B. DES EXPOSITIONS DIFFÉRENCIÉES AUX RISQUES PROFESSIONNELS
1. Une différenciation des risques qui s'explique par une ségrégation professionnelle persistante
Une récente étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares)12(*), basée sur les données de l'enquête nationale « Conditions de travail » conduite en 2019, met en avant une exposition différenciée des femmes et des hommes aux pénibilités et risques dans leur travail : les hommes sont davantage exposés aux sollicitations physiques « lourdes » que les femmes, qui le sont davantage aux troubles musculo-squelettiques (TMS) et aux sollicitations psychosociales.
La ségrégation horizontale du travail entre hommes et femmes, qui se distribuent dans des secteurs et métiers différents, explique une bonne part des différences d'exposition professionnelle.
L'étude de la Dares croisant degré de mixité des métiers et conditions de travail amène à répartir 88 professions en cinq grandes catégories :
Les hommes sont davantage présents dans les métiers les plus soumis à la pénibilité physique, comme porter des charges lourdes ou travailler dans un environnement agressif, dans le bruit ou la poussière. C'est le cas en particulier dans les secteurs de la construction et l'industrie manufacturière.
Les femmes sont quant à elles davantage présentes dans des métiers où elles doivent se dépêcher ou répéter continuellement une même série de gestes ou d'opérations, ce qui est facteur de TMS. Les métiers féminisés les plus importants numériquement, comme celui d'agent d'entretien, d'aide-soignant, d'aide à domicile et d'aide ménager, qui rassemblent, à eux trois, près d'une salariée sur cinq, exposent à des conditions de travail relativement dégradées, conjuguant horaires peu flexibles, physiquement pénibles et/ou exposant à une charge mentale et des comportements hostiles.
L'étude de la Dares met en exergue, au sein même des professions, des différences de conditions de travail entre femmes et hommes. Femmes et hommes exerçant une même profession peuvent en effet être affectés à des tâches différentes, avec des modalités d'exercice différentes, dans des milieux différents.
La ségrégation sexuée du travail et des tâches, au sein de mêmes postes, a eu tendance à affecter les femmes à des tâches dites plus fines, peut-être considérées comme plus légères, mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes temporelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes. L'ergonome Karen Messing a ainsi montré que, dans les métiers du nettoyage, les femmes sont plus souvent affectées aux tâches qualifiées de « légères », mais répétitives, comme passer le chiffon ou nettoyer les toilettes, alors que les hommes le sont aux tâches « lourdes », comme s'occuper des sols, conduire les machines, porter des sacs de déchets. Les hommes ont sans doute, dans certains secteurs, davantage bénéficié d'une automatisation les rendant chefs opérateurs d'une machine au lieu de les exposer à des pénibilités physiques.
Par ailleurs, les femmes et les hommes sont confrontés à des contraintes d'organisation différentes. Les hommes effectuent plus souvent des heures supplémentaires et sont plus souvent joints en dehors de leur temps de travail. Ils travaillent plus souvent en horaires décalés, connaissent moins souvent leurs horaires à l'avance. Les femmes, quant à elles, travaillent plus souvent le week-end, ont des horaires rigides non concertés, et peinent à s'absenter en cas d'imprévu.
Les femmes sont également généralement plus exposées aux risques psychosociaux de toute nature, ont moins d'autonomie et souffrent davantage d'un manque de soutien et de reconnaissance de leur travail.
Enfin, les arrêts de travail apparaissent plus fréquents chez les femmes, en lien avec un cumul de contraintes de travail. Selon des données communiquées à la délégation par Florence Chappert, responsable de la mission Égalité Intégrée et du projet Genre, santé et conditions de travail à l'Anact, les femmes seraient 30 à 40 % plus absentes que les hommes, soit quatre à cinq jours de plus par an, hors maternité et paternité. Le Baromètre annuel Absentéisme 2022 de Malakoff Humanis montre que 48 % des femmes se sont vues prescrire un arrêt de travail au cours de l'année écoulée, contre 37 % des hommes.
2. Des femmes davantage touchées par les troubles musculo-squelettiques, miroir grossissant du monde du travail
a) Des TMS affectant des femmes à 60 % et avec des répercussions plus graves
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) recouvrent un large ensemble d'affections de l'appareil locomoteur, pouvant être provoquées ou aggravées par l'activité professionnelle. Ils se traduisent principalement par des douleurs et une gêne fonctionnelle plus ou moins importantes mais souvent quotidiennes.
Les TMS sont la première maladie professionnelle en France depuis vingt ans. Ils représentent 86 % des maladies professionnelles reconnues par le régime général, soit 40 852 cas en 2021. Leur coût s'élèverait à environ 2 milliards d'euros mais pourrait être deux à sept fois plus élevé selon l'historienne Muriel Salle en tenant compte des coûts d'absentéisme, des répercussions sur les autres employés, de ralentissement de la production, etc.
Les TMS touchent plus les femmes que les hommes, à la fois en fréquence et en gravité, et ce à un âge plus précoce.
60%
Selon un rapport de l'Anact13(*) :
- le taux de fréquence14(*) des TMS est supérieur pour les femmes (17,8) à celui des hommes (11,5). Pour un million d'heures salariées on constate la reconnaissance de 74 cas de TMS pour les ouvrières et de 24 cas de TMS pour les ouvriers ;
- l'indice de gravité15(*) des TMS touchant les femmes est supérieur à celui des hommes dans toutes les catégories socioprofessionnelles. L'indice de gravité des TMS des ouvrières est trois fois plus important que celui des ouvriers.
Le rapport de Santé publique France sur les maladies à caractère professionnel, qui fournit des indicateurs précieux sur les TMS au-delà des maladies professionnelles reconnues et indemnisées, montre une prévalence des TMS plus élevée chez les femmes que les hommes. Il estime qu'en 2018, 4,4 % des salariées sont atteintes de TMS, contre 3,2 % des hommes.
Les données de l'observatoire Evrest (Évolutions et relations en santé au travail) présentées aux rapporteures par Laëtitia Rollin confirment, à l'échelle d'un territoire, la prévalence des TMS chez les femmes. Ces analyses s'appuient sur des statistiques collectées par les médecins du travail et les infirmiers de santé au travail auprès de 3 000 salariés en Normandie entre 2017 et 2019. Le jour de la consultation de ces professionnels ou dans les sept jours précédant cette consultation, les femmes déclarent plus de plaintes ou signes cliniques de TMS des membres inférieurs, supérieurs ou du rachis : respectivement 16, 30 et 36 % de troubles chez les femmes, contre 13, 20 et 26 % chez les hommes.
b) Des facteurs de risques tant physiques que psychosociaux
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette prévalence des TMS chez les femmes. Selon l'historienne Muriel Salle, « les TMS font office de miroir grossissant du monde du travail ». Pour reprendre les mots de l'ergonome Karen Messing, « l'invisible fait mal » et « le travail léger pèse lourd ».
Deux grandes familles de risques de TMS peuvent être distinguées :
· des facteurs physiques, tels que des contraintes biomécaniques, des efforts excessifs, des répétitions de gestes à des cadences rapides, des gestes précis et fins, des postures inconfortables ou en position statique soutenue, des postes ou outils de travail inadaptés à la morphologie féminine ;
· des facteurs psychosociaux comme la pression temporelle, le manque d'autonomie, des exigences psychologiques et émotionnelles, des conditions d'emploi précaires et de faibles perspectives d'évolution professionnelle.
Le Docteur Agnès Aublet-Cuvelier, adjointe au directeur des études et de la recherche de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), auteure d'un article intitulé Les TMS ont-ils un sexe ?, a également mis en avant des spécificités liées à la double journée des femmes. D'une part, les femmes accomplissent une plus grande part des tâches domestiques et sont, dans ce cadre, exposées à des facteurs de risques biomécaniques et psychosociaux. D'autre part, elles bénéficient de temps de récupération moindres, alors même que ces temps de récupération sont précieux pour réparer les microlésions tissulaires qui font le lit des tendinopathies et des lésions péri-articulaires. Ces temps manquants entraîneront des retards de cicatrisation ou pourront générer des phénomènes pro-inflammatoires accentuant et déréglant les phénomènes de cicatrisation, contribuant également à la chronicisation de certaines lésions.
3. Une surexposition féminine aux risques psychosociaux
a) Des risques psychosociaux plus fréquents dans les secteurs féminisés et dans les parcours professionnels comme personnels des femmes
Six grandes familles de risques psychosociaux (RPS) sont distinguées par l'INRS et exposent particulièrement les femmes et secteurs à prédominance féminine.
Selon Anne-Marie Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC), « il existe, dans le travail des femmes, une maltraitance organisationnelle qu'il convient d'étudier plus en profondeur pour ne pas s'arrêter à des cas individuels et à la responsabilité individuelle du manager ».
Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs d'activité avec des relations humaines, qui les confrontent à des risques qui sont souvent minimisés, y compris par les femmes elles-mêmes. Tel est tout particulièrement le cas des professionnelles du secteur du care, mais aussi des caissières, des mannequins ou des hôtesses d'accueil.
La charge mentale des professionnelles indépendantes apparaît comme encore plus forte que celle des salariées, selon une étude menée par la sociologue Julie Landour, mentionnée lors de son audition par Élise N'Guyen, chargée de mission affaires économiques à l'Union nationale des professions libérales (UNAPL).
Enfin, des facteurs de risques professionnels et des facteurs de vie extra-professionnels se conjuguent, engendrant stress et charge mentale, d'autant plus dans des situations de monoparentalité. À double journée, double charge mentale.
b) Une prévalence élevée de souffrance psychique et d'épuisement nerveux
Le rapport de Santé publique France sur les maladies professionnelles, publié en avril 2023, met en évidence une prévalence deux à trois forte plus forte des signalements de souffrance psychique en lien avec le travail chez les femmes. Les pathologies les plus fréquemment signalées sont la dépression (près de 4 % des femmes contre 1,5 % des hommes), puis l'anxiété, le burn out, le syndrome post-traumatique et les troubles du sommeil.
La prévalence de la souffrance psychique a fortement augmenté entre 2007 et 2018, passant de 2,4 % à 6,2 % chez les femmes, contre respectivement 1,3 % et 2,7 % chez les hommes.
Évolution de la prévalence de la souffrance psychique
en lien avec le travail selon le sexe entre 2007 et 2018
Source : Santé publique France, avril 2023
Une enquête de l'Assurance maladie sur les affections psychiques liées au travail16(*) relève que 66 % des cas de pathologies psychiques en lien avec le travail enregistrées entre 2001 et 2016 par le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) concernent des femmes, avec un âge moyen de 44 ans. Elle identifie deux types d'événement déclencheurs, à parts égales : soit un événement brutal, comme une situation de violence, soit un événement révélateur de conditions de travail intrinsèquement difficiles.
c) Des conséquences sur leur santé physique
Les RPS, et l'usure mentale qu'ils entraînent, ont des conséquences majeures sur toute la santé des femmes, et en particulier dans le déclenchement et l'aggravation de troubles musculo-squelettiques.
Certains facteurs de RPS - en particulier le travail de nuit et le stress amenant à des troubles du sommeil et de l'alimentation - sont également à l'origine de perturbations hormonales, qui peuvent entraîner des troubles du cycle et de l'ovulation, et donc des problèmes d'infertilité, ainsi que des maladies cardio-vasculaires, de l'obésité et du diabète. Une étude, citée par Nathalie Massin, endocrinologue et responsable du Centre d'assistance médicale à la procréation au centre hospitalier intercommunal de Créteil, montre qu'en fécondation in vitro, les chances de conception sont diminuées de 5 % pour les femmes présentant des troubles du sommeil.
A également été évoqué devant la délégation le sujet de la fibromyalgie, qui correspond à une pathologisation de la charge mentale, qui touche principalement les métiers du care. Selon Caroline de Pauw, 2 à 4 % des adultes sont concernés, avec huit femmes pour un homme, le profil type des malades étant celui d'une femme travaillant dans le secteur social ou dans la relation d'aide, âgée d'une quarantaine d'années lors de l'apparition des symptômes.
4. Des violences sexuelles et sexistes largement répandues
a) Des violences sexuelles et sexistes sur le lieu de travail ou dans les relations de travail qui atteignent la santé physique et mentale des femmes
(1) Des violences au travail de mieux en mieux documentées
Au cours des trente dernières années, les enquêtes documentant les violences sexuelles et sexistes (VSS) se sont multipliées, comme l'a salué Pauline Delage, sociologue du genre, chargée de recherche au CNRS, rattachée au CRESPPA-CSU, lors de son audition. En particulier, l'enquête Virage réalisée par l'Ined en 2015 consacre un chapitre aux violences au travail. Pauline Delage note pour autant, au sein des enquêtes Sumer 2003, Conditions de travail 2013 et Conditions de travail - risques psychosociaux 2016, une certaine retenue à parler de violences et une exploitation insuffisante de la dimension possiblement sexuelle des actes subis au travail.
Comme l'a relevé devant la délégation Catherine Cavalin, sociologue de la santé, chargée de recherche CNRS à l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Université Paris Dauphine-PSL), le phénomène #MeToo a fait émerger de multiples dénonciations de violences sexistes et sexuelles commises dans les relations nouées au travail ou par le travail, dans de multiples contextes professionnels, présentant chacun leurs spécificités. Elle estime que le fait que des univers professionnels très différents se reconnaissent dans une même étiquette #MeToo alerte sur la transversalité du phénomène social de l'inégalité entre les sexes dans le travail.
(2) Des violences qui touchent davantage les femmes, tout particulièrement les plus vulnérables
Dans le cadre de l'enquête Conditions de travail de 2013, 35 % des actifs occupés signalent avoir subi au moins un comportement hostile dans le cadre de leur travail au cours des douze derniers mois. 22 % des femmes concernées par ces comportements les déclarent liés à leur sexe, contre 4 % des hommes. Au total, 8 % des femmes et 1 % des hommes déclarent avoir subi un comportement sexiste au travail. Les femmes sont particulièrement touchées dans les secteurs d'activité à prédominance masculine. Parmi les victimes de comportements hostiles, les femmes qui exercent des fonctions de supervision, qui travaillent dans l'industrie, sur des chantiers, en déplacement, ou qui sont exposées à de multiples nuisances physiques associent donc plus souvent ces comportements hostiles à leur sexe. De fait, lorsque l'emploi est typiquement féminin, seulement 6 % des femmes et 3 % des hommes se disent victimes de comportements hostiles à dimension sexiste. À l'inverse, lorsque l'emploi est plutôt masculin, 15 % des femmes et seulement 1 % des hommes se déclarent concernés par de tels comportements.
En 2015, le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a réalisé une enquête17(*) mettant en évidence une forte prévalence d'un sentiment de sexisme au travail : 80 % des femmes salariées considèrent que, dans le monde du travail, elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes.
Ce sexisme se manifeste notamment lorsqu'est abordé le sujet de la grossesse des femmes. Selon Aminata Niakaté, avocate au barreau de Paris, présidente de la commission Parité Égalité de l'UNAPL, une enquête du Conseil national des barreaux menée en 2022 a montré que 62 % des avocates sondées ont été victimes de harcèlement ou discrimination en lien avec la grossesse, laquelle représente 30 % de l'ensemble des discriminations.
L'enquête Violences et rapports de genre (Virage) réalisée en 2015 par l'Ined fait apparaître une grande prévalence des actes de violence sur le lieu d'exercice du travail et dans les relations de travail. Ces violences peuvent être commises par des supérieurs, des collègues, des usagers ou d'autres intervenants.
18 % des personnes interrogées - 20 % des femmes et 16 % des hommes - déclarent avoir subi au moins un fait de violence au moins une fois dans les douze derniers mois dans le cadre du travail.
Les violences qui sont de loin les plus fréquentes dans la sphère professionnelle sont de nature verbale et psychologique. Les actes physiques ou à caractère sexuel sont beaucoup moins fréquents.
des femmes ont subi au moins un fait de violence dans le cadre du travail au cours de l'année écoulée |
Proportion de femmes et d'hommes ayant déclaré des faits de violence au travail au cours des douze mois précédent l'enquête Virage
Source : Enquête Virage 2015
(3) Des violences qui ne peuvent être réduites à des situations ou conflits interpersonnels
10 % des femmes interrogées et 7 % des hommes déclarent avoir subi plusieurs faits de violence au cours de l'année écoulée.
20 % des victimes indiquent avoir subi un même type d'actes de la part de plusieurs agresseurs à plusieurs moments différents.
Par conséquent, les auteurs de l'enquête Virage estiment que les violences constituent « un véritable risque systémique dans la sphère professionnelle ».
Ce terme est également celui de Raphaëlle Manière, pilote de la cellule contre la violence sexiste et sexuelle de la CGT et membre du collectif Femmes Mixité de la CGT, pour qui les VSS au travail ne peuvent être réduites à une vision de conflit interpersonnel et revêtent un caractère systémique.
En outre, l'enquête Virage dresse un portrait des victimes : plutôt des femmes jeunes, célibataires ou en charge de famille monoparentale, en difficultés financières et de santé. Les contrats précaires mais également les fonctionnaires sont surreprésentés.
Se fondant sur ces éléments, la sociologue Catherine Cavalin déclarait devant la délégation que « les violences qui surviennent au travail ne découlent pas simplement de relations interpersonnelles, entre deux personnes prises isolément, mais engagent des rapports sociaux, des rapports de genre ». Elle ajoutait que « le travail est un espace où les violences sexistes se déploient, en particulier à l'encontre de celles qui se trouvent dans une position subordonnée, du fait de leur âge, de leur situation familiale ou d'une certaine précarité de leurs conditions de vie, de travail et d'emploi ». Elle estime dans le même temps, sur la base de l'enquête Conditions de travail 2013, que favoriser la mixité au travail contribue à limiter les comportements sexistes hostiles.
Dans le même esprit, Florence Chappert estimait que les entreprises gardent trop souvent comme grille de lecture l'idée selon laquelle les violences relèvent de comportements interpersonnels inappropriés, alors que les VSS sont aussi la conséquence de certains environnements de travail peu mixtes, d'une répartition sexuée des tâches, de certains fonctionnements collectifs et d'autres conditions de travail concernant davantage les femmes, comme des relations avec le public, des tenues sexuées ou des horaires atypiques le soir. Or, selon elle, les entreprises, si elles peuvent déployer des mesures de prévention tertiaire ou secondaire, mettent peu en place de mesures de prévention primaire visant à limiter les facteurs de risque au niveau des conditions de travail ou des situations inégalitaires entre les femmes et les hommes.
(4) Des conséquences sur la santé, le travail et la vie personnelle
Les conséquences des violences sexuelles et sexistes sont multiples :
- sur la santé, en particulier psychique, des victimes : culpabilité, anxiété, dépression, insomnies, migraines, stress, addictions, tentatives de suicide ;
- sur leur travail : perte de confiance dans leurs compétences, isolement, absentéisme, retard, déconcentration, désinsertion professionnelle ;
- sur leur vie personnelle : pertes financières en cas d'arrêt maladie de plus de trois mois signant la fin des indemnités journalières, difficultés avec l'entourage, rupture de vie sociale ;
- sur le collectif de travail : malaise des témoins, ambiance de travail dégradée, tensions, clivage entre les salariés ;
- sur les entreprises : risques de contentieux, atteinte à l'image, perte de talents, manque d'attractivité.
De façon significative, l'enquête Virage montre que les victimes de violence au travail présentent plus de maladies ou problèmes de santé chronique (30 % contre 17 % pour les non-victimes) et 42,5 % d'entre elles ont eu un arrêt maladie au cours des douze derniers mois, contre 22 % pour les non-victimes. Elles se sentent aussi plus « déprimées, tristes et cafardeuses » la plupart du temps (21 % contre 7 %) et sont plus nombreuses à prendre régulièrement des somnifères ou anxiolytiques (7 % contre 2,5 %). Les auteurs de l'étude notent ainsi l'existence d'un cercle vicieux. Ce phénomène est plus manifeste chez les femmes : 6 à 12 % des femmes victimes se déclarent en mauvais ou très mauvais état de santé - selon le type de violence déclaré, contre 1 à 5 % des hommes.
Pour la chercheuse Émilie Counil, les VSS ne sont pas seulement un facteur de mal-être au travail. Elles peuvent également empêcher la prise en compte des conditions de travail des femmes, leur prise de parole et la recherche de solutions. Cela rejoint des constats empiriques mis en avant par l'ergonome Karen Messing.
b) Des violences conjugales qui ont des répercussions sur la sphère professionnelle
Les violences conjugales, outre leurs conséquences dramatiques directes sur la santé physique et mentale des femmes, ont des répercussions sur leur activité professionnelle et leur trajectoire d'emploi.
Elles peuvent s'immiscer dans la vie professionnelle des victimes, en particulier si le conjoint ou ex-conjoint violent est un collègue, ou s'il se rend sur le lieu de travail.
En outre, les femmes victimes de violences sont davantage susceptibles de faire l'objet d'arrêts de travail répétés. Une étude18(*) a estimé le coût des arrêts de travail liés aux violences conjugales à environ 108 millions d'euros pour les femmes et 3,4 millions d'euros pour les hommes.
La question de la prise en compte des violences conjugales dans le cadre professionnel se pose depuis la ratification par la France en 2021 de la convention 190 de l'OIT relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, qui instaure une responsabilité de l'employeur vis-à-vis de ses employées victimes de violences conjugales. Cependant, le Gouvernement a annoncé que cette ratification se ferait à droit constant, ce qui est regrettable car insuffisant.
Certains pays, comme le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les Philippines, octroient cinq à dix jours de congé rémunérés aux femmes victimes de violences conjugales, leur permettant d'effectuer leurs démarches auprès du juge, de la police, de l'assistante sociale sans crainte de perdre leur emploi.
Raphaëlle Manière, pilote de la cellule contre la violence sexiste et sexuelle de la CGT et membre du collectif Femmes Mixité de la CGT, a estimé devant la délégation que les violences conjugales constituent aujourd'hui un angle mort des politiques d'égalité professionnelle et que des droits nouveaux sont à conquérir en France afin que le lieu de travail devienne un lieu de ressources pour les femmes victimes.
* 12 Dares, Conditions de travail et mixité : quelles différences entre professions, et entre femmes et hommes ?, janvier 2023.
* 13 Anact, Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe entre 2001 et 2019, juin 2022.
* 14 Taux de fréquence des maladies professionnelles = nombre de maladies sur le nombre d'heures travaillées x 1 000 000.
* 15 Indice de gravité des maladies professionnelles = somme des taux d'incapacité permanente partielle sur la somme des heures de travail x 1 000 000.
* 16 Assurance Maladie, Les affections psychiques liées au travail : éclairage sur la prise en charge actuelle par l'Assurance Maladie - Risques professionnels, Rapport Santé travail : enjeux & actions, janvier 2018.
* 17 Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, Le Sexisme dans le monde du travail entre déni et réalité, mars 2015.
* 18 Catherine Cavalin, Maïté Albagly, Claude Mugnier, Marc Nectoux, avec la collaboration de Claire Bauduin, 2016, « Le coût des violences au sein du couple et de leur incidence sur les enfants en France en 2012 : synthèse de la troisième étude française de chiffrage (2014) », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, numéro spécial « Violences dans le couple », 19 juillet, p. 390-398. https:invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/22-23/2016_22-23_2.html