EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 5 juillet 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. André Vallini, rapporteurs, et de Mme Catherine Dumas, M. Philippe Folliot et Mme Nicole Duranton, membres du groupe de travail, sur « Les nouveaux équilibres stratégiques en Amérique du Sud ».
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons à présent le rapport d'information réalisé à la suite de la mission effectuée au Brésil, au Suriname et au Guyana, à laquelle participaient nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam, André Vallini, Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Douze ans après le dernier rapport consacré par notre commission au Brésil, il apparaissait indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant celui-ci a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême-droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.
Ces alternances ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 au niveau régional comme international.
L'objectif de notre mission d'information était double. Il s'agissait tout d'abord d'établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes possibles de renforcement de la relation bilatérale. Il s'agissait ensuite d'analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud en se penchant sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.
Dans cette perspective, notre délégation, qu'André Vallini et moi avions l'honneur de conduire, et qui était également composée de Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton, que je tiens à remercier pour leur participation à ce travail commun, s'est rendue à Rio de Janeiro, sur la base navale d'Itaguaí - symbole de la coopération franco-brésilienne en matière de défense - à Brasilia, Macapá, Oiapoque, Cayenne, puis à Paramaribo, capitale du Suriname, et enfin Georgetown, capitale du Guyana.
Je commencerai cette présentation par un état des lieux de la situation économique et sociale du Brésil, de sa politique étrangère et des évolutions attendues à la suite de l'élection du Président Lula avant de laisser André Vallini vous présenter les perspectives concernant la relation et la coopération transfrontalière. Catherine Dumas abordera quant à elle les relations de la France avec ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana.
Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance élevé et une baisse du taux de chômage. Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail. À cette « décennie dorée » a toutefois succédé une « décennie perdue », caractérisée par une croissance atone et une dégradation des finances publiques brésiliennes.
Depuis la récession de 2015-2016, les inégalités et la pauvreté sont en outre reparties à la hausse. Le Brésil compterait ainsi à l'heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la faim. Pays parmi les plus inégalitaires du monde, le Brésil est marqué par une forte polarisation de sa société.
Les élections d'octobre 2022 ont clairement mis en évidence un clivage entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste : travail, famille traditionnelle, religion, notamment évangélique ; et celles portées par Lula et ses alliés : lutte contre les inégalités et les discriminations, dialogue, protection de l'environnement.
Une semaine après l'investiture du nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d'État militaire se sont ainsi livrés à des actes de vandalisme dans la capitale fédérale, Brasilia.
Afin d'atténuer les clivages entre ces « deux Brésil », le Président Lula a fait de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités les priorités de son Gouvernement, en rupture avec la politique menée par son prédécesseur. Ce volontarisme du nouveau Président dans le domaine social s'est traduit par le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers mandats telles que les programmes « Bolsa Família » et « Minha Casa Minha Vida ». Le nouvel exécutif a également annoncé la mise en oeuvre d'une importante réforme fiscale qui verra notamment la création d'une TVA actuellement inexistante.
En matière environnementale, conformément aux promesses faites durant la campagne, le Président Lula, qui s'est engagé à atteindre une déforestation nette nulle d'ici 2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation telles que la création d'un ministère de l'environnement ou encore la mobilisation de l'armée pour lutter contre l'orpaillage illégal. Lula a également fait de la protection des peuples autochtones l'une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son discours d'investiture à révoquer, je cite, « toutes les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones ».
Le Gouvernement Lula III doit cependant composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité. L'unité nationale manifestée au lendemain du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition, devraient faciliter l'adoption de certaines réformes. En matière environnementale cependant, le secteur de l'agro négoce, bien représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel exécutif.
En matière de politique étrangère, au niveau régional tout d'abord, les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par l'affirmation progressive de ce que l'on peut qualifier d'« hégémonie consensuelle » brésilienne sur le sous-continent.
Si, durant la présidence Bolsonaro, le Brésil s'est détourné de l'Amérique latine au profit d'un rapprochement avec les États-Unis, le Président Lula a clairement affirmé son souhait de relancer le processus d'intégration régionale. L'une des premières décisions prises par le nouvel exécutif a ainsi consisté à réintégrer la Communauté d'États Latino-Américains et Caraïbes (CELAC) le 5 janvier 2023. Dès le 23 janvier 2023, Lula s'est en outre rendu en Argentine pour assister au VIIe sommet de l'organisation. Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d'État du continent sud-américain s'est réuni à Brasilia, témoignant de l'engagement du nouvel exécutif dans l'intensification des liens entre pays du d'Amérique du Sud.
Au niveau international, au début de la décennie 2010, le Brésil s'était imposé comme le porte-parole du « Sud Global » parvenant à en affirmer la place sur la scène internationale.
Cette volonté de rééquilibrage des relations internationales au profit des pays du Sud demeure un marqueur fort de la politique étrangère du Gouvernement Lula III. Dans le domaine économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une « dédollarisation » de l'économie mondiale, à une réforme de l'architecture financière internationale et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des pays du Sud.
Le « non-alignement » sur le bloc occidental qui sous-tend la politique étrangère du Brésil a cependant pu être perçu comme ambigu, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine. S'il refuse d'appliquer des sanctions à l'encontre de la Russie tant que celles-ci n'auront pas été décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU - au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d'un droit de veto - ou de livrer des armes à l'Ukraine, le Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies. Le pays entend ainsi assumer un rôle de médiateur dans ce conflit, proposant la création d'un « club de la paix » qui réunirait des pays non occidentaux pour servir d'intermédiaire entre les belligérants.
Je termine en évoquant la question des relations entre l'Union européenne (UE) et le Brésil. Leur évolution dépend évidemment pour partie du futur de l'accord d'association négocié depuis 1999. Dans la perspective de sa présidence de l'UE intervenue le 1er juillet 2023, l'Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d'ici le sommet UE-CELAC qui se tiendra les 17 et 18 juillet 2023. Ce calendrier, déjà optimiste en début d'année 2023, semble désormais impossible compte tenu du report de la deuxième session de négociation de l'instrument additionnel.
S'il peut sembler excessif de considérer qu'un éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et sans méconnaître les problématiques soulevées par cet accord, qui sont d'ailleurs bien rappelées dans un projet de résolution déposé fin juin au Sénat, nous considérons cependant qu'il convient de poursuivre les discussions sur ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en matière environnementale, dans la mesure où il nous semble que cet accord contribuera au renforcement du lien unissant le Brésil au pays occidentaux.
Je laisse maintenant la parole à André Vallini pour une présentation des perspectives concernant les relations bilatérales franco-brésiliennes et la coopération transfrontalière.
M. André Vallini, rapporteur. - L'amitié entre la France et le Brésil est profonde et ancienne. La France et le Brésil ont ainsi développé d'importantes coopérations dans des domaines variés.
La France est en ainsi le principal partenaire européen du Brésil dans le domaine universitaire. Dès les années 1930, des intellectuels éminents tels que Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à établir des liens entre les deux pays en participant à la fondation de l'Université de São Paulo, qui est aujourd'hui la première université d'Amérique latine.
Au niveau économique, le Brésil est également un partenaire majeur de la France au sein de la sphère émergente. En termes de flux, le Brésil est la 10e destination des investissements directs à l'étranger (IDE) français et le 1er grand pays émergent. Par ailleurs, la quasi-totalité des sociétés du CAC 40 - 39 sur 40 - dispose d'au moins une filiale au Brésil.
Les relations franco-brésiliennes en matière d'investissements laissent cependant apparaître un important déséquilibre. Nous estimons par conséquent qu'un certain rééquilibrage des flux d'investissements devrait être recherché pour les années à venir. Nous proposons ainsi la mise en place d'un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France. Ce sujet, comme l'ensemble des aspects de la relation économique franco-brésilienne, pourrait être utilement abordé au sein d'une instance permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers, dont nous proposons la création.
La coopération franco-brésilienne s'exerce aussi dans le cadre de l'action de l'Agence française de développement (AFD) dans le pays. La stratégie brésilienne de l'AFD pour la période 2018-2022 avait pour principal objectif d'accompagner la transition du pays vers un modèle de développement bas carbone via l'appui aux territoires et le développement de partenariats, avec le système financier public brésilien notamment.
Après 16 ans de présence de l'AFD au Brésil, le pays est devenu le 5e partenaire au monde du Groupe avec 2,3 milliards d'euros engagés depuis 2007. L'action de l'AFD reste cependant majoritairement concentrée dans les régions Sud et Sud Est plus prospères. Nous estimons par conséquent nécessaire que celle-ci se tourne davantage vers le Nord et le Nord Est brésiliens, plus pauvres.
S'agissant des relations diplomatiques entre nos deux pays, après une période de tension sous l'ère Bolsonaro l'élection du Président Lula ouvre incontestablement un nouveau chapitre. Nous ne pouvons que nous réjouir de ces « retrouvailles » entre nos deux pays, pour reprendre l'expression de Catherine Colonna.
Cette volonté de renouer des liens nourris et réguliers avec la France a été systématiquement rappelée lors des entretiens que nous avons eus. L'accueil chaleureux et enthousiaste qui nous a été réservé est d'ailleurs le meilleur témoignage de cette volonté de renforcer nos relations.
Cette main tendue doit être saisie rapidement alors que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont déjà opéré un rapprochement, parfois plus marqué, avec ce « nouveau Brésil ». Quelques exemples : alors que plusieurs chefs d'État, dont le Roi d'Espagne et les Présidents du Portugal et de l'Allemagne, ou encore le Vice-Président chinois ont assisté à l'investiture du Président Lula, la France n'y était représentée que par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger.
Le Président Lula a par ailleurs accueilli plusieurs visites officielles depuis son élection : le Chancelier allemand Olaf Scholz s'est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d'euros pour la protection de l'Amazonie. Le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula en avril 2023.
Lors de la visite de Catherine Colonna au Brésil en février dernier, les Brésiliens pensaient obtenir une date pour une visite du Président de la République et des annonces concernant des investissements français dans leur pays. Ils n'ont eu ni l'un ni l'autre.
Nous estimons par conséquent que la relance des relations bilatérales devrait désormais se concrétiser par un geste fort côté français, avec une visite présidentielle dès 2023. Le sommet des pays d'Amazonie, qui se tiendra au mois d'août prochain et auquel le Président Lula a invité son homologue français, pourrait constituer une opportunité de visite présidentielle, à laquelle devrait rapidement succéder une visite d'État permettant l'établissement d'une feuille de route concrète, visant en particulier à donner un nouveau souffle au partenariat stratégique de 2006.
Dans le domaine de la défense, celui-ci s'est matérialisé par un plan d'actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à d'importants contrats dans les domaines naval, aéronautique et spatial. Dans le domaine naval plus spécifiquement, un ambitieux programme de transfert de technologie a été signé en 2009. Celui-ci repose sur deux piliers : la construction d'un chantier et d'une base navale à Itaguaí et la construction de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpène dans les chantiers d'Itaguaí et l'assistance à la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire.
Nous appelons à préparer dès maintenant l'après 2025, date de mise en service du dernier sous-marin conventionnel.
Plusieurs axes de relance de ce partenariat pourraient être envisagés : étudier les possibilités de renforcement de l'appui français aux autorités brésiliennes dans la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire, même si nous sommes évidemment conscients des problématiques que cela soulève ; utilisation d'Itaguai comme d'un « relais » en Amérique latine pour la vente de sous-marins de type Scorpène qui seraient construits au Brésil ; ou encore conclusion d'un partenariat dans le domaine terrestre avec, par exemple, la livraison de systèmes CAESAR qui s'accompagnerait de la maintenance et d'actions de formation.
Les relations franco-brésiliennes comprennent en outre une dimension transfrontalière qui ne doit pas être négligée, le Brésil étant, je le rappelle, notre voisin par le département de la Guyane. Nous partageons d'ailleurs avec ce pays notre plus longue frontière terrestre : plus de 700 km.
La coopération transfrontalière dans les domaines militaires - en particulier en matière de lutte contre la pêche ou l'orpaillage illégaux -, judiciaire et policier est déjà intense. Certaines mesures pourraient cependant être prises pour en renforcer la portée, telles que l'organisation de patrouilles conjointes à la frontière, un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens ou encore le renforcement de la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés ou de coopérations techniques.
Par ailleurs, l'État de l'Amapá, frontalier de la Guyane, ne peut actuellement pas bénéficier du soutien de l'AFD en raison de sa situation financière. Une solution pourrait consister en un financement « intermédié ». C'est pourquoi nous encourageons l'AFD à rechercher un partenaire bancaire qui permettrait d'apporter un soutien financier à l'État d'Amapá. Plusieurs thématiques pourraient plus spécifiquement faire l'objet d'un soutien français. Outre la protection de l'environnement et le secteur culturel, l'aide au développement pourrait contribuer au financement d'infrastructures touristiques, qui font défaut à l'Amapá alors que cet État jouit d'un fort potentiel touristique du fait de la présence de la forêt Amazonienne.
Au cours du déplacement, les autorités nationales comme locales brésiliennes ont par ailleurs systématiquement soulevé la question de l'obligation pour les Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d'un visa, alors qu'une telle obligation n'existe pas pour se rendre sur le territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur côté, exemptés de visa pour franchir la frontière. Cette problématique des visas constitue un « irritant » majeur des relations franco-brésiliennes, auquel nous estimons qu'il convient d'apporter une solution rapidement.
Je laisse maintenant la parole à Catherine Dumas pour vous présenter les relations qu'entretient la France avec ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana, ainsi que leurs perspectives d'approfondissement.
Mme Catherine Dumas. - Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, le département de la Guyane représente « la France en Amérique Latine ». Avec ses voisins, notre pays partage les innombrables atouts de la région du Plateau des Guyanes. Mais il est également confronté aux mêmes problématiques : augmentation de la criminalité, difficulté à assurer la protection d'un territoire vaste et souvent peu accessible, problématiques environnementales...
Ces enjeux, dans une large mesure régionaux, appellent une réponse coordonnée avec nos voisins. André Vallini vient d'exposer les perspectives de renforcement de la coopération transfrontalière franco-brésilienne, j'aborderai pour ma part les relations que nous entretenons avec notre voisin immédiat qu'est le Suriname et plus lointain qu'est le Guyana.
S'agissant du Suriname, depuis 2020, le pays fait face à une grave crise économique qui l'a contraint à faire défaut sur sa dette extérieure. L'existence de gisements pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d'estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise traversée par le pays.
Des liens bien établis existent déjà entre la France et le Suriname, pays avec lequel nous partageons une frontière de plus de 500km. Leur renforcement nous semble cependant envisageable dans au moins 4 domaines.
Premièrement, il nous semble indispensable de clore définitivement le contentieux frontalier entre nos deux pays. Un protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière sur le Maroni-Lawa a été conclu le 15 mars 2021, qui doit mettre un terme à l'essentiel de ce différend territorial. Néanmoins, si celui-ci a déjà été ratifié par le France, cela n'est pas encore le cas côté surinamais. Nous appelons par conséquent le Gouvernement à encourager les autorités surinamaises à ratifier ce protocole. Une fois cet accord ratifié, il conviendra d'aboutir rapidement à un accord sur la 4e section de la frontière afin de mettre un terme définitif à ce contentieux.
Deuxièmement, en matière de défense, au-delà des coopérations déjà nombreuses dans ce domaine, en particulier avec les forces armées en Guyane, la France pourrait apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en envisageant par exemple des cessions de matériels, qu'il s'agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore d'équipements individuels.
Troisièmement, si deux conventions importantes ont été signées en 2006 et 2021 dans les domaines policiers et en matière pénale, nous avons toutefois constaté que la question de la lutte contre les activités illicites à la frontière entre le Suriname et le département de la Guyane demeurait un sujet de préoccupation. Plusieurs pistes de renforcement de la coopération franco surinamaise nous semblent envisageables en la matière, telles que l'entrée en vigueur rapide de l'accord de coopération judiciaire signé il y a deux ans, la mise en place d'une convention de transfèrement de personnes condamnées ou encore l'augmentation du nombre de patrouilles communes sur le Maroni.
Quatrièmement, dans le domaine économique, des marges importantes existent, la valeur des échanges franco-surinamais de 2022 ne représentant que 30 % de ceux de 2015. Les échanges entre nos deux pays pourraient cependant croître avec la construction d'une cale-sèche à Albina qui vient de débuter et qui permettra la circulation d'un bac beaucoup plus important que celui actuellement en circulation.
Des opportunités commerciales semblent également exister en matière de défense, le Gouvernement surinamais envisageant des investissements dans son outil de défense.
Une intervention de l'AFD en faveur du secteur privé surinamais, via sa filiale Proparco, nous semble enfin devoir être étudiée.
J'en viens maintenant aux relations franco-guyaniennes et à leurs perspectives de développement.
Jusqu'à récemment, le Guyana, ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. La découverte d'importants gisements de pétrole en mer par l'américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les cartes.
Avec près de 11,5 milliards de barils équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par jour d'ici 2027.
Le Guyana a enregistré le plus fort taux de croissance mondiale en 2022, + 57,8 %, comme cela avait déjà été le cas en 2020, + 43,5 %. Selon les projections du Fonds monétaire international, en 2027, le produit intérieur brut (PIB) par habitant en dollars parité de pouvoir d'achat devrait dépasser 90 000 dollars, ce qui placerait le pays au 6e rang mondial, juste devant la Suisse.
Face à ces niveaux de croissance exceptionnels, pour l'essentiel liés aux revenus tirés de ses gisements pétroliers, les autorités guyaniennes ne cachent pas leur ambition de faire de leur pays les Émirats arabes unis ou le Qatar de la prochaine décennie.
L'exemple vénézuélien a cependant illustré l'absence de corrélation systématique entre abondance de ressources en hydrocarbures et développement économique de même que le rôle crucial joué par les choix des autorités en matière économique et sociale.
Les politiques publiques mises en oeuvre par l'actuel Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de développement du pays pour les années à venir. Cette « manne » pétrolière devra ainsi servir au développement d'autres secteurs d'activité, en particulier l'agriculture et l'agroalimentaire. Elle devra également profiter à l'ensemble de la population, dont près de 40 % vit encore sous le seuil de pauvreté.
Face aux bouleversements économiques traversés par le Guyana, le pays suscite l'intérêt de nombreux pays et investisseurs. Dans ce contexte, la France peut encore se positionner comme un partenaire majeur du Guyana. Cela suppose cependant que notre relation avec ce pays ne se limite pas à des déclarations d'intention mais se traduise rapidement en actes.
En premier lieu, si la hausse du niveau de vie des Guyaniens se traduit par une baisse de la criminalité, le pays demeure confronté aux défis de la criminalité organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier la cocaïne à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Le Président Ali, que nous avons rencontré, a ainsi appelé à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité, proposition que nous ne pouvons que soutenir.
En deuxième lieu, nous avons pu constater qu'en dépit de l'augmentation significative de son PIB au cours des dernières années, les besoins en infrastructures et en services du Guyana demeurent très élevés. Le pays offre donc d'importantes opportunités économiques pour les entreprises françaises sous réserve qu'elles y investissent dès maintenant. Nous nous sommes cependant aperçus qu'en dépit des efforts déployés par l'Ambassade de France au Suriname et au Guyana, les entreprises françaises étaient encore peu représentées dans ce pays.
Nous appelons par conséquent à multiplier les initiatives à destination de nos entreprises afin de leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.
En troisième lieu, lors des entretiens que nous avons conduits à Georgetown, les autorités guyaniennes nous ont toutes indiqué regretter l'impossibilité pour les Guyaniens d'effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis leur territoire.
En effet, aucun pays de l'Union européenne ne disposant, à l'heure actuelle, d'une ambassade à Georgetown, les Guyaniens doivent se rendre au Suriname pour y déposer leur demande de visa Schengen. L'Ambassadeur de France au Suriname et au Guyana nous a indiqué réfléchir à une solution technique permettant de répondre à cette problématique. Nous ne pouvons que soutenir cette démarche et appeler à une résolution rapide de ce sujet.
Enfin, en quatrième lieu, si l'ouverture d'une ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana et la mise en place d'une antenne diplomatique à l'automne 2023 constituent des signaux importants et salués par les autorités guyaniennes que nous avons rencontrées, nous estimons cependant nécessaire d'aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à Georgetown, à l'instar de ce qu'ont pu faire d'autres pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.
En effet, si la France ne prend pas rapidement l'initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un futur proche, à n'en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.
Je conclus en insistant sur le fait que la France doit se positionner comme un partenaire clé du Guyana et que la présence française sur le Plateau des Guyanes est un atout qui doit être consolidé. Enfin, je souhaiterais remercier, au nom de la délégation, les forces armées en Guyane sans qui nous n'aurions pas pu effectuer cette mission.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.