N° 936
SÉNAT
DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le service de santé des armées,
Par M. Dominique de LEGGE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », présente le mercredi 27 septembre 2023 les conclusions de son contrôle budgétaire sur le service de santé des armées (SSA). Face à la dégradation de notre environnement stratégique, marqué par le retour de la guerre en Europe, l'indispensable remontée en puissance de nos armées ne pourra se faire qu'avec un service de santé capable de soutenir un engagement des forces dans un conflit de haute intensité.
I. UN SERVICE DE SOUTIEN ESSENTIEL AU FONCTIONNEMENT DES ARMÉES
Ressources du SSA en 2023 |
Effectifs employés par le SSA fin 2022 (en ETPT) |
Nombre d'hôpitaux d'instruction des armées |
A. UN SERVICE INTERARMÉES DOTÉ DE MOYENS IMPORTANTS
Le service de santé des armées (SSA) est un service interarmées ayant pour mission d'apporter en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances, à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien qui lui garantit la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie (soutien santé). Son origine remonte à l'Édit de 1708, signé par Louis XIV, créant les charges de médecins et chirurgiens dans les armées.
Commandé par la direction centrale du service de santé des armées (DCSSA), le service est placé sous l'autorité directe du chef d'état-major des armées (CEMA). Le SSA assure ainsi le soin, la prévention, l'expertise médicale d'aptitude des militaires et une fonction de conseil au commandement.
Pour 2023, le budget du SSA est de 1,6 milliard d'euros, soit 3,7 % des crédits de la mission « Défense » (hors contribution au CAS « Pensions »), dont 1,2 milliard d'euros de dépenses de personnel (T2). Ils sont financés à 75 % par crédits budgétaires et à 25 % par attributions de produits issus de la sécurité sociale. Ses effectifs s'élèvent à 14 183 équivalents temps plein travaillé (ETPT) au 31 décembre 2022. Ces effectifs sont majoritairement militaires (68 %) et largement féminisés (63 %). S'y ajoutent 4 122 réservistes.
Décomposition du budget hors T2 du SSA par opération budgétaire en 2023
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
B. UN MODÈLE DE SOUTIEN SANTÉ COMPLET
Le SSA est dimensionné pour proposer un modèle de soutien santé complet. Son organisation s'articule autour de quatre principales composantes :
- une composante médecine des forces, reposant principalement sur les 16 centres médicaux des armées (CMA) positionnés au plus près des forces basées dans l'hexagone. Elle comporte également trois chefferies pour la force d'action navale (Toulon), les forces spéciales (Villacoublay) et les forces sous-marines (Brest) ainsi que des directions interarmées du SSA au sein des forces de souveraineté outre-mer ;
- une composante hospitalière, qui repose sur huit hôpitaux d'instructions des armées (HIA) : Percy (Clamart), Bégin (Saint-Mandé), Laveran (Marseille), Sainte-Anne (Toulon), Clermont-Tonnerre (Brest), Legouest (Metz), Robert-Piqué (Bordeaux) et Desgenettes (Lyon). Dotés d'environ 1 500 lits (0,4 % du système de santé à l'échelle nationale) et accueillant une majorité de patients civils (environ 73 %), les HIA concourent au service public hospitalier.
- une composante ravitaillement médical, qui repose notamment sur la pharmacie centrale des armées (Orléans), le centre de transfusion sanguine des armées (Clamart) et deux établissements de ravitaillement sanitaire des armées (ESRA) (Marolles, Marseille) ;
- une composante formation et recherche, qui repose sur les écoles militaires de santé Lyon-Bron, l'école du Val-de-Grâce pour la formation initiale des internes des HIA, l'institut de recherche biomédicale des armées (Brétigny-sur-Orge) et le centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (Marseille).
Décomposition par composante des effectifs employés par le SSA en 2023
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Le soutien santé accompagne systématiquement l'emploi des forces en opérations, selon le principe « premiers arrivés, derniers sortis « (« first in, last out »). Ce principe s'est notamment vérifié avec la fin de l'opération Barkhane, et une présence du SSA dans le dernier convoi français ayant quitté le Mali: En 2022, 1 491 personnels ont été projetés1(*) en mission de courte durée, permettant la réalisation de consultations, actes paramédicaux et interventions chirurgicales auprès de militaires français et étrangers ainsi qu'au titre de l'aide médicale aux populations locales.
La préservation d'un tel modèle de soutien santé constitue un atout en comparaison internationale. Si le US Military Health System, doté d'un budget de 50 milliards de dollars, reste le service de santé occidental de référence, les services des armées du Royaume-Uni ne disposent par exemple plus d'une composante hospitalière, ce qui les rend quasiment inaptes à opérer seuls sur des volumes de forces significatifs, les rendant dépendant du soutien médical des alliés, en pratique des Américains.
II. UN SERVICE STRUCTURELLEMENT FRAGILISÉ PAR LES CHOIX BUDGÉTAIRES DE LA DÉCENNIE ÉCOULÉE ET LES TENSIONS AFFECTANT LE SECTEUR DE LA SANTÉ
A. UNE BAISSE IMPORTANTE DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES DANS LE CADRE DE LA PROGRAMMATION 2014-2019
Dans le contexte général de déflation des ressources des armées prévu par la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, le SSA a subi une perte importante de ses moyens. Il a ainsi connu une diminution brutale de ses ressources budgétaires de près de 8 % dans les deux premiers exercices de cette programmation tandis que les crédits de la mission « Défense » stagnaient en valeur.
Évolution comparée des crédits de paiement du SSA et de la mission « Défense » entre 2014 et 2018 (exécution)
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Sur l'ensemble de la programmation 2014-2019, le service a perdu environ 10 % de ses effectifs. Ainsi, entre 2015 et 2018, les plafonds d'emplois autorisés en loi de finances initiale (LFI) au titre des personnels gérés par le SSA ont connu une diminution de 888 ETPT.
Évolution des plafonds d'emplois de
personnels gérés par le SSA
autorisés en LFI entre
2015 et 2018
(en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
B. LES TENSIONS PERSISTANTES SUR LES RESSOURCES HUMAINES DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ SAPENT LES EFFORTS DE REMONTÉE EN PUISSANCE DU SSA
La déflation des moyens et des effectifs du SSA est intervenue au pire des moments. En effet, celle-ci a été opérée à l'orée d'une période de fortes tensions sur les ressources humaines et sur les compétences qui affecte l'ensemble du secteur de la santé et qui perdure à ce jour. Cette conjoncture a pour effet de saper les efforts budgétaires de remontée en puissance du SSA pourtant entrepris depuis 2019. Comme le montre en effet le graphique ci-dessous, la hausse significative des crédits prévus au titre du SSA sous la programmation 2019-2025 s'est accompagnée d'une stagnation des effectifs : elle a seulement permis de « stopper l'hémorragie ».
Évolution comparée des effectifs
employés et des crédits
prévus en lois de finances au
titre du SSA depuis 2019
(en millions d'euros et en ETP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
La sous-exécution structurelle et massive des schémas d'emplois sur la période (- 169,2 ETPT en moyenne sur 2018-2022) atteste des difficultés à attirer et conserver les personnels en poste.
La déflation des effectifs de la dernière décennie semble de surcroît avoir été à l'origine d'un cercle vicieux : les tensions sur les effectifs contribuent à détériorer les conditions d'exercice des personnels, et donc pénaliser en retour l'attractivité du service sur le marché du travail.
Évolution du schéma d'emplois entre 2018 et 2022
(en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
À l'instar de l'ensemble du milieu hospitalier, les tensions sont particulièrement prononcées s'agissant de certaines spécialités médicales (médecine générale, chirurgie, anesthésie-réanimation, médecine d'urgence, psychiatrie) et paramédicales (infirmiers de bloc opératoire, techniciens hospitaliers, manipulateurs en électroradiologie, orthoptistes).
C. LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE : PRINCIPALE SACRIFIÉE
La composante hospitalière est la principale sacrifiée de la politique de déflation imposée au SSA. Entre 2015 et 2022, les effectifs concernés ont ainsi connu une diminution de 24 %, soit bien supérieure à celle constatée à l'échelle de l'ensemble du service (- 8 %). Dans le même temps, les effectifs relevant de l'ensemble des autres chaînes de métiers ont connu une stabilité ou une augmentation.
Évolution par composante des effectifs
employés par le SSA
entre 2015 et 2022
(en ETP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
L'importante restructuration hospitalière engagée sur la période a été marquée par la fermeture de l'HIA parisien du Val-de-Grâce, lequel employait près d'un millier d'ETP dont seule une faible part a été relocalisée au sein des HIA Percy et Bégin. Si le ministère a pu justifier cette décision par la densité de l'offre de santé en Île-de-France, il n'en reste pas moins que la fermeture de cet établissement emblématique a constitué un véritable traumatisme pour le SSA.
L'HIA Desgenettes de Lyon a également connu d'importantes difficultés, avec la dénonciation unilatérale par les hospices civils de Lyon du partenariat qui les liait à cet établissement et avait encadré le transfert de nombreuses spécialités médicales. La restructuration en cours de l'HIA, qui a vocation à n'être plus qu'une antenne hospitalière des armées (AHA) spécialisée dans les soins de suite, s'est traduite par une perte d'effectifs de 837 ETP depuis 2015.
D. UN SERVICE DE SANTÉ TAILLÉ AU PLUS JUSTE, ENCORE LOIN DU NIVEAU REQUIS POUR SOUTENIR UN ENGAGEMENT MAJEUR DES FORCES ARMÉES
Le SSA est aujourd'hui taillé au plus juste pour la réalisation de son contrat opérationnel. Les auditions conduites par le rapporteur spécial ont cependant permis de s'assurer que jamais une opération n'a été abandonnée ou même repoussée faute de capacité à intégrer le soutien santé.
Néanmoins, un tel résultat n'est obtenu qu'au prix d'arbitrages à l'origine de nombreuses carences de postes, notamment dans les centres médicaux des armées. Aussi, les sous-effectifs et les délais d'obtention de rendez-vous constituent les principaux irritants ressortant des enquêtes de satisfaction menées auprès des militaires. Plus généralement, la médecine des forces est structurellement confrontée à un « effet ciseaux » entre la déflation de ses ressources humaines et la croissance globale des effectifs des forces à l'oeuvre depuis 2015, doublée d'une forte hausse de ceux de la gendarmerie. Ces derniers représentent aujourd'hui près de 30 % de l'activité de la médecine des forces, appelant un renouvellement du cadre de coopération avec le ministère de l'intérieur.
Pour autant le SSA, encore loin d'être en mesure de soutenir un engagement majeur, n'est pas en phase avec les évolutions du contexte géostratégique, pourtant identifiées de longue date. La guerre russo-ukrainienne a rappelé l'importance capitale de la chaîne santé dans un contexte de haute intensité, impliquant une capacité à soigner un volume de blessés important puis à prendre en charge les soins de suite en aval. Par ailleurs, l'impact d'un soutien santé à toute épreuve sur les forces morales des combattants engagés dans un conflit de haute intensité ne doit pas être sous-estimé. L'exercice Orion conduit en 2023 a confirmé la sous-préparation du SSA à cet égard : alors qu'il faudrait être en mesure de traiter plusieurs centaines de blessés par jour, la chaîne santé déployée dans le cadre de l'exercice était capable d'en traiter 20.
III. VERS UN SOUTIEN SANTÉ À LA HAUTEUR DU DÉFI DE LA HAUTE INTENSITÉ : LA REMONTÉE EN PUISSANCE EST ENGAGÉE MAIS NE SE FERA PAS EN UN JOUR
A. UNE PRISE DE CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS FINANCIERS DU SSA
Suite aux économies imposées au cours de la programmation 2014-2019, la LPM 2019-2025, qui se voulait « de réparation », a stabilisé les crédits hors T2 du SSA. Décidée dans un contexte géopolitique dégradé, l'Actualisation stratégique 2021 avait ensuite prévu un renforcement de 216 millions d'euros de ces crédits sur la période de programmation.
La LPM 2024-2030, traduisant à la fois une volonté de montée en puissance et la prise de conscience de la nécessité, à cette fin, d'opérer un rééquilibrage de l'effort budgétaire au profit des services de soutien prévoit quant à elle une trajectoire de nette augmentation de ces crédits (+ 12 % par an en moyenne), pour les porter à plus de 700 millions d'euros en 2030.
Le rapport annexé à cette loi consacre d'ailleurs une section importante (2.3) aux services de soutien et en particulier au SSA. À l'initiative du rapporteur spécial en sa qualité de rapporteur pour avis, son texte a été enrichi par plusieurs amendements de la commission des finances visant à mettre l'accent sur l'importance de la préparation à la haute intensité, le nécessaire renforcement de la politique des ressources humaines, et les travaux à engager pour le remplacement de l'hôpital Laveran par un hôpital neuf à Marseille (voir infra).
Évolution des crédits de paiement
hors T2 programmés au profit du SSA
entre 2014 et 2030
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
B. LES RESSOURCES HUMAINES : L'ENJEU PRIORITAIRE
Les tensions sur les ressources humaines constituent aujourd'hui la principale limite à la montée en puissance du SSA jusqu'au niveau requis par la haute intensité. Il s'agit donc du principal levier à activer.
La LPM 2024-2030 prévoit ainsi un renforcement conséquent des effectifs (+ 460, soit 3 %), cohérente avec la politique de ressources humaines ambitieuse prévue par la feuille de route stratégique « Ambition SSA 2030 ». La capacité du SSA à atteindre cet objectif sera en tout état de cause soumise à la conjoncture sur le marché du travail dans le secteur de la santé.
Évolution des effectifs du service de
santé des armées depuis 2015
et cible d'augmentation
prévue par la programmation 2024-2030
(en ETP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Si le recrutement en formation initiale dans les écoles de santé des armées reste dynamique, le SSA fait face à des enjeux de fidélisation des personnels et d'attractivité vis-à-vis des professionnels civils. L'emploi de contractuels dans les HIA s'avère difficile du fait de l'impossibilité de s'aligner sur les niveaux de rémunération des spécialistes proposés dans les établissements civils et sur le délai excessif de la procédure de recrutement, compte tenu d'une procédure très centralisée. Les enjeux de fidélisation impliquent quant à eux la mobilisation de leviers financiers, à l'instar de la prime de lien au service (PLS), instrument dont il conviendra cependant d'évaluer l'efficience. La LPM 2024-2030 prévoit à ce titre une enveloppe de 188 millions d'euros de mesures salariales sur la période.
Pour développer son attractivité, le SSA entend également mieux valoriser l'identité militaire du service, en mettant mieux en avant et en formant davantage à une pratique de la médecine adaptée aux besoins des armées, associant rusticité et expertise de pointe des blessures de guerre et des différents milieux (aéronautique, naval, haute montagne, désert...). Sur ce point, la stratégie d'attractivité rejoint les exigences de la préparation opérationnelle du SSA.
C. UN IMPÉRATIF DE CONSOLIDATION DE LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE DU SSA
1. Remettre à niveau les infrastructures et préserver l'expertise médicale des HIA
En permettant la confrontation des personnels à une large variété de pathologies, la composante hospitalière du SSA est essentielle à la préservation de compétences médicales de haut niveau.
Le sous-investissement avéré dans les infrastructures hospitalières a entraîné l'accumulation d'une importante « dette grise ». Les HIA Percy, Clermont-Tonnerre, et Laveran se trouvent sur ce plan dans un état particulièrement dégradé. La décision de remplacer l'hôpital Laveran par un HIA de nouvelle génération (HIA-NG) pour 2031, projet donc le coût est estimé à 300 millions d'euros, constitue un symbole fort et positif. L'HIA-NG, conforté dans sa spécialisation en infectiologie et renforcé en matière de traumatologie, devrait être doté d'infrastructures adaptées à l'hypothèse d'engagement majeur des armées.
Compte tenu du rôle joué par l'HIA Clermont-Tonnerre (Brest) pour la force océanique stratégique, la remise à niveau de ses infrastructures et la consolidation de ses spécialités médicales revêt une importance capitale. Les médecins projetés en sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) sont en effet issus de cet hôpital. Leur expertise avancée permet de réduire par un facteur de 8 à 10 les évacuations médicales réalisées depuis les SNLE par rapport à la moyenne des autres embarcations. Ainsi, la performance de l'HIA Clermont-Tonnerre participe de la crédibilité de la dissuasion nucléaire française.
2. Rééquilibrer les relations avec le système civil
Les relations du SSA avec le système civil sont historiquement déséquilibrées, car essentiellement tournées vers sa contribution à l'offre de soins globale. Si, au plan quantitatif, les HIA ne représentent que 0,5 % de l'offre de soins totale, leur apport qualitatif s'avère précieux compte tenu de leur large éventail de prise en charge incluant des spécialités rares (médecine polyvalente, soins de suite et de réadaptation, urgences, chirurgie, traitement des grands brûlés, réanimation, médecine hyperbare...). Conformément à la « règle des 4 I » voulant que les moyens militaires soient mobilisés en complément des moyens civils lorsque ceux-ci s'avèrent « indisponibles, insuffisants, inadaptés ou inexistants », le SSA a également été mis à contribution dans le contexte de la crise de la covid-19 au travers de l'opération Résilience, qui a permis l'envoi de renforts zonaux en capacités de réanimation, la réalisation de transferts médicalisés et un appui à la politique de vaccination.
Pour faire face à un afflux massif de blessés dans le contexte d'un engagement majeur, les HIA doivent en retour pouvoir compter sur le soutien du système de santé civil. Ses hôpitaux doivent notamment être en mesure d'accueillir en urgence les patients civils des HIA afin d'y libérer des lits, voire de traiter eux-mêmes des combattants blessés, ce qui correspond à une forme d'inversion de la « règle des 4 I ». Le récent protocole pluriannuel du 11 avril 2022 signé entre les ministères des armées, de la santé et du budget traduit ce souci de rééquilibrage. Il est désormais en phase de déclinaison, territoire de santé par territoire de santé. Il conviendra de mettre celui-ci à l'épreuve, comme ce fut le cas lors de l'exercice Orion, et d'en évaluer l'efficacité.
Ce rééquilibrage passe également par une meilleure compréhension par les autorités régionales de santé (ARS), dans le cadre des coopérations territoriales menées avec le SSA, de l'impératif de préserver dans ses HIA certaines compétences médicales indispensables à la réalisation de ses missions, aux premier rangs desquels les spécialités dites « projetables », correspondant aux compétences les plus critiques au regard des besoins en opération (chirurgie, réanimation, psychiatrie...).
Si la composante hospitalière du SSA peut concourir à la politique d'offre de soins, elle n'est par essence pas un instrument de santé publique mais un outil de défense.
D. LA NÉCESSAIRE (RE)CONSTITUTION DE CAPACITÉS DE SOUTIEN MÉDICAL SUR LES THÉÂTRES D'OPÉRATIONS ADAPTÉES AUX CONFLITS DE HAUTE INTENSITÉ
Plusieurs leviers capacitaires sont identifiés pour amener le dispositif de soutien médical opérationnel au niveau requis par la haute intensité.
En premier lieu, la reconstitution d'une capacité à déployer un hôpital de campagne à l'arrière des théâtres d'opérations, qui fait aujourd'hui défaut, revêt une importance primordiale pour faire face à un afflux massif de blessés sur le champ de bataille et permettre le maintien des forces sur la longue durée. La LPM 2024-2030 prévoit de doter le SSA d'une structure de 50 à 80 lits permettant de soutenir un engagement de forces de niveau divisionnaire (15 000 hommes) d'ici à 2030, horizon qui paraît tardif au regard de l'enjeu et du contexte géostratégique.
Le renforcement en cours de la capacité d'évacuation médicale est également nécessaire et pourrait être accéléré. Sa composante aérienne (dispositif Morphée) doit poursuivre sa montée en puissance, avec l'objectif d'une harmonisation des matériels d'évacuation pour l'ensemble des appareils, afin de pouvoir notamment les appliquer aux A 400 M. Le renforcement de la composante terrestre, liée au programme Scorpion et passant par le déploiement des véhicules blindés Griffon SAN et Serval SAN, est d'autant plus indispensable qu'elle constitue la modalité préférentielle d'évacuation dans un contexte de haute intensité et de contestation de l'espace aérien.
La chaîne de ravitaillement en produits de santé doit être modernisée, ce qui suppose notamment une remise à niveau de ses infrastructures. Le projet de construction d'une plateforme logistique automatisée au sein de l'ESRA de Marolles, représentant un coût estimé à 65 millions d'euros, constitue l'un des chantiers prioritaires identifiés par le SSA en la matière.
Pourrait enfin être favorisée la mise à l'étude de certains modes d'action innovants, tel que la télé-chirurgie, ou encore l'approvisionnement vers l'avant de produits sanguins par drone.
* 1 Hors force d'action navale, force océanique stratégique et forces spéciales.