B. DES MODALITÉS D'ATTRIBUTION DES CRÉDITS COMPLEXES ET INSUFFISAMMENT TRANSPARENTES
1. Un dispositif initial « empirique » de répartition des crédits
L'ensemble des acteurs entendus par le rapporteur spécial s'accorde pour considérer que le cadre de gestion des crédits était peu formalisé. France universités indique ainsi que « le dispositif de financement est resté très empirique »10(*), le cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur préférant le terme synonyme « d'assez expérimental »11(*).
Le ministère a certes transmis un guide méthodologique à l'attention des acteurs du DSG indiquant que « les négociations menées entre les rectorats et les établissements s'appuieront sur un état des lieux précis des financements alloués et des engagements associés. Les arbitrages pris par la DGESIP tiendront compte de la réalité des places supplémentaires créées au titre de l'année universitaire 2020-21 et des admissions enregistrées sur Parcoursup ». Comme cela sera développé ultérieurement sur le volet créations de places, cette circulaire ne semble pas avoir été toujours suivie d'effets, faute notamment d'un système d'allocation des moyens.
SYMPA : la fin d'un modèle formalisé d'allocation des moyens aux universités
Le modèle SYMPA (« Système de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité ») mis en oeuvre à partir du 1er janvier 2009 à la suite du système San Remo, permettait de répartir les moyens (crédits et emplois) inscrits en loi de finances et alloués par l'État aux universités selon des critères, qui étaient fonction de l'activité et de la performance de l'établissement.
Ce modèle permettait d'apprécier le niveau relatif des ressources de chaque établissement au regard d'indicateurs d'activité (80 %) et de performance (20 %) qui portaient à la fois sur les activités de formation (65 %) et de recherche (35 %).
Les critères de mesure de l'activité étaient, pour la formation, le nombre d'étudiants présents aux examens, et, pour la recherche, le nombre d'enseignants-chercheurs rémunérés par l'établissement, pondéré selon les domaines de recherche. La performance est mesurée, en matière de formation, par la valeur ajoutée des établissements au regard de la réussite des étudiants en licence et au DUT, et du nombre de diplômés de master et en matière de recherche, par la cotation AERES des unités de recherche et par le nombre de doctorats délivrés dans l'année. Ainsi, l'augmentation de l'activité ou l'amélioration des performances d'une université augmentaient sa dotation calculée au détriment de celles des autres. Toutefois, les moyens financiers entrant dans son périmètre ne prennent pas en compte la masse salariale des emplois transférés.
Entre 2009 et 2014, le modèle dit SYMPA fournissait ainsi pour les universités une répartition théorique des crédits de fonctionnement et des emplois entre les établissements, selon des critères d'activité et de performance. Il a été utilisé pour la dernière fois, en 2017, pour les universités pour la dernière vague d'emplois alloués au titre du rééquilibrage des dotations.
Source : rapport sur la prise en compte de la performance dans le financement des universités fait par M. Philippe ADNOT au nom de la commission des finances, 2019
France universités l'indique ainsi dans ses réponses au rapporteur spécial : « la répartition des moyens au titre de la loi ORE s'est faite au fil de l'eau, en fonction des besoins exprimés par chaque université. [...] les universités peuvent avoir utilisé ces moyens selon des modalités différentes », engendrant des disparités de financement selon les établissements. France universités ajoute ainsi : « le rôle du ministère, qui a rendu les arbitrages finaux, a été primordial. Les critères sur la base desquels ont été rendus ces arbitrages censés garantir la cohérence de l'ensemble, ont été rarement explicités ».
La Cour des comptes a souligné dans son premier bilan de la loi ORE en 2020 les lacunes du système de répartition des moyens par la DGESIP, d'autant plus que le DSG n'a été mis en place qu'en 2019. Lors de son audition par le rapporteur spécial, la DGESIP a reconnu la « justesse » de ces critiques.
2. Après 2019, une formalisation souhaitable par le dialogue de gestion
Un des aspects de la loi ORE était la mise en place d'une véritable déconcentration de la gestion des établissements d'enseignement supérieur dans les rectorats. Le déploiement du dialogue de gestion a placé le recteur au centre d'une partie du schéma de financement des universités, celui-ci étant désormais à la fois arbitre et négociateur.
La quasi-totalité des crédits du plan Étudiants a été allouée à partir de 2019 dans le cadre du DSG, mis à part les crédits dédiés aux investissements qui ont fait l'objet d'appels à projets. Les montants accordés au titre de la loi ORE représentent plus de 70 % des montants totaux accordés aux établissements dans le cadre des DSG 2019-2022.
Part des financements ORE dans les montants répartis dans le cadre du DSG
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Total 2019-2022 |
88,9 % |
75,6 % |
62,2 % |
64 % |
71,2 % |
Source : commission des finances d'après les réponses transmises au rapporteur spécial
Il convient de rappeler que la répartition par le DSG n'a concerné qu'une infime part des moyens globaux alloués aux établissements : ainsi, en 2022, seuls 279 millions d'euros ont été répartis par le DSG sur les 14,21 milliards d'euros ouverts la même année sur le programme 150.
Montants accordés aux établissements
dans le cadre du dialogue stratégique de gestion hors
ORE
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les réponses transmises au rapporteur spécial
Afin de tenir compte du renforcement de l'échelon du rectorat, dans les sept régions les plus importantes, la fonction de recteur délégué à l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation a été mise en place à compter du 1er janvier 2020. Celui-ci est supposé être l'interlocuteur privilégié des universités, des écoles et des organismes de recherche sur le territoire interacadémique.
3. Une articulation malaisée avec les crédits extrabudgétaires
Au-delà des crédits budgétaires ORE proprement dits, les montants accordés ont été presque doublés par les financements des programmes d'investissements d'avenir (PIA) qui s'élèvent à 450 millions d'euros.
Deux actions du PIA 3 sont spécifiquement ciblées sur la réussite des étudiants.
L'action « Nouveaux cursus à l'université » a fait l'objet de deux appels à projets en 2017 et en 2018. Le premier appel à projets avait pour objectif de soutenir des programmes favorisant la diversification et le décloisonnement des parcours en licence ou contribuant à développer l'offre universitaire de formation professionnelle. 17 projets ont été retenus sur 66 déposés. Ils seront soutenus pendant 10 ans pour un montant total de 150 millions d'euros. Le second appel à projets, recentré sur la réussite en licence, a distingué 19 projets sur 48 déposés pour un montant total de 175,9 millions d'euros, également pendant 10 ans.
Deuxièmement, le premier volet de l'action « Territoires d'innovation pédagogique » concerne directement l'accompagnement et la réussite des étudiants. Il s'agit des dispositifs territoriaux pour l'orientation vers les études supérieures. 11 premiers projets ont été sélectionnés en 2019 pour un montant total de 37 millions d'euros financés dans le cadre du PIA, et six nouveaux projets ont été sélectionnés au printemps 2020 pour un montant de 35 millions d'euros. Enfin, cette action finance également l'appel à projets « solutions numériques pour l'orientation vers les études supérieures » à hauteur de 10 millions d'euros.
La DGESIP a par ailleurs indiqué au rapporteur spécial manquer de données sur le rythme de décaissement des crédits du PIA. Les dernières informations figurant dans le tableau ci-dessous datent en effet du 30 juin 2022.
Exécution de l'action Nouveaux cursus universitaires du PIA 3 au 30 juin 2022 (hors crédits France 30 ouverts en 2022)
(en millions d'euros)
Engagements |
Contractualisations |
Décaissements |
267 |
267 |
111 |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
En outre, 133 millions d'euros ont été ouverts dans le cadre du plan de relance pour financer de nouvelles places à l'université (dont 49 millions d'euros en 2021 et 84 millions d'euros en 2022). Seule une partie des crédits accordés en 2022 ayant été consommée, le montant total financé par le plan de relance s'élève à 86 millions d'euros.
Le rapporteur spécial a pu se prononcer à plusieurs reprises dans ses rapports budgétaires sur la faible pertinence du financement des universités par le biais de crédits extrabudgétaires, en particulier s'agissant de dispositifs financés sur 10 ans ou de créations de places, par définition non limitées à un ou deux ans. Le rapporteur spécial en veut pour preuve la décision de maintenir après 2022 une partie des financements « relance » en les budgétisant à l'intérieur de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». D'après la direction du budget, 49,5 millions d'euros de crédits inscrits en LFI 2023 sur le programme 150 ont pérennisé les financements « relance ». En particulier s'agissant des créations de place, la décision de passer par des crédits « relance » a constitué un facteur de complexité supplémentaire dans une gestion déjà peu opérationnelle, comme développé ci-dessous.
* 10 Réponse fournie au questionnaire du rapporteur spécial.
* 11 Audition du cabinet de la ministre.