N° 780

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la santé des femmes au travail,

Par Mmes Laurence COHEN, Annick JACQUEMET, Marie-Pierre RICHER
et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices

Tome I - Le rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

L'ESSENTIEL

Usure physique et psychique, troubles musculo-squelettiques, cancers : les répercussions du travail sur la santé des femmes sont encore largement méconnues et minimisées. De même, les difficultés associées à la santé sexuelle et reproductive des femmes sont encore sous-estimées voire ignorées dans le monde du travail. Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est ainsi à l'origine d'impensés féminins dans la conception et la mise en oeuvre des politiques de santé au travail.

Les rapporteures ont mené pendant plus de six mois des auditions et déplacements sur le terrain afin de mettre des mots sur ces maux et de rendre visible « l'invisible qui fait mal ». Elles formulent vingt-trois recommandations autour de trois grands axes : chausser systématiquement les lunettes du genre ; développer et adapter la prévention à destination des femmes ; mieux prendre en compte la santé sexuelle et reproductive au travail, en particulier les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques.

I. UN DÉFAUT DURABLE ET PRÉJUDICIABLE D'APPROCHE GENRÉE EN MATIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL

A. DES DONNÉES SEXUÉES INCOMPLÈTES ET ENCORE INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES

Si la santé des femmes au travail a fait l'objet de recherches en sciences sociales, elle a peu été étudiée sous l'angle de l'épidémiologie et des politiques de santé publique. Les statistiques sexuées demeurent parcellaires. À titre d'exemple, la Direction générale du travail (DGT) n'a pas été en mesure de fournir aux rapporteures des données par sexe sur la répartition des arrêts maladie ou le suivi effectué par les services de prévention et de santé au travail. La Cnam quant à elle n'exploite pas les statistiques sexuées dont elle dispose pourtant. En outre, les recherches épidémiologiques manquent encore sur les secteurs à prédominance féminine, en particulier du care ou du nettoyage. Or, sans connaître, comment prévenir et comment réparer ?

Au-delà des données sexuées, les maladies à caractère professionnel sont imparfaitement connues, en raison d'un double phénomène :

B. UN AVEUGLEMENT AU GENRE À L'ORIGINE D'UNE FOCALISATION SUR « L'HOMME MOYEN »

 

Les postes de travail et les équipements - y compris les équipements de protection individuels (EPI) - sont basés sur les références anthropométriques d'un « homme moyen ».

 

Des craintes de discrimination freinent la mise en oeuvre de l'évaluation sexuée des risques professionnels prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Les politiques publiques de prévention et de réparation des risques professionnels ont d'abord été pensées pour des travailleurs masculins et les risques liés aux métiers masculins.

seulement de femmes concernées par le compte professionnel de prévention (C2P)

Les pathologies non-professionnelles ayant des conséquences sur l'activité professionnelle ne sont pas prises en compte sous le prisme du genre. Or, la question du maintien et du retour dans l'emploi après un cancer se pose, par exemple, davantage pour les femmes, atteintes en moyenne à un âge plus précoce.

II. DES RISQUES PROFESSIONNELS SOUS-ESTIMÉS, MÉCONNUS ET DIFFÉRENCIÉS CHEZ LES FEMMES

 

Une double ségrégation professionnelle persiste :

· une ségrégation horizontale par secteur : seuls 20 % des métiers sont mixtes, avec des pénibilités et risques différenciés par métiers ;

· une ségrégation sexuée des tâches : les femmes sont davantage affectées à des tâches dites plus fines mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes professionnelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes.

Les femmes sont majoritairement exposées à des risques invisibles et silencieux, liés à une usure physique et psychique, alors que les hommes sont davantage exposés à des dangers visibles et engageant le pronostic vital (accidents, amiante...).

 
 
 

des personnes
atteintes de TMS
sont des femmes

plus de signalements
de souffrance psychique
chez les femmes

des femmes ont subi au moins un fait de violence (agression, harcèlement, VSS) dans le cadre du travail au cours de l'année écoulée

 

Professions du soin

80 % de femmes : infirmières, aides-soignantes, aides à domicile...

 
 

un port répétitif de charges dépassant la norme autorisée de 25 kg

 
 
 

des horaires atypiques et du travail de nuit

 
 

des exigences émotionnelles et organisationnelles fortes

   

AGENTS CANCÉROGÈNES

 
 

Professions du nettoyage

 

au sein des produits d'entretien couramment utilisés

 

80 % de femmes, majoritairement des femmes de plus de 50 ans, en situation précaire

Souvent, l'inégalité de genre se double d'une inégalité sociale, avec un cercle vicieux entre précarité du travail et des conditions de vie et mauvaise santé.

III. PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

A. CHAUSSER SYSTÉMATIQUEMENT LES LUNETTES DU GENRE : DIFFÉRENCIER N'EST PAS DISCRIMINER

Parmi les recommandations :

- Développer l'élaboration et surtout l'exploitation de données sexuées croisées

- Faire de l'approche genrée un axe stratégique du prochain plan de santé au travail (PST 5)

- Faire appliquer par les employeurs l'obligation légale d'un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) genré

- Former tous les acteurs de la prévention à une approche genrée

B. DÉVELOPPER ET ADAPTER LA PRÉVENTION

Parmi les recommandations :

- Élaborer une stratégie nationale pour la santé des femmes, incluant un volet « santé au travail » reconnaissant le rôle pivot de la médecine du travail

- Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux conditions de travail des femmes (ex. : postes et équipements adaptés, produits de nettoyage de substitution, interdiction des mono-brosses sur les sols amiantés, nombre minimum de soignants par patient...)

- Généraliser le développement de maisons de soignants sur tout le territoire

- Renforcer les moyens humains dédiés à la prévention et au contrôle (médecine et inspection du travail)

- Renforcer les sanctions à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée

- Faciliter la reconnaissance des cancers du sein et des ovaires en maladie professionnelle

- Revoir la liste des critères de pénibilité

IV. SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL : NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

A. LA PRISE EN CHARGE DE L'ENDOMÉTRIOSE ET DES PATHOLOGIES MENSTRUELLES INCAPACITANTES AU TRAVAIL : UN ENJEU D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

 

de la population féminine

en âge de procréer,
soit 1,5 à 2,5 millions de femmes

 

douleurs (chroniques) pelvi-périnéales mais aussi digestives, urinaires et lombaires

diminution de la capacité de travail et de la productivité

Parmi les recommandations :

Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30), permettant de supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d'arrêts de travail répétés

B. LA GROSSESSE, UN ÉTAT DE SANTÉ PARTICULIER, QUI FAIT L'OBJET D'UNE STIGMATISATION PERSISTANTE AU TRAVAIL

 
 

Non-recours
à certains droits

concernant l'aménagement

du temps et du poste

de travail

des femmes occupant des emplois ouvriers et de service perdent ou quittent leur emploi en cours de grossesse

de discriminations au travail à l'encontre des femmes enceintes ou mères d'un enfant en bas âge

Recommandation :

Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse

C. LE PARCOURS, TOUJOURS SEMÉ D'EMBÛCHES, DE L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP)

 
 
 

des couples en âge de procréer touchés par l'infertilité

conçu dans le cadre d'une AMP

des femmes en parcours AMP estiment que celui-ci a des répercussions sur leur vie professionnelle

Recommandations :

- Adapter le régime des absences au travail, notamment pour les conjoints

- Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail »

- Inciter les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle des femmes

D. LA MÉNOPAUSE : DERNIER DES TABOUS FÉMININS ?

 
 
 

femmes entrent en ménopause chaque année

de femmes concernées

des femmes de 55  ans ou plus

 

Conséquences, généralement transitoires : carence oestrogénique, bouffées de chaleur, troubles du sommeil, maux de tête, troubles urinaires, troubles de la mémoire, risque osseux...

Recommandations :

- Mieux informer les employeurs, employés et professionnels de santé sur les symptômes de la ménopause

- Réfléchir à une adaptation des conditions de travail à la symptomatologie de la ménopause

- Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause

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