C. LE GUYANA, FUTUR « QATAR » D'AMÉRIQUE DU SUD ?
Jusqu'à récemment, le Guyana, ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. La découverte d'importants gisements de pétrole en mer par l'américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les cartes. Avec près de 11,5 milliards de barils équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par jour d'ici 2027.
Les politiques publiques mises en oeuvre par l'actuel Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de développement du pays pour les années à venir. Pour éviter la survenance du « syndrome hollandais », le Gouvernement du Guyana a ainsi mis en place un fonds souverain (Natural Resource Fund) placé auprès d'une institution financière newyorkaise.
La « manne » pétrolière, qui représentait plus de 88 % de la croissance du PIB réel du pays en 2022, devra ainsi servir au développement d'autres secteurs d'activité, en particulier l'agriculture et l'agroalimentaire. À cet égard, le Président Irfaan Ali a rappelé à la mission la volonté des autorités d'augmenter les investissements dans les infrastructures (dont 650 millions de dollars pour les infrastructures routières, 258 millions de dollars pour les logements et 210 millions de dollars pour les infrastructures électriques) ainsi que dans les domaines de l'éducation et de la santé.
Plusieurs axes de développement des relations franco-guyaniennes doivent être explorés.
Dans le domaine économique tout d'abord, le Guyana offre d'importantes opportunités pour les entreprises françaises. Le renforcement de la présence française au Guyana a d'ailleurs été appelé de ses voeux par le Président Irfaan Ali qui a indiqué que les entreprises françaises étaient les bienvenues et souhaiter que la France devienne un « partenaire clé » du développement du pays.
En matière de sécurité, ensuite, le pays demeure confronté aux défis de la criminalité organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier de cocaïne, à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Le Président Ali a ainsi appelé à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité.
Enfin, s'agissant des relations diplomatiques, lors des entretiens qu'elle a menés à Georgetown, les autorités guyaniennes ont toutes indiqué à la mission regretter l'impossibilité pour les Guyaniens d'effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis le territoire du Guyana. En effet, aucun pays de l'Union européenne ne disposant à l'heure actuelle d'une ambassade à Georgetown, les Guyaniens doivent se rendre à l'ambassade des Pays-Bas au Suriname pour y déposer leur demande de visa Schengen.
Par ailleurs, si l'ouverture d'une ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana et la mise en place d'une antenne diplomatique à l'automne 2023 constituent des signaux importants et salués par les autorités guyaniennes rencontrées, la mission considère cependant nécessaire d'aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à Georgetown, à l'instar de ce qu'ont pu faire d'autres pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.
En effet, si la France ne prend pas rapidement l'initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un futur proche, à n'en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.
La France doit rapidement se positionner comme un partenaire clé du Guyana
Les recommandations
Donner un nouvel élan à la relation bilatérale franco-brésilienne
· Maintenir la présence française dans la Casa Europa à Rio de Janeiro et développer des partenariats avec des entreprises françaises pour contribuer au financement des travaux nécessaires à sa rénovation.
· Afin de rééquilibrer les flux d'investissement franco-brésiliens, mettre en place un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France.
· Créer un conseil franco-brésilien permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers.
· Formaliser la reprise des relations bilatérales par une visite présidentielle, par exemple lors du sommet des pays d'Amazonie, voire une visite d'État à l'occasion de laquelle des engagements concrets devront être pris.
· Renouveler le partenariat stratégique de 2006 et l'étendre à de nouveaux champs tels que le domaine terrestre, le cyber ou le spatial. Étudier les possibilités d'approfondissement du programme ProSub dans le domaine nucléaire et mettre en avant les savoir-faire désormais établis d'ICN dans les discussions qui pourraient être ouvertes avec des pays d'Amérique latine concernant l'acquisition de sous-marins.
Renforcer les relations entre pays du
Plateau
des Guyanes
· Étudier les modalités de rapprochement entre le parc national des montagnes du Tumucumaque (Parque Nacional das Montanhas do Tumucumaque) et le parc Amazonien de Guyane, ce qui constituerait la plus grande zone mondiale de la biodiversité, et étendre cette coopération au Suriname et au Guyana.
· Créer un groupe d'amitié France-Guyana-Suriname.
Intensifier la coopération
transfrontalière
avec le Brésil
· Mettre en place de véritables patrouilles conjointes permettant aux militaires des deux pays d'appréhender les auteurs d'actes illicites sur le territoire de l'autre pays, dans une zone dont la profondeur devra être déterminée.
· Proposer un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens, réétudier les modalités d'extradition et de mise en oeuvre de la procédure dite de libération conditionnelle « expulsion », voire envisager l'établissement d'une convention sur le transfert de prisonniers.
· Renforcer la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés, des coopérations techniques notamment avec le Censipam, l'appui de la demande brésilienne d'accéder à certaines images prises par le satellite Sentinel-1 ou encore la participation de la France au financement du Fonds Amazone relancé par le Président Lula.
· Ouvrir une Alliance française à Macapá, le cas échéant, dans le cadre d'un partenariat avec le centre de langue et de culture françaises « Danielle Mitterrand ».
· Poursuivre la recherche d'un partenaire bancaire brésilien permettant un financement intermédié de l'AFD à destination de l'État d'Amapá. Outre les thématiques liées à l'environnement et à la culture, prévoir que cette aide sera consacrée au financement d'infrastructures dans le secteur touristique.
· Prévoir un assouplissement du régime des visas applicable aux Brésiliens se rendant en Guyane et, a minima, mettre en place une solution technique permettant aux habitants de l'Amapá de ne pas avoir à se rendre à Brasilia pour obtenir un visa.
Accompagner le développement
du
Suriname
· Envisager une action de Proparco, filiale de l'AFD, en faveur du secteur privé, afin de poursuivre l'accompagnement du développement du Suriname.
· Encourager les autorités surinamaises à procéder à la ratification du protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière Maroni-Lava. Engager rapidement des travaux sur la 4e et dernière section de la frontière afin de solder définitivement ce contentieux avec le Suriname.
· Maintenir un très haut niveau de coopération en matière policière et oeuvrer activement pour la mise en oeuvre de l'accord de coopération judiciaire.
· Étudier les possibilités de cessions de matériels et d'équipements au profit des forces de sécurité surinamaises.
Positionner la France comme
un partenaire
clé du Guyana
· Multiplier les initiatives à destination des entreprises françaises afin de leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.
· Étudier les solutions possibles pour faciliter les démarches d'obtention de visas Schengen pour les Guyaniens.
· Créer une ambassade de plein exercice au Guyana.
LA FRANCE EN AMÉRIQUE DU SUD, QUELLES RELATIONS AVEC NOS VOISINS BRÉSILIEN, SURINAMAIS ET GUYANIEN ?
Douze ans après la publication du dernier rapport consacré au Brésil par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées3(*), il était indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant ce dernier a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême-droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.
Ces alternances, sur fond de polarisation de plus en plus marquée de la société brésilienne, ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 aux niveaux régional et international.
L'objectif de cette mission d'information était double :
- établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes de possible renforcement de la relation bilatérale ;
- analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud, par l'intermédiaire du département de la Guyane, en mettant l'accent sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.
Dans cette perspective, la délégation sénatoriale, composée de Jöelle Garriaud-Maylam et André Vallini, rapporteurs, Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton, s'est rendue à Rio de Janeiro, sur la base navale d'Itaguaí, symbole de la coopération franco-brésilienne en matière de défense, à Brasilia, Macapá, Oiapoque, Cayenne, puis à Paramaribo, capitale du Suriname, et enfin Georgetown, capitale du Guyana.
Carte de l'Amérique du Sud
(en rouge, l'itinéraire du déplacement de la mission)
* 3 Rapport d'information n° 662 (2010-2011) de MM. Josselin de Rohan, Jean Besson, Bernard Piras et Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 22 juin 2011.