C. LE PARCOURS, TOUJOURS SEMÉ D'EMBÛCHES, DE L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP) POUR LES FEMMES QUI TRAVAILLENT
Source : Ined
Comme le rappelait devant la délégation, lors de la table ronde du 2 mars 2023 sur la santé sexuelle et reproductive des femmes au travail, le Dr Nathalie Massin, endocrinologue et responsable du centre d'assistance médicale à la procréation (AMP) au centre hospitalier intercommunal de Créteil, « l'infertilité concerne 15 % des couples en âge de procréer, en vie active et professionnelle. Cette proportion ne cesse de progresser, en lien avec le recul de l'âge de la maternité (...). Bien que la moitié des causes de l'infertilité soit liée à une origine masculine, le poids du traitement d'AMP repose toujours sur les femmes ». D'après une étude de l'Ined publiée en 2018, en France on estime à 1 sur 30 le nombre d'enfants conçus dans le cadre d'une AMP.
1. Les contraintes liées aux traitements et au parcours d'AMP pour les femmes qui travaillent
a) Une durée moyenne du parcours en France de 7,7 ans
Pour mémoire, en France, d'après les résultats d'une étude52(*) réalisée à l'échelle internationale en 2019, la durée moyenne du parcours d'AMP s'étale sur 7,7 ans et est divisée en trois étapes :
- 3,5 ans passés en essais de conception naturelle avant le diagnostic d'infertilité. Ces échecs ne sont pas sans impact sur la santé de la femme ;
- 2 ans d'exploration et d'analyse avant le début d'un traitement AMP ;
- 2,2 ans de durée de traitement avant d'obtenir une conception, et donc avant le temps de la maternité.
Source : Étude 1 000 dreams
Les trois principaux freins identifiés par l'étude précitée à la réalisation d'un parcours d'AMP sont le coût, le temps investi et la charge émotionnelle. Même en France, où la prise en charge des frais médicaux engagés est totale, la notion de coût peut être présente car il ne s'agit pas uniquement du coût financier direct.
b) Des absences nombreuses qui ont des répercussions sur la vie professionnelle des femmes en parcours d'AMP
S'agissant des effets directs du parcours d'AMP sur la vie professionnelle, il faut noter les nécessaires et nombreuses absences générées par ce parcours. Il convient, en effet, d'additionner les rendez-vous indispensables pour réaliser le bilan de l'infertilité - une dizaine de rendez-vous au total - et ceux essentiels au traitement d'AMP.
Ainsi que le rappelait Nathalie Massin devant la délégation, « les premiers [rendez-vous] dépendent des dates du cycle et laissent donc peu de contrôle dans l'organisation de la vie personnelle et professionnelle. Ils sont souvent peu prévisibles. (...) D'autre part, ils se déroulent souvent dans des lieux différents et sont parfois difficiles d'accès, notamment en zone rurale. 12 % des femmes mettent plus de deux heures pour accéder à leur centre d'AMP. Au total, 30 % des femmes travaillent ou vivent à plus d'une heure de celui-ci ».
En outre, pour chaque nouvelle tentative de traitement, de nouveaux rendez-vous doivent être pris :
- pour une insémination intra-utérine, première ligne de traitement en AMP, en cas d'infertilité peu sévère, trois rendez-vous sont au minimum nécessaires sur une période de sept à dix jours, déterminée au dernier moment, à l'arrivée des règles ;
- pour une tentative de fécondation in vitro (FIV), qui constitue l'étape suivante, une dizaine de rendez-vous sont répartis sur une quinzaine de jours, avec une intervention chirurgicale.
Cette organisation est donc extrêmement lourde pour les femmes, en plus des possibles difficultés d'accès évoquées précédemment.
Nathalie Massin en concluait devant la délégation que « les traitements d'AMP nécessitent (...) des absences très fréquentes, peu programmables, dont la durée dépend de l'accessibilité des centres, et ce pendant une longue période de temps d'une durée imprévisible. (...) Les conséquences sont doubles : d'une part, du travail sur les traitements, d'autre part des traitements sur le travail. À ces contraintes sont associés des troubles physiques et psychologiques liés à l'infertilité, essentiellement portés par les femmes ».
Une enquête réalisée par le Collectif BAMP !, association de patients de l'AMP et de personnes infertiles, en 2018, sur le vécu et la perception du parcours d'AMP pour les personnes engagées dans celui-ci, avait ainsi révélé que pour 63 % des répondants, ce parcours avait une incidence très importante sur leur temps de travail ; 59 % se disaient stressés dans le cadre de leur travail ; 54 % disaient avoir retardé un changement de travail ou une demande d'augmentation, ou y avoir renoncé. En octobre 2022, un sondage lancé par ce collectif avec Ipsos, destiné aux seules femmes en parcours AMP, indiquait également que le parcours d'AMP avait des répercussions sur la vie professionnelle des sondées pour 84 % d'entre elles.
Source : Ipsos et Collectif BAMP !
Si les autorisations d'absences pour AMP (cf. encadré infra) sont autorisées par la loi précitée du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, elles ne sont toutefois pas systématiquement utilisées par les femmes qui entament ce parcours, comme le révélait Nathalie Massin lors de son audition, « d'abord parce qu'elles obligent les femmes à déclarer à leur employeur le motif de leur absence, et donc, d'une part, leur infertilité, et, d'autre part, leur projet de conception. Nous savons que ces raisons peuvent être stigmatisantes dans l'entreprise. De plus, quand la prise en charge dure longtemps, le constat d'échec est exposé sur la place publique. C'est une double peine pour ces femmes ».
Elle a ainsi estimé que moins de 50 % des femmes déclarent aujourd'hui à leur employeur être en parcours « infertilité » et bénéficient des absences rémunérées autorisées pour AMP.
En outre, au cours de son audition par la délégation le 2 mars 2023, la co-fondatrice du Collectif BAMP !, Virginie Rio, avait indiqué que, malgré l'existence de dispositions législatives claires sur les autorisations d'absences notamment celles des conjoints des femmes en parcours d'AMP, « des employeurs refusent encore de les appliquer, assurant qu'ils n'ont « pas à gérer les problèmes de procréation » de leurs employés (...). Ils affirment que le droit du travail et les autorisations d'absence ne s'appliquent pas à leur situation ».
Enfin, il apparaît que certaines femmes doivent souvent faire un choix par défaut, celui de réduire leur temps de travail pour suivre les parcours AMP, voire de cesser leur activité professionnelle. Cette réduction ou cessation occasionne de fait une perte de rémunération. D'autres choix sont par ailleurs imposés par le contexte professionnel. Au cours de son audition par la délégation, Virginie Rio a ainsi indiqué que « certaines [femmes] sont mises à l'écart, ne se voient pas proposer d'augmentations ou de changement de poste, sont licenciées sans pouvoir prouver que ce licenciement est lié au parcours d'AMP ».
On le comprend, les incidences d'un recours à l'AMP sur l'activité professionnelle sont donc fortes et parfois de nature à renforcer les inégalités professionnelles.
Dispositions légales relatives aux
aménagements du travail
dans le cadre d'un parcours de
PMA
L'article 87 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit la protection de la salariée inscrite en parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) dans le code du travail.
Les droits reconnus à la salariée en parcours AMP sont de deux sortes :
Droit à la non-discrimination
Selon l'article L. 1225-3-1 du Code du travail, introduit par la loi du 26 janvier 2016 précitée, les salariées engagées dans un parcours d'AMP bénéficient d'une protection contre les discriminations identique à celle accordée aux femmes « en état de grossesse médicalement constatée ». Cette protection s'applique dans le cadre de l'embauche, de la rupture du contrat ou de la mutation notamment.
Autorisations d'absence pour actes médicaux nécessaires
Cette loi a également étendu l'autorisation d'absence dont bénéficient la salariée enceinte et son conjoint53(*) pour se rendre aux examens médicaux obligatoires dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement aux actes médicaux nécessaires à une assistance médicale à la procréation. La salariée en parcours AMP et son conjoint bénéficient donc, à ce titre, des mêmes autorisations d'absence (C. trav., art. L. 1225-16).
Ces absences n'entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à du temps de travail effectif pour déterminer la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par la salariée au titre de son ancienneté dans l'entreprise.
Si les absences autorisées du conjoint sont plafonnées à trois, pour la salariée en parcours AMP, leur nombre est illimité puisqu'il n'existe pas de liste prédéfinie et exhaustive des actes médicaux obligatoires liés à la PMA (principalement en raison des spécificités de chaque parcours). Seul le code de la Santé Publique dans ses articles L2141-1 et suivants définit le processus de PMA : on déduit donc que la salariée qui a recours à la PMA a le droit de s'absenter pour tous les examens médicaux en lien avec ce processus (rendez-vous chez le gynécologue, prise de sang, ponction, spermogramme, actes de FIV, échographie, etc.).
La salariée doit néanmoins justifier, pour chaque rendez-vous médical, d'un certificat médical mentionnant l'heure du rendez-vous. En outre, le temps d'absence doit être proportionné à l'acte médical (mais il inclut le temps de trajet).
Lors des ponctions, le médecin prescrit habituellement un arrêt de travail de 2 ou 3 jours.
2. Les recommandations de la délégation pour faciliter la vie professionnelle des femmes dans le cadre de la prise en charge en AMP
Plusieurs pistes d'amélioration visant à faciliter la vie professionnelle des femmes dans le cadre de la prise en charge en AMP ont été évoquées devant la délégation.
a) Adapter le régime des absences au travail liées à l'AMP
La première piste d'amélioration évoquée, notamment par le Dr Nathalie Massin, devant la délégation consiste à adapter le régime des absences au travail liées à l'AMP dans le cadre de la prise en charge à 100 % de l'infertilité par la Sécurité sociale. Il est ainsi proposé de supprimer le motif de l'« infertilité » pour les absences. Le motif déclaré pourrait être une simple absence liée à une pathologie chronique à 100 %, qui peut viser d'autres pathologies chroniques. En outre, Nathalie Massin estimait que « le délai de carence devrait être supprimé pour les arrêts de travail d'une journée dans ce même cadre, puisque plusieurs rendez-vous sont parfois regroupés sur une même journée ».
L'accès au télétravail flexible devrait également être facilité, toujours dans le cadre d'une pathologie prise en charge à 100 %.
Concernant le régime d'absences autorisées des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans un parcours d'AMP, la loi est aujourd'hui inégale puisque les conjoints ont droit à trois absences autorisées pour les accompagner. Un alignement du régime d'absences autorisées des conjoints sur celui des femmes engagées dans un parcours d'AMP pourrait être étudié, pour leur apporter le soutien psychologique mais aussi « logistique » nécessaire.
Enfin, Nathalie Massin, lors de son audition devant la délégation, avait suggéré d'envisager la création de congés rémunérés dits « infertilité » ou « FIV », permettant de prévoir des absences programmées prolongées, sans retentissement sur la carrière professionnelle des femmes concernées.
Le groupe Carrefour, que la délégation a rencontré au cours de son déplacement à l'hypermarché de la Porte d'Auteuil le 6 juin 2023, a annoncé, dans le cadre de son initiative Santé au féminin, un jour d'absence autorisée, pour toutes les femmes inscrites dans un parcours d'AMP, lors du transfert d'embryon.
Recommandation n° 19 : Étendre le régime des absences autorisées par la loi, dans le cadre d'un parcours d'AMP, afin notamment de permettre un accompagnement dans la durée des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans ce parcours.
b) Encourager la prévention de l'infertilité via la médecine du travail
Dans un but de prévention de l'infertilité et donc pour, à terme, éviter le recours à l'AMP, il est recommandé d'investir les médecins du travail d'une mission de prévention et, notamment, de les former à la physiologie de la reproduction et à l'exposition aux toxiques et aux rythmes de travail contraignants.
Comme l'indiquait Nathalie Massin lors de son audition, « ces médecins peuvent être un support d'information, au cours des visites, sur le temps qui passe et la diminution des chances de grossesse. Ils peuvent également rappeler qu'en cas de projet de fertilité n'aboutissant pas au bout de six mois, il est nécessaire de consulter rapidement. En effet, le temps perdu avant de consulter et de faire un bilan occasionne un retard dans la prise en charge, et donc une augmentation du délai des parcours, puisque la fertilité diminue avec l'âge ».
De façon plus générale, il est apparaît primordial de réfléchir à une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité à visée pédagogique et qui aborderait la question du travail. Un rapport sur les causes de l'infertilité54(*) avait été remis à Olivier Véran, à l'époque ministre de la santé et des solidarités, le 21 février 2022, mais n'a pas encore débouché sur la conception d'une stratégie nationale.
Recommandation n° 20 : Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail », renforçant notamment le rôle de la médecine du travail dans la diffusion d'information sur la prévention de l'infertilité.
c) Inciter les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle des femmes
Enfin, dans le but de diminuer les obstacles rencontrés par les femmes en parcours d'AMP dans le cadre de leur travail, il est souhaitable d'encourager les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle de ces femmes.
Ils pourraient, par exemple, proposer des organisations de soins limitant les déplacements en regroupant les rendez-vous pour l'exploration et les bilans avant traitement AMP sur des périodes restreintes, ou favoriser la téléconsultation lorsqu'aucun examen physique n'est nécessaire. Enfin, ils pourraient, dans la mesure du possible, programmer les traitements pour que les femmes organisent leurs absences de la façon la plus rationnalisée possible. Ainsi que le précisait Nathalie Massin devant la délégation, « aujourd'hui, lorsque deux actes sont réalisés sur un même rendez-vous, le second est coté à 50 %, ce qui n'est pas incitatif pour les médecins qui rechignent donc à les regrouper. Un travail est nécessaire à ce sujet ».
Dans la même logique, Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP !, estimait, devant la délégation, nécessaire de rendre ces parcours médicaux plus efficaces, en réfléchissant notamment à la question du trajet. Elle précisait que « 101 centres d'AMP sont répartis sur notre territoire, mais leur accès est difficile dans certaines zones. Cette question est renforcée dans les zones rurales. Beaucoup de gens vivent à plus de deux heures d'un centre d'AMP. Là où les autorisations d'absence étaient prévues pour quelques heures, pour permettre de revenir au travail après le rendez-vous, certains ont besoin d'une journée entière, voire de plusieurs jours. C'est un motif de conflit avec les employeurs ».
Recommandation n° 21 : Rendre les parcours d'AMP plus efficaces en incitant les professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qu'ils suivent.
* 52 Étude 1 000 dreams publiée par Alice D. Domar, se rapportant à une enquête quantitative internationale réalisée en ligne en début d'année 2019 sur 2 000 femmes et leurs partenaires, dont 200 couples français.
* 53 Le conjoint salarié de la femme enceinte ou bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation bénéficie d'une autorisation d'absence pour se rendre à trois de ces examens médicaux obligatoires ou de ces actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours d'assistance médicale. Cela signifie donc que si le parcours échoue et que le couple doit entrer dans un nouveau protocole, le salarié peut à nouveau s'absenter pour trois de ces actes médicaux. Le Collectif BAMP !, auditionné par la délégation le 2 mars 2023, avait activement milité pour la mise en place de ce dispositif par le législateur.
* 54 Rapport sur les causes de l'infertilité - Vers une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité, du professeur Samir Hamamah et Mme Salomé Berlioux - février 2022.