EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 juin 2023, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Georges Patient et Teva Rohfritsch, rapporteurs spéciaux, sur les Contrats de Redressement en Outre-Mer (COROM).

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - Mes chers collègues, je salue la présence parmi nous de deux sénateurs de Côte d'Ivoire, qui nous font le plaisir et l'honneur d'assister à notre réunion.

Nous entendons ce matin nos collègues Georges Patient et Teva Rohfritsch, rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer », qui nous présentent les conclusions de leur contrôle budgétaire sur les contrats de redressement en outre-mer, dits Corom.

M. Georges Patient, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Les difficultés structurelles affectant les finances des communes ultramarines sont identifiées de longue date et de nombreux travaux ont été réalisés à ce jour. Dès 2014, j'avais rédigé un rapport sur les pistes de réforme des finances des collectivités locales des départements et régions d'outre-mer. Puis, en 2019, avec le député Jean-René Cazeneuve, actuel rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, nous avions élaboré un nouveau rapport sur les moyens de soutenir les communes des départements et régions d'outre-mer par la mise en place d'un accompagnement en responsabilité.

Les Corom sont le fruit de ces travaux : introduits par amendement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, pour un montant de 30 millions d'euros, ils ont pour objet d'aider les communes des départements et régions d'outre-mer présentant des difficultés financières particulièrement importantes.

Ces contrats d'un type nouveau visent ainsi à apporter un soutien de l'État aux communes ultramarines souhaitant assainir leur situation financière et à réduire les délais de paiement de leurs fournisseurs locaux. Ils sont fondés sur un effort de diagnostic et d'ingénierie préalable, qui doit être mené au niveau local avec l'appui de l'Agence française de développement (AFD), et sur un accompagnement de certaines réformes structurelles indispensables. Le versement d'une subvention exceptionnelle de l'État est d'ailleurs conditionné aux progrès réalisés par les communes contractantes en termes de redressement. L'intérêt et l'originalité du dispositif reposent, donc, plus encore que sur la subvention exceptionnelle, sur la mise en place d'une assistance technique. En effet, le renforcement des capacités d'expertise de la collectivité via cette assistance permet d'engager des réformes organisationnelles, de mettre en place des outils de suivi et de gestion, évitant ainsi certains dysfonctionnements observés dans le cadre de précédents mécanismes de soutien.

Le dispositif actuel ne peut bénéficier qu'aux communes en graves difficultés financières au regard de deux critères : la mise en place de procédures de contrôle budgétaire et de règlement d'office du budget par les préfets et les chambres régionales des comptes ; un retour à l'équilibre ne pouvant être raisonnablement envisagé que sur plusieurs exercices.

Entre mai 2021 et novembre 2022, neuf communes sur 129 ont signé un Corom. La situation financière de six d'entre elles s'est améliorée. S'il est encore délicat de cerner la part d'amélioration imputable aux Corom, ceux-ci ont eu trois effets immédiats : les communes contractantes ont témoigné d'une dynamique volontariste pour assainir leurs finances ; le versement de subventions a permis de désintéresser rapidement un nombre important de créanciers ; l'assistance technique a produit sans conteste de premiers effets positifs. Les élus interrogés expriment ainsi leur grande satisfaction, ce constat favorable étant partagé par les préfets et les directions régionales des finances publiques, qui soulignent, de surcroît, l'instauration d'une relation de confiance entre les communes contractantes et les services de l'État.

Le dispositif devrait néanmoins pouvoir être amélioré et, au regard des besoins, étendu.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Effectivement, le montant de 30 millions d'euros ouvert en loi de finances pour 2021 paraît largement insuffisant. À titre d'exemple, les communes de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France présentaient en 2020, avant la signature du Corom, une dette cumulée supérieure à 47 millions d'euros, pour l'une, et 38 millions d'euros, pour l'autre. Dans ce contexte, les subventions prévues et la durée de trois ans ne permettaient pas un redressement à l'échéance du Corom. La durée des contrats doit donc être adaptée aux situations réelles des communes.

Par ailleurs, la qualité et la fiabilité des diagnostics préalables doivent être améliorées afin de tracer une trajectoire réaliste. La commune d'Iracoubo en est une bonne illustration : elle a connu des difficultés à redresser sa situation financière au cours des deux dernières années, du fait de l'intégration en comptabilité de dépenses anciennes et non comptabilisées jusqu'alors, et la diminution constante de sa démographie ne lui offre pas de marges en termes de ressources fiscales ou domaniales, autant d'éléments non pris en compte lors de l'établissement de la trajectoire.

Enfin, certaines communes n'ont pas encore d'assistant technique à temps plein sur place, en raison de difficultés de recrutement, alors même que cette assistance est le point fort des contrats.

Au-delà des moyens supplémentaires qui seraient nécessaires, l'autre enjeu majeur est l'extension du dispositif à de nouvelles communes, à d'autres types de collectivités comme les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou les syndicats, mais également aux communes des collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution.

En effet, sur les 129 communes des départements et régions d'outre-mer, 30 figurent actuellement dans le réseau d'alerte de la direction générale des finances publiques (DGFiP) en raison d'une situation financière dégradée. L'amendement adopté en loi de finances pour 2023 permettra de contractualiser avec quelques nouvelles communes, mais ne va pas encore assez loin.

Par ailleurs, malgré une situation financière plutôt favorable des EPCI à ce jour, le risque de détérioration est réel quand les compétences leur auront été transférées dans leur intégralité.

La question se pose aussi pour les syndicats, dont certains connaissent de graves difficultés, ce qui a d'ailleurs poussé la direction générale des outre-mer (DGOM) à signer un Corom avec le syndicat des eaux en Guadeloupe.

Enfin, l'extension du dispositif aux communes des collectivités d'outre-mer doit être envisagée sans position de principe érigée d'autorité, la situation financière de quelques communes de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie s'avérant très tendue dans un contexte de hausse des investissements et d'absence d'outils de suivi stratégique et d'ingénierie. Les demandes se multiplient, comme le montre l'exemple de la commune de Mâhina en Polynésie française, dont le maire a mis sept ans à opérer un redressement des finances. Cet exemple met deux points en exergue : l'isolement de la commune dans les efforts déployés pour trouver des accompagnements et des solutions, ainsi que le temps très long de redressement en l'absence de soutien financier de l'État et d'ingénierie. Une extension des Corom aux communes des collectivités d'outre-mer, accompagnée d'une adaptation des critères d'éligibilité et des modalités de soutien, paraît donc nécessaire.

M. Jérôme Bascher. - Différentes raisons peuvent expliquer qu'une commune ait des difficultés financières : une perte exceptionnelle de recettes, par exemple du fait de la fermeture d'une usine, ou alors des dépenses inconsidérées. Il nous est expliqué qu'une trentaine de communes seraient considérées par la DGFiP comme étant en grandes difficultés. En connaît-on les raisons ? A-t-on pu examiner, notamment, les ratios d'emplois dans ces collectivités par rapport à d'autres collectivités d'outre-mer ? Par ailleurs, comment les communes aidées dans le cadre des Corom procèdent-elles pour redresser leurs finances ?

M. Éric Bocquet. - Ma question rejoint la précédente : le classement dans le réseau d'alerte de la DGFiP de pratiquement un quart des communes est-il un phénomène nouveau ou ancien ? Y a-t-il des liens avec la crise sanitaire ?

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Comme je l'ai souligné, les causes sont anciennes et c'est un sujet sur lequel nous travaillons depuis très longtemps.

Je vous renvoie à la première partie du rapport pour plus d'éléments. Mais, s'il y a peut-être, comme on l'entend trop souvent dire, des gestions insuffisamment maitrisées, le problème structurel est surtout lié à un déficit de recettes par rapport aux communes métropolitaines. Voilà seulement deux ans, par exemple, que le Président de la République a reconnu l'existence, au niveau de la péréquation, d'un différentiel en défaveur des communes d'outre-mer de 85 millions d'euros.

Les situations financières problématiques sont donc, pour moi, essentiellement dues à une insuffisance de recettes et c'est pour ne pas laisser ces collectivités dans la difficulté que Jean-René Cazeneuve et moi-même avons lancé cette proposition de Corom.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - Par ailleurs, nous insistons beaucoup sur la nécessité d'assistance technique. Y compris lorsque des diagnostics ont pu être établis par l'État localement, il y a un besoin quasiment systématique de renforcement des équipes dédiées à la gestion. Les communes ayant déjà des dépenses de personnel supérieures à la moyenne métropolitaine n'ont pas les moyens de recruter ; s'ajoutent à cela des problèmes d'accès aux viviers de techniciens. Il est essentiel d'insister sur cette recommandation et sur la façon dont nous pourrions accompagner l'AFD pour réaliser le portage attendu.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - S'agissant de l'écart avec les communes métropolitaines, on pourrait ajouter les dépenses de personnel. On parle - trop souvent aussi - de personnels pléthoriques ou de clientélisme. Mais, en fait, les communes d'outre-mer paient leurs agents avec un delta de 40 %, pour s'aligner sur la rémunération que l'État offre à ses fonctionnaires lorsqu'ils sont en poste en outre-mer. Dès lors, même avec des taux d'administration identiques à ceux des communes de métropole, les charges de personnel sont, de fait, plus élevées.

M. Michel Canévet. - Je remercie les rapporteurs spéciaux d'appeler notre attention sur la situation de ces collectivités d'outre-mer. Comme Georges Patient vient de l'indiquer, des dépenses supplémentaires sont constatées du fait de l'insularité et de la rémunération des fonctionnaires. Cela n'est-il pas pris en compte dans les dotations allouées par l'État ?

M. Charles Guené. - Dans le même ordre d'idée, j'entends que l'on raisonne à partir d'un manque de recettes, mais un tel manque est, dans l'absolu, difficile à établir et à comparer. N'est-il pas temps de raisonner à partir de la notion de charges, avec un inventaire plus fin de ces charges ? D'ailleurs, il ne faudrait pas le faire uniquement en outre-mer.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - La question des charges est aussi intégrée à la réflexion, la plus importante d'entre elles étant les dépenses de personnel. Le ratio moyen atteint jusqu'à 60 %, voire 80 % de charges de personnel dans certaines collectivités d'outre-mer, alors qu'il s'établit, en moyenne, à 50 % dans l'Hexagone. Mais le travail de rationalisation dans ce domaine est déjà engagé - le rôle de l'assistant technique prévu dans le Corom est bien de parvenir à une plus grande maîtrise des dépenses de personnel.

S'agissant des recettes, la dotation globale de fonctionnement (DGF) dans les départements et régions d'outre-mer est versée selon les mêmes modalités de calcul qu'en métropole. Il n'y a, sur ce point, pas de régime particulier. La différence réside dans la péréquation, où les communes d'outre-mer n'étaient pas servies comme elles auraient dû l'être, et c'est seulement depuis que le Président de la République a reconnu l'existence d'un différentiel que la régularisation se fait. On peut donc considérer que les communes d'outre-mer ont été très longtemps discriminées dans ce domaine.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.