IV. FACE AU GÂCHIS DU FONDS MARIANNE, LA NÉCESSAIRE REFONTE DES CONDITIONS D'ATTRIBUTION DES SUBVENTIONS AUX ASSOCIATIONS
A. LA PROCÉDURE D'APPEL À PROJETS NE SE JUSTIFIE QU'À LA CONDITION DE GARANTIR DES CONDITIONS DE TRANSPARENCE ET D'ÉQUITÉ ENTRE LES PORTEURS DE PROJETS
L'appel à projets « Fonds Marianne » n'a pas permis de créer des conditions justes et équitables entre les porteurs de projet. Le présent rapport détaille les éléments d'opacité, d'urgence et de manque de rigueur qui ont présidé à cet appel à projets.
Le sentiment d'urgence, motivé par un agenda politique, s'explique mal alors que l'appel à projets aurait pu être lancé bien en amont. Il a conduit le cabinet de la ministre déléguée à réduire considérablement les délais dont pouvaient disposer les porteurs de projets pour les présenter.
Alors que l'appel à projets inscrit bien comme critère l' « évaluation des actions : les actions proposées devront comprendre un volet évaluation, tant sur le plan quantitatif (nombre de jeunes touchés, temps passé sur les campagnes produites, partages, “likes”, etc.) que qualitatif (résultat atteint au regard des objectifs fixés) », cette dimension a été insuffisamment mise en oeuvre, tant dans les projets présentés, que dans la sélection, et ensuite dans le suivi.
La contrainte de calendrier n'a donc pas permis aux associations de structurer suffisamment leur projet et de prévoir des conditions précises d'évaluation de leurs actions, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
D'autres appels à projets, en direction des associations, ont des calendriers mieux réfléchis, comme l'illustre l'exemple ci-dessous.
Mise en oeuvre des appels à projets à destination des associations : l'exemple de la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative
La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) met également en oeuvre des appels à projets à destination des associations. Par exemple, l'appel à projets 2023 de soutien aux associations nationales jeunesse - éducation populaire (JEP) vise à subventionner des associations qui présentent des projets en lien avec l'un de ces quatre axes : l'engagement des jeunes, l'accès aux vacances et aux loisirs, l'accès aux pratiques artistiques et culturelles, et la transition écologique.
L'appel à projets a été lancé le 18 janvier 2023, et la date limite du dépôt des candidatures était le 31 mars 2023, ce qui a laissé plus de deux mois aux associations pour préparer et présenter leur projet.
De plus, il est précisé que « L'appel à projets s'adresse aux seules associations nationales agréées jeunesse et éducation populaire qui n'ont pas signé une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO) avec la DJEPVA », ce qui indique que l'objectif est de financer des associations nouvelles.
Source : site internet du Gouvernement pour les associations : https://www.associations.gouv.fr/l-appel-a-projets-2023-de-soutien-aux-associations-nationales-jep.html
Il est donc indispensable que soient définis des délais minimaux pour les appels à projets nationaux, qui ne pourront, sauf cas spécifique et urgence avérée à agir, être inférieurs à deux mois à compter de la publication du cahier des charges.
Recommandation : définir un délai de droit commun de deux mois pour les réponses aux appels à projets nationaux. Lorsqu'il est inférieur à cette durée, veiller à ce qu'il garantisse aux associations le temps nécessaire pour déposer des projets complets et crédibles.
Par ailleurs, le caractère endogène du comité de sélection, comprenant des membres du cabinet de la ministre et du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) n'a pas permis d'apporter de regard extérieur sur le processus de sélection.
En effet, outre que l'ensemble des intervenants relèvent de sphères administratives très proches entre elles, le comité est également marqué par des rapports hiérarchiques administratifs et politiques. Ainsi, il aurait été pertinent d'intégrer des personnalités qualifiées disposant d'une expertise sur les réseaux sociaux et les discours séparatistes.
La création d'une structure ad hoc et la présence de membres extérieurs auraient sans doute permis de formaliser davantage les décisions, qui ont pu être modifiées postérieurement à la réunion du comité de sélection, dans des boucles de mails intégrant l'essentiel des membres.
La mission recommande donc de créer de véritables jurys pour les appels à projets, qui seraient ouverts à des personnalités non membres de l'administration en charge du dossier et témoignant d'une expertise sur les sujets abordés au sein du comité.
Plus spécifiquement, dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), il semble pertinent de faire évoluer l'organisation des comités de programmation.
Alors que depuis la nomination de Marlène Schiappa comme ministre déléguée en charge de la citoyenneté, les décisions d'attribution sont prises dans le cadre d'un comité réunissant des membres du SG-CIPDR et des membres du cabinet, il semble pertinent, si cette structure est maintenue pour l'avenir, de la faire évoluer pour intégrer des personnalités indépendantes et disposant d'une compétence spécifique sur les sujets traités.
Recommandation : ouvrir le comité de programmation du FIPDR à des personnalités extérieures qualifiées en matière de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation et contre les discours séparatistes.
Par ailleurs, les documents transmis montrent que plusieurs demandes initialement formulées sur l'enveloppe « classique » du FIPDR ont été finalement réorientés sur le fonds Marianne. Cette pratique est d'autant plus problématique qu'un montant précis a été arbitré au profit d'une association avant même la création du fonds, pour près de 300 000 euros.
Cette situation ne permet pas de garantir une égalité entre tous les candidats. On ne saurait expliquer, lorsque des subventions sont arbitrées dans un cadre, qu'elles soient ensuite financées sur une autre enveloppe.
Par ailleurs, et en conséquence du flou entre les deux procédures, une autre association a pu être considérée comme lauréate du fonds Marianne alors même que sa subvention avait été validée dans le cadre « classique » du FIPDR.
Au total, si l'on retranche les montants ayant fait l'objet d'arbitrages préalables au moment du comité de programmation du FIPDR du 13 avril 2021, sur les 2,5 millions d'euros annoncés du fonds Marianne le 20 avril, seuls 1,4 million d'euros ont réellement été dédiés à des projets n'ayant pas fait l'objet d'un arbitrage préalable. Si deux associations ont bénéficié d'une revue à la hausse de leur dotation lors du comité de sélection du fonds Marianne, il n'en demeure pas moins que la décision du comité de programmation du FIPDR a vraisemblablement constitué un socle.
Recommandation : garantir pour l'ensemble des candidats aux appels à projets, des conditions de traitement équitables, notamment en évitant le « recyclage » de dossiers ayant déjà fait l'objet d'un dépôt de demande.
La mission a documenté l'importance des échanges entre le cabinet et le SG-CIPDR lors des différentes étapes de l'appel à projets. Elle ne remet pas en cause l'appréciation selon laquelle il revient au niveau politique d'impulser des politiques publiques et de fixer des objectifs, en particulier lors de la rédaction de l'appel à projets.
Néanmoins, il apparait indispensable de clarifier les rôles de chacun, le flou qui entoure les procédures applicables au fonds Marianne permettant à chacun d'éluder sa propre responsabilité.
D'abord, il convient de rappeler qu'un ministre, placé à la tête d'une administration, est responsable de celle-ci. Lorsque les responsabilités ne sont pas clairement établies au sein de son ministère, et a fortiori quand son cabinet est concerné, il revient au ministre d'assumer l'entière responsabilité des décisions prises.
Dans le cadre du fonds Marianne, les interventions du cabinet se sont multipliées, agissant, sans que le mandat ne soit toujours clair, au nom de la ministre déléguée.
Comme l'a indiqué Sébastien Jallet, ancien directeur de cabinet, auditionné par la mission : « le cabinet a un rôle d'orientation et de validation ; mais le recueil des demandes, leur instruction et les propositions de financement relèvent de l'administration, en l'occurrence le CIPDR, de même que la mise en forme des conventions et le suivi. Le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution. »107(*)
Il apparaît très clairement que le cabinet et la ministre déléguée ont outrepassé ce rôle :
- en appuyant, de façon plus ou moins explicite, la candidature de l'une des associations candidates ;
- en revenant sur l'octroi d'une subvention à une autre association alors même qu'une décision favorable du comité de sélection était intervenue ;
- en intégrant, en aval des décisions du comité de sélection, une dernière association qui n'avait à aucun moment été soumise à l'appréciation du comité de sélection par le SG-CIPDR, qui n'avait pas retenu le dossier.
Si la mission ne remet pas en cause le rôle de validation dont dispose un ministre, celui-ci doit intervenir dans un cadre précis. L'attribution des subventions dans le cadre du fonds Marianne a ainsi témoigné d'un mélange des genres regrettable.
Recommandation : en matière d'octroi de subventions, interdire toute interférence du cabinet du ministre dans l'instruction des dossiers, et retracer de manière écrite et motivée toute intervention du ministre ou de son cabinet à l'issue de la procédure d'instruction.
Lors de l'attribution de la subvention du Fonds Marianne à Reconstruire le commun, l'administration et le cabinet de la ministre n'étaient pas en mesure d'apprécier réellement la capacité à faire et les orientations de l'association.
Il existe en effet une réelle difficulté pour les pouvoirs publics à promouvoir l'émergence de nouveaux acteurs. Par définition, il n'est pas possible d'avoir du recul sur les productions de ces structures nouvelles.
La mission retient néanmoins qu'il n'est pas pertinent d'octroyer des subventions importantes à des nouveaux acteurs sans disposer de recul sur leur activité réelle. Le versement, de but en blanc, de centaines de milliers d'euros à des nouveaux entrants qui n'offrent aucune garantie n'est assurément pas une méthode à privilégier. D'autres démarches, comme par exemple des incubateurs associatifs, pourraient être envisagées.
Ainsi, la mission propose de s'aligner sur le montant de subvention déclenchant l'obligation de conclure une convention d'attribution, à savoir 23 000 euros108(*), pour exiger la présentation par les associations d'un premier bilan annuel d'activité.
Recommandation : conditionner l'octroi de subventions de plus de 23 000 euros, qui est le seuil réglementaire à partir duquel une convention attributive est obligatoire, à la présentation d'un premier bilan annuel d'activité.
* 107 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.
* 108 Article 1er du décret n°2001-495 du 6 juin 2001 pris pour l'application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques.