II. L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE CARIBÉEN
L'action de l'État aux Antilles s'inscrit dans un contexte éloigné de l'hexagone et particulièrement spécifique : l'arc Caribéen. Ces territoires représentent une chance pour le rayonnement et l'implantation de la France dans la région. Or, cette réalité semble aujourd'hui largement ignorée : la spécificité caribéenne de ces territoires demeure un angle mort des politiques publiques que l'État y conduit.
La Caraïbe : un ensemble régional vaste et très hétérogène
L'espace Caraïbe est un ensemble formé de 38 pays et territoires s'étendant sur plus de 5,2 millions de km² (soit dix fois la superficie de la France métropolitaine). La population s'élève à près de 250 millions d'habitants, soit environ 4 % de la population mondiale.
Carte de l'espace caribéen (avec un focus sur les Petites Antilles)
Source : Rapport d'information sénatorial, 200926(*)
Elle comporte des territoires d'une grande diversité culturelle, linguistique, politique et économique et dont la géographie est particulièrement morcelée.
En effet, la contrainte insulaire explique en large partie ce morcellement. À l'exception des grandes îles d'Hispaniola (environ 75.000 km²) et de Cuba (de l'ordre de 11.000 km²), l'archipel des Caraïbes regroupe une multitude d'îles de petite voire très petite taille historiquement relativement pauvres. Avec près de 10 millions d'habitants chacun, Cuba, la République dominicaine et Haïti concentrent sur deux îles les ¾ de la population.
Au plan politique, la Caraïbe se partage entre 14 États majoritairement indépendants (des États insulaires de petite taille ou des États continentaux comme le Mexique), auxquels s'ajoutent 17 territoires rattachées à d'autres États extra-caribéens (collectivités d'outre-mer françaises, néerlandaises et britanniques mais également territoires insulaires non indépendants comme Porto Rico). Le régime démocratique est très majoritaire, que ce soit sous sa forme républicaine (Haïti, La Dominique) ou monarchique (ainsi les monarchies constitutionnelles de Grenade, Jamaïque, Sainte-Lucie ou des Bahamas). Certains de ces territoires sont des régions ultramarines périphériques de l'Union européenne (Guadeloupe, Martinique, Guyane et Saint-Martin) et d'autres sont des pays et territoires d'outre-mer de l'Union européenne (PTOM) (principalement les territoires ultramarins néerlandais, et singulièrement Saint-Barthélemy). De ces statuts et processus historiques différents découlent aujourd'hui des systèmes juridiques, des normes et des règlementations différentes qui sont autant de freins au développement de l'intégration régionale.
En outre, cet espace est profondément marqué par une grande hétérogénéité des situations économiques qui implique de fortes conséquences sur le développement social de ces territoires. Ainsi cohabitent au sein d'un même espace régional des États parmi les plus pauvres du monde, à l'exemple de Haïti classé 163ème pays mondial en matière d'indice de développement humain (IDH) et disposant d'un PIB/habitant de 1 815 USD (soit environ 1 620 euros), et Porto Rico, classé 63ème sur l'IDH et disposant d'un PIB/habitant de 32 290 USD (soit environ 28 800 euros), soit près de 18 fois supérieur à celui d'Haïti27(*).
Sur ce point, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin dont les PIB/habitant respectifs sont 23 200 euros, 24 400 euros, 15 100 euros et 16 572 euros, se situent dans la fourchette haute de ces classements pour la Caraïbe28(*).
En outre, un fond identitaire commun rassemble la zone Caraïbe. Il se lit non seulement dans l'usage très largement majoritaire de la langue espagnole, mais également dans un style de vie commun ou dans le fort métissage des populations, lié à la fois à la colonisation et à l'importation d'esclaves en provenance d'Afrique. Toutefois une grande diversité linguistique se fait jour sur ces territoires, puisque cinq aires linguistiques principales peuvent être distinguées : un espace hispanophone, un espace anglophone, un espace néerlandophone, un espace lusophone et enfin, un espace francophone.
La mission a, également, entendu les appels des élus locaux suggérant de « décentrer » la vision de l'État vers la Caraïbe, et estime, en conséquence, indispensable de dépasser la relation exclusive collectivité-hexagone pour l'enrichir d'initiatives locales de coopération avec les îles avoisinantes.
Forte de ces constats, la mission est ainsi convaincue que le renforcement de l'insertion des collectivités antillaises au sein de leur environnement régional répond à la fois à l'intérêt des collectivités concernées et à celui de la République dans son ensemble. Elle appelle donc à son renforcement concret et pragmatique tant par des actions résolues et adaptées des services de l'État que par le soutien d'initiatives locales prometteuses.
A. DÉPASSER LA RELATION AUTO-CENTRÉE ET EXCLUSIVE COLLECTIVITÉ-HEXAGONE
Si les collectivités des Antilles françaises, en dépit de leur éloignement géographique, entretiennent des liens étroits avec l'hexagone, leurs relations avec les pays et territoires voisins demeurent assez limitées. Or, l'ensemble des acteurs rencontrés, qu'ils soient politiques, économiques, culturels ou sociaux, ont fait valoir les bénéfices importants qu'une meilleure insertion des Antilles françaises pourrait apporter tant du point de vue économique que dans des domaines comme la protection de l'environnement - avec l'exemple des sargasses -, la lutte contre les trafics internationaux de stupéfiants ou d'armes, ou encore en matière culturelle.
1. Une insertion régionale largement décidée et mise en oeuvre par l'hexagone
Si, depuis près de deux décennies, des efforts ont sans conteste été déployés pour mieux insérer les collectivités antillaises dans leur environnement géographique immédiat, force est de constater que leur insertion régionale est encore non seulement perfectible mais surtout largement décidée et mise en oeuvre par l'hexagone. Cela tient très largement à la nature des outils et instruments juridiques de coopération existants.
Historiquement, du fait du principe de souveraineté et d'unité de l'État, celui-ci a été réticent à permettre aux collectivités territoriales de s'engager juridiquement et diplomatiquement dans la voie d'accords interétatiques ou bilatéraux. En l'occurrence, les articles 52 et 53 de la Constitution reconnaissent une compétence exclusive au Président de la République en matière de négociation et de ratification des traités ainsi qu'au Gouvernement pour approuver et signer les accords internationaux en forme simplifiée. Par ces mêmes articles, est reconnue une compétence exclusive du législateur s'agissant de la ratification et de l'approbation des accords internationaux. C'est pourquoi, l'ancien article L. 1112-5 du code général des collectivités territoriales disposait jusqu'en 2000 qu'« aucune convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale et un État étranger ».
Toutefois, face aux demandes des exécutifs locaux et aux coopérations de fait existant entre les territoires ultramarins, l'insertion des collectivités ultramarines dans leur environnement régional est récemment devenue une préoccupation du législateur comme de l'État. Ainsi, la première loi ayant renforcé et adapté les instruments juridiques de coopération régionale pour les territoires ultramarins est la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer, dite loi « DOM ». Les innovations prévues en la matière par cette loi sont de trois ordres :
- en premier lieu, la possibilité de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux dans leur environnement régional ;
Ont ainsi été introduits dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) plusieurs articles29(*) offrant, dans certains cas, aux collectivités ultramarines ainsi qu'à leur président des attributions nouvelles en matière de négociation et de signature d'accords entre la République et les États, territoires ou organismes régionaux voisins.
Ainsi, l'article L. 3441-3 du CGCT permet, en son premier alinéa, aux autorités de la République de délivrer pouvoir aux présidents des conseils généraux des départements d'outre-mer pour négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'État avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux voisins, y compris ceux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies.
Dans le cas où il n'est pas fait application de ces dispositions, le président du conseil départemental ou régional (ou son représentant) peut être associé, ou participer au sein de la délégation française, aux négociations sur ces accords.
En outre, en application des articles L. 3442-4 et L. 4433-4-3 du CGCT, le conseil départemental et le conseil régional de Guadeloupe peuvent, respectivement dans les domaines de compétence du département et dans ceux de la région, demander aux autorités de la République d'autoriser leur président à négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec des États, territoires ou organismes régionaux voisins.
Ces différentes prérogatives, reconnues jusqu'en 2015 au conseil départemental et au conseil régional de Martinique ou à leurs présidents ont été conférées, selon le cas, à l'assemblée de Martinique ou au président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique30(*) ;
- en deuxième lieu, la nomination d'un ambassadeur chargé de la coopération régionale dans le bassin Atlantique et de la représentation de la République au sein des différentes instances de coopération régionale.
Pour animer cette coopération, a été créée une instance de concertation des politiques de coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane, par l'article L. 4433-4-7 du CGCT. Composée de représentants de l'État, des conseils régionaux et départementaux et des représentants de chaque collectivité, cette instance est présidée par un ambassadeur chargé de la coopération régionale dans le bassin Atlantique. Ce dernier a également la charge de représenter la République au sein des différentes instances de coopération régionale, singulièrement la CARICOM - Communauté des Caraïbes - et l'Association des États de la Caraïbe ;
- en dernier lieu, la mobilisation d'instruments financiers spécifiques.
Pour financer les actions régionales de coopération, il existe depuis la loi « DOM » précitée, des fonds de coopération régionale (FCR), créés dans chaque région d'outre-mer sur le fondement de l'article L. 4433-4-6 du code général des collectivités territoriales.
Abondés par l'État, ces fonds interviennent en co-financement des projets initiés par des acteurs publics ou des personnes privés et peuvent également recevoir des dotations du département, de la région ou de toute autre collectivité ou organisme public. Les projets sont préalablement soumis à un comité de gestion, composé du préfet de région, de trois représentants de l'État, de deux représentants de la région et de deux représentants du conseil départemental.
Ces instruments ont, par la suite, été améliorés et renforcés par la loi dite « Letchimy » de 2016 qui a permis, à titre principal, aux collectivités ultramarines, dans certains cas, d'adhérer ou d'entrer au capital de banques régionales de développement ou d'institutions financières dont la France est membre et d'affecter des agents territoriaux auprès des représentations diplomatiques ainsi que, sous certaines conditions, de leur donner accès à des privilèges et immunités nécessaires à leurs fonction.
Les lois dites « DOM » et « Letchimy » ont donc constitué, à cet égard, des ruptures majeures et des avancées historiques pour faciliter la coopération régionale, notamment des collectivités antillaises au sein de l'arc Caribéen.
Toutefois, bien que l'ensemble de ces instruments aillent dans le sens favorable d'une meilleure intégration des collectivités ultramarines dans leur environnement, les rapporteurs notent que l'ensemble de ces instruments est aujourd'hui particulièrement médié par l'hexagone dans leur utilisation concrète. Les instruments juridiques existants dépendent en effet largement de l'accord exprès des autorités de l'État mais également de leur bonne volonté dans la coopération.
De fait, si les dispositions de la loi dite « DOM » ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, cela n'a été possible qu'au prix de quatre réserves d'interprétations, confortant le principe d'unité de la République et les compétences des autorités nationales en matière diplomatique :
- « le législateur a pu, sans porter atteinte ni à l'exercice de la souveraineté nationale ni aux prérogatives réservées à l'État par le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, autoriser les présidents des conseils généraux des départements d'outre-mer et des conseils régionaux de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de la Réunion à négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'État, dès lors que, pour ce faire, le président du conseil général ou celui du conseil régional doit avoir expressément reçu des autorités de la République les pouvoirs appropriés et que ces accords demeurent soumis aux procédures prévues par les articles 52 et 53 de la Constitution » ;
- « que, lorsqu'ils négocient ou signent les accords en cause, les présidents des conseils généraux ou des conseils régionaux agissent comme représentants de l'État et au nom de la République française ; qu'ils doivent, dans l'exécution de leur mandat, mettre en oeuvre les instructions qui leur sont données par les autorités de la République compétentes ; que ces mêmes autorités restent libres de délivrer pouvoir à d'autres plénipotentiaires ou de ne délivrer pouvoir aux présidents des conseils généraux ou régionaux que pour l'une seulement des phases de négociation et de signature ; qu'elles peuvent retirer à tout moment les pouvoirs ainsi confiés » ;
- qu'ils doivent « négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec des États, territoires ou organismes régionaux voisins ; »
- et « que les autorités compétentes de la République ont un pouvoir discrétionnaire d'appréciation et de décision quant à la mise en oeuvre [de ces dispositions et qu'elles] conservent toute liberté pour donner pouvoir, aux fins de signature de l'accord, à la personne de leur choix, y compris aux présidents des conseils généraux ou régionaux intéressés [indépendamment de l'avis émis par les assemblées délibérantes des collectivités précitées] »31(*).
Au surplus, les représentants des collectivités d'outre-mer rencontrés semblent se heurter dans ce domaine à une faible voire mauvaise volonté des services de l'État, et en particulier du Quai d'Orsay, ainsi qu'à une certaine inertie de l'administration. Ainsi, Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, a fait valoir que sur ce sujet « l'infantilisation des collectivités ultramarines par l'État était à son comble ».
Auditionné par la mission, l'ambassadeur en charge de la coopération du bassin Atlantique a justement fait valoir que la pandémie de la covid-19 a considérablement ralenti les échanges politiques et diplomatiques dans cette région, aboutissant par exemple au report pendant près de trois années de la réunion annuelle de la conférence Antilles-Guyane.
L'ensemble de ces éléments conduit les acteurs politiques locaux à s'insérer avec difficultés dans leur environnement régional immédiat alors même que leurs revendications vont grandissantes en la matière.
2. L'affirmation d'une « culture caribéenne » et la volonté de tisser des liens avec des partenaires naturels et voisins
L'Appel de Fort-de-France est éclairant quant à la volonté des collectivités ultramarines, singulièrement antillaises, de voir leur spécificité caribéenne mieux reconnue. S'y exprime le besoin de reconnaissance d'une situation géographique et historique singulière, notamment par la reconnaissance « des réalités de chacune de nos régions » et des « atouts notamment géostratégiques et écologiques »32(*).
Comme Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, qui évoquait un « double positionnement » des populations antillaises, Guy Losbar, président du conseil départemental de Guadeloupe, a rappelé aux rapporteurs la nécessité de penser les collectivités françaises comme des « territoires frontaliers de la Caraïbe » et d'un « archipel dans l'archipel France ». De même, à Saint-Martin, le président de la collectivité, Louis Mussington, a souligné lors de son audition le nombre important de jeunes saint-martinois dont l'anglais était la langue principale suivie du français créolisé.
À Saint-Barthélemy, le président de la collectivité, Xavier Lédée, sans aller jusqu'à revendiquer un héritage caribéen, a rappelé aux rapporteurs le bassin économique et touristique dans lequel le territoire se situe et pointé la spécificité de cette île française dans un environnement caribéen très américanisé.
Pour rendre concrète cette affirmation d'une culture caribéenne propre, les RUP françaises ont entamé depuis quelques années des démarches spécifiques en vue d'adhérer aux organisations régionales et s'inscrivent dans une démarche proactive de renforcement de leurs liens et interactions avec certains des États et territoires de l'espace de coopération.
Ainsi, depuis 2017, la Martinique et la Guadeloupe ont formulé leur candidature à l'adhésion à la CARICOM et, en 2019, la Guadeloupe est devenue membre associé et Saint-Martin membre observateur de l'Organisation des États de la Caraïbe Orientale (OECO). La Martinique est membre associée de l'OECO depuis 2015.
3. Entre nécessité économique et intérêts réciproques : les enjeux majeurs de la coopération
La politique d'insertion régionale présente des intérêts potentiels diversifiés et majeurs pour les collectivités ultramarines et, plus largement, pour la République.
En premier lieu, comme l'a fait valoir Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, lors de son audition par la mission, l'insertion des Antilles françaises au sein de leur environnement régional est d'abord une nécessité économique : elle permettrait de renforcer la consommation de produits locaux et de spécialiser les différentes îles de la Caraïbe dont la taille n'est pas assez critique pour leur permettre de développer l'ensemble des activités économiques et agricoles nécessaires aux besoins des populations. Il a indiqué aux rapporteurs que près de 80 % des produits consommés en Martinique étaient importés, et que 83 % de ceux-ci étaient originaires d'Europe. En outre, bien que les économies caribéennes soient globalement ouvertes au commerce international, les échanges intra régionaux comptent pour seulement 13 % des échanges commerciaux totaux, et seuls 1,5 % de l'investissement direct étranger (IDE) est régional.
Les rapporteurs ont ainsi trouvé leur conviction renforcée sur ce point par leurs différentes auditions : une véritable intégration économique régionale serait de nature à renforcer considérablement le développement économique des collectivités ultramarines. Ce constat, partagé par le président du conseil départemental de la Guadeloupe, Guy Losbar, s'appuie sur une réalité économique : la zone Caraïbes-Guyane représente un vaste marché potentiel de 250 millions d'habitants.
En deuxième lieu, le renforcement de la coopération régionale répond également aux intérêts communs des collectivités antillaises françaises et des pays et territoires voisins.
Qu'il s'agisse de l'énergie, des transports, de l'environnement et de la protection civile ou de la santé, des mutualisations et des projets conjoints seraient dans l'intérêt de toutes les parties. Deux exemples, de nature très différente, méritent d'être soulignés à cet égard :
- d'une part, comme l'ont fait valoir les acteurs locaux rencontrés par la mission, la gestion des sargasses, spécifiquement par la Guadeloupe qui est à l'initiative du plan régional Sarg'Coop, ne peut se résumer à un plan applicable sur les seuls territoires français tant cet enjeu est régional par ses conséquences et procède de changements environnementaux diffus et multiples ;
- d'autre part, l'emploi de travailleurs saisonniers, en particulier à Saint-Barthélemy, originaires d'Antigua ou d'Anguilla, mais également en Guadeloupe, pourrait être facilité par des dispositifs spécifiques et régionaux. Cet exemple a été, à plusieurs reprises, évoqué tant par des acteurs politiques que des acteurs économiques particulièrement confrontés à des difficultés de main d'oeuvre saisonnière qui pourraient trouver une solution dans l'environnement régional immédiat de ces collectivités françaises.
En troisième lieu, le développement de trafics internationaux criminels, principalement liés à la circulation et au commerce de stupéfiants et d'armes, pose avec une acuité particulièrement la nécessité de coopérations étroites avec les autres États caribéens dans les matières régaliennes.
Ainsi, une coopération étroite avec Sainte-Lucie et La Dominique est une nécessité pour la Martinique et la Guadeloupe, étant donné que ces territoires sont situés à quelques miles nautiques de distance, rendant poreuses les frontières entre ces différents territoires.
En dernier lieu, le renforcement de l'insertion régionale des régions d'outre-mer permettrait d'accroître l'influence politique et stratégique de la France dans cette région, qui pourrait également être la porte d'entrée de l'Europe dans l'arc Caribéen, en particulier depuis la sortie du Royaume-Uni et de ses territoires ultramarins de l'Union européenne entraînant, par suite, la perte de leur statut de RUP.
À cet égard, l'on peut souligner l'atout que représente, pour la République, la francophonie fortement présente dans la région.
4. La spécificité de Saint-Martin
Comme l'ont constaté les rapporteurs lors de leur déplacement, la double nationalité de l'île de Saint-Martin, sans que la frontière soit matérialisée entre les parties française et néerlandaise, est au coeur de son équilibre économique et social.
L'île de Saint-Martin est une île binationale de 87 km² partagée politiquement entre côté français au nord (56 km²) et côté hollandais au sud (34 km²), avec une population, multinationale, multiethnique et multiculturelle.
Carte de l'île de Saint-Martin
Source : dossier territorial de la préfecture
Pour autant, les rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement : l'existence de cette frontière administrative n'est pas un élément tangible à l'échelle du territoire tant les flux et les interdépendances sont nombreux.
Démarcation de la frontière entre
Saint-Martin et Sint-Maarten
par un simple panneau de
signalisation
Source : Guadeloupe la 1ère
Aujourd'hui encore en vigueur, le traité dit de Concordia, du 23 mars 1648 organise le partage de Saint-Martin entre la France et les Pays-Bas, assure une libre circulation des biens et des personnes, et implique une obligation d'entraide entre les deux parties de l'île.
La coexistence de deux collectivités de nationalités et de statuts européens différents sur un même territoire insulaire, mais avec la libre circulation des habitants, rend nécessaire une coopération très resserrée.
Sint-Maarten : un territoire néerlandais très avancé dans l'autonomie
Territoire néerlandais des Antilles ayant le statut de « pays », Sint-Maarten bénéficie d'un haut degré d'autonomie interne. La Constitution de Sint-Maarten a été adoptée le 21 juillet 2010. Le territoire dispose d'un Parlement démocratiquement élu et de son propre gouvernement compétent pour élaborer la législation relative aux affaires internes. Sint-Maarten dispose de son propre ministère de la justice et d'une banque centrale commune avec Curaçao, l'unité monétaire étant le Florin caraïbe. En outre, comme Saint-Barthélemy, Sint-Maarten constitue un PTOM.
L'exécutif du Royaume des Pays-Bas est représenté par un gouverneur. À ses côtés, existe une représentation des Pays-Bas où tous les ministères néerlandais sont représentés, à l'exception de la défense et des affaires étrangères, matières qui demeurent de la compétence du Royaume. Les Pays-Bas coopèrent avec les autorités de Sint-Maarten en matière de justice, de lutte contre la corruption et la criminalité internationale, ainsi que pour le maintien de l'ordre public.
Rendue difficile par les différences de statut et l'instabilité des gouvernements de Sint-Maarten (dix gouvernements en dix ans), cette coopération n'est pas aujourd'hui à la hauteur de ces enjeux. Sur ce point, le rapport du préfet Philippe Gustin (2017) incite à rééquilibrer les relations entre les parties française et néerlandaise de Saint-Martin en renforçant la coopération bilatérale, par exemple via la relance du forum de dialogue dit « Q4 » qui regroupe les gouvernements français et néerlandais, la collectivité de Saint-Martin et le gouvernement de Sint Maarten.
En octobre 2020, la Première ministre de Sint-Maarten et l'ancien président du conseil territorial de Saint-Martin, Daniel Gibbs, ont marqué leur volonté d'accélérer les démarches pour la création du United Congress, qui serait un organe institutionnel conjoint. Celles-ci n'ont toutefois, à la connaissance des rapporteurs, pas abouti à ce jour.
Dans ce contexte particulier, la coopération entre les deux territoires est, selon les rapporteurs, une nécessité et représente un défi majeur. Ils soulignent d'ailleurs à cet égard qu'a pu être surmontée récemment une difficulté relative au tracé de la frontière, à Oyster Bay, montrant la qualité de la coopération diplomatique tant au niveau des États français et néerlandais que des collectivités de Saint-Martin et Sint-Maarten33(*).
En effet, la petite taille de l'île appelle à la construction de réponses conjointes à des problématiques auxquelles le territoire et ses habitants sont confrontés, qu'ils se situent dans la partie néerlandaise ou française.
À titre d'exemple, certaines infrastructures nécessaires au développement économique et à la vie quotidienne des deux parties de l'île sont réparties de part et d'autre de la frontière : il en va ainsi de l'aéroport international Princesse Juliana qui se situe sur la partie hollandaise de l'île, de même que du port autonome de Marigot et de la Marina de Fort Louis qui sont, quant à eux, sous pavillon français.
En outre, les risques naturels majeurs susceptibles de survenir à Saint-Martin rendent particulièrement indispensables le développement de réponses coordonnées en cas d'évènement majeur comme l'ouragan Irma qui a dévasté l'île en 2017.
* 26 Rapport d'information n° 519 (2008-2009), tome I, déposé le 7 juillet 2009, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r08-519-1/r08-519-1103.html#toc986.
* 27 Sources : Banque Mondiale 2021 pour le PIB/hab et PNUD 2021 pour l'IDH.
* 28 Sources : INSEE/IEDOM 2022 : Données 2021 pour Guadeloupe, Martinique, et Guyane. Données 2014 pour Saint-Martin.
* 29 Articles L. 3441-2 à L. 3441-7 et L. 4433-4-1 à L. 4433-4-8.
* 30 Articles L. 7253-3, L. 7253-4 et L. 7253-5 du code général des collectivités territoriales.
* 31 Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000.
* 32 Appel de Fort-de-France, lundi 16 mai 2021. Il est consultable à l'adresse suivante : https://ppm-martinique.org/wp-content/uploads/2023/06/2022-Appel-de-Fort-de-France.pdf.
* 33 Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, et Silveria E. Jacobs, Première ministre du gouvernement autonome de Sint Maarten, ont signé, le 26 mai 2023, un accord entre la France et les Pays-Bas portant délimitation de leur frontière commune à SaintMartin.