B. L'ACCOMPAGNEMENT DE L'ÉTAT DANS LA MISE EN oeUVRE DES ZFE-M : ENTRE ATERMOIEMENTS ET ESQUIVE
Plusieurs représentants de collectivités territoriales ont fait part de leur incompréhension quant au défaut d'accompagnement de l'État dans la mise en oeuvre des ZFE-m par les agglomérations, alors même que ce dispositif leur est imposé. Ce constat malheureusement est valable tant en amont de la création de la ZFE-m (information, accompagnement financier, etc.) qu'en aval (contrôle).
1. En amont, un accompagnement défaillant de l'État dans la mise en oeuvre des ZFE-m
Le déploiement apaisé d'une ZFE-m suppose, pour les collectivités, un soutien de l'État dans sa mise en place. Nombre d'entre elles ont fait part de leur regret du manque d'implication dans l'État dans la phase de préparation de la mise en oeuvre des ZFE-m.
D'une part, l'information du public a fait défaut : de nombreux acteurs regrettent en effet l'absence de larges campagnes d'information nationales, qui pourraient pourtant permettre d'anticiper les échéances et de sensibiliser le public à grande échelle. En l'état actuel des choses, d'après un sondage du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'avril 2023, seuls 51 % des Français ont connaissance du dispositif. 37 % de Français expriment d'ailleurs un sentiment persistant de manque d'information. Comme le souligne la Ligue de défense des conducteurs, « la connaissance de ce dispositif est pourtant un pré-requis pour l'acceptation de cette révolution de nos mobilités ». L'Association des maires de France (AMF) a également exprimé un fort besoin d'accompagnement des communes et des intercommunalités dans les campagnes de communication pour améliorer l'acceptabilité du dispositif auprès des populations concernées.
Au-delà de la seule question de l'information, l'accompagnement financier de l'État dans le déploiement de la ZFE-m se révèle à ce stade largement sous-dimensionné. Une enveloppe de 150 millions d'euros, entièrement déléguée aux préfets, est prévue dans le cadre du Fonds vert lancé en janvier 2023 ; pour autant, cette aide est d'une part bien trop tardive au regard des calendriers de restriction de circulation prévus et, d'autre part, très insuffisante compte tenu des besoins.
L'accompagnement au déploiement de ZFE-m
dans le cadre
du Fonds d'accélération de la transition
écologique dans les territoires
(« Fonds vert »)
La répartition initialement prévue pour l'année 2023 est la suivante :
- 15 millions d'euros pour les ZFE-m en dépassement des valeurs limites de qualité de l'air ;
- 6 millions d'euros pour les autres ZFE-m en vigueur ;
- 1,5 million d'euros pour les futures ZFE-m.
Sont éligibles au fonds vert les projets suivants :
- des études (études de diagnostic, études préalables pour la mise en place de la ZFE-m, études de solutions de mobilité à déployer pour mettre en place des pôles d'échange, développer le vélo et la marche, mettre en place des lignes de covoiturages sur les zones d'accès à la ZFE-m, établir un plan de transport) ;
- des dispositifs d'information et de conseil sur les modalités de mise en oeuvre de la ZFE-m et les solutions de déplacement alternatives (campagnes de communication et de sensibilisation, mise en place d'un guichet d'information ou de conseil, etc.) ;
- le déploiement de services numériques (numérisation des arrêtés de circulation, services numériques facilitant l'accès à la ZFE-m, l'information et l'accès aux aides visant au verdissement des transports pour les usagers ou encore le report modal vers des mobilités douces ou partagées) ;
- des dispositifs d'aides financières incitatives pour les mobilités propres (aide à l'utilisation de vélos ou de vélos cargos, aide à l'acquisition de véhicules pour le développement d'une offre de transport public périurbaine desservant la ZFE-m ou de pôles d'échange à proximité, d'une offre de vélos, de service d'autopartage, etc.) ;
- des achats d'équipements et d'aménagements (signalisation, équipements, logiciels et prestations nécessaires au contrôle/sanction, aménagements de voirie et de stationnement pour développer le vélo et la marche, le covoiturage, l'autopartage ou la logistique urbaine durable, aménagements de parc relais ou pôles intermodaux).
32 des 43 territoires éligibles, dont les 11 territoires ayant déjà instauré une ZFE-m ont déposé a minima une demande de subventions au titre du Fonds vert. Le nombre de dossiers déposés s'élève à 146 et le montant cumulé des aides s'établit à 117 millions d'euros, pour un montant total de coûts des projets de 251 millions d'euros (soit un taux de subvention moyen demandé à 47 %. Ces chiffres concernent des dossiers à ce stade majoritairement déposés ou en cours d'instruction. Les statistiques concernant les dossiers acceptés devraient être moins élevés, en raison notamment du retrait de dossiers potentiellement non éligibles ou de taux de subvention accordés inférieurs aux taux demandés.
Source : DGEC
D'après l'Association des petites villes de France (APVF), les montants alloués dans le cadre du Fonds vert « s'avèrent faibles au regard des investissements conséquents générés ». L'APVF indique à titre d'illustration qu'ils ne sont parfois même pas suffisants pour financer les panneaux signalant l'entrée dans une ZFE-m. Au total, malgré les moyens déployés par l'État, le reste à charge supporté par les collectivités territoriales reste trop conséquent.
Au-delà du soutien financier, de nombreux acteurs ont également exprimé le besoin de nommer un référent local de l'État sur le sujet, qui soit plus pérenne que le comité sur les ZFE-m actuellement en cours.
En définitive, comme le résume une métropole ayant mis en place une ZFE-m en application de la LOM, « l'accompagnement de l'État est insuffisant. Au fil des retards et des demi-mesures depuis la conférence nationale volontariste du 8 octobre 2018, l'action de l'État donne une impression d'atermoiement voire d'esquive, laissant les Métropoles porteuses des projets de ZFE seules en première ligne face aux potentiels mécontentements qu'ils peuvent susciter. »
2. En aval, un dispositif de contrôle en sursis
L'accompagnement de l'État s'avère également lacunaire en matière de contrôle du respect des restrictions de circulation applicables en ZFE-m.
Les sanctions prévues en cas de non-respect des règles fixées en ZFE-m sont prévues par le code de la route44(*). Sont ainsi passibles de sanction :
- l'utilisation d'un certificat frauduleux, l'utilisation d'un certificat illisible (ou s'il n'est pas apposé de manière visible) ;
- le fait de circuler dans une ZFE-m sans certificat ;
- le fait de ne pas respecter les restrictions de circulation dans les ZFE-m ;
- le fait, pour un véhicule interdit de façon permanente dans une ZFE-m, de stationner dans la zone.
Ces sanctions sont punies des amendes prévues pour les contraventions de troisième classe (68 euros) concernant les véhicules particuliers, les véhicules utilitaire légers et les deux ou trois roues. S'agissant des poids lourds, bus et autocars, ces sanctions sont punies des amendes prévues pour les contraventions de quatrième classe (135 euros). Compte tenu des amendes encourues, et comme le relève l'APVF, une campagne de sensibilisation est d'autant plus indispensable pour prévenir les usagers des ZFE-m qu'ils s'exposent à des sanctions.
Si les modalités de sanctions sont arrêtées, les modalités de contrôle restent quant à elles beaucoup plus floues à ce jour. Afin de garantir le respect des règles en ZFE-m, l'État s'était pourtant engagé dès 2018 à mettre en oeuvre des modalités de contrôle en circulation par vidéo et en stationnement et la coopération des forces de l'ordre et des services de l'État, dans l'objectif de constater et de traiter les infractions de manière automatique.
Dans cette perspective, l'article L. 2213-4-2 du code général des collectivités territoriales, créé par la LOM45(*), prévoit la possibilité de mettre en oeuvre des dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules. Plus couramment désigné sous l'acronyme « LAPI » (pour lecture automatisée des plaques d'immatriculation), ce dispositif n'est, pour l'heure, toujours pas disponible.
La lecture automatisée des plaques d'immatriculation en quelques mots
Des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules peuvent être mis en oeuvre par les services de police et de gendarmerie nationales ou par les services de police municipale des communes sur le territoire desquelles a été instituée une zone à faibles émissions mobilité ou, pour la zone instaurée à Paris, par le service dont relèvent les agents de surveillance de Paris, afin de faciliter la constatation des infractions aux règles de circulation arrêtées dans le cadre de la mise en place d'une ZFE-m et de permettre le rassemblement des preuves de ces infractions ainsi que la recherche de leurs auteurs (article L. 2213-4-2 du code général des collectivités territoriales). Les données collectées peuvent faire l'objet de traitements automatisés.
La mise en oeuvre de ces dispositifs doit être autorisée par arrêté du représentant de l'État dans le département et, à Paris, du préfet de police. Cette autorisation ne peut être délivrée que si :
1) Les modalités de contrôle ne conduisent pas à contrôler chaque jour plus de 15 % du nombre moyen journalier de véhicules circulant au sein de la zone ;
2) Le rapport entre le nombre de dispositifs de contrôle permettant les traitements automatisés des données signalétiques des véhicules mis en oeuvre au cours d'une même journée au sein de la ZFE-m et la longueur totale de la voirie publique (en kilomètres) n'excède pas 0,025 ;
3) Les lieux de déploiement retenus n'ont pas pour effet de permettre un contrôle de l'ensemble des véhicules entrant dans la zone à faibles émissions mobilité ou dans un espace continu au sein de cette zone.
À la suite de nombreux reports, le Ministère de la transition écologique prévoit à ce jour un déploiement de cet outil d'ici le deuxième semestre 2024. Cette échéance correspond à environ quatre années de retard par rapport à l'horizon initialement prévu. Cette situation est de nature à décrédibiliser les règles prévues dans les différentes ZFE-m. D'après une agglomération ayant déjà mis en oeuvre une ZFE-m, « sans dispositif de contrôle efficace, les ZFE ont toutes les chances de s'apparenter à un simulacre d'action publique ».
S'il est possible de recourir au contrôle manuel par les polices municipales, cette piste est en réalité bien souvent écartée pour plusieurs raisons. D'abord, les agents de police municipale ont en règle générale d'autres priorités à traiter. La communauté urbaine du Grand Reims considère d'ailleurs que ce contrôle « est trop consommateur en temps pour que des effectifs soient mobilisés ». Ensuite, l'enchevêtrement des compétences en matière de ZFE-m complexifie leur contrôle. Comme l'ont indiqué certaines agglomérations, l'instauration et le contrôle de la ZFE-m relève du pouvoir de police du président de l'intercommunalité alors même que les intercommunalités ne sont que très rarement pourvues d'une police intercommunales. Enfin, la question de l'affectation des recettes n'est à ce jour pas totalement réglée. Une agglomération a indiqué qu'à ce stade, les amendes de 68 euros étaient intégralement récupérées par l'État. À terme, il est donc indispensable que le produit des sanctions soit affecté aux agglomérations ayant mis en oeuvre la ZFE-m. La DGEC a confirmé ce point à la mission, indiquant que le produit des amendes sera rétrocédé aux collectivités territoriales qui mettent en place les contrôles automatisés, après déduction d'une faible quote-part destinée à couvrir les frais de fonctionnement du dispositif supportés par l'État.
En définitive, seules quelques agglomérations ont indiqué opérer des contrôles, mais il s'agit souvent de contrôles réalisés en marge d'autres infractions. Toulouse Métropole a ainsi indiqué que : « la police municipale toulousaine verbalise les contrevenants à la ZFE-m quand des contrôles sont réalisés pour un autre motif. En revanche, il n'y a ni contrôle automatisé, ni campagne de contrôle spécifique ».
Au-delà du retard pris par l'État pour déployer le contrôle automatisé, il apparaît, en creux, que compte tenu des entrées en vigueur très rapides et rapprochées de certaines restrictions de circulation - qui sont susceptibles de restreindre l'accès d'un grand nombre de véhicules - la plupart des agglomérations ont donné consigne de ne pas procéder au contrôle manuel ni à la verbalisation en cas de non-respect des règles fixées en ZFE-m. La Métropole Nice Côte d'Azur a ainsi fait le choix de ne pas verbaliser le non-respect des règles de la ZFE-m.
En définitive, la mise en oeuvre souvent précipitée des ZFE-m, compte tenu du calendrier très resserré fixé à l'échelle nationale, conduit à ne pas en contrôler les règles ce qui, de facto, en réduit non seulement l'efficacité, mais aussi la crédibilité.
En tout état de cause, dans un tel contexte et compte tenu de l'ampleur des restrictions de circulation dans les prochaines années, la commission estime que les opérations de contrôle devront nécessairement être mises en oeuvre très progressivement et avec beaucoup de pédagogie. À cet égard, il pourrait être intéressant de s'inspirer d'autres modèles européens qui ont fait leurs preuves. L'exemple bruxellois mérite d'être cité : le non-respect des critères d'accès à la ZFE bruxelloises constitue une infraction punie d'une amende, mais aucune nouvelle amende ne peut être prononcée pour une infraction commise les trois mois suivants ; de telle sorte que sur une année, un maximum de quatre amendes par véhicule peut être prononcé). En outre, une période de transition de six mois a été mise en oeuvre lors de l'entrée en vigueur de nouvelles restrictions de circulation. Pendant cette période, les infractions constatées donnaient seulement lieu à des avertissements.
PROPOSITION 3 : Assouplir le régime de sanctions pour en renforcer l'acceptabilité en s'inspirant de certains modèles européens.
* 44 Articles R. 318-2 et R. 411-19-1 du code de la route.
* 45 Article 86 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.