024.

Des audiences foraines ont eu lieu aussi plus ponctuellement dans l'hexagone, avec 8 audiences foraines à Lyon et 3 à Nancy entre 2021 et 2023.

L'organisation de ces missions est relativement lourde pour la Cour dans la mesure où elles impliquent le déplacement des formations de jugement, des rapporteurs, des secrétaires d'audience, voire même d'interprètes lorsqu'il n'y en a pas sur place pour la langue souhaitée. Ces missions mobilisent aussi la régie de la CNDA pour la réservation des hébergements, des billets d'avion et la constitution d'avances de frais. Il faut aussi, et au préalable, trouver des locaux sur place où vont se tenir ces audiences quotidiennes pendant une voire plusieurs semaines.

En termes de coûts, la mission foraine à Mayotte en octobre 2022, qui a eu lieu au lycée de Petite Terre à Pamandzi, a coûté presque 83 000 euros à raison des frais d'hébergement, de transports, de repas, de frais de gardiennage et de location de véhicules notamment. Cette mission aura nécessité le déplacement de 25 personnes, qui n'ont pas bénéficié de majoration de leurs traitements ou du coût de leurs vacations.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses transmises par le Conseil d'État

Au regard de ces efforts massifs de déstockage, le rapporteur spécial ne peut que souscrire au fait « la CNDA est donc, en termes administratifs, parfaitement efficiente en l'état actuel des choses »50(*).

Dans ce contexte, Diane Gattet51(*) a observé que trois impératifs structurent la temporalité du travail à la Cour nationale du droit d'asile : célérité, fluidité et productivité. Ces trois éléments ont aussi permis une amélioration des délais de jugement depuis 2015.

2. Un délai moyen de jugement correct s'établissant aujourd'hui à 6 mois
a) Une amélioration nette du délai moyen constaté depuis la crise sanitaire

La maîtrise des délais de jugement est la première préoccupation des juridictions administratives, comme en témoigne le premier objectif de performance du projet annuel de performances du programme 165 « Conseil d'État et aux autres juridictions administratives ». Le délai moyen constaté est dès lors le premier indicateur de suivi de la performance.

Si le délai moyen constaté global à la CNDA, c'est-à-dire comprenant aussi bien les délais des procédures normales que des procédures accélérées, s'est dégradé en 2018 et en 2019 à raison d'une forte augmentation des recours adressés à la Cour, et de nouveau en 2020 du fait de la crise sanitaire ayant suspendu puis fortement perturbé le rythme normal des audiences, le délai moyen constaté a été progressivement ramené autour de six mois depuis 2021. Il s'établit en 2022 à 6 mois et 16 jours, et à 6 mois et 3 jours pour l'année 2023.

Il existe toutefois un différentiel entre le délai moyen constaté pour les dossiers métropolitains, qui est de 6 mois et 2 jours en 2023, soit un niveau en-deçà de la moyenne nationale, et celui observable pour les dossiers ultramarins. Si les recours enregistrés à Mayotte et à la Martinique sont traités respectivement en 6 mois et 27 jours et 6 mois et 18 jours en 2023, il n'en va pas de même pour la Guyane, qui connaît un délai moyen de 8 mois, ou encore la Réunion, avec un délai moyen de 20 mois et 15 jours. La Cour explique en partie cette différence par les contraintes des tribunaux administratifs en outre-mer qui ne peuvent pas mettre systématiquement à disposition des salles d'audience pour organiser des vidéo-audiences.

Outre le coût humain que représentent des délais de jugement trop longs, il faut aussi relever le coût non négligeable pour les finances publiques.

b) Une réduction des délais de jugement aux conséquences budgétaires majeures

La maîtrise des délais de jugement est d'autant plus nécessaire que tout allongement a des conséquences budgétaires majeures sur la charge financière supportée par la mission « Immigration, asile et intégration ». En effet, plusieurs dispositifs compris dans cette mission budgétaire ont pour objet de soutenir les demandeurs d'asile en attente d'une décision relative à leur statut de réfugié. Le coût de ces différents dispositifs varie en fonction des délais de jugement, du stock d'affaires en attente devant la CNDA, mais aussi lié à la composition familiale des demandeurs d'asile.

Il est possible d'évaluer globalement le coût budgétaire d'une augmentation d'un mois des délais de traitement des dossiers par la CNDA, en excluant toutefois les dépenses de santé ou d'éducation des enfants de demandeurs d'asile scolarisés, qui sont difficilement chiffrables.

Selon les données transmises par la direction de l'asile de la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l'intérieur et des outre-mer, le coût mensuel moyen de la prise en charge des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA s'élève ainsi à 91 millions d'euros. Dans la mesure où le nombre de demandeurs d'asile est de 147 248 personnes en 2023, le coût de prise en charge d'un demandeur d'asile s'établirait donc à 618 euros par mois.

Le coût mensuel de la prise en charge des demandeurs d'asile

(en millions d'euros)

Centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA)

31,52

Centres d'accueil et d'examen de la situation (CAES)

5,07

Hébergements d'urgence pour demandeur d'asile (HUDA), comprenant à la fois

32,33

Allocation pour demandeur d'asile (ADA)

21,64

Accompagnement

0,46

Total

91

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction de l'asile de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer

Par suite, diminuer d'un mois le délai de jugement, pour atteindre notamment le délai légal de 5 mois fixé par le législateur pour les procédures normales, pourrait ainsi produire une économie d'un montant équivalent à 91 millions d'euros, équivalent, par comparaison, au montant annuel du budget de la CNDA.

3. Un délai moyen masquant toutefois des délais légaux non respectés, notamment pour le délai imposé pour les procédures accélérées
a) Un délai moyen constaté pour les procédures normales respectant quasiment les exigences légales

Le délai moyen constaté de 6 mois et 3 jours en 2023 correspond au délai agrégé de jugement à la CNDA, et non aux délais constatés par type de procédure. Le délai moyen constaté pour les procédures normales est toutefois relativement proche du délai de 5 mois fixé par le législateur en 2015 puisque qu'il est de 6 mois et 26 jours en 2023. Par conséquent, l'objectif cible de réduction de ce délai à 5 mois et 15 jours pour 2024, puis à 5 mois pour 2025 semble plutôt réaliste.

Il convient également de souligner que ce délai moyen pour les procédures normales a rapidement diminué, puisqu'il s'établissait encore à 8 mois et 16 jours en 2021.

Afin de parvenir à une réduction de deux mois du délai moyen constaté pour les procédures normales, la Cour a mis en oeuvre plusieurs mesures. En premier lieu, pour assurer un meilleur pilotage de l'activité juridictionnelle, elle élabore tous les deux mois des plannings d'audience pour les deux à trois prochains mois. En deuxième lieu, la Cour fait régulièrement le point sur le stock de dossiers des chambres afin de repérer les dossiers qui peuvent être réaffectés au SCE afin qu'ils soient rapidement inscrits sur le rôle d'une audience. Enfin, avec la spécialisation par chambre de la Cour mise en place progressivement à partir de 201952(*), lorsque le nombre de recours de requérants d'une même nationalité augmente, et qu'il s'agit d'un pays de spécialisation, la Cour a pu élargir le pays sur plusieurs chambres afin de traiter davantage de dossiers.

La Cour a aussi développé une stratégie de maîtrise des délais pour les procédures accélérées. Ainsi, pour les deux premières nationalités représentant plus de 10 % du stock en procédure accélérée, la Cour a mis en oeuvre des audiences à juge unique ciblées. La part des recours afghans et somaliens a ainsi été réduit à moins de 6 % sur l'année 2023. Toutefois, la CNDA est encore bien loin du respect du délai légal pour les procédures accélérées.

b) Un délai légal inatteignable pour les procédures accélérées ?

En effet, le délai légal de cinq semaines n'a jamais été respecté pour les procédures accélérées. Le délai moyen constaté était de 2 mois et 27 jours en 2016, et s'est progressivement dégradé pour atteindre 3 mois et 29 jours en 2019, puis 4 mois en 2021, et enfin 5 mois et 8 jours en 2022. Pour 2023, ce délai moyen s'améliore légèrement pour s'établir à 4 mois et 29 jours, ce qui est toutefois toujours quatre fois supérieur au délai fixé par le législateur. Il convient aussi de relever que c'est le recours aux ordonnances qui fait baisser le délai moyen pour les procédures accélérées. Avec une audience à juge unique, le délai moyen s'établit en procédure accélérée en réalité à 8 mois et 25 jours.

Il ressort des différentes auditions menées par le rapporteur spécial que le délai de cinq semaines, fixé en 2015 pour les procédures accélérées, est dans la pratique peu réaliste, ne serait-ce que pour respecter le principe du contradictoire. Le délai de cinq semaines paraît atteignable dans le cadre de recours traités par ordonnances, mais devient rapidement intenable dès lors qu'une audience est organisée. En effet, il est nécessaire de s'assurer de la disponibilité de toutes les parties prenantes (avocat, interprète, rapporteur et juge). Ensuite, il convient de laisser un temps suffisant pour respecter le principe du contradictoire. Ainsi, dès l'enregistrement du recours, le conseil du requérant dispose d'un délai de 15 jours pour produite des observations. Dès qu'un document utile à la résolution du litige est soumis par une partie, il doit être soumis au principe du contradictoire. Enfin, le rapporteur doit disposer d'un délai suffisant pour instruire le dossier et rédiger un projet de décision, soumis à la relecture du chef de chambre et du président de la formation de jugement.

Par ailleurs, le rapporteur spécial tient à souligner que ces délais permettent aussi une mise en sécurité, en ce sens que le juge de l'asile protège les valeurs de la République. Prendre quelques mois pour juger bien, c'est aussi prendre le temps de vérifier que la personne à qui on accorde l'asile n'a pas commis par exemple de crimes contre l'humanité dans son pays d'origine, et que l'octroi du statut de réfugié de remettra pas en cause la sécurité du pays.

Pour toutes les raisons évoquées, le rapporteur spécial considère que l'objectif d'un délai de trois mois serait plus réaliste, qui a d'ailleurs été atteint en 2016 et 2017, en lieu et place de cinq semaines.

C. UNE EFFICACITÉ PERMISE PAR L'ALLOCATION CONSTANTE DE MOYENS BUDGÉTAIRES ADAPTÉS

1. Une action du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » dédiée à la CNDA, mais qui ne retrace pas l'ensemble de ses dépenses
a) Un rattachement au programme 165 dès la mise en place de la CNDA

Alors que la CNDA relevait auparavant du programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration », elle a vu ses crédits rattachés au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » depuis le 1er janvier 2009.

Dans le cadre de ce rattachement budgétaire, la CNDA participe, comme les autres juridictions administratives, à une conférence de gestion annuelle. Elle est précédée d'une pré-conférence budgétaire, destinée à approfondir l'étude du volet budgétaire du dialogue de gestion grâce, notamment, à une analyse détaillée de l'exécution budgétaire de l'année antérieure. C'est à l'occasion de cette pré-conférence budgétaire qu'est déterminé le budget de la Cour.

b) Un budget pouvant être déduit du croisement de plusieurs documents budgétaires

Alors qu'il existe au sein du projet annuel de performances de la mission « Conseil et contrôle de l'État », une action 7 « Cour nationale du droit d'asile » au sein du programme 165, celle-ci ne recouvre que les crédits de rémunération des personnels affectés à la Cour : les magistrats administratifs, les rapporteurs, les secrétaires d'audience et les agents des services administratifs et gestionnaire. La rémunération du président de la Cour est affectée pour moitié à l'action 7, l'autre partie relevant de l'action 6 « Soutien », qui retracent notamment les dépenses des personnels non affectés directement à une autre action au titre de leur fonction de soutien, notamment les emplois relevant du secrétariat général du Conseil d'État.

Les dépenses de fonctionnement de la CNDA sont contenues au sein de l'action 6 « Soutien », qui retrace l'ensemble des dépenses hors titre 2 exposées pour le programme au titre des fonctions support (fonctionnement courant, immobilier, informatique, formation, etc.). Aucune information n'est toutefois mentionnée sur la part des dépenses de fonctionnement et d'investissement allouées à la CNDA au sein de cette action 6. Il convient aussi de relever qu'aucun crédit de titre 5 n'est directement affecté à la CNDA, même si elle bénéficie toutefois des prestations des services centraux du Conseil d'État (direction de l'équipement, informatique) et fait l'objet depuis 2017 d'un projet d'investissement majeur lié à son relogement sur un autre site à Montreuil, avec le tribunal administratif de Montreuil.

Il en ressort une situation assez peu lisible. Les arguments avancés contre la création d'une action budgétaire dédiée à la CNDA, et retraçant l'ensemble de ses dépenses, sont principalement de deux ordres. D'une part, la définition d'une clé de répartition des dépenses de fonctionnement entre les différentes juridictions administratives s'avère délicate au moment de l'élaboration du projet annuel de performances. D'autre part, les travaux réalisés à la CNDA n'ont pas toujours correspondu à des dépenses d'investissement. En effet, les travaux effectués au sein des locaux du siège de la CNDA à Montreuil depuis 2009, notamment le réagencement des espaces et l'aménagement des nouvelles salles d'audience, étaient considérés comme des dépenses de fonctionnement, dans la mesure où ils concernaient des surfaces locatives.

Le Conseil d'État retrace toutefois le coût complet de l'action de la CNDA annuellement dans le cadre du document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration ». Ainsi, une ventilation des dépenses de l'action 6 (dépenses de fonctionnement, investissement et personnel), selon les méthodes de la comptabilité d'analyse des coûts, est réalisée chaque année dans ce document budgétaire.

Il faut donc se référer à un autre document budgétaire que le projet annuel de performances de la mission « Conseil et contrôle de l'État » pour comprendre le budget de la CNDA, qui relève pourtant du programme 165. Ce croisement de plusieurs documents budgétaires n'est pas satisfaisant, surtout dans un contexte de progression continue du budget de la CNDA, qui représente en 2024 plus d'un dixième du montant total du budget de la mission.

2. Une augmentation du budget contenue au niveau de l'évolution du nombre de recours
a) Une augmentation du budget plus forte que le nombre de recours en prenant en compte les dépenses d'investissement exceptionnelles de relogement de la CNDA

Il ressort donc du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » que le budget global de la CNDA pour 2023 a été de l'ordre de 94 millions d'euros53(*), alors qu'il n'était que de 22 millions en 2010.

Évolution du budget global de la CNDA
en miroir de l'évolution du nombre de recours de 2010 à 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents de politiques transversales

En prenant en compte les dépenses d'investissement exceptionnelles54(*), le budget total de la CNDA a été multiplié par 4,3 tandis que le nombre de recours a été multiplié par 2,4.

Toutefois, il convient de relever que la forte hausse du budget de la CNDA à partir de 2018 est concomitante au projet d'ampleur de relogement de la CNDA avec le tribunal administratif de Montreuil. À ce stade de l'opération, selon les informations transmises par le Conseil d'État en mai 2024, sur un montant de 131,6 millions d'euros affectés et engagés au profit de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), un montant de 82,46 millions d'euros a été payé depuis 2018, et réparti sur plusieurs exercices. Le montant de restes à payer s'élève à 49,14 millions d'euros, dont les échéances sont prévues en 2025 (38,93 millions d'euros) et 2026 (10,21 millions d'euros). À horizon 2027, à nombre de recours constant, le budget total de la CNDA a donc vocation en principe à diminuer puisque ces dépenses d'investissement ne pèseront plus sur son budget.

b) Une évolution du budget suivant de près l'augmentation du nombre de recours hors dépenses d'investissement exceptionnelles

Hors dépenses d'investissements exceptionnelles, le budget total de la CNDA suit globalement l'évolution du nombre de recours. Alors que le nombre de recours a été multiplié par 2,4 depuis 2010, les dépenses agrégées de personnel et de fonctionnement de la Cour ont quant à elles été multipliées par 2,8.

Évolution des dépenses de personnel et de fonctionnement
à la CNDA de 2010 à 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les informations transmises par le Conseil d'État

En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement, les coûts d'occupation, de gardiennage et de nettoyage, ainsi que les frais de justice, et plus particulièrement l'interprétariat, ont fortement augmenté depuis 2019. Entre 2019 et 2024, les dépenses d'occupation ont progressé de 46 % compte tenu, notamment, de la prise à bail des nouveaux locaux. Les surfaces utilisées par la Cour ont en effet augmenté de 2 263 m2, passant de 12 390 men 2019 à 14 653 m2 en 2024. L'augmentation des surfaces a nécessairement eu un impact sur les dépenses relatives aux services aux bâtiments, dont les plus significatives sont les prestations de gardiennage et de nettoyage. Ces dépenses ont ainsi évolué globalement de 54 % depuis 2019 (respectivement de 63 % pour le gardiennage et de 27 % pour le nettoyage). S'agissant enfin des dépenses de frais de justice, elles ont progressé de 16 % entre 2019 et 2024. Au sein de cette dotation, c'est l'interprétariat qui a fait l'objet d'une plus forte hausse, de + 22 % entre 2019 et 2024.

En ce qui concerne les dépenses de personnel, elles ont progressé de 235 % de 2010 à 2023, passant ainsi de 12,7 millions d'euros à 42,5 millions d'euros sur la période. La progression des effectifs a été le moyen privilégié par la Cour pour améliorer le traitement des recours.

3. Une priorité concentrée sur le renforcement des moyens humains

La progression des dépenses de personnel s'explique principalement par l'augmentation des effectifs. En effet, de 2010 à 2023, la consommation du plafond d'emplois a été multipliée par près de 2,7, passant de 243 ETPT à 656 ETPT. Le cumul du schéma d'emplois, qui correspond aux créations d'emplois, s'est établi durant la même période à près de 457 ETP.

La Cour a bénéficié massivement de créations d'emplois à partir de 2018, en captant quasi-totalement toutes les créations de poste du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » pendant plusieurs années consécutives. Ainsi, sur les 108 emplois créés en 2019, 103 concernent la CNDA. Ses effectifs ont été renforcés de plus de 200 ETP en deux ans, avec la création à nouveau de 103 emplois en 2019.

Le glissement vieillesse-technicité (GVT), les évolutions de la valeur du point fonction publique ainsi que des mesures de revalorisation salariale ont également contribué, mais dans une moindre mesure, à l'évolution des dépenses de personnel.

Depuis 2012, les principales mesures de revalorisation salariale ont représenté presque 2,3 millions d'euros pour la Cour, avec notamment la revalorisation des agents contractuels en 2016 pour un montant de 0,4 million d'euros, ou encore la revalorisation des indemnités des présidents et des assesseurs des formations de jugement en 2019, pour un montant de l'ordre de 0,7 million d'euros.

Au 1er janvier 2024, la CNDA compte 653 agents, dont la majorité est affectée en chambres (462 agents). La CNDA a pour particularité que quasiment la moitié de ses effectifs sont des personnels contractuels (320 agents).

II. UN DÉFI À RELEVER : LA RÉFORME DU CONTENTIEUX DE L'ASILE DOIT ÊTRE MISE EN oeUVRE SANS DÉSTABILISER LES ÉQUILIBRES ATTEINTS CES DERNIÈRES ANNÉES ET DANS LE CADRE D'UN BUDGET CONTRAINT

A. UNE RÉFORME STRUCTURELLE DE LA CNDA DANS LA LOI DU 26 JANVIER 2024, AUX OBJECTIFS AMBITIEUX

1. Une territorialisation progressive afin de rapprocher le juge du demandeur d'asile

La réforme du contentieux de l'asile résulte principalement de la volonté de rapprocher le juge de l'asile du demandeur, pour améliorer l'accueil du justiciable tout en respectant l'exigence du délai raisonnable de jugement. Pour ce faire, l'article 70 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration modifie l'article L. 131-3 du CESEDA, qui prévoit désormais que la « Cour peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres territoriales. Le siège et le ressort des chambres sont fixés par décret en Conseil d'État ». Il s'agit donc d'une possibilité offerte par le législateur de territorialiser la Cour, qui peut procéder à un aménagement de son organisation territoriale55(*).

L'ouverture de chambres territoriales permet en théorie de résoudre les problèmes d'accès à la CNDA pour tous les demandeurs d'asile. Ils ne sont en effet pas tous logés dans des centres d'hébergement en région parisienne, et donc peuvent supporter des coûts de déplacement, souvent pris en charge d'ailleurs par les associations d'aide aux demandeurs d'asile. Cette distance géographique de Montreuil est une contrainte de plus que la CNDA doit gérer. Elle s'organise en principe pour mettre au début du rôle de l'audience les dossiers des requérants logeant le plus loin. La territorialisation répond par conséquent à un objectif d'égalité de traitement entre les requérants, quel que soit leur lieu de résidence sur le territoire français.

La territorialisation de la CNDA trouve aussi une cohérence avec la mise en oeuvre parallèle, depuis janvier 2021, de l'orientation directive des demandeurs d'asile56(*), qui bénéficie d'un bilan favorable : « Deux ans après son engagement, l'orientation directive des demandeurs d'asile répond donc à son objet principal relatif au rééquilibrage de la répartition territoriale des primo-demandeurs d'asile. En deux ans, la proportion des primo-demandeurs d'asile résidant en Île-de-France a ainsi été abaissée d'une dizaine de points »57(*).

Par ailleurs, la mise en place de chambres territoriales pourrait permettre de limiter le phénomène de la concentration des avocats franciliens intervenant à la CNDA, qui constitue d'après la juridiction un frein important à l'enrôlement des dossiers, et par suite, à sa performance. Selon les données communiquées par la CNDA, s'agissant des procédures normales, cinq avocats concentrent 60 % des affaires en attente d'audiencement, et, s'agissant des procédures accélérées, six avocats concentrent 50 % des affaires en attente d'audiencement.

Le rapporteur spécial a pu observer cette concentration lors de son déplacement au siège de la CNDA lors d'une présentation faite par le SCE : 600 dossiers d'une même nationalité étaient détenus par un seul et même avocat. Dans la mesure où il existe une jauge de sept dossiers d'un même avocat par jour, et que la faiblesse du stock rend difficile de compenser avec les dossiers du stock, cette concentration est belle et bien un ralentissement à l'audiencement des affaires.

2. La compétence de principe du juge unique, destinée à réduire les délais de jugement

Dans la rédaction antérieure du CESEDA, il résultait des dispositions de ce code que la Cour statuait en principe en formation collégiale, sauf dans les cas limitativement énumérés. La loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration procède à une généralisation du recours au juge unique, qui devient de principe. L'article L. 131-7 du CESEDA dispose que « À moins que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la Cour nationale du droit d'asile ou le président de formation de jugement désigné à cette fin décide, à tout moment de la procédure, d'inscrire l'affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s'il estime qu'elle pose une question qui le justifie, les décisions de la Cour nationale du droit d'asile sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul ».

Dans le projet de loi initial, il était prévu que le renvoi en formation collégiale n'était possible que si l'affaire « présente des difficultés sérieuses ». Estimant cette condition trop restrictive, le Conseil d'État58(*) a suggéré au Gouvernement de modifier cette formulation afin de laisser à la Cour la plus grande latitude dans la décision d'inscrire l'affaire au rôle d'une formation collégiale. C'est ainsi que la formulation de « question qui le justifie », proposée par le Conseil d'État, a été retenue dans le texte finalement déposé et adopté.

Il ressort de l'étude d'impact du projet de loi59(*) que plusieurs motifs ont présidé à la généralisation du juge unique. Tout d'abord, celle-ci est une des conséquences de la territorialisation de la Cour, et du fait qu'il pourrait être difficile d'organiser des audiences en formations collégiales dans les chambres territorialisées à raison d'un vivier d'assesseurs peu important en régions, et ne présentant pas les mêmes garanties que le vivier en Ile-de-France. L'étude d'impact précise qu'en « s'appuyant sur les données des affaires audiencées en 2021, il serait nécessaire d'organiser plus de 500 audiences collégiales à Marseille. Ceci nécessiterait de disposer, en théorie, d'une vingtaine d'assesseurs du HCR et d'une vingtaine d'assesseurs nommés par le vice-président du Conseil d'État. Et ce nombre devrait être plus élevé pour disposer d'une réserve de vacataires plus importante en cas d'absence ». De plus, le recours au juge unique de principe permet d'éviter les renvois en formation collégiale pour des raisons de procédure suivie devant l'OFPRA, ce qui permettra en théorie de faire diminuer dans le même temps le nombre de renvois et les délais de jugement, en limitant les cas d'absence de membres de la formation de jugement, et les renvois dits pour « heure tardive »60(*).

Mesure contestée de la réforme de la CNDA par les différents professionnels du droit intervenant dans le contentieux de l'asile et les associations, comme remettant en cause la collégialité « à la française » du contentieux de l'asile, cette disposition a été validée par le Conseil constitutionnel61(*). Il a en effet considéré que le fait que la CNDA statue à juge unique ne porte pas, par lui-même, atteinte aux droits de la défense et qu'en laissant au président de la Cour le soin d'apprécier si une affaire requiert un examen devant une formation collégiale, le législateur n'a pas instauré de discrimination injustifiée entre les demandeurs d'asile.

3. D'autres réformes plus marginales ayant toutefois une incidence en termes d'efficacité de la Cour et de périmètre budgétaire
a) La réaffirmation d'une possible spécialisation géographique des chambres, étendue à une spécialisation linguistique

La spécialisation des chambres relève des pouvoirs du président de la Cour. L'article R. 131-1 du CESEDA dispose que son président, en tant que responsable de l'organisation et du fonctionnement de la juridiction, affecte les membres des formations de jugement et les personnels et « répartit les affaires entre chacune d'elles ».

Dès 2019, la Cour s'est engagée dans la voie d'une spécialisation géographique, avec une expérimentation pour quatre chambres de la deuxième section. En janvier 2021, cette spécialisation a été étendue à toutes les chambres volontaires. Actuellement, 31 pays sont spécialisés sur les 23 chambres de la Cour, à raison de deux à cinq pays de spécialisation par chambre. Plusieurs chambres peuvent ainsi être spécialisées sur un même pays. À titre d'exemple, compte tenu du volume qu'il représente, l'Afghanistan est réparti sur 11 chambres de la Cour. Les pays non spécialisés sont, quant à eux, répartis entre toutes les chambres de la Cour, ce qui signifie que toutes les formations de jugement d'une chambre jugent aussi de recours de demandeurs d'autres pays, même en cas de spécialisation d'une chambre.

La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration confirme cette possible spécialisation géographique des chambres, en instaurant également une spécialisation linguistique. L'article L. 131-3 du CESEDA, tel que modifié par l'article 70 de la loi du 26 janvier 204, prévoit que le président de la Cour « peut en outre spécialiser les chambres en fonction du pays d'origine et des langues utilisées ».

Il ressort de l'entretien du rapporteur spécial avec le président Herondart qu'il n'y aura pas de chambres territoriales spécialisées géographiquement, toutes les chambres spécialisées resteront à Montreuil. En effet, dans la mesure où cette territorialisation a été envisagée pour rapprocher le justiciable du juge de l'asile, « on ne saurait demander à un demandeur en Bretagne d'aller à Marseille pour être jugé »62(*) précise le président de la Cour. La territorialisation de la CNDA risque d'avoir des effets sur la spécialisation des chambres en ce que certaines chambres à Montreuil vont se « déspécialiser » pour donner un effet utile à la territorialisation. À titre d'exemple, l'Afghanistan est une spécialisation dans 11 chambres de la Cour, mais celle-ci risque d'évoluer avec les chambres territoriales dans la mesure où beaucoup de dossiers afghans sont concentrés à Marseille.

En revanche, le Conseil d'État n'exclut pas une spécialisation linguistique des chambres en région, qui pourrait être utile dans le cas où il serait compliqué de trouver des interprètes dans une langue rare en région63(*).

Si les avocats auditionnés ont critiqué cette spécialisation, qui peut être source pour eux d'une certaine lassitude de la part des juges, le rapporteur spécial y voit quant à lui une mesure de bonne administration de la justice, qui se pratique d'ailleurs dans la plupart des juridictions en France et qui pourra accroître l'efficacité de la juridiction. Cette spécialisation est aussi l'occasion de renforcer la formation des juges, adaptée et plus poussée en fonction de leurs différentes spécialisations. Enfin, cette spécialisation des chambres n'est pas complète et n'exclut pas une mobilité des magistrats au bout de quelques années afin de varier les spécialisations.

b) La nouvelle procédure de nomination des assesseurs HCR, assurée par le vice-président du Conseil d'État

La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration a instauré une nouvelle procédure de nomination des assesseurs HCR : auparavant nommés par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d'État, ils seront désormais nommés par le vice-président du Conseil d'État, sur proposition du représentant en France du Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.

À la suite d'une demande en ce sens du HCR, le Conseil d'État assurera a priori désormais la gestion financière des assesseurs HCR64(*), en plus des assesseurs CE. Leur rémunération ne sera plus assurée via une dotation versée par le ministère des affaires étrangères au HCR, mais sera directement intégrée au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives ». La gestion des agendas des assesseurs devrait aussi relever du Conseil d'État65(*)

Ce nouveau mode de nomination a donc pour effet d'entraîner un léger changement de périmètre du programme 165 à compter du 1er janvier 2025, avec la prise en charge des indemnités de séance et des frais de déplacement. Sur la base des 4 900 audiences collégiales ayant nécessité le concours d'un assesseur CE en 2023, le Conseil d'État a évalué la hausse du budget du programme 165 à 1,7 million d'euros comprenant 1,25 million d'euros pour les indemnités de séance et 0,46 million d'euros pour les frais de déplacement.

Ce chiffre pourra être amené à évoluer en fonction de la nouvelle répartition opérée entre formation collégiale et formation à juge unique. Les économies réalisées avec la généralisation du juge unique pourraient être annulées par la hausse des frais de déplacement des assesseurs dans les chambres territorialisées en cas de vivier manquant hors Ile-de-France.

De façon plus anecdotique, cette nomination unifiée de tous les assesseurs par le vice-président du Conseil d'État assure une plus grande transparence des nominations dans la mesure où toutes les nominations figureront au Journal Officiel, ce qui n'était pas le cas des assesseurs nommés par le HCR, à raison de son statut d'organisation internationale.

En revanche, le HCR ne se désengagera pas de la formation, tant initiale que continue de ses assesseurs, qui demeure obligatoire. Ainsi, une partie de la dotation versée par le ministère des affaires étrangères au HCR devrait subsister pour assurer et développer ces formations. Par ailleurs, le HCR devrait faire une pré-formation aux assesseurs qu'il proposera au vice-président du Conseil d'État, afin que la proposition soit consistante.

B. DES MESURES DESTINÉES À ACCROÎTRE L'EFFICACITÉ DE LA COUR MAIS QUI S'INSCRIVENT DANS UN CADRE BUDGÉTAIRE CONTRAINT

1. Des effets sur les délais non évalués de la généralisation du recours au juge unique
a) Une étude d'impact silencieuse sur les prévisions de réduction des délais de jugement

L'étude d'impact du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration énonce que la généralisation du recours au juge unique devrait permettre de réduire les délais de jugement à la CNDA, et plus particulièrement ceux des dossiers en procédure accélérée. Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, la direction générale des étrangers en France (DGEF) mentionne une évaluation réalisée par la CNDA pour l'étude d'impact du projet de loi : 18 % des dossiers relevant du juge unique étaient renvoyés devant une formation collégiale, dans la plupart des cas, en raison d'une erreur lors de la phase administrative de la demande d'asile.

Pour autant, les incidences concrètes en termes de délais de jugement n'ont pas été évaluées, et l'étude d'impact ne contient aucune prévision. Le rapporteur spécial souscrit aux critiques générales du Conseil d'État dans son avis du 26 janvier 2023, qui a regretté l'absence « d'éléments permettant de prendre l'exact mesure des défis à relever dans les prochaines années » et rappelé à cet égard « la nécessité de disposer d'un appareil statistique complet pour éclairer tant le débat démocratique que la définition des choix structurants de la politique publique en matière d'immigration et d'asile ».

b) Un paradoxe à prendre en compte : des délais de jugement en 2023 plus longs pour les audiences à juge unique que celles en formation collégiale

Il apparaît que les délais sont nécessairement plus longs lorsqu'une audience publique est tenue, et ce, qu'il s'agisse d'un dossier relevant de la procédure normale examiné par une formation collégiale ou bien d'un dossier relevant de la procédure accélérée étudié par un juge unique. Dans les deux cas, l'organisation d'une audience publique implique des délais incompressibles, avec une coordination plus forte des différentes parties prenantes. Le délai moyen constaté de jugement en métropole en 2023 est de 7 mois et 3 jours pour une formation collégiale, tandis qu'il est de 8 mois et 25 jours pour un juge unique en cas d'audience. Ce sont les ordonnances qui font drastiquement baisser les délais des procédures accélérées et qui leur permettent d'avoir, au niveau agrégé, un délai de jugement moyen inférieure aux procédures normales. En effet, les ordonnances sont rendues en moyenne en 4 mois et 5 jours pour les procédures normales, et en 2 mois et 10 jours pour les procédures accélérées.

Si les marges de progression en termes de réduction des délais de jugements rendus par une audience à juge unique sont élevées, celui-ci ne saurait constituer la solution miracle. Couplé à la territorialisation, qui limitera de facto la concentration des avocats, la généralisation du juge unique ne pourra avoir des effets qu'à moyen terme voire long terme, le temps de mettre pleinement en oeuvre les chambres territoriales.

De surcroît, en l'état, dans la mesure où les délais de jugement sont plus longs en procédure accélérée avec audience à juge unique qu'en procédure normale avec une audience à formation collégiale, le rapporteur spécial redoute même un rallongement du délai moyen constaté global à court et moyen termes.

2. Une mise en place graduelle de la régionalisation de la Cour à raison de nombreuses contraintes logistiques et budgétaires
a) Un calendrier prudent mais ramassé

À titre liminaire, il convient de relever que la loi crée une simple possibilité de territorialisation de la Cour. Plusieurs décrets d'application devront décider de l'ouverture de ces chambres, ainsi que déterminer le critère de compétence territoriale66(*), qui sera a priori le lieu de résidence du demandeur d'asile à la date de la décision de l'OFPRA, avec la possibilité pour le président de la Cour d'affecter une affaire au niveau central à Montreuil. Afin de préparer sa nouvelle organisation territoriale qui devrait débuter à l'automne 2024, la CNDA a tenu quatre groupes de travail à compter de février 2024.

Ces chambres territoriales seront dans l'enceinte des cours administratives d'appel, sauf celles d'Ile-de-France (Paris et Versailles) ainsi que celle de Douai. Leur proximité géographique avec le siège de la CNDA à Montreuil rend en effet l'intérêt d'une déconcentration moindre. Les cours administratives d'appel ont été privilégiées par rapport aux tribunaux administratifs, à raison de la plus grande disponibilité de leurs locaux, et en particulier des salles d'audience, en se calant au plus près des régions métropolitaines. En revanche, le service du bureau de l'aide juridictionnelle restera à Montreuil, de même que l'enrôlement des dossiers. Ce sont uniquement les audiences et les formations de jugement qui se tiendront dans les chambres territoriales, permettant ainsi une mutualisation des fonctions support avec celles des cours administratives d'appel. Il n'y aura donc pas de dispersion des services généraux de la CNDA.

Ces chambres territoriales prendront en charge environ 30 % du contentieux de l'asile, dans la mesure où 70 % des recours relèveront toujours de la compétence territoriale de Montreuil, qui a vocation à rester le centre névralgique du traitement du contentieux de l'asile. Par suite, sept chambres territoriales seront suffisantes pour absorber le contentieux en régions. Leur déploiement sera séquencé sur un an et en deux temps67(*) :

- à l'automne 2024, il est prévu d'ouvrir cinq chambres territoriales, dont trois dans les cours administratives d'appel de Lyon et de Nancy, avec deux chambres à Lyon, où la Cour tient d'ores et déjà des vidéo-audiences depuis 2018 et des audiences foraines depuis 2021. Deux autres seront ouvertes à Toulouse et Bordeaux ;

- en septembre 2025, deux chambres territoriales ouvriront à Marseille et Nantes.

Pour l'année 2025, 17 % des dossiers devraient être jugés en région, avec un objectif de territorialiser un tiers des audiences à horizon 2026.

b) Des dépenses a priori relativement limitées

Aux côtés des nombreux défis logistiques qui attendent la CNDA, le chiffrage des coûts de la territorialisation demeure l'un des plus grands impensés de la réforme, d'autant que le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » n'a pas été épargné par le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits. En effet, hors dépenses de personnel, les annulations de crédits ont été de l'ordre de 12,9 millions d'euros68(*).

Le coût budgétaire de cette réforme est une inquiétude majeure, qui avait d'ailleurs déjà été soulevé au Sénat, au moment du vote de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois sur le projet de loi, relevait que, si la territorialisation de la CNDA ne suscitait pas de critiques particulières et que la proximité du juge de l'asile avait un intérêt, elle soulève de nombreuses questions d'ordre matériel « car ces évolutions entraîneront des surcoûts »69(*).

Pour l'heure, en amont du déploiement effectif des chambres territoriales, les surcoûts afférents à la territorialisation prévus par le Conseil d'État apparaissent relativement limités.

En premier lieu, cette réforme est opérée à effectifs constants. Elle n'engendrera a priori pas de créations de postes, mais un redéploiement des effectifs. Il est prévu d'affecter aux chambres territoriales des juges de l'asile qui résident dans le ressort de ces chambres. Pour les présidents vacataires, il pourra s'agir de magistrats administratifs des cours administratives d'appel ou des tribunaux administratifs du ressort, s'ils souhaitent être nommés président vacataire à la Cour nationale du droit d'asile. Tant les présidents vacataires que les assesseurs affectés à la chambre territoriale bénéficieront d'une indemnité pour les séances qu'ils tiendront au sein de la chambre territoriale, conformément à l'arrêté du 12 décembre 2018 fixant le taux des indemnités des personnes apportant leur collaboration à la CNDA. S'agissant des autres personnels déjà en poste à la CNDA, des plans de mutation vont être mis en oeuvre en interne dans les prochains mois. La Cour aura donc son personnel propre dans les chambres territorialisées et il n'est pas prévu qu'elle fasse appel aux personnels des cours administratives d'appel.

Des surcoûts en termes de frais de déplacement sont toutefois à prévoir si la Cour n'arrive pas à trouver des juges sur place, et notamment des assesseurs pour avoir des formations collégiales complètes. En ce cas, les assesseurs devront se déplacer depuis la région parisienne et bénéficieront, à cette occasion, d'une prise en charge de leurs frais de déplacement70(*).

En deuxième lieu, un surcoût des frais d'interprétariat de près de 1 million d'euros est envisagé par la CNDA pour 2025. En effet, dans le marché actuel, les interprètes qui interviennent en région bénéficient, d'une part, d'une rémunération supérieure de 25% à celle des interprètes qui interviennent à Montreuil, et, d'autre part, du remboursement de leurs frais de déplacement. Ainsi pour l'année 2025, les 17 % prévus de dossiers traités en région correspondent à 9 240 sorties audiencées, qui donneront lieu à 4 700 vacations d'interprétariat. Le coût moyen des dépenses d'interprétariat s'élevant à 148 euros par sortie audience, et en prenant en compte la revalorisation de + 25 % en région, les 9 240 sorties audiencées représentent un surcoût de 342 000 euros. Par ailleurs, le Conseil d'État estime que 60 % des interprètes génèreront des frais de déplacement, avec une évaluation de surcoût de l'ordre de 414 000 euros. À horizon 2026, avec un objectif d'audiencer 33 % des dossiers en région, le surcoût des frais de justice, qui se composent essentiellement des frais d'interprétariat, est estimé annuellement à 1,5 million d'euros.

En troisième lieu, l'organisation d'audiences au sein des cours administratives d'appel va nécessiter des frais de travaux et d'aménagement. La direction de l'équipement du Conseil d'État s'est rendue dans toutes les cours administratives d'appel pour déterminer la disponibilité des salles d'audience et des bureaux pour les formations de jugement, en déterminant, le cas échéant, les aménagements nécessaires.

Il ressort ainsi de ces études de préfaisabilité que les cours administratives de Bordeaux, de Lyon et de Toulouse paraissent adaptées après quelques petits travaux d'aménagement. En revanche, il semble difficile de prévoir une installation dans les locaux de la cour administrative d'appel de Nancy, particulièrement pour aménager une salle d'audience dédiée. Un bâtiment de l'État sera sans doute utilisé à cette fin. Au 1er mai 2024, des études sont toujours en cours pour les cours de Marseille et de Nantes.

En l'état, pour cette partie immobilière, les études de faisabilité sont toujours en cours et le budget prévisionnel provisoire pour ces travaux et divers aménagements est de l'ordre d'un million d'euros. Eu égard aux divers retards éventuels que pourront prendre les travaux et la hausse du prix des matières premières, ces travaux sont potentiellement inflationnistes d'un point de vue budgétaire.

Tous ces travaux représentent des défis logistiques importants pour le Conseil d'État, dans la mesure aussi où le projet de relogement de la CNDA n'est pas encore achevé.

3. Une territorialisation qui intervient alors même que le projet de relocalisation de la Cour à Montreuil n'est pas achevé
a) Un projet de relogement réévalué à plus du double de son budget initial mais qui doit permettre à terme des économies de loyer substantielles

Face à la progression annuelle de + 5 % du nombre de recours, et dans le contexte du plan gouvernemental visant à garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires présenté en juillet 2017, une réflexion a été engagée sur l'extension et le relogement de la CNDA, toujours à Montreuil71(*). En septembre 2017, le Premier ministre a privilégié le relogement de la CNDA, ainsi que du tribunal administratif de Montreuil, sur un site à Montreuil précédemment occupé par l'agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), en lieu et place de l'acquisition d'un logement neuf.

Une convention de maîtrise d'ouvrage72(*) a dès lors été signée entre le Conseil d'État et l'agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) en juillet 2018, afin de lui confier le soin d'assurer la mission d'études et de travaux de rénovation du site, avec une livraison initialement prévue fin 2024. Par un premier, puis un deuxième avenant à la convention de mandat, le planning prévisionnel a été revu, avec une livraison désormais prévue en juillet 2026, avec une ouverture du nouveau siège de la CNDA au 1er septembre 2026. Ce nouveau site disposera en principe de 34 salles d'audience réunies dans un bâtiment unique, qui sera la propriété de l'État, alors que la CNDA loue actuellement plusieurs locaux, répartis en trois immeubles. Par ailleurs, plusieurs salles d'audience ont été mises à disposition de la CNDA entre le 1er mars 2019 et le 31 janvier 2021 au sein des locaux du Palais de justice de Paris, donnant lieu à un remboursement de la quote-part des charges de fonctionnement prises en charge par le ministère de la justice.

Sur la base des études de faisabilité, le coût prévisionnel des travaux en octobre 2017 était de 60 millions d'euros. Il a ensuite été réévalué en octobre 2020, pour s'établir à 119,6 millions d'euros, puis à 129,8 millions d'euros en mai 2022. Ce doublement du coût des travaux a été causé notamment par une phase de désamiantage non prévue, le basculement du montage de l'opération en marché global de performance, ainsi que le contexte économique inflationniste.

Il s'agit toutefois d'un investissement qui permettra des économies à long terme dans la mesure où les loyers de la CNDA, pour les trois sites occupés, représentent 6 millions d'euros par an73(*). De même, la mutualisation des locaux avec le tribunal administratif de Montreuil permettra également des économies, notamment en ce qui concerne les frais de gardiennage et de sûreté des locaux.

b) Un projet de relogement dimensionné à l'ampleur du contentieux et modulable en fonction de la nouvelle régionalisation de la Cour

La mise en place de la territorialisation en parallèle de ce projet de relogement inachevé, va pouvoir permettre d'adapter à la marge les besoins en termes d'espaces disponibles dans les nouveaux locaux à Montreuil.

Selon les informations transmises par le Conseil d'État, deux étages de moins pourraient être construits à Montreuil dès lors que sept chambres territoriales vont être déployées. Ce redimensionnement du projet permettrait une économie de l'ordre de 2,5 millions d'euros, ce qui représente 1,9 % du montant du budget total provisoire du relogement.

Toutefois, eu égard au montant en jeu, au regard du projet global et du budget de la mission « Conseil et contrôle de l'État », aux nombreuses incertitudes qui entourent le déploiement des chambres territoriales, et à la progression continue du nombre de recours, il apparaît plus opportun au rapporteur spécial de maintenir une Cour suffisamment dimensionnée pour faire face à la croissance exponentielle de ce contentieux de masse. Le cas échéant, les locaux construits non utilisés relevant de la propriété de l'État, ils pourront toujours être loués.

C. UNE RÉFORME QUI LAISSE DANS L'OMBRE D'AUTRES PROBLÉMATIQUES PESANT SUR L'EFFICACITÉ DE LA COUR

1. Un taux de renvois historiquement élevé, dont toutes les causes ne sont pas traitées par la réforme

Si la problématique des renvois n'est pas frontalement abordée dans la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, elle irrigue toute la réforme de la CNDA.

Il s'agit en effet d'un problème majeur auquel la CNDA est confrontée de façon historique, le taux de renvoi ayant toujours été mesuré entre 20 et plus de 30 %74(*) depuis 2015. En 2023, le taux de renvoi était de 25,8 %, en baisse par rapport à 2022, où ce taux avait atteint un record de 33,1 %.

Les renvois ont une incidence directe sur les délais de jugement. Selon l'étude d'impact du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le renvoi d'une affaire entraîne un rallongement quasi-systématique de deux mois de son jugement. La Cour s'efforce toutefois de veiller au ré-audiencement rapide de ces affaires renvoyées. En effet, les avis de renvois sont traités le lendemain en chambre et les dossiers concernés sont affectés au SCE, qui veille à les réaudiencer à l'occasion des audiences du mardi pour lesquelles les avocats doivent se rendre disponibles. Par ailleurs, en amont, la CNDA sensibilise régulièrement les formations de jugement et les rapporteurs pour identifier tous les risques de renvois au stade de la pré-instruction afin d'en limiter le nombre. Enfin, elle rappelle aussi que, conformément au CESEDA, les affaires peuvent être jugées quand bien même l'avocat ou le requérant ne seraient pas présents à l'audience. Cette possibilité n'est toutefois pas satisfaisante en termes de respect des droits de la défense et de droit à un procès équitable.

Il apparaît que les renvois sont traités comme un bloc uniforme dans la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, alors qu'il existe de multiples causes de renvois, qui appellent par suite des solutions différentes. Des causes exogènes à la juridiction expliquent certains renvois, comme l'absence d'une partie, qu'il s'agisse du requérant ou bien de son avocat, ou encore les mouvements sociaux liés aux transports ou bien aux grèves des avocats. Des causes endogènes, liées au fonctionnement même de la juridiction, alimentent aussi le nombre de renvois. Il peut s'agir de renvois liés à l'instruction du dossier, notamment dans le cas où des affaires sont renvoyées en formation collégiale après avoir été orientées à tort vers le juge unique, à l'absence d'un des personnels de la CNDA, ou encore des renvois dits pour « heure tardive ». Ces derniers désignent les renvois justifiés par l'impossibilité d'examiner sur toute la journée l'ensemble des affaires inscrites au rôle d'une audience.

Répartition des motifs de renvois à la CNDA

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par le Conseil d'État

Depuis 2017, il ressort des données transmises par le Conseil d'État que l'absence des parties et les mouvements sociaux expliquent une grande partie des renvois. En 2021 et 2022, ces deux motifs cumulés couvrent à eux seuls respectivement 53,2 % et 49,2 % des renvois. Il convient toutefois de relever la part non négligeable des renvois liés à l'instruction des dossiers, de même que ceux engendrés par l'absence du personnel de la Cour, qui tend à croître depuis 2021. Alors qu'ils ne représentaient que 4,5 % des renvois en 2018, l'absence du personnel de la Cour est à l'origine de 20,2 % des renvois en 2022 et de 17,6 % en 2023. Plus particulièrement, en formation collégiale, l'absence d'un des membres de la formation de jugement entraîne le renvoi de presque 5 % des affaires audiencées.

Par conséquent, la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, en généralisant le juge unique ne traite qu'une partie du nombre de renvois, ceux liés à des erreurs d'instruction du dossier, qui ne représentent que 16,1 % des renvois en 2023, ainsi que ceux liés à l'absence d'un des membres de la formation de jugement en cas de formation collégiale.

S'agissant des renvois pour heure tardive, qui représentent chaque année environ 10 % des renvois et près de 15 % l'an passé, la Cour expérimente actuellement des rôles à 12 dossiers au lieu de 13 afin de limiter ces renvois pour heure tardive.

En conclusion, la réforme de la CNDA avec la généralisation du juge unique ne règlera à terme qu'une partie des renvois, dans l'optique d'améliorer les délais de jugement. Par ailleurs, à court terme, une hausse du taux de renvois à raison de l'absence du personnel ou de l'interprétariat est à prévoir dans le cas où la Cour n'arriverait pas de suite à trouver des interprètes ou des assesseurs pour les audiences dans les chambres territorialisées.

2. Une dématérialisation de la procédure qui peine à s'aligner sur les juridictions administratives de droit commun

La CNDA a progressivement mis en place une dématérialisation de la procédure, qui s'illustre tout d'abord par la liaison informatique entre l'OFPRA et la CNDA, permettant ainsi une transmission automatique des dossiers des demandeurs d'asile. De plus, un pôle de numérisation a été créé au greffe, de sorte que le rapporteur spécial a pu constater, lors de son déplacement au siège de la CNDA à Montreuil, des étagères du greffe peu encombrées grâce à la dématérialisation massive des dossiers et actes de procédure.

Par ailleurs, des outils informatiques ont été développés pour l'ensemble des personnels de la Cour. Ainsi, un « portail contentieux » est utilisé par les agents du greffe et une plateforme d'échange, « CNDÉM@T », a été mise en place afin de faciliter l'accès aux dossiers pour les formations de jugement. Les avocats utilisent aussi cette plateforme, mais elle ne présente pas toutes les mêmes fonctionnalités que l'application Télérecours utilisée devant toutes les juridictions administratives de droit commun.

En effet, les avocats auditionnés, représentants du Conseil national des barreaux, ont indiqué que :

- les fichiers ne sont pas enregistrés dans l'interface et ne sont dès lors disponibles que pour une durée limitée à 15 jours ;

- cette application ne permettrait pas un suivi global des dossiers similaire à Télérecours avec tous les échanges (écritures, pièces, mesures d'instruction et décisions) et les étapes de la procédure centralisés dans le dossier ;

- elle ne permettrait pas non plus de connaître l'état d'instruction des dossiers ou le placement des dossiers au sein du circuit des ordonnances.

L'application Télérecours est en phase de test auprès d'une vingtaine d'avocats depuis fin 2020, la majorité d'entre eux devant encore utiliser la méthode assez archaïque du fax pour saisir la CNDA.

Enfin, à raison de la spécificité des audiences nécessitant systématiquement la présence d'interprètes, le logiciel Spark a été instauré en 2016 : il s'agit d'une messagerie instantanée qui permet aux secrétaires d'audience de contacter par écrit et sans délai la salle des interprètes, sans avoir à faire des aller-retours physiques depuis la salle d'audience. L'utilisation de ce logiciel a pris fin en 2020 à raison d'un dysfonctionnement, mais devrait être réinstallé d'ici fin 2024.

3. Une formation et une gestion des ressources humaines encore en quête d'amélioration
a) Une absence d'obligation de formation d'autant plus problématique avec la généralisation du juge unique

La formation des juges de l'asile n'est pas explicitement abordée dans la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, alors même que les juges ont vocation à être davantage confrontés seuls aux requérants avec le recours généralisé au juge unique. La loi subordonne seulement la présidence des audiences à une expérience de six mois en formation collégiale75(*). Ainsi, concrètement « un magistrat ne pourra présider une formation de jugement qu'après avoir assisté, en tant qu'assesseur, à six audiences collégiales »76(*). Si le président Herondart énonce qu'une formation est toutefois concrètement organisée par la Cour, de 35 heures pour les nouveaux magistrats, rappelons qu'elle est pour l'heure assez sommaire et facultative pour les présidents vacataires et les assesseurs CE.

De plus, les formations paraissent aussi sommaires pour les autres agents de la CNDA. S'agissant par exemple des agents des services juridictionnels, une formation initiale de deux semaines est prévue sur l'organisation et le fonctionnement de la Cour, la déontologie à respecter, et quelques ateliers pratiques. De courtes sessions, « les jeudis du secrétariat », sont organisées en guise de formation continue pour permettre d'aborder des thèmes en lien avec l'activité juridictionnelle des agents. Rien n'indique que ces formations sont obligatoires.

b) La délicate « fidélisation » des rapporteurs constitue toujours un élément de fragilisation de la Cour

Alors qu'ils ont une place centrale dans la procédure et le traitement des dossiers, le statut des rapporteurs est encore majoritairement précaire puisque la moitié est recrutée par contrat de deux à trois ans, avec une faible attractivité financière77(*).

La mobilité des rapporteurs est aussi très forte chez les titulaires, qui appartiennent à un corps interministériel à la sortie des IRA et restent en général moins d'un an.

Au-delà de l'appétence variable pour le contentieux de l'asile et des ambitions personnelles de chacun, qui sont des données exogènes à la Cour, et sur lesquelles elle n'a par conséquent pas de prise, il apparaît que l'évolution de carrière des rapporteurs à la CNDA est largement limitée. La seule évolution possible pour les rapporteurs est de devenir chef de chambre, ce qui semble expliquer, au moins en partie, leur forte mobilité.

Or, celle-ci représente des coûts importants de gestion et de formation pour la CNDA. Les délais nécessaires à la procédure de recrutement, liés notamment à la publicité de la fiche de poste et la tenue des entretiens individuels, ainsi que leur temps de formation avant leur intégration à une chambre, peut sensiblement avoir des effets sur l'activité juridictionnelle de la Cour.

III. UN ACCOMPAGNEMENT NÉCESSAIRE DE LA RÉFORME DE LA COUR, QUI NE POURRA SE PASSER D'UN PERFECTIONNEMENT DE SA JURIDICTIONNALISATION DANS UN CADRE BUDGÉTAIRE MAÎTRISÉ

A. DES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT AFIN DE GARANTIR L'ACCÈS TERRITORIAL À LA JUSTICE ET D'AMÉLIORER LES DÉLAIS DE JUGEMENT

1. Définir des critères clairs de renvois en formation collégiale avec une harmonisation poussée

Dans son entretien de février dernier avec Mme Catherine Teitgen-Colly, le président Herondart affirmait que « compte tenu de la complexité de nombreux recours soumis à la Cour et de l'intérêt d'un examen collégial, il est clair que l'examen en formation collégiale restera la norme pour les audiences de la Cour ».

Les propos du président de la Cour invitent par conséquent à s'assurer que tous les renvois en formation collégiale s'opèrent dans les mêmes conditions, d'une part, parce le renvoi peut être décidé par le président de la Cour ou de la formation de jugement, et, d'autre part, parce que la formulation retenue suite à l'avis de la section de l'intérieur du Conseil d'État est suffisamment ouverte pour permettre un renvoi assez large en formation collégiale.

En effet, il conviendra au président de la Cour de préciser les critères d'appréciation d'une « question qui le justifie » permettant un renvoi en formation collégiale, en application des nouvelles dispositions de l'article L. 131-7 du CESEDA, par le biais par exemple de lignes directrices diffusées à l'ensemble des membres de formation de jugement de la CNDA, et en particulier des présidents, permanents comme vacataires. À ce titre, une augmentation du nombre de présidents permanents78(*) rendrait plus aisée cette harmonisation jurisprudentielle en matière de renvois en formation collégiale. Des requérants dans la même situation ne sauraient voir leur dossier examiner tantôt par une formation collégiale, tantôt par une formation à juge unique.

Afin d'assurer un traitement équitable de tous les demandeurs d'asile, le président de la Cour et les présidents de section et de chambre pourraient se réunir tous les mois dans un premier temps afin d'affiner ou de revoir ces lignes directrices au regard de la pratique jurisprudentielle des différentes chambres et formations de jugement.

Recommandation n° 1 (CNDA) : Édicter des lignes directrices d'application de l'article L. 131-7 du CESEDA par le président de la Cour, à destination en particulier des présidents, permanents comme vacataires, afin de définir une jurisprudence claire en matière de renvois en formation collégiale.

Dans ses réponses transmises, la Cour a d'ores et déjà mentionné trois exemples de questions qui continueront de nécessiter le regard croisé d'une formation collégiale : la complexité de la situation géopolitique en Lybie, l'évolution du conflit armé en Ukraine et l'examen des craintes de persécution à raison de l'orientation sexuelle.

2. La généralisation du recours au juge unique invite tout particulièrement à affirmer des obligations déontologiques propres à l'ensemble des membres de la CNDA

La CNDA a été confrontée à l'automne 2023 à un cas de récusation d'un président vacataire, à raison de propos racistes, homophobes et sexistes tenus sur les réseaux sociaux. Si cette affaire demeure isolée, elle a mis en lumière l'absence de cadre déontologique propre à l'ensemble des membres de cette juridiction, qui peuvent être par ailleurs soumis à des obligations déontologiques dans le cadre de l'activité professionnelle qu'ils exercent en parallèle. Seuls les présidents permanents, qui sont des magistrats administratifs, sont soumis à des obligations déontologiques, conformément à l'article L. 231-1-1 du code de justice administrative79(*), et détaillées dans la charte de déontologie de la juridiction administratives.

La CNDA s'est dotée, en mars 2022, d'un guide déontologique, uniquement disponible sur l'intranet des juges. Ce guide, ne semble toutefois applicable qu'aux magistrats permanents80(*), déjà soumis aux obligations susmentionnées en raison de leur appartenance à la juridiction administrative.

Il n'existe donc pour l'heure aucun cadre déontologique global applicable à l'ensemble des juges de l'asile, et alors même que ceux-ci vont être amenés à tenir de plus en plus d'audiences de juge unique, ce qui pose aussi la question de la protection de la sécurité des magistrats. Cette situation est d'autant plus étrange que la Cour a élaboré par exemple un recueil des obligations déontologiques qui s'imposent à tous les interprètes qui interviennent à la CNDA81(*), qui doivent respecter des obligations de loyauté, d'impartialité et d'indépendance, de neutralité, de probité, de disponibilité, de ponctualité, de dignité, de secret professionnel, et signaler immédiatement toute situation nécessitant la mise en oeuvre de leur devoir de déport.

Ainsi, ce cadre déontologique applicable à tous les juges de l'asile intervenant à la CNDA pourrait contenir des obligations déontologiques minimales similaires d'indépendance, d'impartialité et de neutralité.

Recommandation n° 2 (CNDA) : Adopter un cadre déontologique propre à l'ensemble des juges de l'asile, le cas échéant en surplus des règles déontologiques qui s'appliquent déjà à eux dans le cadre de leur profession parallèle à leur activité de juge de l'asile.

3. Le déploiement territorial optimal de la Cour conditionné à un accès à la justice équivalent dans les régions

La territorialisation de la CNDA ne saurait avoir pour conséquence de disposer d'une justice « au rabais » dans les chambres territorialisées.

Au-delà de la question de l'accessibilité matérielle aux salles d'audiences dans les différentes chambres territoriales, qui a déjà été abordée, la territorialisation soulève bien d'autres défis logistiques intrinsèquement liés aux droits de la défense.

En premier lieu, les requérants doivent pouvoir trouver des avocats formés au contentieux de l'asile, et en nombre suffisant, dans le ressort territorial des nouvelles chambres de la CNDA. Un vivier d'avocats spécialisés en droit d'asile est déjà disponible à Bordeaux et Marseille. Afin que tous les demandeurs d'asile puissent accéder à des avocats formés à la matière dans toutes les villes où des chambres territorialisées vont ouvrir, la Cour devra mener un gros travail avec la profession d'avocats, et notamment avec les barreaux. S'agissant plus particulièrement de l'aide juridictionnelle, la liste des avocats volontaires pour plaider devant la CNDA sera élargie du fait de l'implication des barreaux locaux. En cas d'indisponibilité d'avocats à l'ouverture d'une chambre territorialisée, il est possible d'imaginer le même système qui s'organise déjà à Montreuil : les avocats inscrits à un barreau hors du ressort territorial de la chambre territorialisée de la CNDA pourraient voir leurs dossiers regroupés sur deux jours.

En deuxième lieu, la question de l'accès aux interprètes est aussi cruciale du point de vue des droits de la défense. L'absence d'interprètes au sein des chambres territoriales peut venir contrecarrer l'esprit de la réforme en éloignant le requérant du juge de l'asile. Si les audiences pour les langues rares, comme par exemple le chittagonien, continueront de se tenir à Montreuil, des langues plus parlées ont vocation à être traitées dans les chambres territoriales. En l'absence d'interprètes pour ces langues assez usitées, il convient de souligner que le recours à un interprète par visioconférence nuirait à la qualité de la justice.

En troisième et dernier lieu, la présence de personnels de la Cour, et en particulier des assesseurs membres de la formation de jugement sera déterminante, au risque de voir augmenter drastiquement le nombre de renvois pour cause d'absence d'un des membres de la formation collégiale. Selon les informations communiquées par le HCR, des appels à candidature vont être lancés dans les prochains mois. Le vivier d'assesseurs HCR apparaît suffisant à Lyon, Bordeaux et Nantes, mais ne l'est pas encore à Toulouse par exemple.

Recommandation n° 3 (Conseil d'État, CNDA et HCR) : Assurer dans les chambres territorialisées un accès à la justice satisfaisant, avec un nombre suffisant de personnels de la Cour mobilisés, ainsi que d'interprètes et d'avocats.

B. PERFECTIONNER LA JURIDICTIONNALISATION DE LA CNDA AFIN D'EN RENFORCER D'AVANTAGE L'EFFICACITÉ

1. Déployer des outils informatiques sécurisés et adaptés à l'ampleur du contentieux

L'ampleur du contentieux et son évolution tendancielle de plus 5 % par an appelle des outils informatiques adaptés pour traiter ces recours. Deux outils semblent devoir être déployés pleinement et perfectionnés afin de réduire les délais de jugement, en assurant dans le même temps une justice de qualité.

En premier lieu, si le président Herondart a annoncé que les vidéo-audiences sont amenées à disparaître dans l'hexagone avec le déploiement des chambres territoriales, elles seront maintenues en outre-mer, et spécialement à Mayotte à raison de l'essor constant des demandes d'asile, engendrant ainsi un engorgement du système de l'asile. Les vidéo-audiences permettent d'épurer progressivement les stocks et ainsi d'éviter l'organisation d'audiences foraines, qui ont pour effet de rallonger les délais de jugement dès lors qu'elles sont mises en place uniquement lorsqu'un nombre suffisant de demandes est présenté sur le territoire en question.

Pour autant, et alors même que la vidéo-audience risque de s'intensifier en outre-mer, les avocats auditionnés ont fait remonter de nombreux problèmes techniques, ainsi qu'une application partielle du vademecum sur les vidéo-audiences devant la CNDA de novembre 2020, alors qu'il devrait pourtant s'appliquer.

Il apparaît par conséquent nécessaire de s'assurer de la stabilité et de la fiabilité du logiciel utilisé pour les vidéo-audiences, d'autant plus, qu'outre une atteinte à l'égalité des demandeurs devant la justice, les dysfonctionnements du logiciel sont sources de rallongement des délais de jugement. En effet, en application dudit vademecum de novembre 2020, tout incident technique non résolu dans un délai raisonnable entraîne un renvoi de l'affaire à une audience ultérieure. À cette fin, il serait utile que le comité de pilotage82(*) instauré en 2020 et chargé d'assurer le suivi des vidéo-audiences à Lyon et Nancy et d'en faire un bilan tous les six mois, se saisisse également du suivi, à la même fréquence, des vidéo-audiences en outre-mer.

En second lieu, l'autre point d'attention concernant les outils informatiques est l'absence d'utilisation de Télérecours par l'ensemble des avocats devant la CNDA, qui permet de fluidifier les échanges d'informations, de la phase d'instruction au rendu de la décision. Ce logiciel, toujours en phase de test depuis 2020, est pourtant utilisé devant l'ensemble des juridictions administratives de droit commun. Il convient donc d'assurer l'utilisation de ce logiciel pour tous les avocats à horizon 2026, la dématérialisation des échanges devenant une nécessité absolue avec le déploiement de chambres territorialisées de la Cour.

Recommandation n° 4 (Conseil d'État et CNDA) : Déployer les outils informatiques adaptés à la hausse du contentieux, avec la généralisation de l'utilisation de Télérecours pour tous les avocats devant la CNDA à horizon 2026, ainsi qu'un logiciel stable et fiable pour les vidéo-audiences en outre-mer. À cette fin, un audit de l'utilisation pourrait être effectué tous les six mois par le comité de pilotage chargé d'assurer le suivi des vidéo-audiences.

2. Améliorer le fonctionnement des formations de jugement, notamment en augmentant de nouveau le nombre de présidents permanents

Une nouvelle augmentation du nombre de présidents permanents peut répondre au souci d'assurer une jurisprudence harmonisée, dans le contexte d'un déploiement territorial de la CNDA. Porter à 40 le nombre de présidents permanents pourrait dès lors permettre des relais efficaces entre le siège de Montreuil et les chambres territorialisées, ce qui porterait ainsi la proportion de présidents permanents à 18,9 % des effectifs de présidents.

Par ailleurs, la confusion du rôle et du statut du rapporteur nuit à l'efficience de la juridiction et à la qualité des décisions rendues. C'est lui qui possède la meilleure connaissance des faits de l'espèce puisqu'il instruit le dossier et suit la procédure, mais il est écarté de la décision finale dans la mesure où il n'a pas voix délibérative lors du délibéré, tout en devant tout de même rédiger le projet de décision.

La reconnaissance explicite du rôle du rapporteur, en l'intégrant pleinement à la formation de jugement avec voix délibérative lors du délibéré, pourrait également constituer une piste intéressante et qui a été avancée devant votre rapporteur, comme tous les autres membres de la formation. Cet alignement du rôle du rapporteur de la CNDA sur celui des rapporteurs devant les tribunaux et les cours administratives d'appel, proposé de longue date83(*), permettrait ainsi une meilleure harmonisation de la jurisprudence puisque les rapporteurs sont les seuls à pouvoir assurer dans la durée, avec les présidents permanents, une certaine cohérence jurisprudentielle.

Cette évolution ne contreviendrait pas aux stipulations de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le sujet84(*), dès lors qu'il ne conclut pas son rapport à l'audience, que le Conseil d'État a d'ailleurs considéré comme étant un document préparatoire interne non soumis au contradictoire85(*). Cette décision conduit à positionner le rapporteur à la CNDA bien plus comme un rapporteur de formation de jugement, dont la participation au délibéré n'a d'ailleurs jamais été remise en cause. Concrètement, l'intégration du rapporteur au sein de la formation de jugement peut s'opérer en surnombre, avec voix prépondérante conférée au président86(*). Cette intégration du rapporteur nécessiterait dès lors aussi de revoir leur positionnement par rapport au chef de chambre, ainsi que le rôle de ce dernier. Enfin, cette nouvelle place du rapporteur suppose bien évidemment un renforcement de ses connaissances juridiques et contentieuses, avec des formations plus régulières.

Cette clarification du rôle et du statut du rapporteur pourrait aussi être bénéfique pour la gestion des ressources humaines. La valorisation du rôle du rapporteur peut répondre dans une certaine mesure aux frustrations qui peuvent naître chez les rapporteurs les plus expérimentés, en leur offrant de vraies perspectives de carrière. La création d'un corps spécifique de catégorie A propre à la CNDA pourrait être à terme une solution afin de palier la grande mobilité des rapporteurs, si cette mesure d'intégration à la formation de jugement ne suffisait pas à fidéliser et stabiliser les recrutements.

Recommandation n° 5 (pouvoir législatif, puis Conseil d'État et CNDA) : Porter à 40 le nombre de présidents permanents pour assurer une cohérence jurisprudentielle dans le contexte de déploiement des chambres territorialisées.

3. Rendre les formations initiales obligatoires et les adapter davantage à l'oralité de la procédure et à la vulnérabilité particulière des demandeurs

L'absence de formation obligatoire pour les présidents vacataires et les assesseurs CE est d'autant plus dommageable que ces juges pourront, au bout de six mois, siéger en formation à juge unique, et seront dès lors confrontés seuls aux requérants. Par suite, le maintien de la qualité des décisions juridictionnelles de la CNDA ne pourrait se passer d'une formation obligatoire dans le contexte de la généralisation du juge unique. Une formation spécifique d'au moins deux journées devrait d'ailleurs être mise en place à l'issue des six mois pour tous les juges ayant vocation à siéger de façon imminente en juge unique, avec des modules spécifiques pour apprendre comment communiquer au mieux avec le justiciable, afin d'adapter son mode de communication, et gérer une situation d'audience publique seul. La CNDA pourrait s'inspirer des formations dispensées à l'École nationale de la magistrature (ENM), qui prévoient en 2024 pour la formation des auditeurs de justice un pôle « communication judiciaire » sur 35 demi-journées87(*).

Plus généralement, l'ensemble des formations des rapporteurs et des juges de l'asile doivent être amplifiées sur des sujets importants et déterminants du point de vue de la conduite d'audience, tels que le questionnement intime, la vulnérabilité, l'interculturalité, dans l'objectif d'une utilisation efficace du temps restreint alloué à l'audition des demandeurs. Il apparaît aussi que les formations à la CNDA ne développent que peu la question des traumatismes subis par les demandeurs d'asile, alors que les assesseurs HCR sont quant à eux formé en interne sur les psycho-traumas, lors d'une session annuelle faisant intervenir des experts. A contrario, ces assesseurs sont peu formés sur les questions de déontologie propres à la juridiction et aux spécificités du travail juridictionnel.

Par suite, les formations continues proposées par la CNDA, par le biais des conférences géopolitiques et des cafés d'actualité délivrés par le CEREDOC de la CNDA gagneraient à être dématérialisées afin de permettre de toucher un public plus large de juges, qui ne sont pas présents à la CNDA tous les jours. Cette dématérialisation des formations sera d'autant plus nécessaire dans le cadre de la territorialisation de la Cour, pour ne pas exclure de facto les juges siégeant dans les chambres territoriales, sans les obliger à venir à Montreuil uniquement pour ces formations continues.

Enfin, la Cour pourrait s'appuyer sur le HCR pour faire évoluer son offre de formation. Sur ce point, il ressort des échanges avec le HCR que des discussions sont en cours avec la présidence de la CNDA, qui pourraient se matérialiser par un partenariat formel, sur le fondement de l'article 4 de l'accord-cadre de coopération entre le HCR et le gouvernement de la République française du 4 février 2008, relatif à la coopération avec la CNDA, qui prévoit que « les détails de cette coopération seront arrêtés par un accord spécifique entre la CNDA et le HCR ». Ce futur protocole d'accord pourrait donc prévoir une participation plus accrue du HCR à toutes les formations de la Cour88(*), notamment par voie dématérialisée en vue de la territorialisation.

Recommandation n° 6 (Conseil d'État, CNDA et HCR) : Imposer une formation initiale obligatoire à tous les nouveaux juges siégeant à la CNDA, adapter le contenu des formations initiales et continues à l'oralité et à la vulnérabilité particulière des demandeurs d'asile, lesquelles formations pourraient également être davantage dématérialisées et réalisées en partenariat avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Une formation spécifique d'une journée au moins pourrait utilement conditionner la possibilité de devenir juge unique.

C. MAINTENIR LES MOYENS ALLOUÉS À LA CNDA AU MÊME NIVEAU QUE DE LA HAUSSE DU NOMBRE DE RECOURS

1. Clarifier au préalable les moyens alloués à la Cour dans les documents budgétaires du programme 165

Si la création d'une action budgétaire dédiée, retraçant toutes les dépenses de la CNDA, peut être délicate à court terme, force est de constater qu'il n'est pas satisfaisant de devoir se référer à plusieurs documents budgétaires pour tenter de comprendre le budget de la Cour. Il n'est en tout état de cause pas possible de connaître les dépenses de fonctionnement de la CNDA à la lecture du projet annuel de performances, mais seulement les dépenses de personnels. Le budget total de la CNDA ressort quant à lui du document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration », mais ne permet pas d'affiner entre les dépenses de nature différente. Il y a donc des « trous » dans les documents budgétaires, qui nuisent à la sincérité du budget affecté à la CNDA.

Face au poids que représente le budget de la CNDA au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État », il convient, a minima, de détailler toutes les dépenses allouées à la CNDA dans le projet annuel de performances du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives ».

Le budget de la CNDA, toutes dépenses confondues, représentant aujourd'hui plus de 10 % du budget total de la mission « Conseil et contrôle de l'État », la création d'une action budgétaire dédiée, retraçant l'ensemble de ses dépenses, n'est toutefois pas à exclure à l'avenir, malgré les difficultés comptables soulevées.

Recommandation n° 7 (Direction du budget et Conseil d'État) : Détailler toutes les dépenses composant le budget de la CNDA dans le projet annuel de performances du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », avant d'envisager, à plus long terme, la création d'une action budgétaire dédiée.

2. Maîtriser les coûts de déploiement des chambres territoriales

Bien que les coûts liés à la mise en place des chambres territoriales soient pour l'heure limités sur le papier, le déploiement de sept chambres territoriales dans six cours administratives d'appel est néanmoins porteur de dépenses substantielles si les travaux s'avèrent plus importants et coûteux que prévus, en prenant du retard. De même, des viviers d'assesseurs dans chaque ville où il est prévu d'ouvrir une chambre territoriale devront être constitués, au risque de devoir faire déplacer des formations de jugement entières engendrant une hausse des frais de déplacement à prendre en charge.

La territorialisation de la Cour n'étant qu'une possibilité offerte par la loi, l'ouverture d'une chambre ne doit pas se faire quoi qu'il en coûte.

3. Ouvrir le nouveau siège de la CNDA à Montreuil en 2026, avec des salles d'audience solennelles à l'image des décisions rendues

De même, afin d'éviter une nouvelle réévaluation du montant du projet, et dans la perspective de l'ouverture de toutes les chambres territoriales à horizon 2026, le Conseil d'État doit veiller au respect du délai de livraison du projet de relogement de la Cour et du tribunal administratif de Montreuil. En effet, le contexte économique inflationniste post crise sanitaire a engendré une enveloppe complémentaire de 10,22 millions d'euros en 2022 pour tenir compte de la hausse des coûts, soit presque 10 % du budget total du projet.

Enfin, l'ouverture du nouveau siège de la CNDA à Montreuil peut être l'occasion de créer de vraies salles d'audience, en lieu et place des locaux qui ressemblent aujourd'hui davantage à des salles de réunion. Ce manque de solennité, déjà relevé en 201089(*), est en dissonance avec le fait que la CNDA est une juridiction amenée à prendre des décisions, au nom de la République française, conditionnant en grande partie l'avenir des justiciables sur le territoire français.

Cette solennité, matérialisée par une tribune et un drapeau français, de même que l'identification de la CNDA, doivent aussi être assurées pour toutes les vidéo-audiences qui se tiendront en outre-mer et les audiences dans les chambres territorialisées.

Recommandation n° 8 (Conseil d'État et CNDA) : Maîtriser les coûts de déploiement des chambres territoriales, en termes de travaux mais aussi de prise en charge des frais de déplacement des interprètes et, éventuellement des membres des formations de jugement, en parallèle de l'ouverture du nouveau siège de la CNDA à Montreuil d'ici 2026.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 mai 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Christian Bilhac, rapporteur spécial, sur la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - « La juridiction du chaos du monde », c'est en ces termes que le président de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), Mathieu Herondart désigne cette juridiction.

La CNDA est une juridiction encore plutôt neuve puisqu'elle a été créée en 2007, mais elle est issue d'un héritage ancien en faisant suite à la Commission de recours des réfugiés, créée par un amendement parlementaire en 1952, dans le même temps que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Elle occupe une place singulière dans le paysage juridictionnel français dans la mesure où il s'agit d'une juridiction administrative nationale chargée, en partie, d'appliquer les stipulations d'une convention internationale, à savoir la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Sa place est aussi originale au niveau européen en ce qu'il n'existe que très peu de juridictions entièrement dédiées au contentieux de l'asile, si ce n'est en Irlande et au Danemark.

Des diverses auditions que j'ai menées au cours de ces derniers mois, je voudrais partager avec vous quelques brèves remarques. Tout d'abord, il s'agit d'une juridiction plutôt performante. Depuis 2021, la CNDA a été saisie chaque année de plus de 60 000 recours. Par comparaison, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a été saisie en 2022 de 45 000recours. La CNDA a aussi de fortes capacités de jugement puisqu'elle rend plus de 66 000 décisions par an depuis 2021, si bien que son taux de couverture est excédentaire, ce qui veut dire qu'elle juge plus d'affaires que le nombre de recours introduits sur l'année. Aussi, la Cour connaît un niveau historiquement bas de ses stocks d'affaires.

Les délais de jugement se sont quant à eux nettement améliorés : le délai moyen global constaté est actuellement de 6 mois et 3 jours pour 2023, alors qu'il est, par exemple, de l'ordre de 9 mois devant les tribunaux administratifs.

Bien sûr, la situation n'est pas parfaite. En effet, le délai de cinq semaines fixé par le législateur en 2015 pour les procédures accélérées est loin d'être atteint. Pour ma part, je doute qu'il soit réalisable dans les faits, à raison notamment des délais nécessaires au respect du caractère contradictoire de la procédure et au temps requis pour trouver des interprètes et des avocats.

Le délai de cinq mois pour les procédures normales est, quant à lui, quasiment respecté, à un mois près. Ce mois représente toutefois d'importantes masses budgétaires puisque, selon les informations transmises par la direction générale des étrangers en France (DGEF), le coût mensuel moyen de la prise en charge des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA s'élève à 91 millions d'euros, hors dépenses de santé et de scolarisation d'enfants. Réduire les délais, c'est aussi améliorer les dépenses publiques. Il existe donc des marges de progression, mais je tenais toutefois à insister sur ces aspects positifs.

Ensuite, c'est une juridiction dont le budget « courant » a été maintenu au niveau de l'évolution du nombre de recours. Depuis 2010, tandis que le nombre de recours a été multiplié par 2,4, le budget l'a été par 2,8. La hausse du budget s'explique principalement par une augmentation des dépenses de personnel : sur la période 2018-2019, plus de 200 postes ont été créés à la CNDA, qui a ainsi capté la quasi-totalité des créations d'emplois du programme 165 auquel elle est rattachée.

L'évolution du budget est plus conséquente en prenant en compte les dépenses exceptionnelles immobilières liées au relogement de la CNDA avec le tribunal administratif de Montreuil dans un même bâtiment, dépenses qui ont été lissées sur plusieurs années depuis 2018. Le coût global provisoire est estimé aujourd'hui à plus de 130 millions d'euros, mais permettra une économie de loyers de l'ordre de 8 millions d'euros, ce qui signifie que ces travaux seront rentabilisés en une quinzaine d'années. Le montant restant à payer est de 49 millions d'euros, qui seront répartis sur 2025 et 2026.

Enfin, la CNDA a été une nouvelle fois réformée avec la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui comprend deux mesures phares et structurelles pour la Cour : d'une part, la généralisation du juge unique ; d'autre part, la déconcentration de la Cour, avec le déploiement de chambres territoriales au sein des cours administratives d'appel. Les objectifs affichés sont le rapprochement des justiciables et la réduction des délais de jugement.

Si les objectifs en termes de délais n'ont pas été évalués dans l'étude d'impact, la territorialisation de la Cour permettra sans doute de limiter le phénomène de concentration des avocats, qui ralentit l'enrôlement et l'audiencement des affaires. Lors de mon déplacement à la Cour en mars dernier, j'ai pu constater qu'un même avocat pouvait détenir 600 dossiers de requérants d'une même nationalité. De ce fait, le délai ne peut pas être respecté, les communautés se tournant souvent vers les mêmes avocats : la territorialisation devrait pouvoir remédier à cette tendance à la concentration et réduire les délais à Montreuil.

Toutefois, si les objectifs sont louables, la réforme soulève de nombreux défis logistiques, qui pourront s'avérer coûteux. Pour l'heure, le Conseil d'État prévoit des dépenses limitées, principalement ciblées sur la revalorisation des frais d'interprétariat en région et le coût du réaménagement des locaux pour installer 7 chambres territoriales au sein de 6 cours administratives d'appel. Le besoin d'aménagement des locaux serait seulement de l'ordre de 1 million d'euros, ce qui me semble modeste, pour une ouverture de toutes les chambres en septembre 2025.

Dans ce contexte, je me permets de vous proposer plusieurs recommandations. La première série de recommandations - 1 à 3 - vise à garantir l'effet utile des objectifs de la réforme, tout en maintenant la qualité des décisions juridictionnelles. Je vous propose donc, avec la recommandation n° 1, de veiller à avoir des directives claires et unifiées sur le renvoi en formation collégiale d'affaires qui relèvent par principe du juge unique, car les règles doivent être les mêmes pour tous les justiciables.

Je propose également, au travers de la recommandation n° 2, l'adoption d'un cadre déontologique propre à tous les juges de l'asile, avec des garanties minimales d'indépendance, d'impartialité et de neutralité, ce qui est d'autant plus nécessaire avec la généralisation du juge unique. Il est également proposé, avec la recommandation n° 3, d'assurer une justice de qualité dans les chambres territoriales avec un nombre de personnels de la CNDA suffisants et un accès à un vivier d'avocats et d'interprètes aussi compétents qu'à Montreuil. Les difficultés sont plus grandes pour les interprètes, certains dialectes n'étant parlés que par une poignée d'entre eux.

La deuxième série de recommandations - les recommandations nos 4 à 6 - vise à poursuivre et accroître la juridictionnalisation de la Cour, avec le déploiement d'outils informatiques adaptés, notamment l'utilisation de l'application Télérecours pour tous les avocats - recommandation n° 4 -, ainsi qu'à augmenter le nombre de magistrats permanents affectés à la Cour. Les présidents vacataires représenteraient encore plus de 80 % des effectifs - recommandation n° 5 -, ce qui semble surprenant. Par ailleurs, je propose une formation obligatoire pour tous les juges, en s'appuyant notamment sur les ressources du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) - recommandation n° 6.

Enfin, la troisième série de recommandations porte sur les moyens alloués à la Cour. Ceux-ci se doivent d'être clarifiés, car actuellement l'action n° 7 du programme 165 ne retrace que les dépenses de personnel de la Cour, et il faut se référer au document de politique transversale « politique française de l'immigration et de l'intégration » pour connaître le budget global de la Cour, ce qui ne permet donc pas de connaître le détail des dépenses, notamment en matière de fonctionnement. Dans le cadre de l'augmentation constante et massive du budget de la Cour, qui représente désormais 10 % du budget total de la mission « Conseil et contrôle de l'État », le projet annuel de performances devrait a minima détailler la ventilation des crédits alloués à la Cour - recommandation n° 7.

Les moyens alloués à la Cour doivent aussi être maîtrisés. Ainsi, le déploiement des chambres territoriales n'est qu'une possibilité ouverte par la loi et l'ouverture des 7 chambres territoriales ne doit pas se faire « quoi qu'il en coûte » - recommandation n° 8.

Pour conclure, je salue les efforts réalisés par la Cour et ses personnels, dévoués pour assurer une justice de l'asile de qualité alors qu'ils reçoivent un nombre incalculable de dossiers. Ils devront redoubler d'efforts pour continuer de maîtriser les délais de jugement dans un contexte d'augmentation continue du nombre de recours - le « chaos du monde » n'est pas près de s'arrêter -, et ce de façon unifiée sur tout le territoire à l'horizon 2026.

Comme le disait Anicet Le Pors, « dis-moi qui et comment tu accueilles et protèges, je te dirai qui tu es » : pays des droits de l'homme, la France est et doit rester une terre d'asile, mais la CNDA doit également jouer son rôle en écartant ceux qui abusent du droit d'asile.

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Monsieur le rapporteur spécial, vous avez soulevé des points sur lesquels toutes les inquiétudes n'ont pas été levées.

Le juge unique pose problème. De l'avis de tous les magistrats, la collégialité assurait une garantie pour les juges comme pour les demandeurs. Le juge unique nous prive aussi de certaines expertises. L'inversion de la règle est regrettable. Nous ne connaissons pas les effets de cette mesure, mais il existe un risque de moins bonne justice, sans amélioration des délais - il est encore trop tôt pour pouvoir en juger.

La territorialisation de la CNDA avait été bien perçue. Néanmoins, les cours territorialisées sont une bonne chose à condition qu'elles disposent de moyens, notamment en matière d'interprétariat. Souvent, les interprètes sont en lien très direct avec les demandeurs. Cela induit des pressions sur ces interprètes, qui ne bénéficient d'aucune protection, ni réglementaire, ni administrative, ni policière. Je ne sais pas comment nous pourrons régler le problème, a fortiori dans les cours territorialisées.

Enfin, je souscris à vos propos selon lesquels il faudrait isoler le budget de la CNDA, eu égard à la hausse constante de son budget. Je ferai des demandes en ce sens dans le prochain projet de loi de finances.

M. Marc Laménie. - Quelle est la répartition territoriale de la Cour ? Quels sont les moyens humains dont elle dispose et pour quel budget ?

Mme Christine Lavarde. - Le rapport indique que les interprètes, en région, seraient rémunérés en moyenne 25 % de plus qu'à Montreuil. Pourquoi une telle différence ? Tous les interprètes voudront exercer en province !

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'État », je n'ai pas à me prononcer sur le juge unique dans le cadre de ce contrôle budgétaire. Mes conclusions tendent seulement à retranscrire le fonctionnement de la CNDA dans le cadre législatif qui a été fixé par la loi du 26 janvier 2024.

S'agissant de la répartition territoriale, pour l'heure, le siège unique de la CNDA se situe à Montreuil, et ce depuis 2004. La commission des recours des réfugiés était quant à elle implantée dans le Val-de-Marne, à Fontenay-sous-Bois. La loi du 26 janvier 2024 ouvre la possibilité de déployer des chambres territoriales. Le Conseil d'État entend se saisir de cette possibilité dès l'automne 2024, selon un calendrier assez ambitieux. L'ouverture de cinq chambres territoriales est envisagée dès 2024 au sein des cours administratives d'appel de Lyon, Nancy, Toulouse et Bordeaux, avec deux chambres à Lyon. En septembre 2025, deux chambres devraient ouvrir, à Marseille et Nantes. Pour l'année 2025, 17 % des dossiers devraient être jugés en région, avec un objectif de territorialiser un tiers des audiences à horizon 2026. En ce qui concerne les effectifs, la CNDA est composée au 1er janvier 2024 de 653 agents, qui sont pour quasiment la moitié des personnels contractuels. Les dépenses de personnels s'élèvent à 42,5 millions d'euros pour 2023.

Enfin, la rémunération plus élevée des interprètes en région s'expliquent par la structure des marchés actuellement conclus. Les interprètes qui interviennent en région bénéficient, de fait, d'une rémunération de 25 % de plus que les interprètes à Montreuil. Les sous-jacents de ce différentiel ne m'ont pas vraiment été donnés, mais il apparaît que le marché de l'interprétariat est moins concurrentiel en région, ce qui peut permettre d'expliquer en partie cette rémunération supérieure. À toutes fins utiles, je précise toutefois que le coût moyen des dépenses d'interprétariat est de 148 euros par sortie audiencée, et que toutes les audiences en langue rare resteront à Montreuil. Disons-le clairement, nous naviguons un peu à vue pour ces chambres régionales.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Conseil d'État

- M. Thierry-Xavier GIRARDOT, secrétaire général du Conseil d'État ;

- M. Jean-Noël BRUSCHINI, directeur de la prospective et des finances du Conseil d'État.

Direction générale des étrangers en France

- Mme Clémence OLSINA, directrice de l'asile.

Commission nationale consultative des droits de l'homme

- M. Jean-Marie BURGUBURU, président ;

- Mme Ophélie MARREL, conseillère juridique à la sous-commission C « État de droit et libertés ».

Association française des juges de l'asile (AFJA)

- M. Joseph KRULIC, président, responsable du CEREDOC ;

- M. Jean-Luc RICHARD, membre du bureau, maître de conférences en démographie et en sociologie politique.

Association des rapporteurs et des anciens rapporteurs de la Cour nationale du droit d'asile

- M. Sébastien BRISARD, président ;

- Mme EVA HONG-BAUVERT, trésorière.

Table ronde d'universitaires

- M. Serge SLAMA, professeur des universités à l'université de Grenoble-Alpes ;

- M. Raphaël MAUREL, maître de conférences en droit public à l'université de Bourgogne, secrétaire général de l'Observatoire de l'éthique publique ;

- Mme Diane GATTET, chercheuse en sociologie du droit et de la justice à Sciences Po.

Table ronde d'avocats spécialisées en contentieux de l'asile

Elena France

- M. Alexandre ASLANIAN, avocat au barreau de Paris, ancien président ;

- M. Edouard BERA, avocat au barreau de Paris, membre de l'association.

Conseil national des barreaux (CNB)

- Mme Laurence ROQUES, avocate au barreau du Val-de-Marne, représentante du CNB ;

- Mme Mona LAAROUSSI, chargée de mission affaires publiques.

Table ronde d'associations spécialisées en droit des étrangers

CIMADE

- M. Gérard SADIK, responsable des questions asile.

France Terre d'asile

- M. Guillaume LANDRY, Directeur de l'appui juridique.

Forum réfugiés

- M. Laurent DELBOS, adjoint de direction asile-plaidoyer.

Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE)

- Mme Oumayma SELMI, membre de bureau.

*

* *

Déplacement à la Cour nationale du droit d'asile 

- Mme Cécile NISSEN, secrétaire générale adjointe du Conseil d'État, chargée des juridictions administratives et du numérique ;

- M. Mathieu HERONDART, président de la Cour nationale du droit d'asile ;

- M. Olivier MASSIN, secrétaire général de la Cour nationale du droit d'asile ;

- M. Jean-Noël BRUSCHINI, directeur de la prospective et des finances du Conseil d'État.

LISTES DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Syndicats de magistrats administratifs :

- Syndicat de la juridiction administrative (SJA) ;

- Union syndicale des magistrats administratifs (USMA).


* 1 LAARCHER Smaïn, Croire à l'incroyable. Un sociologue à la Cour nationale du droit d'asile, Gallimard, 2018.

* 2 Article 120 de la Constitution montagnarde du 24 juin 1793. Cette Constitution ne fut toutefois jamais appliquée.

* 3 TEITGEN-COLLY Catherine, Le droit d'asile, Que sais-je ? 2019.

* 4 Conseil constitutionnel, Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France.

* 5 Conseil constitutionnel, Décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

* 6 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

* 7 Article L. 512-1 du CESEDA.

* 8 Il faut aussi noter que la guerre en Ukraine a conduit l'Union européenne à déployer un dispositif exceptionnel, à savoir la protection temporaire prévue par une directive de 2001, adoptée à la suite des déplacements massifs en Europe en raison des conflits armés dans les Balkans occidentaux, en particulier depuis la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.

* 9 Propos de Serge Slama recueillis par le rapporteur spécial.

* 10 Des vifs débats avaient en effet opposé Daniel Mayer, député SFIO, partisan d'un organisme international afin de soustraire l'OFPRA aux contingences nationales et Robert Schuman, ministre des affaires étrangères affilié MRP en faveur de la création d'un office national.

* 11 Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998 du Conseil constitutionnel, Loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile : « la présence, dans la proportion d'un tiers, dans chacune des sections de la commission de recours des réfugiés, ainsi que dans sa formation dite de "sections réunies", de représentants du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies, ne porte pas atteinte, compte tenu du caractère minoritaire de cette présence, aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

* 12 Selon les données de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile.

* 13 Le projet de loi portant création de l'OFPRA avait été élaboré par le Gouvernement dès 1950 mais n'a été débattu au Parlement qu'en 1952.

* 14 Michel Debré, rapporteur du projet de loi au Sénat, avait déploré la création d'un organisme en référence à une convention internationale non encore ratifiée mais s'était montré favorable à l'esprit du texte, et en particulier la commission des recours.

* 15 D'après le site de la Cour nationale du droit d'asile.

* 16 À partir de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

* 17 Le Conseil d'État a affirmé le caractère juridictionnel de cette instance dès 1957 (CE, 29 mars 1957, Sieur Paya Monzo, n° 35524).

* 18 CE, Sect. 8 janvier 1982, M. Aldana Barrena, n° 24948, publié au recueil Lebon.

* 19 Cette loi opère aussi un changement dans le ministère de tutelle de l'OFPRA, passant ainsi d'un rattachement au ministère des affaires étrangères à un rattachement au ministère de l'intérieur.

* 20 M. Mathieu Herondart est président de la CNDA depuis le 1er juillet 2022.

* 21 La CRR était aussi dotée dès l'origine d'un président conseiller d'État, ainsi que deux autres membres : un représentant du Haut-commissariat aux réfugiés et un représentant du conseil d'administration de l'OFPRA.

* 22 Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures.

* 23 Cette organisation a été confirmée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 24 Les 25 présidents permanents ne pouvant assurer à eux seuls toutes les audiences, de l'ordre de 6 000 en 2023, ils sont secondés dans cette tâche par des présidents dits « vacataires », qui peuvent être des magistrats en activité ou à la retraite. Il peut s'agir d'un membre du Conseil d'État ou du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, mais également d'un magistrat du siège de l'ordre judiciaire ou encore d'un magistrat de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.

* 25 Depuis la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, ce n'est plus un représentant du HCR qui siège au sein de la formation collégiale, mais une personnalité qualifiée nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés.

* 26 Les profils correspondent souvent à des universitaires, des acteurs de terrain ou bien d'anciens rapporteurs.

* 27 Les ordonnances rejetant des recours à raison de leur irrecevabilité sont fondées sur le 4° de l'article R. 532-3 du CESEDA. Ce sont les ordonnances dites « classiques ».

* 28 Les ordonnances rejetant des recours à raison de leur absence d'éléments sérieux sont fondées sur le 5° de l'article R. 532-3 du CESEDA. Ce sont les ordonnances dites « nouvelles » ou « ORN », créées par la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

* 29 CE, Sect. 18 novembre 1987, M. Bokwa Y., n° 78981, publié au recueil Lebon : en l'espèce, le rapporteur avait demandé à l'OFPRA la communication de pièces qui n'avaient pas été versées au contradictoire. Dès lors que le requérant n'avait pas pu consulter ces pièces, non dépourvues de portée pour la solution du litige, la décision de la CRR était entachée d'irrégularité à raison du non-respect du caractère contradictoire de la procédure.

* 30 Décret n° 2006-1378 du 14 novembre 2006 relatif à la partie réglementaire du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 31 Article R. 532-13 du CESEDA.

* 32 Article R. 532-43 du CESEDA.

* 33 Article R. 532-51 du CESEDA.

* 34 L'article 9-4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dispose que : « Le bureau d'aide juridictionnelle de la cour s'efforce de notifier sa décision dans un délai de quinze jours suivant l'enregistrement de la demande ».

* 35 Article L. 532-6 du CESEDA.

* 36 Le Conseil national des barreaux (CNB) a mentionné au rapporteur spécial que les problèmes techniques sont souvent nombreux, rendant dès lors les audiences plus courtes que celles en présentiel.

* 37 Vademecum du 12 novembre 2020.

* 38 Article R. 532-42 du CESEDA.

* 39 Les rapporteurs affectés en chambre doivent réaliser 325 dossiers par an répartis sur 25 audiences de 13 dossiers. Ceux affectés aux services des ordonnances ont une norme de 825 ordonnances par an à réaliser sur 25 séances de 33 ordonnances.

* 40 Le taux de contractuels était de 80% avant 2018 et de 60 % en 2018.

* 41 MAUREL Raphaël, Réforme de l'asile : pour un moratoire sur la CNDA, OEP, novembre 2023.

* 42 Une nouvelle Agence de l'Union européenne pour l'asile à part entière a été instituée en janvier 2022, en lieu et place du Bureau européen d'appui en matière d'asile. Elle est chargée d'améliorer le fonctionnement du régime d'asile européen commun en fournissant une assistance opérationnelle et technique renforcée aux États membres et en renforçant la cohérence de l'évaluation des demandes de protection internationale.

* 43 Toutes ces informations sur les systèmes étrangers sont issues d'une étude des systèmes d'asile européen du Centre de recherche et de documentation (CEREDOC) de la CNDA, datant de décembre 2018.

* 44 Rapport d'information n° 9 (2010-2011) fait au nom de la commission des finances sur les conséquences budgétaires des délais de traitement du contentieux de l'asile par la Cour nationale du droit d'asile par MM. Pierre BERNARD-REYMOND et Jean-Claude FRÉCON.

* 45 Rapport sur la réforme de l'asile, remis au ministre de l'intérieur le 28 novembre 2013.

* 46 Rapport d'information n° 1879 (Quatorzième législature)  du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile, présenté par Mme Jeanine Dubié et M. Arnaud Richard : « En assignant la même productivité aux magistrats professionnels qu'aux rapporteurs de la Cour, il faudrait créer 155 emplois de magistrats et 186 emplois d'agents de greffe aux coûts moyens de 122 000 euros par an pour un ETPT de magistrat (soit au total 19 millions d'euros) et de 37 000 euros par an pour un ETPT d'agent de greffe (soit au total 6,9 millions d'euros)».

* 47 Étude d'impact.

* 48 En tant qu'institution nationale des droits de l'homme (INDH), accréditée de statut A auprès des Nations Unies, elle a une mission de contrôle des obligations internationales de la France. À ce titre, elle intervient devant les Comités conventionnels de l'ONU (comme le Comité des droits de l'enfant, le comité pour l'élimination de la discrimination raciale...) et devant le Conseil des droits de l'Homme dans le cadre de l'examen périodique universel de la France (EPU).

* 49 Le non-respect de cette norme pourra être pris en compte au moment de l'évaluation du magistrat et de l'attribution de la part variable de son indemnité de fonctions.

* 50 MAUREL Raphaël, Réforme de l'asile : pour un moratoire sur la CNDA, OEP, novembre 2023.

* 51 GATTET Diane, Travailler à la Cour nationale du droit d'asile - entre justice de masse et rationalisation de l'activité, 2023.

* 52 Voir infra.

* 53 Les crédits inscrits sur l'action « Cour nationale du droit d'asile » du DPT immigration correspondent au coût complet (dépenses de fonctionnement et de personnels) de cette juridiction, après ventilation de l'action soutien du programme 165 selon les méthodes de la comptabilité d'analyse des coûts.

* 54 L'opération de relogement de la Cour est la seule opération d'investissement immobilier ayant été lancée à son bénéfice.

* 55 Dans son avis n° 406543 sur le projet de loi du 26 janvier 2023, le Conseil d'État a considéré que ces dispositions afférentes à la création de chambres territoriales présentaient un caractère réglementaire et n'avaient pas leur place dans un projet de loi.

* 56 La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a introduit une orientation directive des demandeurs d'asile reposant sur un schéma national d'accueil des demandeurs d'asile et d'intégration des réfugiés (SNADAR), qui détermine la répartition territoriale des demandeurs d'asile. L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) est autorisé à refuser ou interrompre, sous certaines conditions, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à un demandeur d'asile en besoin d'hébergement qui refuserait une orientation dans un territoire donné.

* 57 Assemblée nationale, Rapport d'information n° 1265 sur l'orientation des demandeurs d'asile, présenté par Mme Stella Dupont et M. Mathieu Lefèvre, rapporteurs spéciaux.

* 58 CE, avis n° 406543 du 26 janvier 2023 sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 59 Étude d'impact.

* 60 Voir infra : les renvois pour heure tardive sont pratiqués lorsqu'il reste des affaires à audiencer à la fin de la journée.

* 61 Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 sur la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 62 TEITGEN-COLLY Catherine, Le Cour nationale du droit d'asile à l'épreuve de la réforme de l'asile. Entretien avec Mathieu Herondart, président de la Cour, Revue des droits de l'homme n° 25, février 2024.

* 63 D'après les réponses au questionnaire du Conseil d'État.

* 64 Ce point n'est pas encore arrêté et ne découle pas forcément du nouveau mode de nomination.

* 65 Dans sa contribution écrite, le HCR mentionne que «la gestion des rémunérations et du planning fera l'objet de discussions avec le Conseil d'État et la CNDA ».

* 66 Ce dernier est en ce moment en préparation par la direction générale des étrangers en France.

* 67 Une autre étape est aussi, pour l'heure, éventuellement envisagée en janvier 2025.

* 68 Ils correspondent, pour 8 millions d'euros en CP, à la mise en réserve initiale de 5,5 % des crédits de la loi de finances initiale, et pour 4,8 millions d'euros en CP à un surgel, qui est absorbé toutefois par le décalage calendaire de certaines opérations immobilières comme le relogement des tribunaux administratifs de Guyane et de Strasbourg, ou la réhabilitation du tribunal administratif de Nîmes.

* 69 Sénat, Compte-rendu de la commission des lois, Projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration - Examen du rapport et du texte de la commission, 15 mars 2023.

* 70 S'ils rentrent dans le champ d'application du décret n°2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État.

* 71 L'implantation de la CNDA à Montreuil remonte à 2004, la commission des recours des réfugiés était auparavant installée à Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne.

* 72 Le montage de l'opération a ensuite été modifié avec la passation d'un marché global de performance, portant sur la conception, la réalisation des travaux de construction et de réhabilitation et l'exploitation maintenance sur une durée de cinq ans à compter de la réception des travaux.

* 73 Le tribunal administratif de Montreuil pourra quant à lui réaliser 2,3 millions d'euros d'économies de loyers par an.

* 74 Le taux de renvoi est entre 5 et 10 % en moyenne devant les juridictions administratives de droit commun.

* 75 Article L. 131-5 du CESEDA : « Chaque formation de jugement de la Cour nationale du droit d'asile est présidée par un magistrat permanent affecté dans la juridiction ou par un magistrat non permanent ayant au moins six mois d'expérience en formation collégiale à la Cour (...) ».

* 76 TEITGEN-COLLY Catherine, Le Cour nationale du droit d'asile à l'épreuve de la réforme de l'asile. Entretien avec Mathieu Herondart, président de la Cour, Revue des droits de l'homme n° 25, février 2024.

* 77 L'association des rapporteurs et des anciens rapporteurs de la CNDA mentionne une rémunération de l'ordre de 2 000 euros nets par mois aujourd'hui, mais qui était plutôt de l'ordre de 1 500 euros nets par mois avant 2018.

* 78 Voir recommandation infra.

* 79 Cette disposition prévoit que les magistrats administratifs exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. Ils doivent également respecter un devoir de réserve et ne peuvent se prévaloir, à l'appui d'une activité politique, de leur appartenance à la juridiction administrative.

* 80 Le champ d'application de ce guide est en effet très limité : « Il est à noter que le présent guide n'a pas vocation à s'appliquer aux membres du Conseil d'État et aux magistrats (qui sont déjà régis par une charte de déontologie), aux présidents vacataires, aux assesseurs (qui peuvent relever de règles spécifiques) et qui sont des collaborateurs occasionnels de la CNDA, accessoirement à leurs fonctions principales ou anciennement principales ».

* 81 Les interprètes sont aussi soumis à une prestation de serment en application de l'article R. 532-41 du CESEDA, qui est un préalable avant toute intervention à la Cour.

* 82 Il est composé de représentants de la CNDA, de la profession d'avocat, d'interprètes, de médecins et d'experts des techniques audio-visuelles.

* 83 Rapport d'information n° 1879 (Quatorzième législature) du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile, présenté par Mme Jeanine Dubié et M. Arnaud Richard.

* 84 CEDH, 7 juin 2001, Kress c. France, n° 39594/98 et CEDH, Grande chambre, 12 avril 2006, Martinie c. France, n° 58675/00.

* 85 CE, 14 novembre 2018, Syndicat indépendant du personnel du Conseil d'État et de la Cour nationale du droit d'asile, n° 421097, Mentionné aux tables du recueil Lebon.

* 86 Le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale avait proposé en 2014 d'intégrer le rapporteur à la formation de jugement sans modifier le nombre de juges au sein de la formation de jugement, ce qui impliquait de supprimer la présence des assesseurs CE.

* 87 Programme pédagogique des auditeurs de justice de l'ENM, février 2024.

* 88 Selon les informations transmises par le HCR, le ministère des affaires étrangères serait favorable à maintenir une partie de la dotation versée au HCR afin d'assurer ces formations, voire de les amplifier dans le cadre d'un accord avec la CNDA.

* 89 Rapport d'information n° 9 (2010-2011) fait au nom de la commission des finances sur les conséquences budgétaires des délais de traitement du contentieux de l'asile par la Cour nationale du droit d'asile par MM. Pierre BERNARD-REYMOND et Jean-Claude FRÉCON.

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