B. UN RÔLE TOUJOURS IMPORTANT DANS LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN, MENACÉ PAR LES ACCORDS D'ABRAHAM
1. Un rôle toujours clef du fait de l'influence sur Gaza
L'Égypte joue traditionnellement un rôle central dans les tentatives de résolution du conflit israëlo-palestinien : médiation entre Israéliens et Palestiniens lors d'épisodes d'affrontements, rôle clé dans la réconciliation inter-palestinienne et accueil de délégations palestiniennes. Elle oeuvre également en faveur d'une relance du processus de paix conformément à une solution à deux États, dans le cadre du groupe d'Amman associant également la Jordanie, l'Allemagne et la France.
Au moment du déplacement de la délégation au Caire en mai 2023, après une escalade meurtrière, un cessez-le-feu entre le Jihad islamique de Gaza et Israël venait d'être signé sous l'égide des services de renseignement égyptiens. L'Égypte continue en effet d'être le seul pays à pouvoir garantir un cessez-le-feu du fait de son contrôle sur Gaza. Toutefois, sur le plan général du conflit israëlo-palestinien, la situation reste totalement bloquée, notamment du fait de l'attitude actuelle de la partie israélienne qui ne fait plus du conflit une priorité, étant davantage focalisée sur l'Iran. Selon le vice-ministre des affaires étrangères égyptien, Israël se satisfait ainsi d'un statu quo qui ne l'oblige à renoncer à rien et compte sur d'autres pays comme le Qatar et l'Égypte pour tenir Gaza à bout de bras.
2. Un risque de marginalisation dû aux accords d'Abraham
Pour L'Égypte, les accords d'Abraham, qui ont vu la signature de traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis et entre Israël et Bahreïn, prolongés par des accords avec le Soudan et le Maroc, signifie, en même temps qu'une marginalisation du conflit israëlo-palestinien, un risque de perte d'influence. Dans ce contexte, les autorités rencontrées par la mission ont tenu à réaffirmer l'importance de la résolution du conflit israëlo-palestinien, d'autant que la cause palestinienne reste essentielle aux yeux de la population.
C. UN PAYS QUI SE VIT COMME ASSIÉGÉ PAR LES MENACES RÉGIONALES
La délégation a été frappée, lors de ses entretiens avec les membres du Gouvernement, par leur conscience aigüe que le pays est « assiégé » par les menaces régionales. Le vice-ministre des affaires étrangères a ainsi souligné que, alors qu'en 1973, la menace ne provenait que de la seule la frontière avec Israël, désormais celle-ci est la seule dont ne provienne aucune menace pour le pays.
Les principaux risques et menaces pesant sur l'Égypte
1. La crise soudanaise : un échec pour l'Égypte
Avant l'éclatement du conflit ouvert entre les deux généraux soudanais Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, les Égyptiens soutenaient davantage le premier des deux, pariant sans doute sur une évolution à l'égyptienne avec un pouvoir militaire fort. Le déclenchement des hostilités a donc consterné l'Égypte. Le début des combats en avril a déclenché un fort afflux de réfugiés : 70 000 personnes ont déjà franchi la frontière et 350 000 au moins sont attendues. Les autorités égyptiennes sont pessimistes sur l'évolution de ce conflit : comme l'a déclaré l'un des interlocuteurs officiels de la mission, « nous avons besoin d'un miracle au Soudan ». Le vice-ministre des affaires étrangères a souligné que les États-Unis avaient décidé de s'appuyer sur l'Arabie Saoudite pour la résolution de ce conflit. Ce choix contribue à mettre en avant la montée en puissance du pays dans la région, au détriment de l'influence égyptienne. L'Égypte cherche cependant désormais à reprendre la main dans les négociations pour un cessez-le-feu.
2. La crise libyenne : un statu quo durable ?
Le frontière avec la Libye à l'Ouest est considérée comme la plus menaçante en raison de sa longueur (1200 km) et du risque de passage de combattants étrangers, l'armes, de munitions, d'IED, de drogue, etc. Le vice-ministre de la défense a également rappelé l'enlèvement et l'exécution en 2015 par un groupe rattaché à l'Etat islamique de 21 coptes égyptiens. Avec la partition de facto du pays en deux parties, avec deux Gouvernements, l'absence actuelle d'affrontements de grande ampleur rend le statu quo supportable pour l'Égypte, qui reste néanmoins préoccupée par la présence et l'influence du rival turc dans l'Ouest du pays. La lutte contre cette ingérence turque reste ainsi d'actualité.
3. La menace iranienne : les conséquences de l'accord inattendu entre Arabie Saoudite et Iran
Le 10 mars 2023 a été signé sous l'égide de la Chine un accord entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Les deux pays sont convenus de renouer leurs relations diplomatiques, rompues depuis sept ans : réouverture des ambassades sous deux mois, cessation des ingérences, réactivation d'un accord sécuritaire et lancement d'une coopération économique, commerciale, technologique et d'investissements. L'Égypte n'a pu que prendre acte et est maintenant dans l'expectative sur les éventuelles conséquences positives de l'accord pour ses intérêts en Syrie, au Liban, en Irak et au Yemen. Deux analyses semblent s'opposer au sein du pays. Selon la première, l'Iran n'est, de toute façon, qu'une menace lointaine pour l'Égypte qui a déjà fort à faire dans son voisinage immédiat. Selon l'autre analyse, l'Iran est la plus grande menace pour l'Égypte, militairement et par les troubles qu'elle entretient dans la région, et le pays doit donc rester mobilisé contre cette menace.
4. La crise du barrage de la Renaissance éthiopien
Tous les interlocuteurs de la mission ont évoqué la menace que constitue le remplissage par l'Éthiopie du réservoir du barrage de la Renaissance. En effet, l'impact sur la zone agricole égyptienne, sur les berges et dans le delta du Nil, est redouté dans un pays qui a déjà fort à faire pour assurer sa sécurité alimentaire. L'Égypte craint également la multiplication de plus petits barrages destinés à l'irrigation en Éthiopie, qui aurait pour effet de réduire définitivement le débit du fleuve en Égypte. Alors que le Soudan s'était souvent montré proche des positions égyptiennes sur cette question (mais le général Abdel Fattah al-Burhane a assuré le 26 janvier 2023, après une rencontre avec son homologue égyptien Abiy Ahmed, être «d'accord sur tous les points» avec l'Éthiopie sur le sujet du barrage), la déstabilisation de ce pays ajoute une nouvelle inconnue.
L'Égypte, qui est reconnaissante à la France d'être un des seuls pays qui la soutient au Conseil de sécurité sur ce dossier, n'écarte pas, dans les déclarations de ses dirigeants, la solution militaire, tout en soulignant le danger extrême que représenterait une telle solution pour la stabilité régionale. Ainsi, elle indique travailler à des solutions alternatives pour assurer l'approvisionnement en eau du pays pendant les périodes de sécheresse, comme la construction de 21 stations de dessalement d'eau, annoncée en décembre 2022 pour un investissement de 3 milliards de dollars par le PDG du fonds souverain égyptien, Ayman Soliman. Ces usines doivent permettre d'atteindre en 2025 une production de 3,3 millions de mètres cubes par jour, contre 830 000 litres actuellement, mais la situation financière actuelle très difficile du pays suscite des doutes sur ce programme.
5. Le lutte contre le terrorisme
Le président égyptien a fait de la lutte contre le terrorisme un axe majeur de sa politique extérieure, en réponse à la situation en Libye mais aussi dans le Sinaï où les attaques dues à l'Etat islamique mais aussi au contexte politique et social local, avec une révolte des tribus bédouines, se sont multipliées depuis 2011, jusqu'à aboutir à une véritable guerre larvée. Les opérations menées dans cette région par l'armée égyptienne constituent ainsi, selon la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), son engagement armé le plus important depuis la guerre de 1973. Cette guerre est peu documentée car les observateurs indépendants sont interdits dans le nord-Sinaï depuis l'été 2013. Les Égyptiens craignaient que La Wilayat Sinaï tente un coup de force à Gaza, la frontière avec l'enclave palestinienne constituant un sujet permanent de préoccupation en raison des tunnels. Ils estiment cependant avoir jugulé en grande partie ce problème dans la période récente, notamment en assouplissant leur politique à l'égard des tribus bédouines, ce qui a permis de faire beaucoup baisser le nombre d'attaques. Toutefois, 11 militaires égyptiens ont été encore tués en juillet 2022.
L'Égypte fait par ailleurs toujours l'objet de nombreuses critiques dans le domaine des droits de l'homme, notamment en raison de l'emprisonnement de militants tels que Ramy Shaath, libéré le 6 janvier 2022 à l'issu d'un dialogue avec la France. Des listes de cas individuels qui font l'objet d'un suivi particulier sont ainsi remises aux autorités par la France.
6. La multiplication des bases militaires en réponse aux menaces
En réponse aux menaces régionales, l'Égypte a récemment déployé de nouvelles bases militaires majeures. En juillet 2021, le pays a ainsi inauguré une base navale baptisée « Nouveau 3 juillet » dans l'extrême nord-ouest du pays, à proximité de la frontière avec la Libye, afin de contribuer à la sécurisation de cette frontière et à la lutte contre l'immigration clandestine. Sur la Mer Rouge, la base de Bérénice, créée en janvier 2020, permet de rapprocher les forces égyptiennes du Sud de la Mer Rouge et du détroit de Bab-el-Mandeb. Elle permettrait donc au pays de faire face plus rapidement que par le passé à une poussée iranienne dans cette région. Enfin, la base Mohamed Naguib a été inaugurée le 22 juillet 2017, près de El'Alamein, à l'Est d'Alexandrie, assurant ainsi une force de projection en Méditerranée orientale.
7. Une politique réactive, une perte d'influence face aux concurrents régionaux et en particulier à l'Arabie Saoudite
Bien que l'Égypte de Sissi ait fait preuve d'un certain activisme international, les difficultés rencontrées par le pays sur le plan intérieur et extérieur (crise économique et nécessité d'éviter un embrasement social, accroissement de la pauvreté, prestige en baisse au Moyen-Orient et en Afrique) l'obligent à assister en spectateur à la montée en puissance de ses concurrents régionaux. La signature des accords d'Abraham et la marginalisation du conflit israélo-palestinien qui en résulte, l'accord irano-saoudien, le déclenchement de la guerre civile soudanaise sont autant d'exemple d'événements lourds de conséquences pour le pays et son statut international. En particulier, la montée en puissance et l'activisme de l'Arabie Saoudite de MBS, qui soutient toujours le pays financièrement mais exige désormais des contreparties, est souligné par les autorités égyptiennes elles-mêmes, qui indiquent s'attendre sans cesse à de nouvelles initiatives de la pétromonarchie.