EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mardi 27 juin 2023, sous la présidence de Mme Annick Billon, présidente, la délégation a examiné le présent rapport d'information.

Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un rapport consacré à la santé des femmes au travail.

Nos quatre collègues co-rapporteures, Laurence Cohen, Annick Jacquemet, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol ont travaillé pendant plus de six mois sur ce sujet.

Notre travail portait initialement sur la santé des femmes de façon générale mais nous avons rapidement décidé de nous concentrer sur la santé des femmes au travail. Ce vaste sujet recouvre des problématiques très variées, bien au-delà de la seule santé sexuelle et reproductive qui a fait, ces derniers mois, l'objet d'une forte exposition médiatique avec les multiples propositions de mise en place d'un « congé menstruel ».

Avec plus de trente heures d'auditions, nous avons entendu une soixantaine de personnes sur ce sujet - chercheurs et chercheuses, experts et expertes, professionnelles de santé, représentants de l'administration, etc. -, sans compter celles et ceux que nous avons rencontrées au cours de nos déplacements.

Nous nous sommes en effet rendues en Bretagne, région pionnière en matière de prise en compte de la santé des femmes au travail et qui a élaboré un plan régional de santé au travail particulièrement ambitieux de ce point de vue. Nous sommes également allées à la rencontre de salariées du groupe Carrefour et avons visité l'hypermarché de la Porte d'Auteuil afin de prendre connaissance des mesures mises en place par l'entreprise dans le cadre de son initiative Santé au féminin.

Chers collègues, vous avez sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse. Vous avez reçu ce document dès hier ainsi que la liste des recommandations.

Je laisse sans plus tarder la parole aux rapporteures, à commencer par notre collègue Annick Jacquemet.

Annick Jacquemet, co-rapporteure. - La première partie de notre rapport est consacrée au défaut d'approche genrée en matière de santé au travail, qui nous a marquées tout au long de nos travaux.

Nous faisons un double constat.

Premièrement, s'agissant des données sexuées, si les statistiques sexuées sont de plus en plus nombreuses, elles demeurent encore incomplètes. À titre d'exemple, la Direction générale du travail n'a pas été en mesure de nous fournir des données par sexe sur la répartition des arrêts maladie ou bien sur le suivi effectué par les services de prévention et de santé au travail.

En outre, en dehors du champ des sciences sociales, il y a encore très peu de recherches portant sur les risques professionnels et la santé dans les secteurs d'activité à prédominance féminine. Avant les travaux actuels du Giscop 84 (le Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle du Vaucluse), dont nous avons auditionné des représentants, il n'y avait jamais eu aucune recherche épidémiologique et toxicologique sur les agents cancérogènes auxquels sont exposées les travailleuses du secteur du nettoyage - des emplois occupés à 80 % par des femmes.

Surtout, même lorsqu'elles existent, les données sexuées sont insuffisamment exploitées. L'Assurance maladie dispose bien de statistiques par sexe sur les accidents de travail et les maladies professionnelles mais elle n'en fait aucune communication et ne montre aucun intérêt pour des analyses sexuées et croisées.

Pourtant, les enseignements de telles analyses seraient précieux. L'Observatoire régional de la santé de Bretagne s'est livré à des analyses de ce type, en croisant les données par sexe, par âge et par secteur, qui ont permis de mettre en évidence les contraintes spécifiques auxquelles les femmes sont majoritairement exposées du fait des métiers qu'elles exercent.

Sans connaître - et sans objectiver par des statistiques - les risques spécifiques auxquels les femmes sont davantage exposées que les hommes, il est évidemment impossible de concevoir et mettre en oeuvre des politiques publiques de santé au travail adaptées.

Deuxièmement, nous constatons un souhait, de la part des employeurs, mais aussi historiquement de la part des pouvoirs publics et de l'ensemble des acteurs de la prévention, de s'intéresser aux travailleurs de façon indifférenciée et donc « aveugle au genre ». Or nous avons remarqué que cette supposée neutralité et absence de discrimination conduit en réalité à se focaliser sur « l'homme moyen », le travailleur masculin.

Ainsi, les postes de travail et les équipements - y compris les équipements de protection individuels (EPI) - sont basés sur les références anthropométriques d'un « homme moyen ». Et ce même dans des secteurs à prédominance féminine. Je pense par exemple aux gants de protection utilisés par les soignantes ou femmes de ménage, qui sont souvent trop grands et laissent passer les produits utilisés.

De même, les politiques publiques de prévention et de réparation des risques professionnels ont d'abord été pensées pour des travailleurs masculins et pour les risques professionnels liés aux métiers masculins, à savoir principalement le port de charges lourdes et le bruit. Signe de l'absence de prise en compte des risques pourtant réels associés aux secteurs d'activité à prédominance féminine : seules 23 % des personnes bénéficiant du compte professionnel de prévention (le C2P) sont des femmes.

Les employeurs et même parfois les acteurs de la prévention expliquent leurs réticences à adopter une approche genrée par la crainte de discriminer les femmes. Ceci explique l'absence quasi totale de mise en oeuvre de l'évaluation sexuée des risques professionnels pourtant prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Enfin, dernier point que nous avons souhaité aborder dans cette partie : celui du maintien et du retour à l'emploi après un cancer. En effet, cette question n'est jamais prise en compte sous le prisme du genre. Et pourtant elle se pose davantage pour les femmes puisqu'elles sont en moyenne atteintes par des cancers à un âge plus précoce, lorsqu'elles sont encore en activité professionnelle.

Je laisse la parole à notre collègue rapporteure Marie-Pierre Richer concernant notre chapitre dédié à la sous-estimation et la méconnaissance des risques professionnels féminins.

Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Dans la deuxième partie de notre rapport, nous dressons un panorama des risques professionnels auxquels les femmes sont majoritairement et spécifiquement exposées.

Ces risques sont encore bien trop souvent invisibilisés. C'est pourquoi nous avons souhaité rendre visible « l'invisible qui fait mal » pour reprendre une expression de l'ergonome québécoise Karen Messing, dont les travaux ont été régulièrement mentionnés par les personnes que nous avons auditionnées.

En effet, les hommes sont davantage exposés à des dangers visibles et engageant le pronostic vital, tels que des accidents mortels ou le contact avec l'amiante.

À l'inverse, les femmes sont majoritairement exposées à des risques invisibles et silencieux, liés à une usure physique et psychique. C'est particulièrement le cas des troubles musculo-squelettiques (les TMS), des risques psychosociaux, de certains cancers professionnels mais aussi des violences sexistes et sexuelles au travail.

Trois chiffres me semblent particulièrement marquants :

- 60 % des personnes atteintes de TMS sont des femmes ;

- les signalements de souffrance psychique au travail sont trois fois plus nombreux chez les femmes ;

- 20 % des femmes ont subi au moins un fait de violence dans le cadre du travail au cours de l'année écoulée.

Les différences d'exposition aux risques entre femmes et hommes s'expliquent par la persistance d'une ségrégation professionnelle, qui est double :

- existe d'une part une ségrégation horizontale par secteur. Un métier est considéré comme mixte lorsque la proportion de femmes (ou d'hommes) est comprise entre 35 % et 65 %. Ce n'est le cas que de 20 % des métiers en France aujourd'hui ;

- en outre, au sein de mêmes métiers, les tâches sont sexuées : les femmes sont davantage affectées à des tâches dites plus fines mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes professionnelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes et avoir un effet délétère sur leur santé physique et psychique.

Nous avons souhaité effectuer un focus sur quatre secteurs à prédominance féminine qui sont particulièrement emblématiques des risques spécifiques auxquels les femmes sont exposées.

Premièrement, le secteur du care, qui est composé à 80 % de femmes. Ce sont majoritairement des infirmières, des aides-soignantes et des aides à domicile. Ces femmes sont soumises à un port répétitif de charges dépassant la norme autorisée de 25 kg, qui les rend particulièrement vulnérables aux TMS. Elles sont en outre soumises à des horaires atypiques et à du travail de nuit. Or les effets du travail de nuit sur la santé des femmes sont majeurs et pourtant encore largement ignorés. Ainsi une étude de l'Inserm montre que le risque de cancer du sein augmente de 26 % en cas de travail de nuit. Qui le sait ? Qui en parle ? Même si on commence à en parler.

Le deuxième secteur auquel nous nous sommes intéressées est celui du nettoyage, également composé à 80 % de femmes. Ces femmes sont bien sûr exposées à une pénibilité physique importante. Mais ce que l'on sait moins c'est qu'elles sont en moyenne exposées à sept agents cancérogènes présents au sein de produits d'entretien courants ! La mention d'un produit cancérogène n'est obligatoire sur l'étiquette d'un produit que s'il est présent à plus de 5 %. Mais ce seuil ne repose sur aucune donnée scientifique. Un cancérogène est une substance toxique par nature, sans aucun seuil de toxicité minimal. Là encore, qui le sait ? Qui en parle ?

Notre troisième focus est consacré aux métiers dits de représentation, à savoir les mannequins et hôtesses d'accueil. Ce focus nous a permis de nous intéresser plus spécifiquement aux risques psychosociaux, à la souffrance psychique et aux troubles de l'alimentation.

Dernier focus : le secteur de la grande distribution. Caissières et employées de libre-service sont particulièrement concernées par les TMS. Cependant, ce secteur connaît des évolutions positives : une étude de Santé publique France montre que le développement d'actions de prévention dans ce secteur - conjugué à la mise en place de caisses automatiques - a conduit à une baisse de la prévalence des TMS au cours des dernières années. Cela montre bien que des actions sont possibles et que l'adoption de mesures de prévention adaptées est suivie d'effet.

Je laisse sans plus tarder la parole à notre collègue rapporteure Laurence Cohen pour la présentation de notre troisième partie, consacrée aux politiques de santé au travail et à nos recommandations pour améliorer et développer la prévention.

Laurence Cohen, co-rapporteure. - Nous l'avons vu, en matière de santé au travail, si l'on veut réellement prendre en compte la situation des femmes, il est dans un premier temps nécessaire de récolter et exploiter des statistiques sexuées et de s'en servir pour construire des politiques de prévention basées sur le genre.

Parce qu'adopter une approche différenciée des risques professionnels pour tenir compte de la spécificité des conditions de travail des femmes ne revient pas à les discriminer, nous recommandons de chausser systématiquement les « lunettes du genre » en matière de santé au travail.

De ce point de vue, le 4e plan de santé au travail (PST4), défini pour la période 2021-2025, n'est pas à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement en la matière. Au sein des quatre axes stratégiques, dix objectifs et 34 actions que contient ce plan national, une seule de ces actions est spécifiquement dédiée à l'égalité femmes-hommes.

Nous recommandons donc, dans la perspective de l'élaboration du prochain PST pour la période 2026-2030, de faire de l'approche genrée de la santé au travail et de la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes un des axes stratégiques majeurs du plan national.

Nous avons par ailleurs constaté que certaines directions régionales ont décliné ce plan de manière plus ambitieuse. C'est le cas notamment en Bretagne où nous nous sommes rendues début juin.

De l'impulsion donnée par les politiques publiques dépend bien sûr la façon dont l'évaluation genrée des risques professionnels est mise en oeuvre par les employeurs.

Si la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a introduit le principe d'une évaluation des risques professionnels en tenant compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe, elle n'est aujourd'hui pas suffisamment appliquée.

En effet, sa mise en oeuvre par les entreprises fait souvent défaut et rencontre de réelles difficultés.

Le Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), prévu par la loi de 2014 dans le code du travail, n'a pas été pleinement exploité par les entreprises comme un outil à part entière d'approche genrée de l'évaluation des risques professionnels. Alors qu'il s'agit d'une obligation légale, de nombreuses entreprises n'ont pas élaboré de DUERP (moins de la moitié des entreprises de moins de 150 salariés en disposent) et, même lorsque ce document existe au sein de l'entreprise, il fait rarement l'objet d'une approche différenciée selon le sexe. De même les fiches d'entreprise établies par la médecine du travail, qui permettent de consigner tous les risques professionnels de l'entreprise et les effectifs qui y sont exposés, ne font l'objet d'aucune obligation légale d'approche sexuée, ce que nous regrettons fortement.

Au-delà des employeurs, ce sont tous les professionnels intervenant dans le champ de la santé au travail qui doivent être formés à ses enjeux féminins : professionnels de santé, médecins et inspecteurs du travail, préventeurs, DRH...

Penser la santé au travail au féminin c'est aussi développer et adapter la prévention des risques et maladies professionnels en tenant compte des conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs professionnels où elles sont le plus nombreuses. Les conditions de travail ont des répercussions sur la santé des femmes. Or ces conditions de travail se sont durcies au cours des dernières années.

Dès lors nous recommandons :

- d'adopter une approche intégrée et globale de la santé des femmes en élaborant une stratégie nationale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et en affirmant le rôle pivot de la médecine du travail, dont les moyens doivent être renforcés, tout comme ceux de l'inspection du travail - médecine et inspection du travail étant particulièrement sinistrées ;

- de développer les mesures de prévention primaire et secondaire en direction des femmes notamment dans les secteurs à prédominance féminine. Nous estimons par ailleurs que ces mesures profiteront tout autant aux femmes qu'aux hommes. L'organisation de la prévention des risques professionnels dans les secteurs professionnels féminisés n'est pas à la hauteur des actions engagées dans des secteurs d'activité plutôt masculins perçus comme plus pénibles. Dans les secteurs du nettoyage, du care, de la grande distribution ou dans les métiers de représentation que nous avons plus particulièrement étudiés, nous recommandons d'adapter les mesures de prévention aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail particulières des femmes (recours aux produits de substitution pour éviter les risques chimiques, généralisation de maisons des soignants, réduction de l'impact des TMS, adaptation des EPI, etc.) ;

- enfin un volet de nos politiques publiques doit être dédié à l'amélioration de la reconnaissance des maladies professionnelles et de la pénibilité.

Je vais désormais laisser la parole à notre collègue rapporteure Laurence Rossignol sur notre quatrième et dernière partie consacrée à la prise en compte de la santé sexuelle et reproductive au travail.

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Dans le champ de la santé sexuelle et reproductive, hormis la prise en considération ancienne de la grossesse au travail et celle, plus récente, des parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) par le droit du travail, il a fallu attendre le début des années 2020, ce qui est très récent, pour que les pathologies entrant dans le champ de la santé sexuelle et reproductive émergent réellement dans le débat public, qu'il leur soit donné de la visibilité et que le lien soit établi avec la santé au travail.

Notre rapport traite de quatre items distincts en la matière, assortis de recommandations.

Premièrement, la prise en charge de l'endométriose et des pathologies menstruelles incapacitantes au travail qui nous a menées à un débat interne sur la notion plus large, et aujourd'hui très médiatisée, de « congé menstruel ».

L'endométriose est une pathologie qui touche 10 % de la population féminine en âge de procréer, soit entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France. Elle est la première cause d'infertilité féminine et ses conséquences sur la vie quotidienne des femmes et sur leur vie professionnelle par voie de conséquence sont lourdes en raison des douleurs incapacitantes qu'elle provoque : arrêts de travail fréquents, diminution de la capacité de travail, baisse de la productivité au travail (de plus de 60 % chez les femmes âgées de 30 à 40 ans), etc.

L'endométriose, en raison de ses conséquences financières et professionnelles sur les femmes qui en souffrent, peut être considérée aujourd'hui comme une source importante d'inégalité professionnelle.

Pourtant, malgré un début de reconnaissance par certains employeurs, cette pathologie demeure un angle mort persistant de la santé des femmes au travail. Ainsi, la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose lancée en 2022 ne comporte qu'un volet « travail » très restreint.

Nous formulons dans notre rapport plusieurs recommandations de nature à mieux prendre en charge les pathologies menstruelles invalidantes au travail, dont, en premier lieu, l'endométriose, qui devrait, selon nous, être ajoutée à la liste des affections de longue durée exonérantes (ALD30).

Plus largement, s'agissant de l'opportunité d'instaurer un « congé menstruel » au sens large en cas de règles douloureuses, sur le modèle espagnol par exemple, nous ne sommes pas parvenues à un consensus. La majorité de mes collègues y est opposée estimant que seule une pathologie menstruelle reconnue comme invalidante doit ouvrir droit à une absence autorisée.

Je ne partage pas ce point de vue. Pour ma part, j'estime que la mise en place d'un tel congé constituerait une avancée sociale pour toutes les femmes qui travaillent, et répondrait à un enjeu global de visibilisation et d'égalité professionnelle. Par ailleurs, dans les systèmes actuellement envisagés, les femmes seraient destinataires d'une attestation médicale d'endométriose, d'ovaires polykystiques ou d'une autre pathologie de ce type. Ces femmes auraient un droit à arrêt de travail ouvert mensuellement, pour un ou deux ans maximum, à renouveler. Il ne s'agit pas d'un droit pour toutes les femmes à prendre tous les mois trois jours d'arrêt de travail.

J'entends et je comprends les craintes relatives à l'éventuelle discrimination à l'embauche et les craintes de stigmatisation que pourrait engendrer l'existence de ce congé menstruel. Ces craintes sont légitimes. Je pense, pour ma part, que depuis qu'elles sont entrées massivement dans le monde du travail, les femmes ont « serré les dents » et essayé de neutraliser le plus possible le fait d'être une femme, d'avoir des règles, des fausses couches, des grossesses. Elles se sont insérées dans un modèle d'organisation du travail fait pour les hommes. Cela n'a pas empêché les discriminations ni les interruptions ou freins de carrière pour les femmes ayant eu des enfants. Par ailleurs, nous avons aujourd'hui une génération de jeunes femmes qui entrent sur le marché du travail et qui ont décidé de cesser de cacher le fait qu'elles sont des femmes, qu'elles ont des règles et que celles-ci peuvent être douloureuses. Elles ont décidé de partager ce constat et de le faire admettre par la collectivité. Je pense qu'elles ont raison. Ce sont aujourd'hui les premières concernées par ces sujets. L'argument de la discrimination est donc une préoccupation légitime mais, pour autant, il ne me paraît pas devoir nous limiter.

Deuxième item traité dans ce chapitre, la grossesse qui, nous l'avons constaté au cours de nos travaux, fait l'objet d'une stigmatisation persistante au travail malgré les multiples protections légales et conventionnelles dont elle bénéficie.

Sans chercher à pathologiser la grossesse, il est nécessaire de tenir compte des bouleversements physiologiques et hormonaux qu'elle induit et de leurs conséquences sur l'activité professionnelle des femmes enceintes.

En outre, la fréquence des discriminations déclarées en lien avec la grossesse ou la maternité est encore très importante, ainsi que l'a relevé, à plusieurs reprises ces dernières années, le Défenseur des droits. La grossesse exacerbe donc les inégalités préexistantes en matière d'emploi et de santé.

Nous estimons nécessaire d'assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

Troisième sujet, le parcours de l'assistance médicale à la procréation (AMP), toujours semé d'embûches pour les femmes qui travaillent. Les absences nombreuses que ce parcours implique ont de fortes répercussions sur la vie professionnelle des femmes qui s'y engagent. C'est pourquoi nous proposons une adaptation du régime d'absences autorisées par la loi notamment pour une meilleure inclusion du conjoint ou de la conjointe ainsi qu'une incitation des professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qu'ils suivent.

Enfin, quatrième et dernier item, la ménopause que nous n'hésitons pas à qualifier de « dernier des tabous féminins ».

500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, et 14 millions de femmes sont concernées au total en France, dont 100 % des femmes de 55 ans ou plus.

Malgré ces statistiques, la ménopause reste un sujet largement absent des politiques de santé publique, et notamment des politiques de santé au travail, quand bien même la majorité des femmes souffrant de symptômes ménopausiques ou péri-ménopausiques exercent une activité professionnelle.

Aujourd'hui, seules 6 % des femmes bénéficient d'un traitement hormonal de substitution alors que la symptomatologie majeure touche de façon grave 25 % des femmes en péri et post-ménopause immédiate.

Nous considérons donc que la ménopause constitue un enjeu de santé et de bien-être pour les femmes, ainsi qu'un enjeu d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C'est pourquoi, nous proposons de :

- mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence. Un employeur doit savoir que, quand il embauche une femme, elle aura des règles, des grossesses, des fausses couches et une ménopause. Il est nécessaire de lever le tabou et le silence qui règnent sur cette réalité de la vie des femmes ;

- actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause.

Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.

Annick Billon, présidente. - Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses vingt-trois recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires hier.

Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Je souhaiterais reprendre la parole pour m'exprimer « hors rapport » sur mes positions personnelles. Je voudrais vous faire part d'un certain nombre d'hésitations que j'ai eues en conclusion de ce rapport, sur notre analyse globale des conditions de travail des femmes et, en particulier, s'agissant de la cohérence avec mes positions exprimées au cours des six derniers mois concernant l'impact sur la santé des femmes de la réforme des retraites et de l'allongement de la durée de travail de deux ans.

Allonger de deux ans la durée de vie professionnelle de femmes, en particulier de celles exposées aux TMS, dans les professions de santé, aura forcément des répercussions sur leur santé. De mon point de vue, il n'est pas possible de faire comme si l'environnement social des conditions de travail des femmes, et sa dégradation, n'avaient pas d'impact sur leur santé. J'ai proposé à mes collègues d'ajouter dans le rapport une phrase que je vous lis : « on ne peut cependant extraire l'étude de la santé des femmes au travail de l'analyse globale des conditions de travail et des institutions qui en sont chargées. L'impact de la dégradation des conditions de travail, de l'obsession de la baisse de son coût et de la disparition des CHSCT dans la fusion des instances des représentants du personnel (IRP) inclut et concerne aussi les femmes. Dans ce contexte, la réforme des retraites et l'allongement de la durée d'activité, sont à inscrire parmi les facteurs négatifs, déterminant l'état de santé des femmes en activité professionnelle ». Cette formule n'a pas été consensuelle et pour moi c'est un problème car cela relève d'une question de cohérence.

Annick Billon, présidente. - Merci pour l'expression de cette prise de position. Le débat autour de la réforme des retraites nous a effectivement beaucoup occupés. Le projet de loi a été adopté sans disposer de réelle étude d'impact. Mais nous ne sommes pas là pour « rejouer le match » des retraites. Ayant assisté à toutes les auditions de la délégation pour ce rapport sur la santé des femmes au travail, je note que le sujet des retraites n'a quasiment jamais été abordé. Seul un syndicat avait évoqué les conséquences de la réforme des retraites. Or le rapport que nous produisons est en lien avec les auditions menées. La réforme des retraites n'a pas constitué le coeur de nos travaux.

Trois des quatre rapporteures se sont mis d'accord sur une formule consensuelle proposée par Laurence Cohen qui est la suivante : « le rapport interroge le rôle assigné aux femmes dans l'emploi ainsi que l'impact de leurs conditions de travail sur leur santé ».

Laurence Cohen, co-rapporteure. - Notre rapport aurait pu apparaître en apesanteur dans le contexte de tensions exprimées au moment de l'examen de la réforme des retraites. De façon générale, il est important d'évoquer le durcissement des conditions de travail, et pas seulement l'allongement de deux ans de la durée du travail, notamment pour les métiers à forte prédominance féminine que nous avons pointés. Ce durcissement est le fruit de différentes lois votées au cours des dernières années. C'est pourquoi j'ai tenu à trouver une formule consensuelle qui puisse nous rassembler et qui mentionne la difficulté des conditions de travail qui a des répercussions sur la santé des femmes. Je partage les remarques de Laurence Rossignol mais, dans le but de pouvoir faire adopter ce rapport, j'ai proposé d'y ajouter cette mention plus consensuelle.

Il y a aujourd'hui une grosse souffrance des soignantes et des soignants, qui est aussi la conséquence de lois adoptées ces dernières années, qui réduisent les moyens attribués au domaine de la santé. On « replâtre » les conséquences de choix politiques qui ne relèvent pas nécessairement de la délégation aux droits des femmes.

Annick Jacquemet, co-rapporteure. - Le rapport doit refléter le compte rendu des auditions menées depuis six mois. Or le sujet des retraites n'a pas été abordé. Je remercie Laurence Cohen pour sa formulation de consensus.

Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Je n'étais pas favorable à la mention du débat sur les retraites dans le rapport, qui ne doit pas servir à relancer le débat sur une réforme adoptée mais doit refléter de manière fidèle les auditions organisées. Le but de ce rapport est non seulement de poser un diagnostic mais aussi d'émettre des propositions pour permettre à toutes les femmes de travailler dans de meilleures conditions. Notre rapport doit également refléter l'ensemble de la délégation aux droits des femmes.

Marie-Pierre Monier. - Le sujet des retraites était le sujet du moment lorsque les travaux de la délégation étaient en cours. Moi aussi j'ai porté la conviction selon laquelle travailler deux ans de plus serait particulièrement difficile pour les femmes.

Avoir engagé ce rapport sur la santé des femmes au travail était une bonne idée. Toutes les auditions étaient très intéressantes. C'est un sujet d'ampleur, qui a été souvent négligé. Il y a eu beaucoup d'invisibilisation des problématiques propres à la santé des femmes et notamment dans la vie professionnelle.

Je sais que vous n'avez pas trouvé un consensus sur tous les sujets. J'aurais aimé que le congé menstruel figure par les recommandations mais je pense que mettre ce sujet sur la table est intéressant.

Développer une approche genrée de la santé et les statistiques sexuées est essentiel car tant qu'on ne chiffre pas on ne sait pas. Cela permet de rendre visible ce qui est invisible.

L'audition avec les organisations patronales avait mis en lumière l'ampleur du chemin restant à parcourir.

La prévention est bien sûr est une politique publique indispensable à développer. Elle passe par une médecine du travail à la hauteur des enjeux. Or celle-ci est aujourd'hui considérablement fragilisée notamment en raison de la pénurie de médecins du travail.

Le développement de maisons de soignants sur l'ensemble du territoire me paraît également être une recommandation à mettre en avant, d'autant plus au regard des inégalités territoriales d'accès aux soins que nous connaissons bien.

J'appuie aussi la demande de renforcement de moyens humains pour la médecine et l'inspection du travail.

J'avais été frappée, au fil des auditions, par l'augmentation des cancers du sein et des ovaires en raison de différents facteurs professionnels. De même que la proportion de femmes parmi les personnes atteintes de TMS : 60 %.

La question des critères de pénibilité trop longtemps négligée, notamment dans les secteurs à prédominance féminine, est également essentielle.

Je salue, à cet égard, l'attention portée par les rapporteures aux métiers où les femmes sont surreprésentées et qui sont essentiels au bon fonctionnement de notre société. Ils sont exercés souvent dans des conditions très précaires, le peu d'attention qui leur est portée est aussi lié au poids prépondérant que les femmes y occupent. Il ressort ainsi de ce rapport un cumul entre les inégalités sociales, les inégalités de genre et les inégalités domestiques et professionnelles.

Je me félicite que le rapport préconise d'ajouter l'endométriose à la liste des ALD. J'aurais toutefois aimé que le congé menstruel figure parmi les recommandations du rapport.

Ce rapport met aussi en lumière les problématiques que les femmes rencontrent dans leur carrière professionnelle lorsqu'elles sont enceintes. Il serait bon que les employeurs respectent les obligations qui sont les leurs. Je trouve inacceptable et inquiétant le fait que les femmes enceintes ou mères d'un enfant en bas âge subissent deux fois plus discriminations au travail. Un autre chiffre inquiétant : 20 % des femmes occupant un emploi ouvrier ou de service perdent ou quittent leur emploi en cours de grossesse. Dans ce domaine, il pourrait être pertinent de renforcer les sanctions en cas de non-application des dispositions prévues par la loi.

J'en termine avec le sujet de la prise en compte de la ménopause qui reste un tabou féminin alors que 100 % des femmes de plus de 55 ans sont ménopausées. Le milieu professionnel doit prendre conscience de ce sujet qui est intimement lié à celui de la reconnaissance des femmes dites seniors, qui sont aujourd'hui doublement discriminées dans l'accès à l'emploi.

Dominique Vérien. - Merci aux rapporteures pour ce travail tout à fait nécessaire. La situation de l'embauche des femmes s'améliore et se régule, y compris dans des secteurs peu féminins. Pour autant, les conditions de travail ne s'adaptent pas forcément. Pourtant, comme vous l'avez souligné, lorsque des conditions de travail s'améliorent pour les femmes, les hommes savent aussi en profiter. Ainsi, chez les médecins libéraux où les femmes sont désormais majoritaires, les femmes mais aussi les hommes ont diminué leur temps de travail.

Se dire que la grossesse est toujours un problème en entreprise est problématique, d'autant que l'absence d'une femme enceinte est prévisible.

On se rend compte qu'on discrimine en ne voulant pas « genrer » l'approche de la santé et les études de santé. Il est important d'avoir une approche genrée au cours des études de médecine, certaines maladies étant plus spécifiquement féminines ou ayant des symptômes spécifiques chez les femmes.

Il est important de développer des analyses genrées pour adapter les conditions de travail.

Laure Darcos. - Je m'associe aux félicitations adressées aux rapporteures. Il est important de montrer la spécificité de la santé des femmes. J'aurais aimé qu'avant le projet de loi sur les retraites nous ayons un projet de loi sur le travail, qui aurait permis de parler des conditions de travail, de la pénibilité et des carrières hachées des femmes.

Je souhaite que vos recommandations deviennent le vademecum des DRH de toutes les entreprises et fournissent des armes aux femmes qui souhaitent aller devant les prud'hommes. Je souhaite que ce rapport puisse également alimenter les discussions entre organisations patronales, syndicats et salariés et mette un « coup de projecteur » sur un sujet aussi important.

Marc Laménie. - Je félicite également nos quatre rapporteures pour ce travail de l'ombre. Vous avez mis en évidence les métiers que l'on a trop tendance à banaliser et qui peuvent pourtant être dangereux. Vous avez notamment mis en avant le risque « amiante » dans les écoles et hôpitaux pour les professions du nettoyage. Il faut que vos recommandations soient suivies de traductions législatives.

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Avant qu'on ne passe au vote sur ce rapport, je souhaite à nouveau m'exprimer pour dire que je conçois parfaitement que mes collègues qui ont voté la réforme des retraites aient le même souci de cohérence que moi. En l'occurrence, j'ai voté contre la réforme des retraites en particulier pour ce qu'elle inflige aux femmes et je n'arrive pas à dissocier le sujet de la santé des femmes au travail de celui des conditions de travail dans lesquelles leur santé s'épanouit ou au contraire se dégrade. Or la durée du travail fait partie des conditions de travail.

Je considère que je fais deux concessions dans ce rapport : la question de l'environnement global de travail, avec la question de la réforme des retraites ; et celle du congé menstruel. Nous n'avons pas abordé le sujet de la réforme des retraites au cours des auditions, mais nous aurions pu le faire. Notre rapport d'information doit permettre de transformer en recommandations les informations qui nous ont été données.

Comme la délégation aux droits des femmes travaille dans le consensus, je vais voter le rapport et j'invite tous mes collègues à le voter.

Annick Billon, présidente. - Merci Madame la rapporteure.

S'agissant du titre, les rapporteures vous proposent : « Santé des femmes au travail : des maux invisibles ». Cette proposition vous convient-elle ?

Jean-Pierre Corbisez. - Le titre me convient. Il évoque des maux physiques invisibles. Avez-vous également abordé les maux psychiques et notamment la question du harcèlement au travail ?

Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Nous avons pris un spectre complet et traité également le sujet des risques psychosociaux.

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous avons aussi travaillé sur le harcèlement au travail.

Annick Billon, présidente. - Êtes-vous favorables à l'adoption des recommandations et à la publication du rapport ?

[Adoption des recommandations].

Le rapport et ses conclusions sont donc adoptés.

Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.

Merci à tous !

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