E. LA FISCALITÉ DOIT SOUTENIR L'ACTIVITÉ D'INTÉRÊT GÉNÉRAL DES ÉTABLISSEMENTS
Certains dispositifs fiscaux favorisent l'action foncière des collectivités par l'intermédiaire des établissements publics fonciers. Ces dispositifs sont justifiés dans la mesure où ces établissements agissent dans un domaine non concurrentiel et doivent être préservés dans ces conditions.
Or il ressort des alertes remontées au rapporteur spécial que certains dispositifs présentent de fortes limites, voire sont menacés, ce qui pourrait justifier une action du législateur afin de les rendre plus effectifs.
1. L'exonération des plus-values pour les cessions à des EPF fait face à des contraintes qui limitent fortement son application
En premier lieu, le 8° de l'article 150 U du code général des impôts exonère d'impôt sur le revenu les plus-values revenant à une personne physique qui cède un immeuble à une collectivité territoriale, une intercommunalité ou un établissement public foncier qui s'engage à le céder à un bailleur social pour la construction de logements sociaux. Le délai de cession est de trois ans pour les établissements publics fonciers et le bailleur social doit réaliser les logements dans un délai de dix ans.
Cette disposition a pour objet d'encourager la construction de logements sociaux en accordant un avantage fiscal à des particuliers qui cèdent le terrain à cette fin.
Selon les témoignages de nombreux EPF, toutefois, les conditions posées, notamment le délai de cession de trois ans, sont excessivement restrictives. Si un petit nombre d'établissements disent mettre en oeuvre cette disposition chaque fois que possible, faisant valoir qu'elle représente un argument de négociation, beaucoup considèrent que le risque de devoir rembourser l'avantage fiscal accordé si les délais ne sont pas respectés est trop élevé.
Il ressort d'ailleurs des documents budgétaires que cette exonération est très peu utilisée, puisque son coût, non précisément chiffré, est estimé à moins de 500 000 euros pour le budget de l'État77(*). Les chambres régionales des comptes le constatent également dans leurs rapports relatifs aux EPF.
Une piste pour rendre cette exonération plus effective serait de rallonger le délai de cession et de le fixer par exemple à cinq ans et non trois ans, afin de tenir compte des nombreuses procédures à suivre : désignation des opérateurs, montage de l'opération, obtention des autorisations d'urbanisme, respect des différentes normes, recours de plus en plus nombreux....
2. La potentielle fin de l'application de la TVA sur marge aux cessions de terrains par des EPF risque de décourager des collectivités d'avoir recours à eux
Un dispositif qui, lui, joue un rôle important pour l'activité des EPF est l'application de la TVA sur la marge.
À la suite d'une jurisprudence européenne du 30 septembre 202178(*), confirmée par une récente décision du Conseil d'État du 18 avril 202379(*), le champ d'application de la TVA sur la marge concernant la vente d'immeubles pourrait être fortement restreint. La TVA serait alors perçue sur le prix total de la cession des terrains qui ont été acquis par l'EPF auprès d'un non-assujetti alors que, dans le régime de la TVA sur marge, la taxation ne porte que sur la différence entre le prix auquel l'EPF a acquis le terrain et le prix auquel il le cède à la collectivité : cette différence est souvent faible, voire nulle puisque l'EPF ne vise pas à faire de bénéfice.
Une application de la TVA sur l'ensemble du prix, et non sur la seule marge, aurait un fort impact en trésorerie pour la collectivité, ce qui pourrait la conduire à acheter elle-même le terrain, sans passer par l'EPF. Elle perdrait le bénéfice de l'intervention de l'EPF, qui permet à la collectivité de prendre le temps de préciser son projet et de bénéficier de l'intervention de l'établissement pour des travaux de pré-aménagement : le changement de régime de la TVA pourrait ainsi réduire l'efficacité des projets.
Cette question devrait être clarifiée le plus rapidement possible afin que les EPF et les collectivités ayant recours à leur intervention soient fixés sur le régime fiscal des acquisitions de terrains au regard de la TVA : il est nécessaire que les services fiscaux publient le plus rapidement possible une analyse du dispositif au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip), d'autant que cette question intéresse l'ensemble du secteur immobilier, bien au-delà du cas des cessions de terrains par des établissements publics fonciers.
Recommandation
Garantir l'effectivité des dispositifs fiscaux favorisant le recours aux EPF lors de l'acquisition de terrain (exonération des plus-values pour la cession d'un terrain à un établissement public foncier dans certaines conditions, application de la TVA sur marge).
* 77 Évaluation des voies et moyens, tome II, annexé au projet de loi de finances pour 2023. Ce coût concerne l'ensemble du 8° de l'article 150 U du code général des impôts, donc les cessions non seulement à des EPF, mais aussi à des collectivités territoriales et à des intercommunalités.
* 78 Arrêt C-299/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 septembre 2021.
* 79 Conseil d'État, 9ème chambre, 18 avril 2023, n° 468094.