N° 829

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) par la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

Tome I - Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné, le mardi 4 juillet 2023, le rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur de la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.

Le fonds Marianne, dont la création a été annoncée le 20 avril 2021 par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur, était destiné à financer des actions en ligne pour défendre les valeurs de la République et répondre au séparatisme. Des accusations graves ayant été portées sur l'emploi de ce fonds, et alors que les documents transmis par le ministère de l'intérieur au président Claude Raynal ne permettaient pas de répondre à toutes les interrogations soulevées, la commission des finances a décidé de constituer en son sein une mission d'information le 3 mai 2023. Celle-ci s'est vu conférer les prérogatives de commission d'enquête.

I. LE FONDS MARIANNE : UNE RÉPONSE AUX MENACES CONTRE LA RÉPUBLIQUE PENSÉE COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

A. UNE ACTION SUR LES RÉSEAUX POUR CONTRE-CARRER LE DÉPLOIEMENT D'UN DISCOURS SÉPARATISTE ET VIOLENT

À la suite des attentats de l'automne 2020, le Gouvernement a fait le choix de porter un « contre-discours républicain » sur les réseaux sociaux pour lutter contre la radicalisation et les discours séparatistes en ligne. Pour ce faire, il a mené deux actions :

- d'une part, a été créée l'unité de contre-discours républicain (UCDR) au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) pour apporter une réponse institutionnelle ;

- d'autre part, un appel à projets dénommé « fonds Marianne » a été lancé, afin d'engager une réponse sociétale en recourant à des associations dont le discours ne serait pas directement identifié comme provenant de l'État. Dans ce cadre, 17 associations ont été sélectionnées.

Sur ce deuxième volet, Christian Gravel, ancien secrétaire général du CIPDR a ainsi déclaré : « l'État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. Conséquence d'une crise durable de l'autorité, ce discrédit est aujourd'hui aggravé par le déploiement exponentiel des thèses complotistes sur internet. »

Les montants des subventions accordées au titre du fonds Marianne

Des subventions de

Pour

Dont

 
 
 

au total

associations

pour les quatre premières associations

B. UN FONDS CONÇU COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

La création du fonds Marianne peut être envisagée, selon les mots mêmes de Christian Gravel, comme un « label de communication ». La ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa, annonce en effet la création de ce fonds le 20 avril 2021, en direct sur la chaîne de télévision BFM TV.

Le cahier des charges a été rédigé dans l'urgence. Les objectifs du fonds sont d'ailleurs réécrits par le cabinet de la ministre dans les jours qui précèdent sa mise en ligne. La terminologie employée par l'appel à projets tel que revu par le cabinet de la ministre est celle d'une laïcité de combat. Il ne s'agit pas tant de former à l'esprit critique ni de construire un discours, que de « riposter à la propagande séparatiste », et de « défendre les valeurs républicaines », face « aux idéologies séparatistes ».

Les objectifs qui doivent être poursuivis par les porteurs de projets
candidats au fonds Marianne

dans la rédaction proposée par le SG-CIPDR

dans la rédaction finale, modifiée
par le cabinet de la Ministre

- Lutter contre les contenus haineux à caractère antisémite ou relevant du racisme anti-musulman et des discours séparatistes, les théories complotistes diffusées massivement en ligne notamment sur les réseaux sociaux et plus largement tout discours haineux et stigmatisant qui vise à fracturer et à diviser la société française ;

- Promouvoir la connaissance de l'autre, l'engagement citoyen, la lutte contre les préjugés et les stéréotypes, le dialogue interreligieux, le respect de la liberté de conscience et de la liberté d'expression, valeurs essentielles, parmi d'autres, de notre société ;

- Célébrer la place de chacun, au-delà des particularismes, au sein d'une même communauté nationale qui transcende les appartenances à telle ou telle communauté particulière et rejeter tout type de racisme et de haine (haine anti-LGBTQ...).

- Riposter à la propagande séparatiste ainsi qu'aux discours complotistes en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux ;

- Défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales.

Sources : appel à projets fonds Marianne et échanges de courriels entre le cabinet de la ministre déléguée et le SG-CIPDR

Par ailleurs, le directeur de cabinet de la ministre est intervenu pour raccourcir le délai de sélection des projets proposé par l'administration. Ainsi, les porteurs de projets ont disposé de sept semaines de moins que prévu pour déposer leur candidature. La rapidité avec laquelle l'appel à projets a été conçu et le peu de temps dont ont disposé les porteurs de projets contrastent avec la complexité du sujet. Il était pourtant indispensable de réfléchir aux conditions de mise en place d'un cadre d'action clair pour ces structures et de leur laisser le temps de présenter des projets complets et aboutis.

Le calendrier de l'appel à projets tel que modifié par le cabinet de la ministre

Source : commission des finances du Sénat, d'après les échanges transmis par le SG-CIPDR

Enfin, le choix de la ministre de faire du fonds Marianne une opération de communication est contreproductif : alors que le recours à des associations devait permettre de disposer d'une présence sur internet et sur les réseaux sociaux qui ne soit pas « siglée ministère de l'intérieur », il aurait sans doute été plus pertinent de limiter la communication autour du lancement de ce fonds.

II. UNE PROCÉDURE DE SÉLECTION OPAQUE, DANS LAQUELLE LE POLITIQUE A OUTREPASSÉ SON RÔLE

A. UN PROCESSUS DE SÉLECTION BÂCLÉ, OPAQUE ET FRAGMENTÉ

Plusieurs dossiers retenus par le comité de programmation réuni le 13 avril pour décider des subventions accordées au titre du volet de contre-discours républicain du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) ont été « recyclés » dans l'appel à projets du fonds Marianne.

Cette pratique est contraire à la logique même d'un appel à projets, qui vise en principe à inciter des associations à répondre à une commande politique en présentant de nouveaux projets. Au total, si l'on retranche les montants déjà arbitrés lors du comité de programmation, sur les 2,5 millions d'euros annoncés du fonds Marianne le 20 avril, seuls 1,4 million d'euros ont réellement été dédiés à des projets n'ayant pas fait l'objet d'un arbitrage préalable.

Par ailleurs, lors de la réunion du comité de sélection, l'absence de personnalité qualifiée extérieure à l'administration en charge du dossier et au cabinet de la ministre est critiquable. En présence d'un jury endogène, lui-même inscrit dans une structure hiérarchique, les conditions n'étaient pas réunies pour assurer la qualité des décisions et leur neutralité.

De plus, on ne peut que s'étonner de l'absence de détermination d'éléments d'objectivation préalable des candidatures à l'appel à projets. Le respect des critères énoncés dans l'appel à projets aurait dû faire l'objet d'une évaluation précise.

Ce sentiment d'amateurisme quant à la sélection des projets se confirme par le fait qu'aucun compte rendu ni relevé de décisions n'explicitent les choix réalisés par le comité de sélection.

Enfin, il apparaît que le cabinet de la ministre et la ministre elle-même ont outrepassé leur rôle :

- en appuyant, de façon plus ou moins explicite, la candidature de l'une des associations ;

- en revenant sur l'octroi d'une subvention de 100 000 euros à une association alors même qu'une décision favorable du comité de sélection était intervenue ;

- en intégrant, en aval des décisions du comité de sélection, une dernière association qui n'avait à aucun moment été soumise à l'appréciation du comité de sélection par le SG-CIPDR, le dossier ayant été considéré comme ne relevant pas du champ de l'appel à projets.

B. LES SUBVENTIONS LES PLUS IMPORTANTES ONT ÉTÉ ATTRIBUÉES À DES ASSOCIATIONS NE PRÉSENTANT AUCUNE GARANTIE QUANT À LEUR SÉRIEUX ET À LA QUALITÉ DE LEUR ACTION

1. L'USEPPM, vaisseau amiral du fonds Marianne

Mohamed Sifaoui et le cabinet de l'ancienne ministre déléguée ont eu au moins trois rendez-vous entre mars et avril 2021 : le 24 mars, le 6 avril et le 22 avril. Si les documents reçus et les témoignages indiquent qu'il n'y a pas eu d'engagements financiers envers Mohamed Sifaoui, son projet a été discuté à plusieurs reprises, et il a été activement encouragé à le déposer par le cabinet. Une demande de subvention a finalement été déposée le 9 avril, au nom de l'association Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), d'un montant de 635 000 euros pour l'année 2021 et de 850 000 euros pour les deux années suivantes.

Mohamed Sifaoui n'était pas inconnu du SG-CIPDR et du cabinet de l'ancienne ministre déléguée puisqu'il a donné plusieurs formations à l'UCDR entre janvier et novembre 2021, ainsi qu'une formation sur le contre-discours en janvier 2023. Il aurait par ailleurs été rémunéré pour ces formations pour un montant de 39 500 euros, facturé par la société R & K, qui est dirigée par l'épouse de Cyril Karunagaran. Le paiement a été effectué par le SG-CIPDR le 26 février 2021, en amont de la réalisation de la majorité des conférences de formation et contrairement au principe du « service fait ».

L'autorité politique a ensuite joué un rôle actif dans le traitement de la demande de l'USEPPM. Un échange de courriels daté du 6 avril entre la ministre déléguée et un membre du cabinet montre ainsi qu'il y avait des discussions au niveau politique sur une possible subvention de 300 000 euros accordée à l'association, avant même le dépôt de sa demande. C'est ce montant qui a été retenu lors du comité de programmation du 13 avril 2021. La subvention finalement accordée lors du comité de sélection du 21 mai était de 355 000 euros.

Toutefois, l'USEPPM elle-même n'avait pas d'expérience notable dans la lutte contre le séparatisme, et le budget de fonctionnement de l'association, 50 000 euros par an environ, était très faible au regard du montant de la subvention accordée. En outre, la situation de l'association, qui présente de nombreuses inconnues, n'avait pas fait l'objet d'un examen approfondi en amont de sa sélection.

2. Reconstruire le commun, un nouvel entrant qui n'offre aucune garantie

Un soutien a été accordé à l'association Reconstruire le commun : elle venait d'être constituée, le 29 octobre 2020, lorsqu'elle se voit octroyer une première subvention de 39 000 euros, en décembre 2020 au titre du FIPDR. La présidente de l'association aurait transmis, peu de temps après sa rencontre avec Christian Gravel, une demande de subvention de 39 000 euros qui, d'après ce dernier, « avait tout simplement pour objet de donner à cette association les moyens de lancer des actions concrètes ». Lors de son audition, Christian Gravel a indiqué avoir eu connaissance de la proximité entre Reconstruire le commun et le collectif « On vous voit ». Ainsi, il était informé que, « par le passé, ce collectif avait parfois diffusé des contenus à caractère politique. » Néanmoins, aucune disposition spécifique n'a été introduite dans la convention d'attribution du fonds Marianne pour prohiber ce type de contenus.

III. UN CONTRÔLE DÉFAILLANT ET DES RÉSULTATS QUI NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES AMBITIONS

A. DES RÉSULTATS TRÈS INÉGAUX ET UN DOUBLE FIASCO

1. Des projets qui ont, pour la plupart d'entre eux, été menés à leur terme, sans permettre toutefois de mesurer précisément leur impact

La mission a interrogé l'ensemble des porteurs de projets bénéficiaires du fonds Marianne. Il ne lui appartient pas, au regard des moyens dont elle dispose, de se prononcer sur le respect ou non par l'ensemble des porteurs de projets des conditions fixées par les conventions d'attribution. Tout au plus pourra-t-elle formuler une appréciation générale, fondée sur des exemples issus des éléments communiqués par les différentes associations et des pièces de suivi et de contrôle du SG-CIPDR.

Tout d'abord, il convient de souligner que les lauréats du fonds Marianne ne sont pas tous des associations. Deux d'entre eux sont des sociétés par actions simplifiées, intervenant dans le domaine de la diffusion et de la production de contenus audiovisuels. Sans que ce statut ne suscite de réserve a priori, ces entités auraient néanmoins dû faire l'objet d'une vigilance renforcée. Les conditions de mise en oeuvre, de suivi et de rendu financier auraient dû être ajustées pour tenir compte de la forme des porteurs de projet : il semble, au contraire, que leur statut juridique n'a pas conduit à une adaptation de la convention d'attribution, au point de se référer systématiquement à « l'association » dans les deux conventions signées avec des sociétés.

Par ailleurs, les retours de l'ensemble des porteurs de projets aux demandes de contribution adressées par la mission témoignent de la diversité des productions financées par les crédits du fonds Marianne. En l'absence de critère préalable précis et d'outil d'évaluation permettant d'apprécier la visibilité des contenus il est complexe de porter une appréciation a posteriori sur ces derniers et de mesurer leur succès.

2. L'USEPPM, un bilan insignifiant au regard de la subvention

Les réalisations du projet iLaïc, porté par l'USEPPM, première association bénéficiaire en termes de montant de subvention au titre du fonds Marianne, sont très largement en deçà de ce qui aurait pu être attendu. Comme l'indique le SG-CIPDR, « l'engagement en ligne [de l'association] a été faible ».

Bilan des productions de l'USEPPM, transmis par le SG-CIPDR

Sur Twitter

Sur Tiktok

Sur Instagram

Total

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116 abonnés

137 abonnés

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401 tweets

21 publications

67 publications

489 publications

Moyenne de 123 000 impressions

950 j'aime

30 j'aime par publication en moyenne

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Source : bilan du SG-CIPDR sur les productions de l'USEPPM

Mohamed Sifaoui et Cyril Karunagaran défendent ce bilan peu favorable par le montant de la subvention très inférieure à leur demande initiale. En effet, pour Mohamed Sifaoui « cela revient à nous annoncer le financement d'une armée pour combattre celle de Poutine alors que finalement, seule une petite milice est financée et il nous est demandé pourquoi nous n'avons pas battu l'armée de Poutine. C'est quand même surréaliste. Vous avez des islamistes qui ont dix ans d'avance sur vous, vous donnez trois francs six sous à une association, et vous vous demandez pourquoi les résultats ne sont pas suffisants. »

En réalité, comme toutes les autres associations, l'USEPPM a bénéficié d'un premier versement de 75 % du montant total, correspondant pour elle à 266 250 euros. Or, en aucun cas cette somme ne peut être considérée comme mineure et justifier que tout ou partie du projet ne soit pas réalisé.

Parallèlement, alors que l'USEPPM n'a obtenu aucun des co-financements sur lesquels elle s'était engagée, elle n'a pu bénéficier du versement du reliquat. Les dépenses du budget prévisionnel ont donc dû être revues à la baisse, pour être exécutées à hauteur de seulement 43 %.

Néanmoins, il apparaît que les dépenses de personnel n'ont pas été réduites dans les mêmes proportions que le reste du budget de l'association.

Ainsi, entre le budget prévisionnel et la réalisation, les charges de personnel ont été exécutées à hauteur de 83 %, ce qui montre que les porteurs de projet ont fait le choix de privilégier ce type de dépenses.

Au regard des difficultés qu'ils ont avancées, on peut s'étonner du maintien des rémunérations pour les deux principaux salaires, à savoir ceux de M. Sifaoui et de M. Karunagaran.

Réalisation des dépenses prévues par le budget
du projet iLaïc

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents transmis par le SG-CIPDR

3. Reconstruire le commun, une erreur de casting

Sur le plan technique (son, image...), les vidéos de Reconstruire le commun sont de bonne facture. Les controverses portent en réalité principalement sur la conformité des vidéos avec les objectifs du fonds Marianne, et sur la production de contenus politiques. En effet, plusieurs passages de l'émission « À la bonne franquette », diffusée sur la chaîne YouTube de l'association « Comme Un », ont ciblé des personnalités politiques, de l'ensemble des bords politiques par ailleurs. Toutefois, la mission fait le choix de ne pas traiter de la question de la publication de ces vidéos durant les campagnes des élections présidentielles et législatives, ce sujet relevant de la compétence des autorités judiciaires.

En outre, un certain nombre de vidéos posent des difficultés quant à leur compatibilité et surtout leur pertinence avec les objectifs du fonds Marianne. Face à ces critiques, la présidente de l'association, Alham Menouni, a défendu le choix d'« écouter la parole des jeunes », et souligne que le projet était présenté, dès le stade de la candidature, comme étant de « l'infotainment ». Il faut toutefois rappeler qu'il s'agit de financements publics, et l'attaque de personnalités politiques n'en reste pas moins inacceptable.

Extrait du verbatim des vidéos de Reconstruire le commun

Sur Olivier Véran :

« Olivier Véran, c'est un peu Jeff Panaclock avec la peluche Jean-Marc. [...] Ils [les enfants assistant à ce genre de spectacle de marionnette] ne se doutent pas qu'il a une main dans les fesses qui ne vient pas de nulle part. Eh bah Véran, c'est exactement la même chose. »

Sur Anne Hidalgo :

« Pourquoi est-ce qu'on dit que c'est encore pire depuis qu'Hidalgo est là et depuis que le PS saccage Paris, qu'est-ce qui s'est passé dernièrement quel a été un peu l'événement déclencheur de tout ça, pourquoi est-ce qu'on râle et pourquoi est-ce qu'on en veut spécialement à Hidalgo ? Il y a certaines infrastructures soit disant biodégradables qu'elle fout un peu partout qui ne font qu'accumuler la saleté en fait, et aussi l'odeur de pisse. »

B. LES RESPONSABILITÉS DE L'ADMINISTRATION : UN CONTRÔLE LACUNAIRE DE L'EXÉCUTION DES PROJETS DES ASSOCIATIONS

Au plan interne, le SG-CIPDR a fait état de difficultés significatives suite au départ de l'agent en charge du suivi des dossiers. Ses missions de suivi du fonds Marianne auraient été réparties entre quatre agents, qui exerçaient par ailleurs d'autres fonctions, et elle n'aurait pas été remplacée avant un délai de sept mois. La qualité du contrôle aurait fortement diminué. Le SG-CIPDR a ainsi justifié que, pour au moins une association, la situation aurait conduit à resserrer le contrôle sur les aspects « administratifs » du projet, au détriment de sa dimension qualitative.

De plus, l'ancien secrétaire général du SG-CIPDR a expliqué devant la mission d'information que, jusqu'en septembre 2022, il n'y avait plus de « référent de contrôle interne financier » capable de mener un contrôle sur pièces des associations subventionnées par le fonds Marianne.

Ces difficultés expliquent, même si elles ne suffisent pas, une partie des lacunes du contrôle exercé par l'administration sur le projet de l'USEPPM et celui de Reconstruire le commun.

1. Un contrôle et un suivi très faibles du projet de l'USEPPM

Le projet de l'USEPPM avait commencé tardivement, en septembre 2021 et il s'était pratiquement arrêté au mois de mars 2022. D'après un témoignage, Christian Gravel aurait été alerté en janvier ou en février 2022 que le projet était à l'arrêt, et les documents transmis par l'association au début de l'année 2022 montrent déjà une sous-consommation inquiétante des crédits consacrés au projet. La mission d'information n'a pas retrouvé d'éléments selon lesquels il aurait été demandé à l'association de reprendre ses productions à cette période.

Dans ces conditions, il est difficile de comprendre que l'association ait obtenu du SG-CIPDR un avenant pour prolonger son action jusqu'au 31 mai 2022. À cet égard, le secrétaire général adjoint du CIPDR a confirmé à la mission d'information qu'il n'avait pas trouvé de traces d'un avenant signé par l'association en 2022.

Tous ces éléments s'ajoutent au fait que l'USEPPM est l'association qui a bénéficié de la subvention la plus importante dans le cadre du fonds, et que son projet, qui implique une réponse directe aux porteurs de discours séparatiste, était particulièrement sensible. Un contrôle sur pièces aurait donc dû être mené en priorité sur l'USEPPM, dès septembre 2022.

Le 10 novembre 2022, un chargé de mission du CIPDR a enfin demandé par courriel à l'association de transmettre ces documents pour le 18 novembre 2022. L'association n'a pas répondu à ce courriel, ni aux relances qui ont suivi. Finalement, après une nouvelle relance le 14 février 2023, l'association a commencé à transmettre les pièces demandées. Un contrôle sur pièces envers l'USEPPM a été engagé seulement le 17 mars 2023.

2. Un suivi défaillant des contenus produits par Reconstruire le commun et des avertissements non formalisés

D'après le SG-CIPDR, les contenus politiques produits par Reconstruire le commun auraient été identifiés pour la première fois en février 2022. À la suite de cette constatation, Christian Gravel a indiqué devant la mission d'information que la consigne aurait été donnée à l'association d'arrêter la production de ces contenus lors d'une réunion du 1er mars 2022 puis du 2 juin 2022. La présidente de l'association, Alham Menouni, affirme en revanche que le 1er mars, aucune consigne claire n'avait été donnée, et que le 2 juin 2022, l'association n'avait pas eu la possibilité de répondre aux critiques de Christian Gravel. En tout état de cause, il est apparu à la mission d'information que ces avertissements n'ont jamais été formalisés par écrit à l'association, ce qui est une erreur majeure de l'administration dans l'exercice de sa mission de contrôle.

Un contrôle sur pièces de l'association a finalement été lancé le 12 mai 2023, ce qui est très tardif par rapport aux révélations médiatiques, mais aussi par rapport au fait que des contenus politiques étaient identifiés depuis début 2022. Le SG-CIPDR l'a justifié par le fait que les services n'auraient pas pris la mesure du volume de contenus politiques produits, ce qui témoigne à tout le moins de la faiblesse du suivi opéré par l'administration.

C. LES RESPONSABILITÉS DU POLITIQUE : UNE ABSENCE DE PILOTAGE ET DE SUIVI CONFINANT À L'IRRESPONSABILITÉ

Le cabinet n'a pas joué un simple rôle d'impulsion politique et de validation dans l'attribution des subventions du fonds Marianne, mais a eu un rôle actif dans le processus de sélection même. Il a reçu à plusieurs reprises Mohamed Sifaoui pour discuter de son projet, et il est désormais établi que la ministre déléguée est elle-même intervenue pour écarter une association. L'autorité politique n'avait donc aucunement un rôle « effacé ».

En outre, l'autorité politique a, dans le suivi des projets, renoncé à sa responsabilité. Marlène Schiappa a indiqué que « le ministre n'est pas en charge du contrôle des associations », ce qui est vrai pour la dimension technique du contrôle. Toutefois, les financements du fonds Marianne ne sont pas des crédits comme les autres : ils avaient vocation à mettre en oeuvre une politique de contre-discours sociétal, et dont les enjeux politiques étaient considérés comme prioritaires suite à un évènement particulièrement atroce. Or, après son lancement, le fonds Marianne n'a fait l'objet d'aucun signe d'une véritable implication politique, et les communications entre le SG-CIPDR et le cabinet à ce sujet furent manifestement réduites.

Les actions de contre-discours que devaient financer le fonds Marianne sont par nature des actions particulièrement sensibles, qui peuvent mener à des dérives, comme des attaques visant des personnalités politiques. Toutefois, ce risque peut être réduit, avec un cahier des charges clair, qui comporte des « lignes rouges » précises, mais aussi avec un processus de sélection qui permette de faire appel à un regard extérieur, et un temps et des moyens suffisants pour que l'administration puisse mettre en place toutes les garanties possibles. Il peut également être prévenu avec un véritable suivi assuré par l'autorité politique.

À la place, le fonds Marianne a été conçu comme une opération de communication. Le délai de l'appel à projets a été réduit au point qu'il n'était plus possible pour les associations de présenter des projets véritablement construits, et des associations qui ne présentaient pas de garanties en termes de lutte contre le séparatisme ont non seulement été sélectionnées mais également reçu les subventions les plus importantes.

Le pouvoir politique s'est désinvesti du fonds Marianne, renvoyant la responsabilité du contrôle mais aussi du suivi de ses résultats entièrement à l'administration. Le faible suivi des projets par l'autorité politique n'est pas de nature à la défausser de cette responsabilité, mais montre au contraire que l'initiative du fonds Marianne n'a pas été portée jusqu'au bout. L'ensemble de ces choix est le résultat de décisions prises au niveau ministériel, et engage à ce titre une responsabilité politique. Le fonds Marianne n'était pas voué à connaître les dérives dont la mission d'information a fait le constat.

Pour éviter qu'un tel gâchis se reproduise à l'avenir, la mission d'information a formulé plusieurs recommandations, qui visent à améliorer le régime des subventions aux associations d'une manière générale, et l'organisation du SG-CIPDR ainsi que le financement des associations défendant les valeurs de la République en particulier.

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