C. TOUTEFOIS, LA FIN DU MODÈLE DE L'EXTENSION URBAINE BOULEVERSE LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU FONCIER`
Les EPF et les EPA n'ont pas découvert l'objectif de sobriété foncière avec la loi « Climat-résilience ».
Comme l'ont indiqué la plupart des EPF au rapporteur spécial, ils avaient déjà commencé à recentrer leur action sur les centres-bourgs et le tissu urbain existant autant que possible techniquement et financièrement. De même les EPA pratiquent de moins en moins l'aménagement par extension urbaine et travaillent en zone dense, jusque dans les centres-villes.
Or le nouveau modèle modifie de manière majeure les conditions économiques de la construction de logements, en raison des coûts nettement supérieurs que représente la construction en recyclage urbain par rapport à une action en périphérie.
1. En particulier, l'action sur les friches dépend des financements publics
La réhabilitation des friches industrielles et économiques constitue un objectif important des établissements publics fonciers comme des établissements publics d'aménagement.
Une enquête du CGEDD notait en 2016 leur capacité à apporter une réponse pragmatique70(*). Comme il a déjà été vu, la réhabilitation des friches a même été l'une des raisons d'être des premiers EPF, notamment dans les régions touchées par l'arrêt des complexes sidérurgiques ou miniers, ainsi que la fermeture des usines du secteur textile.
Les difficultés sont toutefois importantes.
En premier lieu, les EPF ont parfois une connaissance insuffisante des sites. Le CGEDD souligne, pour ce qui concerne les friches urbaines et industrielles, que les données techniques et environnementales sont souvent difficilement accessibles, et que leur reconversion appelle en outre une réflexion urbaine approfondie : un diagnostic en amont est nécessaire avant le traitement effectif des friches.
En second lieu, les procédures sont complexes, entraînant un aléa financier : les EPF doivent non seulement acquérir le foncier, ce qui correspond à leur coeur de métier, mais aussi, bien souvent, procéder à la sécurisation du site71(*) et à sa dépollution, tout en respectant, le cas échéant, les règles de préservation du patrimoine (archéologie préventive, prescriptions des architectes des bâtiments de France) ou de l'environnement (biodiversité selon la procédure « éviter, réduire, compenser », risque d'inondation, risque incendie dans certaines régions...). Ces procédures rallongent les délais pour les opérations, alors qu'elles sont souvent plus légères pour des sites en extension urbaine, qui n'ont pas connu la même histoire d'occupation humaine.
Enfin et surtout, cette action se heurte à un manque de modèle économique : les coûts de dépollution sont souvent trop élevés pour que l'EPF trouve un acquéreur du terrain à un prix incluant les frais qu'il a engagés. Le désamiantage, soumis à des normes de plus en plus strictes, est un poste de coûts particulièrement élevé pour les fiches urbaines et industrielles. La préservation des sites classés ou inscrits constitue un autre surcoût potentiel, surtout lorsque l'usage des bâtiments est appelé à évoluer.
Les subventions jouent ainsi un rôle déterminant pour équilibrer les opérations, d'où le succès du « fonds friches » national issu du plan de relance, mais aussi les dispositifs mis en place par les collectivités territoriales.
Le recours au fonds friches est variable selon les EPF, mais presque tous l'ont sollicité, directement ou par l'intermédiaire des collectivités72(*), selon les éléments apportés par eux au rapporteur spécial. Selon la DHUP, 90 projets lauréats, correspondant à 153 hectares de friches recyclées, ont été portés ou co-portés par les EPF pour près de 59 millions d'euros de subventions attribuées. Ces subventions perçues sont utilisées pour minorer le prix ultérieur de cession à la collectivité et bénéficient donc à celle-ci ou au porteur final de projet, l'EPF en retirant une ressource de trésorerie.
Certains comptent avoir recours au fonds vert, qui remplace en 2023 le fonds friches, mais là encore des difficultés risquent de se présenter : certains EPF notent que l'obtention des subventions nécessite un état d'avancement du projet dont ils ne disposent pas forcément, en raison même de leur rôle qui est de porter des terrains en attendant la mise en oeuvre, voire la définition précise d'une opération.
La situation des friches diffère beaucoup selon le territoire. En Île-de-France, les friches sont souvent, en réalité, occupées par des activités de faible valeur, mais dont l'expulsion représente un coût supplémentaire important qui rend l'opération plus difficile.
2. L'action doit même aller jusqu'à la renaturation, nécessaire pour le ZAN mais entièrement dépourvue de modèle de financement
La renaturation ne consiste pas simplement à re-végétaliser un sol urbain, mais cherche à assurer un retour à un véritable équilibre écologique, de manière à remettre une parcelle à disposition de la faune et de la flore sauvages. Il s'agit d'une action complexe mais nécessaire, comme on l'a vu supra, pour atteindre d'ici à 2050 l'objectif de « zéro artificialisation nette ».
La renaturation est un nouveau métier pour les EPF.
Grand Paris Aménagement, ainsi que son établissement fédéré l'EPA ORSA, mènent des opérations de renaturation qui, ainsi que l'ont indiqué leurs représentants au rapporteur, leur permettent de produire des métriques afin d'objectiver les coûts.
Certains considèrent toutefois que ce type d'action, trop éloignée des métiers de base des établissements, devrait être laissée à d'autres acteurs.
Quoi qu'il en soit, la renaturation, plus encore que la réhabilitation des friches, est à peu près complètement dépourvue de modèle économique.
En effet, si les travaux sur une friche sont coûteux, ils permettent d'obtenir un terrain qui dispose d'un potentiel de revenus futurs par la construction de logements ou la mise en place d'activités économiques. Une parcelle rendue à la nature, en revanche, ne fournit pas de revenus, si ce n'est dans certains cas par la mise en place d'activités de loisir.
Parmi les outils à la disposition des établissements pourrait figurer la valorisation des unités de compensation : un porteur de projet soumis à une obligation de compensation environnementale peut satisfaire son obligation en acquérant des unités de compensation au sein d'un site naturel de compensation73(*). La valorisation de ces unités, selon les indications données par Grand Paris Aménagement au rapporteur, demeure toutefois très insuffisante pour financer les actions de renaturation qui, dans les conditions actuelles, dépendent des subventions publiques en l'absence de recettes suffisantes.
Les opérations de renaturation reposent donc nécessairement sur les subventions, aujourd'hui et dans un futur prévisible. L'aide à la renaturation proposée par le fonds vert, dont la pérennisation a été annoncée par la Première ministre, est probablement indispensable à une véritable réduction de l'artificialisation nette en France, mais ne pourra constituer qu'une partie de la réponse. D'ores et déjà plusieurs établissements ont fait part au rapporteur spécial de la difficulté qu'ils avaient à trouver des sites à renaturer.
* 70 Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), Pratiques des établissements publics fonciers en matière de requalification des friches urbaines et industrielles, rapport CGEDD n° 010379-01, établi par Philippe Grand et Jérôme Peyrat.
* 71 La sécurisation du site vise à en interdire l'accès au public, ce qui relève de la responsabilité de l'EPF en tant que propriétaire et peut nécessiter un gardiennage permanent et coûteux.
* 72 Dans le cadre des trois éditions du fonds friches mis en place dans le cadre du plan France Relance, les EPF pouvaient déposer un dossier de demande de subvention soit pour le compte d'une collectivité, soit en co-portage avec une collectivité.
* 73 Voir CEREMA, Les sites naturels de compensation, 2020, et Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Guide pour l'élaboration d'un site naturel de compensation, février 2023.