ANNEXE 1
CHRONOLOGIE DU « FONDS MARIANNE »

ANNEXE 2
CAHIER DES CHARGES DE L'APPEL À PROJETS
DU FONDS MARIANNE

ANNEXE 3
LOGIGRAMME UTILISÉ PAR LE SG-CIDPR POUR DÉFINIR LA PROCÉDURE D'ACCORD ET DE CONTRÔLE DES SUBVENTIONS, VERSION DE 2019 EN VIGUEUR
AU MOMENT DU FONDS MARIANNE

ANNEXE 4
DEVIS DE LA SOCIÉTÉ R & K AU SG-CIPDR
DU 30 NOVEMBRE 2020 POUR DIVERSES PRESTATIONS

ANNEXE 5
ÉCHANGE DE COURRIELS DATÉS DU 6 AVRIL 2021
ENTRE MARLÈNE SCHIAPPA ET UN MEMBRE DE SON CABINET MINISTÉRIEL, RELATIF À L'HYPOTHÈSE D'UN FINANCEMENT DE L'USEPPM
À HAUTEUR DE 300 000 EUROS

ANNEXE 6
PRÉSENTATION SYNTHÉTIQUE DU PROJET DE L'USEPPM

ANNEXE 7
PROJET DÉTAILLÉ DE L'USEPPM (7 PAGES)

ANNEXE 8
PROJET DE RECONSTRUIRE LE COMMUN

ANNEXE 9
NOTE DU SG-CIPDR DATÉE DU 1ER JUIN 2022 RÉALISÉE PAR L'UCDR, RELATIVE À UN BILAN DE POINT D'ÉTAPE AVEC RECONSTRUIRE LE COMMUN

ANNEXE 10
NOTE DU SG-CIPDR DATÉE DU 27 MARS 2023 RÉALISÉE PAR L'UCDR, RELATIVE AU BILAN DE L'USEPPM

ANNEXE 11
COMPTE RENDU DE L'EXÉCUTION FINANCIÈRE DU PROJET DE L'USEPPM, DATÉ DU 18 NOVEMBRE 2022

ANNEXE 12
COMPTE RENDU DE L'EXÉCUTION FINANCIÈRE DU PROJET DE RECONSTRUIRE LE COMMUN,
DATÉ DU 16 NOVEMBRE 2022

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 4 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le rapport de Jean-François Husson en conclusion des travaux de notre mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs visés.

Comme vous le savez, notre mission a bénéficié des pouvoirs d'une commission d'enquête. Vous avez tous été invités, si vous le souhaitiez, à venir consulter le projet de rapport, et ce à compter de mercredi dernier. Il vous est distribué cet après-midi, assorti de sa synthèse et complété de ses annexes. Il vous sera demandé, à l'issue de notre réunion, de le restituer. En effet, je vous rappelle le caractère strictement confidentiel de notre réunion et du contenu de ce rapport.

Conformément à l'ordonnance du 17 novembre 1958, nous devons attendre au minimum vingt-quatre heures pour publier notre rapport, délai pendant lequel le Sénat peut se constituer en comité secret. Le respect de ce devoir de confidentialité est impératif : il est interdit de divulguer ou de publier une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête sous peine de sanctions pénales.

Si vous l'adoptez, le rapport fera l'objet d'une conférence de presse ce jeudi 6 juillet à quatorze heures.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne reviendrai pas sur les circonstances particulièrement dramatiques ayant conduit à la mise en place de ce fonds, car vous les connaissez tous désormais.

Je vous présenterai donc les résultats de nos travaux de contrôle, en vous indiquant que les constats que j'établis et les recommandations que je défends sont bien évidemment partagés par le président Claude Raynal, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration et en parfaite confiance.

Cela étant, je n'irai pas par quatre chemins : nos travaux sur le fonds Marianne ont montré qu'à toutes les étapes de ce projet, le manque de rigueur, l'opacité et l'urgence ont tour à tour conduit au fiasco.

Certains aspects de ce dossier font l'objet de poursuites judiciaires : y a-t-il eu favoritisme, voire détournement de fonds publics au profit d'acteurs qui n'auraient effectué aucun travail ? Si l'on peut s'être fait une idée sur le sujet, il ne nous revient pas de trancher cette question. Nos travaux permettent avant tout d'établir une chronologie précise et d'éclairer les faits, tout en exerçant un contrôle rigoureux de l'usage de fonds publics, comme nous avons l'habitude de le faire dans le cadre de notre contrôle de l'action du Gouvernement.

Tout d'abord, lors de la phase de lancement du fonds Marianne, le sentiment d'urgence a supplanté une réflexion approfondie sur les moyens et les outils à mettre en oeuvre pour lutter contre la haine et le radicalisme sur les réseaux sociaux. Ce sentiment a même écrasé tout le reste.

Ainsi, le cahier des charges de l'appel à projets a été produit très rapidement, ce qui n'a évidemment pas permis de dégager des critères clairs d'objectivation des candidatures et de définir une procédure rigoureuse de sélection. Les projets seront jugés sur leurs orientations, mais pas vraiment sur leurs modalités de mise en oeuvre et leur impact.

Par ailleurs, le directeur de cabinet de la ministre est intervenu pour réduire considérablement les délais que les porteurs de projets devaient respecter pour déposer leurs demandes. Au lieu des soixante-dix jours proposés par l'administration, le cabinet n'a souhaité laisser que vingt jours aux porteurs de projets pour présenter leur dossier, ce qui équivaut à une réduction de 70 % du temps imparti.

Ce resserrement du calendrier n'a pas permis aux associations de structurer correctement leurs projets et de définir des conditions précises d'évaluation de leurs actions, sur le plan tant qualitatif que quantitatif.

De notre point de vue, il est indispensable d'imposer des délais minimaux pour les appels à projets nationaux, qui ne pourront, sauf cas spécifique ou d'urgence avérée, être inférieurs à deux mois à compter de la publication du cahier des charges.

Par ailleurs, le comité de sélection était composé uniquement de membres du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de membres du cabinet de la ministre: tous les intervenants relevaient donc de sphères administratives très proches les unes des autres, et entretenaient des rapports hiérarchiques, administratifs et politiques.

Au regard de cette expérience, nous considérons que l'attribution des subventions - au niveau national - au titre du fonds interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) devrait aussi relever de personnalités extérieures qualifiées disposant par exemple d'une expertise sur les réseaux sociaux et les discours séparatistes.

Plusieurs demandes formulées initialement dans le cadre de l'enveloppe « classique » du FIPDR ont « glissé » - je reprends le terme du directeur de cabinet de la ministre- vers le fonds Marianne. Au total, si l'on retranche les montants qui ont fait l'objet d'un arbitrage lors du comité de programmation du FIPDR du 13 avril 2021, seuls 1,4 million d'euros sur les 2,5 millions d'euros annoncés le 20 avril ont réellement été dédiés à de nouveaux projets.

Nous considérons que cette pratique n'est pas conforme à l'esprit d'un appel à projets, qui vise précisément à faire émerger de nouveaux projets pour un montant équivalent à la totalité de l'enveloppe prévue.

J'en viens à la question majeure de la responsabilité des acteurs.

Il nous semble indispensable de clarifier le rôle de chacun. Le flou qui a entouré les procédures a en effet incité l'ensemble des responsables, politiques ou administratifs, à tenter d'éluder leur responsabilité propre, certains ayant démontré un vrai talent en la matière.

D'abord, il convient de rappeler qu'un ministre, placé à la tête d'une administration, est responsable de l'action de celle-ci, a fortiori lorsque le périmètre d'action des uns et des autres n'est pas clairement établi. De surcroît, quand le cabinet est concerné, il revient au ministre d'assumer l'entière responsabilité politique des décisions prises.

Pour ce qui est du fonds Marianne, les interventions du cabinet se sont multipliées : celui-ci a régulièrement agi, sans que son mandat soit toujours clair, au nom de la ministre déléguée.

Si l'ancien directeur de cabinet de Mme Schiappa a indiqué que « le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution », nous nous sommes rendu compte que la réalité est toute autre. Il apparaît très clairement que le cabinet et la ministre déléguée ont outrepassé ce rôle, en appuyant la candidature de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) en amont du comité de sélection, en revenant sur l'octroi d'une subvention de 100 000 euros à SOS Racisme, alors même qu'une décision favorable du comité de sélection avait été prise en mai 2021, et en intégrant, sur leur seule initiative, une dernière association.

Permettez-moi de revenir sur chacun de ces trois points.

Concernant l'USEPPM, l'octroi d'une subvention a été envisagé bien en amont de la création et de l'annonce du fonds Marianne. M. Mohamed Sifaoui a en effet été reçu plusieurs fois par le cabinet de la ministre, lequel a ensuite relancé l'administration, au moins à deux reprises, pour s'assurer de la bonne réception du dossier. On peut en conclure que la candidature de l'USEPPM a été, lors de la phase d'instruction, fortement appuyée par le cabinet.

Pour ce qui est de SOS Racisme, la ministre est intervenue pour revenir sur une décision du comité de sélection. Contrairement à ce qu'elle a affirmé, il n'y avait pas de liste complémentaire à valider à ce stade, car la sélection des projets était arrêtée. En outre, le projet qui s'est substitué à celui de SOS Racisme, à propos duquel Mme Schiappa a indiqué qu'il avait été écarté au motif qu'il ne se déroulait pas intégralement en ligne, ne prévoyait pour sa part que des actions de terrain. Au regard de ces éléments, je pense pouvoir dire que, au moins sur ce point, la ministre n'a pas dit la vérité.

J'ajoute que la décision de la ministre et de son cabinet d'attribuer - sans que cela soit proposé par l'administration - une subvention de 20 000 euros à une toute nouvelle association, en lieu et place de SOS Racisme, relève du fait du prince.

Si la mission ne remet pas en cause le rôle de validation dont dispose un ministre, il importe que ce dernier intervienne dans un cadre précis. L'attribution des subventions dans le cadre du fonds Marianne a témoigné d'un mélange des genres qui n'est en aucun cas acceptable.

Aussi, nous proposons que toute interférence du cabinet d'un ministre dans l'instruction des dossiers de subvention soit interdite, et que soit retracée de manière écrite et motivée toute intervention du ministre ou de son cabinet à l'issue de la procédure d'instruction.

S'agissant de l'association Reconstruire le commun, outre les dérives de la structure elle-même, nous considérons que l'administration et le cabinet de la ministre auraient dû être en mesure d'apprécier réellement la capacité à faire et les orientations de l'association. Le versement de but en blanc de centaines de milliers d'euros à des nouveaux entrants, qui n'offrent aucune garantie, n'est assurément pas une méthode à privilégier. Je rappelle que l'association n'avait que quelques mois d'existence en avril 2021, et qu'elle avait déjà bénéficié d'une subvention de 39 000 euros du FIPDR quelques semaines à peine après sa constitution. D'autres démarches, comme celle des incubateurs associatifs, pourraient être envisagées.

Nous proposons de rendre obligatoire la présentation par les associations d'un premier bilan annuel d'activité, dès lors que la subvention qui leur est octroyée est supérieure à 23 000 euros, soit le seuil réglementaire à partir duquel une convention d'attribution est signée.

J'en viens à la phase de contrôle et de suivi de l'exécution des projets, qui a également connu d'importantes défaillances.

L'une des principales difficultés a résidé, dès le départ, dans le manque de personnel au sein du secrétariat général du CIPDR. La charge de travail de la chargée de mission qui suivait les dossiers du fonds Marianne en 2021 était trop importante pour que l'ensemble des projets puissent être étudiés et suivis de manière satisfaisante dans des délais aussi courts. De plus, le secrétariat général ne disposait d'aucun référent chargé d'exercer le contrôle financier interne capable de mener un contrôle sur pièces des associations, et ce jusqu'en septembre 2022. En somme, il n'avait pas les moyens humains suffisants pour garantir le suivi des projets et exercer un contrôle de qualité.

Au-delà de la question des moyens, l'administration a failli à plusieurs reprises dans sa mission de contrôle.

Depuis le début des travaux de l'association en septembre 2021, les productions de l'USEPPM étaient très faibles au regard de la subvention versée ; il semble même que le projet se soit progressivement arrêté entre janvier 2022 et mars 2022, et que le budget alloué au projet ait été manifestement sous-exécuté, ce qui n'a pas empêché le secrétariat général du CIPDR de proposer, en mars 2022, un avenant prolongeant la durée de la convention de plusieurs mois. Nous n'avons du reste aucune preuve que l'USEPPM ait renvoyé l'avenant signé dans les délais impartis.

Pour l'association Reconstruire le commun, aucun avertissement écrit n'a été formalisé concernant les contenus produits par l'association visant des personnalités politiques. La convention attributive de subvention ne prévoit d'ailleurs aucune disposition interdisant ce type de contenus, alors que, dès sa création, l'association était identifiée comme étant « à risque » sur ces sujets.

J'ajoute, pour rester objectif et factuel, qu'avant les révélations par la presse aucun contrôle ne semble non plus avoir été réalisé pour vérifier que les contenus produits étaient réellement en lien avec les objectifs du fonds Marianne. Pourtant, comme vous le savez, il y avait beaucoup à redire sur ce point.

Pour ne plus reproduire ces erreurs, nous avons souhaité formuler plusieurs recommandations.

Nous souhaitons rendre obligatoire la transmission d'éléments de bilans d'étape par les associations sur leurs actions. Nous considérons également qu'il faut préciser, dans les conventions attributives de subventions les objectifs, notamment quantitatifs, des projets. Pour les appels à projets portant sur des sujets sensibles, il nous semble indispensable de définir des lignes rouges à ne pas franchir dans les conventions ; enfin, il est nécessaire de débloquer les subventions accordées de façon échelonnée, en fonction de la mise en oeuvre des projets par les associations.

L'administration n'est pas la seule responsable des lacunes observées dans le contrôle des associations. Les échecs du fonds Marianne sont tout autant le résultat du désinvestissement du pouvoir politique après que les projets ont été sélectionnés. Après son lancement, et à l'exception d'une réunion tenue en décembre 2021, on ne peut distinguer aucun signe d'une véritable implication politique dans la mise en oeuvre du fonds Marianne.

Or les financements en jeu ne sont pas des crédits tout à fait comme les autres. Ils avaient vocation à mettre en oeuvre une politique publique nouvelle de contre-discours sociétal, pour répondre à des enjeux politiques considérés comme prioritaires.

Le faible suivi des projets par l'autorité politique n'est pas de nature à la défausser de sa responsabilité ; il démontre au contraire que l'initiative du fonds Marianne n'a pas été portée jusqu'au bout. Dans ces conditions, le fait de renvoyer la faute sur la seule l'administration n'est pas acceptable. Je le dis sans ambages : abandonner un projet n'a jamais été une excuse pour ne pas en assumer la responsabilité. C'est manquer à sa responsabilité que de se défausser de cette façon.

Bien sûr, toutes ces défaillances, qui nous conduisent à parler de dérive, de gâchis et même d'un fiasco, pour reprendre les termes du président Claude Raynal, ne doivent pas pour autant nous conduire à jeter l'opprobre sur l'ensemble de la politique de promotion des valeurs républicaines.

Oui, le recours à des associations comporte des risques, dès lors que celles-ci ne peuvent pas être considérées comme des prestataires de services du ministère de l'intérieur et qu'elles doivent disposer, par respect pour la liberté d'association, d'une certaine autonomie.

Pour autant, les associations restent des acteurs essentiels de la lutte contre le séparatisme. Elles peuvent mener des actions au plus près du terrain et des personnes, au-delà de ce que les services de l'État peuvent accomplir. Certaines personnes exposées aux théories séparatistes risquent de rejeter des contenus qui seraient produits par l'État ou des structures publiques : de ce point de vue, les interventions des associations sont utiles. Notre collègue Christian Bilhac a utilisé une image à laquelle je souscris : il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Dans la mesure où l'une des faiblesses du fonds Marianne tient à l'absence de garanties quant à la pérennité des financements, il est préconisé de renforcer le cadre pluriannuel du financement public des actions de soutien aux associations, qui relaient un discours défendant les valeurs de la République sur les réseaux sociaux. Ce soutien n'exclut toutefois pas d'engager une réflexion sur la répartition des rôles entre les acteurs associatifs et les services administratifs dans le cadre de la stratégie de contre-discours de l'État.

Enfin, plusieurs associations ont confirmé devant la mission d'information l'importance de rester discret au sujet des financements publics, faute de quoi elles risquent d'être labellisées « ministère de l'intérieur » par le grand public et de perdre ainsi en crédibilité, voire de se trouver menacées dans leurs actions.

Or le fonds Marianne a été conçu comme une opération de communication. Alors même que la discrétion et l'efficacité auraient dû constituer les lignes directrices du fonds Marianne, la ministre a fait le choix d'une communication médiatique d'ampleur. Même si le nom des associations lauréates n'a pas été révélé dès le départ, la communication qui a été organisée autour du fonds a tellement attiré l'attention que la liste des associations subventionnées a fini par être rendue publique.

Nous pensons qu'il faut limiter au strict nécessaire la communication du ministère sur le financement des partenaires associatifs dans le cadre de la lutte contre le séparatisme sur les réseaux sociaux.

Nos travaux dressent le tableau des échecs de la politique menée par le Gouvernement. C'était notre rôle au regard des alertes qui nous avaient été transmises.

Cependant, je souligne que certaines des associations subventionnées par le fonds Marianne ont fait un véritable travail et ne sauraient être mises en cause. Malheureusement, le label, c'est le mot du préfet Gravel, du fonds Marianne est aujourd'hui devenu un véritable fardeau.

Le fonds a été lancé avec autant de désinvolture que d'emphase médiatique. Cette désinvolture repose aujourd'hui sur les épaules de personnes qui se sont engagées au service de nos valeurs. Pour eux, nous ne pouvons que regretter les conséquences de cette affaire : il faut espérer qu'en dépit de l'image désastreuse imprimée par le Gouvernement aucun d'entre eux ne se décourage de porter un message de défense de la République face aux séparatismes.

En conclusion, je précise que notre mission d'information est loin d'avoir épuisé le sujet du fonds Marianne, puisque l'inspection générale de l'administration devrait bientôt rendre ses travaux, et que le parquet national financier (PNF) poursuit ses investigations et aura à déterminer les responsabilités pénales de chacun.

Nous ne pouvons, pour notre part, qu'espérer que nos travaux permettront de mettre en lumière toutes les dérives d'un fonds qui, parti d'une idée aussi généreuse que vertueuse, s'est rapidement transformé en un coup politique qui a débouché sur un fiasco retentissant.

Nos recommandations concrètes ne demandent qu'à être appliquées. Pour autant, nous espérons que le CIPDR, qui met en oeuvre des politiques publiques essentielles, ne sortira pas trop affaibli de toute cette affaire. De même, il ne faudrait pas que la politique de subvention de la vie associative ne pâtisse de cet échec. Il restera ensuite à chaque acteur de prendre ses responsabilités.

À l'issue de cette réunion, je vous proposerai, en accord avec le président Raynal, de donner le titre suivant à ce rapport : « Le fonds Marianne : la dérive d'un coup politique. » Je crois qu'il résume en quelques mots le gâchis constaté, l'impression de rendez-vous manqué, ainsi que le manque d'éthique observé, éthique qui aurait pourtant dû présider à la promesse faite à la France par la ministre.

Au cours de cette commission d'enquête, chacune des auditions a apporté son lot de révélations, au point que certains ont indiqué qu'elle mériterait une série Netflix ; je me contenterai pour ma part de confirmer que ces travaux ont été passionnants, même s'ils me laissent beaucoup d'amertume, compte tenu de l'idée généreuse qui a motivé le lancement du fonds Marianne.

Mme Christine Lavarde. - J'étais sceptique, au départ, sur l'intérêt pour notre commission de créer une mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête, au regard, notamment, du niveau relativement faible des montants financiers en jeu.

Or j'ai pris le temps de lire le rapport, et l'on y découvre une multitude d'erreurs, une suite de décisions ayant conduit à une très mauvaise gestion des deniers publics.

Il ne s'agit nullement d'un procès, mais d'une photographie assez factuelle de la chronologie des événements, de la description précise d'une succession de comportements inappropriés, et ce alors même que l'administration - les fonctionnaires - avait fait son travail, en faisant part à plusieurs reprises, par des notes, de ses réserves quant à l'intérêt de subventionner telle ou telle association très nouvellement créée.

Quant aux recommandations formulées dans le rapport, elles semblent d'un tel bon sens que l'on s'étonne qu'elles ne soient pas déjà applicables. Doit-on pour autant en conclure que la ministre et son cabinet étaient trop inexpérimentés pour connaître les bons usages ? Il reste évidemment à répondre à cette question.

En définitive, je tiens à vous féliciter d'avoir conduit ces travaux de manière aussi objective : personne ne pourra vous soupçonner d'avoir voulu jeter des braises sur le feu.

M. Roger Karoutchi. - Je me joins aux félicitations adressées à notre rapporteur, d'autant que cette mission d'information n'était pas si facile. En effet, quel gouvernement ou quel ministre, de quelque orientation qu'il soit, n'essaie pas d'imprimer sa marque à telle ou telle politique ? Après tout, le fait de vouloir faire un coup politique ou médiatique n'a rien de tout à fait nouveau...

Ce qui m'a frappé, en revanche, c'est cette volonté de l'exécutif de créer un fonds spécifique, de collaborer avec des associations nouvelles, alors qu'il existait un certain nombre d'acteurs et d'instances associatives qui travaillaient déjà dans ce secteur, et qui auraient pu poursuivre utilement leur action.

Certes, comme l'a dit le rapporteur, un ministre est responsable de son cabinet, mais il est tout de même assez fréquent que ledit cabinet prenne des initiatives qui ne remontent pas jusqu'à lui. Faut-il pour autant demander à ce que soient formalisés, sous la forme de notes écrites, tous les échanges, toutes les interactions entre un membre du gouvernement et son entourage ? Je crains que l'on n'alourdisse considérablement, voire que l'on paralyse l'action des ministères.

Quoi qu'il en soit, j'observe que la ministre, en demandant elle-même à ce que le fonds Marianne dépende directement d'elle et de son cabinet, a évidemment engagé sa responsabilité. Cela veut dire que ce n'est pas un simple coup médiatique, mais le nouveau mode d'organisation qu'elle a mis en place qui a conduit à l'échec. À partir du moment où Mme Schiappa a cherché à se mettre en avant, où elle a remis en cause le cheminement administratif, elle a de fait pris la responsabilité de toute cette affaire, ce que le rapport d'information démontre parfaitement. S'il faut veiller à ne pas geler l'action des ministères en renforçant le formalisme des échanges, lorsqu'il y a une responsabilité directe du ministre, celle-ci doit pouvoir être clairement démontrée.

Mme Isabelle Briquet. - Je vous remercie pour la qualité de ce rapport d'information très circonstancié.

Pour ma part, j'ai assisté à la quasi-totalité des auditions, hors celle de M. Sifaoui, qui a été repoussée à plusieurs reprises. Je peux dire que ce rapport retranscrit l'intégralité de ce qu'elles ont révélé. L'intitulé du rapport d'information est de ce point de vue parfaitement choisi.

Le fonds Marianne est une opération de communication qui, je le rappelle, a été lancée à la suite de l'assassinat de Samuel Paty et qui, de ce fait, n'avait pas le droit à l'échec. Le fiasco que nous observons est désolant à au moins deux titres.

Tout d'abord, on a sérieusement écorné un symbole, en ne permettant pas à l'État d'agir comme il le devrait en réaction à un tel événement dramatique.

Ensuite, l'opération de communication a été franchement contre-productive. À cet égard, la recommandation qui consiste à imposer une forme de discrétion autour du choix et du suivi de ces subventions me semble de bon sens : l'excès de communication a nui aux actions engagées dans le cadre de la lutte contre les séparatismes. Face à la montée de certains extrémismes, l'efficacité des politiques publiques n'est pourtant pas de trop.

M. Daniel Breuiller. - Je veux à mon tour féliciter le rapporteur Jean-François Husson et le président Claude Raynal pour la maîtrise dont ils ont fait preuve tout au long des travaux de cette mission d'information.

Je suis tout à fait favorable au titre du rapport qui a été proposé par le rapporteur. Tout comme ma collègue Isabelle Briquet, j'ai assisté à la plupart des auditions ; j'ai donc lu le rapport avec intérêt.

Je suis d'abord frappé par ce qui arrive à la ministre : quand on cherche la lumière, on doit accepter de prendre l'ombre lorsqu'il y a de l'ombre. Au fond, elle a décidé de faire remonter toutes les décisions au niveau du cabinet, c'est-à-dire à son niveau, en mélangeant les rôles d'instruction et de validation.

Cela dit, le choix de s'appuyer sur des associations pour porter le contre-discours républicain me semble opportun, tant il est évident que les institutions politiques et administratives ont du mal à instaurer le dialogue. Je suis d'autant plus marri de ce qui arrive à certaines associations à cause de cette affaire que l'idée que ces structures conduisent la bataille sur les réseaux sociaux mérite d'être soutenue.

Enfin, je suis assez atterré que le combat pour nos valeurs républicaines soit livré par des acteurs ayant une telle étroitesse de vue. Pour parvenir à mobiliser toute la société autour de la lutte contre le séparatisme, il faut cesser de ne sélectionner que des associations dont l'orientation est proche de ses propres idées. Ce n'est pas le sujet de notre mission, mais il s'agit d'un véritable sujet d'interrogation. Je me demande comment on a pu confier à M. Sifaoui la formation d'agents de l'État, au regard de l'étroitesse de sa pensée.

Je vous remercie encore une fois pour la très grande clarté de ce rapport, digne en effet du scénario d'une série Netflix !

M. Rémi Féraud. - Je souhaite à mon tour saluer le travail réalisé par le président Claude Raynal et le rapporteur Jean-François Husson.

Cette mission d'information souligne l'importance du rôle de notre institution en matière de contrôle de l'action du Gouvernement, alors que cela n'avait rien évident au départ, certains d'entre nous ayant des hésitations, au vu notamment de la faiblesse des enjeux financiers en jeu.

Ce rapport traite de la question de la responsabilité politique, et même de l'irresponsabilité politique. Chacun voit bien que l'ensemble du processus ayant conduit à la mise en place et au suivi du fonds Marianne s'est déroulé « à la bonne franquette », si je puis dire - je reprends le titre de l'une des rubriques vidéo de l'association Reconstruire le commun.

Aux dérives, qui existaient dès l'origine, il faut ajouter une regrettable confusion entre vitesse et précipitation, ainsi que la volonté de faire de la communication autour du recyclage de crédits budgétaires et de projets existants. Mis bout à bout, ces éléments ont conduit à un résultat désastreux.

Même si les sommes en jeu peuvent sembler faibles, nous soulevons ici une question de principe.

Le rapport d'information est utile par les recommandations qu'il comporte, en particulier pour améliorer les procédures d'appels à projets. Il ne jette pas le bébé avec l'eau du bain quant à la nécessité de tenir un discours contre la radicalisation et pour la République.

Enfin, nous avons voté pour la première fois, dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'État », une ligne de crédits destinés au ministère des affaires étrangères pour lutter contre le discours anti-français, notamment en Afrique. Je pense qu'il sera très intéressant cet automne, lors de l'examen du prochain projet de loi de finances, de contrôler la manière dont ces crédits ont été utilisés.

M. Pascal Savoldelli. - J'ai hélas peu participé aux travaux de la mission d'information, mais je tiens à souligner le grand sérieux de ce rapport, qui démontre une fois de plus la victoire de la communication politique sur l'action publique. S'il faut savoir faire preuve d'humilité, il importe de tirer des enseignements qui vont au-delà de cette très mauvaise expérience.

Le rapport, très fouillé, présente des principes pour lier l'action publique et la vie associative. Lorsque l'affaire est sortie, j'étais plus inquiet pour la vie associative que pour la ministre. La crise actuelle de la démocratie représentative touche également - on l'oublie trop souvent - les structures associatives.

Enfin, le rapport met en lumière, de manière intéressante, l'équilibre complexe qui existe entre un cabinet ministériel et son administration. Il nous permet ainsi de disposer de points de repère solides quant au périmètre et aux responsabilités que les uns et les autres devraient respecter. La question se pose également dans les collectivités quant au rôle du cabinet et de l'administration.

M. Claude Raynal, président. - Ma première remarque porte sur ce que certains - dont j'ai d'ailleurs fait partie ! - ont qualifié de montants « faibles » pour parler des crédits versés par le fonds Marianne.

En réalité, cette notion peut être très différemment appréciée selon l'angle où l'on se place : si notre commission des finances est habituée à aborder des sujets représentant des milliards d'euros, il faut bien admettre que, pour le reste de la population, 2,5 millions d'euros, ce n'est pas rien ! Il faut veiller, me semble-t-il, à ne pas trop diffuser cette idée qu'une telle somme est modique, au risque de choquer - à juste titre - une partie de nos concitoyens.

J'ajoute que, pour une large part du monde associatif, les subventions d'un faible montant - moins de 1 000 euros - sont la règle. Ce sont d'ailleurs les acteurs associatifs qui se sont étonnés qu'une structure n'ayant que quelques mois d'existence puisse obtenir un budget de plusieurs milliers d'euros, ce qui est le cas dans l'affaire qui nous occupe.

En outre, ce rapport traite - Roger Karoutchi et Pascal Savoldelli l'ont évoqué - des excès de la communication politique, de cette maladie infantile du politique, qui consiste à traiter un problème par une action du ministre et de son cabinet, suivie d'une communication rapide. Manifestement, l'affaire du fonds Marianne prouve que cette manière de fonctionner touche à ses limites.

En définitive, ce qui m'a le plus choqué, c'est la réponse faite par la ministre lorsqu'elle a déclaré qu'elle s'était contentée de donner l'impulsion, sous-entendant que l'intendance aurait dû suivre.

Nous, qui pour beaucoup avons été maires ou membres d'un exécutif, savons que cela ne fonctionne pas ainsi et que toute décision, pour qu'elle soit correctement mise en oeuvre, doit faire l'objet d'un suivi précis. La vision qui consiste à lancer un projet et à demander à l'administration de se débrouiller est extrêmement problématique, et elle l'est d'autant plus que ce projet a été présenté comme une réponse à un événement dramatique, qui a marqué les Français.

Un ministre doit évidemment se préoccuper de la réalisation concrète de l'action qu'il a engagée. Au lieu de renvoyer à l'administration et d'indiquer qu'elle n'était pas informée, il aurait été tellement plus simple que Mme Schiappa reconnaisse, pour certains aspects au moins, sa responsabilité. Au-delà des maladresses des uns et des autres dans ce dossier, l'incapacité de Mme Schiappa à reconnaître ses responsabilités a contribué à tendre les débats, et dénote une mauvaise gestion du ministère.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il est indispensable de resituer le contexte qui nous a conduits à envisager la constitution de cette mission d'information assortie des pouvoirs d'une commission d'enquête.

Claude Raynal a pris l'initiative, à la suite des révélations faites par la presse sur l'affaire du fonds Marianne, de mener un premier exercice de contrôle, avant d'engager une réflexion plus générale sur l'intérêt d'enquêter sur des éléments qui nous ont semblé, dès le départ, très troublants. Nous avons d'ailleurs fait le choix, par la suite, d'être proche d'un format de co-rapporteurs dans les travaux.

Au moment du lancement des travaux, nous avons hésité, notamment lorsque le Parquet national financier (PNF) a annoncé qu'il ouvrait une information judiciaire sur des soupçons ou pour des motifs qui laissaient peu de place à notre enquête.

Nous avons alors décidé d'interroger le garde des sceaux sur les marges de manoeuvre dont nous disposions, et avons estimé, au vu de sa réponse, que l'enquête ouverte par le PNF nous laissait un espace de travail suffisant si nous parvenions à rester dans le périmètre que nous nous imposions et à éviter les écueils.

La force de notre démarche a reposé sur sa dimension factuelle et sa précision.

Nos travaux, en particulier les auditions de Christian Gravel et de Marlène Schiappa, ont été utiles de ce point de vue : ils ont permis de confronter les récits, les points de vue, de mettre en évidence l'amnésie, la provocation, voire l'irrespect et le mépris de certaines des personnes auditionnées.

Nous avons tenu notre ligne dans la sérénité, ce qui a conduit une partie de l'opinion à reconnaître le sérieux de notre approche : loin de nous ériger en juges, nous avons exercé un contrôle strict des faits qui nous ont été signalés, ce qui est une lueur d'espoir pour la vitalité de notre démocratie.

Je remercie l'ensemble de nos collègues d'avoir exprimé leur satisfaction quant au contenu du rapport et aux équilibres que nous avons retenus.

Ce rapport n'est pas un coup de communication facile. Nous souhaitions en rester à ce qui est le plus important à nos yeux : respecter le sens de notre mission et accomplir notre travail avec sérieux et objectivité.

J'en profite pour dire à Roger Karoutchi que je suis d'accord avec ce qu'il a décrit concernant le coup politique. Toutefois, je lui ferai remarquer qu'il a fallu témoigner d'une patience d'ange pour écouter la ministre tout au long de ses trois heures d'audition : elle ne se souvenait de rien, ne s'était occupée de rien, ni avant, ni pendant, ni peu après la création du fonds, alors même qu'il y avait - le secrétaire général adjoint du CIPDR l'a méthodiquement démontré - beaucoup à redire...

En réponse à notre collègue Daniel Breuiller sur la question du recours à des associations, c'est un sujet très complexe, qui pose la question de la place et du rôle à donner aux associations dans la lutte contre les séparatismes.

J'ai noté la remarque de Rémi Féraud à propos des crédits alloués dans le cadre du projet de loi de finances pour combattre les discours anti-français. Ce sujet est, me semble-t-il, digne d'intérêt.

Pour répondre à Pascal Savoldelli sur la répartition des rôles entre le cabinet et l'administration, je répondrai de façon un peu abrupte, qu'il y a eu une volonté d'avoir une maîtrise directe du cabinet et de la ministre sur les décisions. Il y a d'ailleurs eu une erreur de la ministre sur ce point : avant sa nomination comme ministre déléguée en charge de la citoyenneté, le SG-CIPDR était déjà placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur.

À partir du moment où la ministre a souhaité mettre en lumière son action et que les choix réalisés sont de nature très politique, il faut, selon la formule de Daniel Breuiller, qu'elle accepte aussi les zones d'ombre.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons désormais à l'examen des deux propositions de modification que Jean-François Husson et moi-même avons déposées.

Notre proposition de modification n° 1 précise que les critères de sélection ont vocation à être développés dans les conventions.

La proposition de modification n° 1 est adoptée.

M. Claude Raynal, président. - Notre proposition de modification n° 2 prévoit que l'administration s'assure, avant le premier versement d'une subvention, que les cofinancements avancés par les porteurs de projets existent. Si l'on ne s'en assure pas, on risque de se retrouver avec des projets qui sont finalement avortés.

La proposition de modification n° 2 est adoptée.

M. Claude Raynal, président. - Avant d'en venir au vote sur le rapport, je vous indique que je vous propose, en accord avec le rapporteur, de saisir le parquet national financier d'un complément d'information en application de l'article 40 du code de procédure pénale, en lui transmettant notamment les comptes rendus des auditions devant la mission d'information de MM. Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui, ainsi que plusieurs documents communiqués à la mission, notamment le paiement d'une facture de la société R & K, datée du 15 décembre 2020, pour des prestations de communication.

Il en est ainsi décidé.

M. Claude Raynal, président. - Il m'appartient désormais de vous demander votre accord pour la publication du compte rendu de notre réunion.

Il en est ainsi décidé.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons maintenant au vote sur l'ensemble du rapport qui vous est soumis.

La mission d'information a adopté le rapport d'information, ainsi que les annexes, et en a autorisé la publication.

Les thèmes associés à ce dossier