III. SOLDER LES COMPTES DU PASSÉ, FAIRE ATTERRIR BUDGÉTAIREMENT LES GRANDS PROGRAMMES EN COURS ET ASSURER L'ENTRETIEN ET LA MODERNISATION DES INFRASTRUCTURES : L'ENJEU DE DÉFINIR UNE TRAJECTOIRE D'INVESTISSEMENT PLURIANNUELLE
Le rapporteur spécial a pu constater qu'en termes d'investissements, la DSNA se trouve actuellement, et pour au moins encore quelques années, dans une phase critique dans laquelle elle doit tout à la fois assumer le coût financier des dérives constatées sur ses différents programmes de modernisation, assurer leur aboutissement, anticiper les projets de modernisation à venir et combler des années de sous-investissement dans des infrastructures aujourd'hui en situation d'obsolescence avérée.
Il a le sentiment que cette situation pourrait perdurer une décennie encore, avant que la DSNA ait pu remettre à niveau et moderniser l'ensemble de ses infrastructures et systèmes. Ce n'est qu'à partir de ce moment que le niveau de ses besoins d'investissements annuels pourrait être amené à refluer. Cependant, il tient à rappeler une nouvelle fois que pour éviter que cette « bosse » d'investissements ne se transforme en « plateau », la DSNA doit d'ici là mobiliser l'ensemble des leviers qu'elle s'est engagée à activer, au premier rang desquels la restructuration du réseau de ses implantations territoriales et la mutualisation de ses investissements avec d'autres PSNA.
Évolution des coûts d'investissement des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances
Le rapporteur spécial tient à rappeler que les surcoûts enregistrés sur les principaux programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne 4-Flight, Coflight et Sysat se chiffrent à près d'un milliard d'euros.
Pour répondre à l'ensemble des enjeux d'investissements détaillés supra, la DSNA a proposé cette année à la direction du budget (DB) une trajectoire d'investissement pluriannuelle (2024-2029) nettement majorée (de 450 millions d'euros) par rapport aux estimations réalisées à l'automne 2022 dans le cadre de la préparation de la loi de finances initiale pour 2023. Cette trajectoire intègre notamment les coûts prévisionnels de la transition de 4-Flight vers un système mutualisé (342 millions d'euros entre 2024 et 2029) et les investissements nécessaires à remédier aux situations d'obsolescence identifiées sur les infrastructures de la DSNA (voir supra).
Trajectoire d'investissements
prévisionnelle
proposée par la DSNA (2024-2029)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur spécial
Ces montants d'investissements prévisionnels sont assez nettement supérieurs à la moyenne constatée ces dernières années.
Trajectoire d'investissements (en autorisations d'engagement) de la DSNA (2018-2022)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances
Le rapporteur spécial note qu'il existe un enjeu certain pour la DSNA à engager budgétairement dès 2024 les investissements qu'elle anticipe pour les années à venir afin que les coûts d'amortissement qui leur sont liés puissent être inscrits dans le plan de performance de la période de régulation européenne dite RP4 qui s'applique sur la période 2025-2029.
Le rapporteur spécial est conscient des besoins de visibilité budgétaire pluriannuelle qui sont ceux de la DSNA ainsi que de la situation de « bosse d'investissements » dans laquelle elle se trouve. Il a aussi accueilli favorablement ses récentes évolutions stratégiques susceptibles d'éviter que ne se reproduisent les dérives budgétaires qui ont marqué la conduite des programmes de modernisation actuels.
Toutefois, l'engagement dans une trajectoire d'investissement si ambitieuse n'est envisageable qu'à la condition que la DSNA donne davantage de garanties en matière de transparence, de performance ou encore de pilotage opérationnel et budgétaire de ses projets. Le respect de la trajectoire de désendettement du BACEA sur laquelle la DGAC s'est engagée est une autre condition indissociable de cette trajectoire d'investissement fortement inflationniste.
Le rapporteur spécial a pu constater que, malgré des progrès, le suivi et la programmation budgétaire des investissements de la DSNA restent insuffisamment maîtrisés et comportent d'importantes marges de progression. Il note cependant que la DSNA part de très loin puisqu'elle commence tout juste à se familiariser avec le principe de la budgétisation en AE ? CP qui est pourtant une règle de base de la comptabilité budgétaire publique et une nécessité pour piloter efficacement des programmes d'investissements pluriannuels. En effet, faute de comptabilité budgétaire en AE ? CP, les programmes d'investissements doivent faire l'objet d'arbitrages annuels et la visibilité des crédits budgétaires qui leur sont affectés s'en trouve fortement diminuée. Cette situation nuit de manière évidente au pilotage de ces programmes et peut être la source de retards.
Ce n'est qu'à partir de 2021 que la DSNA a commencé à expérimenter, sur quatre opérations d'investissement dites « pionnières », une budgétisation AE ? CP. À ce stade, le bilan de cette expérimentation apparaît mitigé, notamment car le choix de certaines des opérations n'était pas le plus adapté, mais, ce faisant elle a mis en évidence les difficultés de programmation budgétaire de la DGAC puisque l'une des opérations37(*) n'a toujours donné lieu à aucune consommation de crédits et que le programme Sysat, lui aussi intégré, a été totalement restructuré.
Malgré ces difficultés, le rapporteur spécial considère qu'il est absolument nécessaire que la DSNA généralise le plus rapidement possible, avec le concours de son contrôleur budgétaire, la budgétisation en AE ? CP de l'ensemble de ses dépenses d'investissement. Cette évolution est une condition sine qua non de l'amélioration structurelle du pilotage de ses opérations. Il va de soi que le projet visant à prendre le relai de 4-Flight ne peut s'envisager sans une budgétisation en AE ? CP.
Recommandation n° 6 : améliorer le pilotage budgétaire des programmes de la DSNA, notamment en généralisant la budgétisation AE ? CP.
Une autre des garanties que la DSNA doit nécessairement apporter pour pouvoir prétendre à la trajectoire d'investissement qu'elle recommande, est celle d'une plus grande transparence, en particulier s'agissant des gains de productivité attendus de la mise en oeuvre de ses programmes de modernisation et, plus généralement, de ses engagements de performance.
À ce titre, le rapporteur spécial considère que l'instauration d'un contrat de performance pluriannuel entre la DGAC et la DB, dans lequel la DSNA prendrait des engagements, notamment en matière de gains de performance ou encore de respect des délais et des coûts de ses programmes, doit être envisagée.
Recommandation n° 7 : instaurer un contrat d'objectifs et de performances pluriannuel entre la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la direction du budget.
À compter de 2023, la DGAC s'est engagée à mener à bien une trajectoire de désendettement du BACEA avec un objectif de réduire sa dette à 1,3 milliard d'euros à horizon 2027. Cet engagement, que la DGAC a maintenu en dépit de la nouvelle trajectoire d'investissements qu'elle a soumise à la DB, constitue un autre des gages de crédibilité budgétaire indispensables qui pourront légitimer les demandes de crédits d'investissements pluriannuels effectuées par la DSNA.
Recommandation n° 8 : tenir les engagements pris par la DGAC au titre de la trajectoire de désendettement du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (DGAC).
De façon plus générale, le rapporteur spécial considère que la DSNA n'aura la crédibilité budgétaire et la légitimité suffisante pour prétendre à la trajectoire pluriannuelle d'investissements qu'elle estime nécessaire qu'à la seule condition qu'elle mène à bien une profonde réforme qui s'appuie sur trois piliers qui doivent chacun générer des gains de performance significatifs et dont la modernisation technologique fait partie intégrante :
- une réforme ambitieuse de l'organisation du travail des contrôleurs aériens ;
- une restructuration du réseau de ses implantations ;
- sa modernisation technologique.
* 37 Le projet « vigie Saint-Denis » qui vise à disposer d'une tour de contrôle apte à opérer depuis Saint Denis de la Réunion le nouveau service d'approche de Mayotte.